Avis de la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature du 16 mai 2013

16 mai 2013
CSM

AVIS
de la formation pléniére du
Conseil supérieur de la magistrature

Par lettre en date du 25 avril 2013, la garde des Sceaux, ministre de la justice, a saisi la formation pléniere du Conseil supérieur de la magistrature, en application des dispositions de l’article 65 de la Constitution, d’une demande d’avis ainsi formulée :

Le site ‘Atlantico’ a diffusé une vidéo montrant, sur un mur d’un local occupé par une organisation professionnelle de magistrats, plusieurs dizaines de portraits photographiques de personnalités politiques, du monde judiciaire, médiatiques et de hauts fonctionnaires du ministere de la justice, sous l’intitulé ‘le mur des cons’. Je souhaite connaitre l’avis du Conseil supérieur de la magistrature, au regard de la liberté syndicale, sur la compatibilité entre le devoir de réserve et l'impartialité du magistrat d’une part et d’autre part les formes prises dans cette affaire par l’expression syndicale. 

La formation pléniere du Conseil, apres en avoir délibéré le 16 mai 2013, est d’avis que :

1. L’article 65 de la Constitution donne competence au Conseil supérieur de la magistrature, réuni en formation pléniere, afin de se prononcer "sur les questions relatives a la déontologie des magistrats [. . .] dont le saisit le ministre de la justice". S’il lui appartient de définir, à ce titre, les devoirs qu’impose aux magistrats l’exercice de leurs fonctions, en énonçant des principes et en formulant des recommandations, cette compétence ne peut lui permettre de se prononcer sur une affaire particulière.

Une telle démarche, qui implique une qualification des faits et une appréciation de leur caractere éventuellement fautif, sortirait du champ de la déontologie pour s’inscrire dans celui de la discipline, laquelle relève, en application des sixieme et septieme alinéas de l'article 65 de la Constitution, des formations du Conseil respectivement compétentes à l’égard des magistrats du siege et du parquet.

Elle serait de nature à remettre en cause l’impartialité objective du Conseil dans l'hypothèse où celui-ci viendrait à connaitre de la même affaire ou d’une affaire analogue à l’occasion d’une saisine ultérieure du conseil de discipline, au sein duquel siègent les membres de la formation plénière.

2. En l’espèce, la demande d’avis soumise a la formation plénière par la garde des sceaux fait suite à la diffusion sur Internet d’une vidéo montrant plusieurs dizaines de portraits photographiques de personnes facilement reconnaissables, affiches sur un mur d’un local occupé par le Syndicat de la magistrature avec un message ainsi libellé : "avant d'ajouter un con, verifiez qu’il n'y est pas dejà".

Elle invite le Conseil à se prononcer, selon les propres termes de la saisine, sur les formes particulières prises "dans cette affaire" par l’expression syndicale.

Elle ne concerne donc pas une question d’ordre général, relative à la compatibilité entre l’expression syndicale, le devoir de réserve et l'impartialité du magistrat, mais porte sur des faits précis et circonstanciés, mettant en cause une organisation professionnelle identifiée.

3. La garde des Sceaux, dans un communiqué de presse publié, le jour même de la demande d’avis, sur le site Internet du ministère de la justice, a condamné cette pratique du Syndicat de la magistrature et exprime "sa consternation face a ce comportement à tout le moins deplacé de la part d’une organisation syndicale de magistrats".

Selon ce même communiqué, "si notre droit reconnait une large conception de la liberte d’expression, dans le cadre de l’exercice d’une liberte syndicale, cette opinion doit être strictement en lien avec les interêts collectifs défendus par l'organisation syndicale. Le devoir de réserve suppose la retenue, même dans le cadre de l'expression syndicale. »

4. En se prononcant à son tour sur ces faits, la formation plénière du Conseil serait nécessairement conduite à prendre position sur le caractère répréhensible ou non, d’un point de vue disciplinaire, des comportements qu’ils révèlent.

Ce faisant, elle excéderait la competence que lui reconnait la Constitution et exposerait le Conseil à un risque de blocage institutionnel, s’il devait être saisi de ces faits au titre d’une procédure disciplinaire, ses membres ne pouvant alors statuer sans méconnaître le principe d’impartialité, qui constitue pour le Conseil un devoir absolu et se trouve sanctionné par la Cour de Strasbourg, sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention europeenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

5. C’est pourquoi, bien que consciente de l’émotion que cette affaire a suscitée dans l’opinion et sensible à la confiance qui lui est à nouveau manifestée a travers cette saisine, la formation pléniere ne peut donner suite à la demande d’avis.

Cet avis a été délibéré, le 16 mai 2013, au siege du Conseil supérieur de la magistrature, par :
Mme Rose-Marie Van Lerberghe, administrateur indépendant
M. Pierre Fauchon, sénateur honoraire
Mme Chantal Kerbec, directrice honoraire des services du Sénat
Mme Martine Lombard, professeure agrégée de droit public à l’université Paris II Panthéon-Assas
M. Bertrand Mathieu, professeur agrégé de droit public à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne
M. Christophe Ricour, avocat, ancien président de la conférence des batonniers
M. Frederic Tiberghien, conseiller d’État
M. Jean-Olivier Viout, procureur général honoraire
M. Loic Chauty, président du tribunal de grande instance de Grenoble
M. Laurent Bedouet, vice-président chargé de l’application des peines au tribunal de grande instance de Paris
M. Christophe Vivet, vice-procureur de la République pres le tribunal de grande instance de Grenoble
sous la presidence de M. Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation, président de la formation pléniere du Conseil superieur de la magistrature.