Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
22/03/2002
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de légalité (obligation de diligence), Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions), Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice)
Avis
Mise à la retraite d'office
Décision Garde des sceaux
Conforme (17 avril 2002)
Mots-clés
Substitut du procureur de la République
Amnistie
Archivage
Diligence
Disparitions
Etat de magistrat
Fonctions
Handicapés
Honneur
Inaction
Légalité
Mineur
Mise à la retraite d'office
Négligence
Poursuites disciplinaires (composition de la formation de jugement)
Poursuites disciplinaires (impartialité)
Poursuites disciplinaires (rapporteur)
Probité
Fonction
Substitut du procureur de la République
Résumé
Défaut de diligences et négligence dans le traitement d’une procédure consécutive à plusieurs disparitions de jeunes femmes handicapées
Décision(s) associée(s)

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet,

Vu l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu l’ordonnance modifiée n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et notamment l’article 65 dans sa rédaction issue de la loi organique du 25 juin 2001 relative au statut de la magistrature et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 14 des lois portant amnistie des 20 juillet 1988 et 3 août 1995 ;

Vu la dépêche du 24 octobre 2001 de Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, au procureur général soussigné, saisissant la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, pour avis sur les poursuites disciplinaires exercées contre M. X ;

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de ce magistrat mis préalablement à sa disposition ;

Considérant que l’affaire a été mise en délibéré à l’issue de débats qui se sont déroulés publiquement dans les locaux de la Cour de cassation les 18 et 19 mars 2002 et au cours desquels :
- M. X a comparu, assisté de Me Maurice Lantourne, avocat à la cour de U et de Mme Naïma Rudloff, substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bobigny ;
- après audition du directeur des services judiciaires, le rapporteur a été dispensé par toutes les parties et les membres du Conseil de la lecture intégrale de son rapport qui leur avait été antérieurement communiqué ;
- M. X a été interrogé sur les faits dont le Conseil était saisi et a fourni ses explications, le directeur des services judiciaires a présenté ses demandes, Mme Rudloff et Me Lantourne ont été entendus en la défense de M. X qui a eu la parole le dernier, le principe de la contradiction et l’exercice des droits de la défense ayant ainsi été assurés ;

Considérant que, par un mémoire déposé avant les débats et joint en annexe, M. X a demandé que le Conseil supérieur constate la nullité du rapport le concernant, qu’il écarte du délibéré les rapporteurs désignés pour les magistrats ayant exercé au parquet d’V et faisant l’objet de poursuites disciplinaires et qu’il lui donne acte de ses réserves à l’égard d’une « jonction » de ces différentes procédures ;

Considérant, toutefois, que le rapport critiqué relate objectivement les faits reprochés à M. X, ses réactions aux questions posées et l’inadéquation manifeste de la réponse judiciaire à l’enquête préliminaire de la gendarmerie transmise au parquet au mois de juin 1984 à la suite de la disparition de plusieurs jeunes femmes ayant été en relation avec un nommé Y ; qu’il n’y a eu, de ce fait, aucune atteinte au principe d’impartialité et que la demande de nullité est donc sans fondement ;

Considérant, d’autre part, que si, compte tenu de leur nature, les faits qui ont causé la saisine du Conseil supérieur du cas de quatre anciens magistrats du parquet de V ont été exposés dans une relation établie en commun par les rapporteurs désignés, le cas personnel de M. X a fait l’objet d’un rapport particulier sans qu’il y ait eu jonction avec les autres poursuites ;

Considérant qu’il résulte du dossier les faits suivants :

Par actes datant respectivement du 20 juin 2001 s’agissant de MM. Z, A et B, et du 24 octobre 2001 s’agissant de M. X, Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, a saisi le Conseil supérieur de la magistrature, dans sa formation compétente pour les magistrats du parquet, de manquements à la discipline qui seraient imputables à ces magistrats alors qu’ils exerçaient leurs fonctions au parquet du tribunal de grande instance de V, en qualité de procureur de la République pour les deux premiers nommés, de substitut pour les deux autres ;

Les manquements invoqués avaient trait à la disparition survenue entre 1975 et 1979, de sept jeunes femmes, dans le ressort du parquet de V et largement évoquée dans la presse, à partir de 1995, sous le nom d’« Affaire des disparues de W » ; il est apparu, en effet que l’institution judiciaire n’avait pas apporté au traitement de ces disparitions une réponse adaptée et qu’il y avait lieu de mettre en cause ces quatre magistrats ayant eu, à divers titres, à connaître de cette affaire ;

Compte tenu du cadre déterminé par les actes de saisine du Conseil supérieur de la magistrature, il convient d’indiquer, dans une première partie du présent avis, les conditions dans lesquelles la disparition de ces sept jeunes femmes a été portée à la connaissance du parquet de V et ensuite quel traitement a été réservé à ces informations ; il y aura lieu, enfin, d’établir si le comportement de M. X, pendant la période où il était en fonction à ce parquet, peut être considéré comme fautif et, dans l’affirmative, susceptible de constituer un manquement à l’honneur de ce magistrat ;

I - Les faits portés à la connaissance du parquet de V

A trois reprises, de 1981 à 1984, le parquet de V a eu son attention attirée sur le cas d’un nommé Y, chauffeur d’autocar fréquemment affecté au transport d’enfants handicapés ;

Ces signalements étaient dus à l’adjudant de gendarmerie C, sous-officier affecté à la brigade des recherches de V ;

1 - Une procédure, établie en 1981, conduisait à la condamnation de Y à quatre années d’emprisonnement, par arrêt de la cour d’appel de U du 14 décembre 1983, pour agressions sexuelles sur deux jeunes filles handicapées et confiées à la garde de sa concubine ;

2 - Le 29 décembre 1982, Y était placé en détention provisoire par le juge d’instruction de V, saisi d’une affaire d’homicide volontaire sur la personne de D, dont on avait retrouvé le cadavre le 5 juillet 1981 à T ; les soupçons s’étaient en effet portés sur lui : ancien amant de la victime, Y était la dernière personne à l’avoir vue vivante ;

Le 4 mai 1984, cette affaire était clôturée par un non-lieu, sur réquisitions conformes du procureur de la République de V, M. Z ;

3 - Le 23 juin 1984, l’adjudant C transmettait au parquet un procès-verbal d’enquête préliminaire faisant état de la disparition de six jeunes femmes dont une mineure, relevant de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales ;

Il s’agissait de :
- E, née le 19 février 1963 à …, disparue depuis le 26 septembre 1979,
- F. F, née le 1er décembre 1948 à …, disparue au début de l’année 1975, alors qu’elle occupait une chambre louée par Y dans un établissement de V,
- B. F, née le 22 novembre 1958 à …, disparue en 1977,
- G, née le 1er octobre 1955 à …, disparue depuis juillet 1977,
- H, née le 7 août 1952 à …, disparue le 4 avril 1977, alors qu’elle était placée chez les époux Y à S,
- I, née le 19 janvier 1959 à …, disparue subitement le 22 avril 1977 à la sortie de l’école ;

Il ressort de la lecture de ce procès-verbal que ces six jeunes femmes étaient toutes connues de Y, qu’elles avaient disparu subitement, abandonnant leurs affaires, voire leurs enfants (pour les soeurs F) et que quatre d’entre elles habitaient S, commune de résidence de Y ;

Le procès-verbal comportait de nombreuses auditions de personnes ayant connu les jeunes femmes disparues et mettant en cause, de la façon la plus nette, le comportement de Y ;

L’adjudant C précisait par ailleurs qu’il avait tenu M. X informé de ses investigations, que ce dernier lui avait prescrit « d’établir un procès-verbal de renseignements judiciaires et de transmettre au parquet ce dossier » ;

Ce dossier est effectivement parvenu au parquet de V et a fait l’objet, dans des conditions sur lesquelles il y aura lieu de revenir en détail, d’un « archivage » dont il ne sortira qu’en 1996, douze ans plus tard, à la suite de recherches effectuées à la demande de M. A, procureur de la République en fonction à l’époque ;

Un silence de neuf années allait suivre l’archivage effectué en 1984 ;

Au printemps 1993, M. B substitut des mineurs au parquet de V, a reçu la visite de M. J qui va se révéler comme le porte-parole des familles des jeunes femmes disparues ; M. J lui ayant fait part de son étonnement devant le nombre de ces disparitions inexpliquées, M. B, par un soit-transmis du 3 mai 1993, demandait à la direction départementale de la solidarité ce qu’étaient devenues quatre jeunes femmes – dont G, B. F et K – suivies par ses services dans les années 1970-1980 ;

Cette demande restait sans réponse durant environ six mois ; il devait alors être téléphoniquement indiqué à M. B qu’il n’était pas trouvé de trace des dossiers de ces jeunes femmes ;

Ce n’est qu’à partir de 1995, à la suite d’émissions radiodiffusées ou télévisées, et d’articles de presse, que l’affaire sortait véritablement de l’oubli ;

Des plaintes étaient déposées avec constitution de partie civile contre X, en 1996, devant le juge d’instruction de V ;

Conformément à des réquisitions établies par M. A, procureur de la République, le 24 janvier 1997, aux termes desquelles « aucun indice ne laissait présumer que les personnes disparues avaient été les victimes depuis temps non prescrit d’infraction à la loi pénale », le juge d’instruction opposait à ces plaintes des ordonnances de refus d’informer ;

Saisie de recours des parties civiles, la cour d’appel de U, par arrêt du 7 mai 1997, infirmait les ordonnances attaquées et permettait ainsi la reprise de l’instruction et la mise en examen et en détention de Y ; un arrêt du 20 février 2002 de la chambre criminelle de la Cour de cassation a reconnu, d’autre part, que le soit-transmis envoyé le 3 mai 1993 par M. B aux services du conseil général avait interrompu la prescription des faits criminels évoqués par les parties civiles ;

II - Le traitement de ces affaires par le parquet de V de 1977 à 1997

Une vision globale et rétrospective des faits faisant l’objet de la saisine du Conseil supérieur de la magistrature met en évidence une faute majeure commise en juin 1984 par le parquet de V : l’absence d’exploitation du procès-verbal d’enquête établi le 23 juin 1984 par l’adjudant C ;

Compte tenu de l’exceptionnelle gravité des faits énoncés dans ce procès-verbal, son archivage, sans qu’une véritable décision ait été clairement prise par un magistrat, ne peut être considérée que comme un dysfonctionnement intolérable du service public ;

Le temps écoulé depuis lors, tout comme les défaillances de mémoire alléguées par les deux magistrats qui ont été concernés, à l’époque, par le traitement du dossier rendent difficiles toutefois la reconstitution des faits ;

Il peut néanmoins être reconnu comme établi que le procès-verbal litigieux a été enregistré au bureau d’ordre, le 26 juin 1984, et examiné par M. X dont il faut rappeler qu’il était en relations amicales avec l’adjudant C et qu’il avait suivi le déroulement de l’enquête menée par celui-ci ;

M. X a apposé sur ce procès-verbal un « papillon » agrafé sur lequel il a écrit « M. L (nom du juge d’instruction qui avait instruit le dossier de l’homicide perpétré sur D). A joindre à l’information sur l’homicide volontaire D. Me faire savoir s’il vous faut un supplétif » ;

Ce procès-verbal est ensuite revenu au bureau d’ordre où fut portée la mention « joint à 8071/81 » qui se trouve bien être le numéro de la procédure criminelle relative au meurtre de D ; par ailleurs, le mot « NON » a été apposé sur le « papillon » établi par M. X, apparemment pour donner une réponse à sa demande relative à l’établissement d’un réquisitoire supplétif ;

L’enquête administrative n’a permis d’établir ni si le procès-verbal et son « papillon » ont été transmis à M. L ni qui avait apposé le mot « NON » ; M. L n’a, en tout cas, aucun souvenir d’avoir vu le procès-verbal et l’auteur du mot « NON » est inconnu ;

On peut toutefois supposer que le secrétariat du parquet a joint le procès-verbal vu par M. X au dossier concernant le meurtre de D, lequel avait fait l’objet d’un non-lieu quelques semaines auparavant ;

L’inaction ultérieure du parquet reçoit ainsi une explication : M. X, ayant eu connaissance du procès-verbal d’enquête C a quitté le parquet, le soir même du 26 juin, pour rejoindre son nouveau poste à U ; ni la gendarmerie nationale, ni la direction de l’action sanitaire et sociale, ni les familles des victimes ne se manifesteront ensuite auprès du parquet ; M. X est revenu à V, en 1986, en qualité de premier substitut, mais il dit à présent qu’il avait oublié ce dossier ; quant à l’adjudant C, il parait avoir renoncé à poursuivre ses investigations dans cette affaire où il s’était pourtant fortement impliqué ; il devait se suicider le 3 août 1997 ;

On peut mesurer ainsi les conséquences catastrophiques de l’enlisement de l’enquête C : il n’a pas permis de faire les rapprochements qui s’imposaient avec d’autres affaires délictuelles ou criminelles ayant eu pour victimes, à des époques voisines, des jeunes femmes de la région ; ni le meurtre de D évoqué ci-dessus, ni les actes de tortures commis à son domicile par un nommé M, condamné pour ces faits à la réclusion criminelle à perpétuité, le 1er novembre 1991, par la cour d’assises de W, ni les viols commis par le nommé N, secrétaire général de l’association pour adultes et jeunes handicapés de W, qui lui vaudront une condamnation à la peine de six années d’emprisonnement en 1992, ni la disparition de O, survenue le 11 décembre 1987 et ayant fait l’objet d’un classement sans suite le 21 janvier 1988, n’ont été mis en relation avec les soupçons qu’exprimait l’adjudant C dans son enquête ;

On doit même retenir que l’archivage malencontreux de la procédure établie par C n’a pas permis aux magistrats du parquet de V de prendre conscience de la présence, dans leur ressort, de nombreuses jeunes femmes fragilisées, susceptibles de devenir des victimes d’individus pervers ;

Cette absence de prise de conscience d’une effroyable réalité va certainement jouer un rôle décisif dans l’attitude que manifesteront, dix ans plus tard, MM. A et B, quand ils seront saisis, à partir de 1993, des signalements de M. J et des plaintes des victimes ;

Au lieu de comprendre immédiatement que, malgré leur tardiveté par rapport aux faits dénoncés, les demandes de suites judiciaires justifiaient qu’elles fussent accueillies et vérifiées de façon rapide et approfondie, les magistrats du parquet de V qui eurent à en connaître entre 1993 et 1997 adoptèrent une position globale marquée par le scepticisme et l’incrédulité ;

Cette attitude d’esprit peut trouver diverses explications qui se cumulent d’ailleurs : la notion de prescription criminelle par dix ans, la passivité des familles des victimes entre 1984 et 1993 et l’indifférence traditionnelle de nombreux parquets devant les disparitions qui, par elles-mêmes, ne nécessitent pas la mise en oeuvre de l’action publique ; il serait souhaitable, à cet égard, que les parquets soient invités à porter une plus grande attention à ces disparitions, en particulier quand elles concernent des personnes fragiles (mineurs, incapables majeurs, handicapés, marginaux, etc.) ;

Ne saurait être négligée, non plus, pour expliquer le manque de dynamisme du parquet de V tout au long de cette période, l’absence de réactions des différentes institutions qui étaient concernées au premier chef par ces disparitions répétées, notamment la gendarmerie nationale, la direction de l’action sanitaire et sociale et le conseil général ; on ne s’explique guère qu’au cours des années 1984-85, la hiérarchie locale de la gendarmerie ne se soit pas enquise auprès du parquet du devenir de la procédure C ; on ne s’explique guère non plus que les administrations de tutelle des jeunes femmes disparues n’aient pas manifesté plus d’intérêt à leur égard ;

Il est légitime de s’interroger sur cette indifférence quasi générale de ces institutions publiques alors que ces disparitions auraient dû susciter recherches, enquêtes et questionnement ; cette apathie a été et est encore vivement reprochée aux pouvoirs publics ;

III - La responsabilité de M. X

Abstraction faite des appréciations que l’on est en droit de porter sur le comportement et certaines déclarations de M. X, il convient de rechercher si, ainsi que l’estime l’acte de saisine, le magistrat « a failli à ses responsabilités en négligeant les occasions qui lui ont été données, notamment par le gendarme C, d’apporter une réponse pénale adaptée, exigée par les situations dont il était saisi à un moment où, en 1984, le risque de prescription n’était pas nécessairement encouru » ;

On ne peut qu’être perplexe sur les raisons de l’attitude de M. X à l’égard de l’enquête effectuée au printemps 1984 par l’adjudant C ;

Il ressort, en effet, très clairement de différentes mentions du procès-verbal du 23 juin 1984 que le sous-officier tenait M. X – avec qui il avait des liens amicaux – informé de son enquête effectuée selon les « prescriptions » du magistrat ;

Ce procès-verbal indique notamment que l’enquête relative à la disparition des six jeunes femmes s’orientant vers Y « de plus impliqué, voire inculpé dans l’affaire de la découverte du cadavre de D (...) M. le substitut nous prescrit d’établir un "renseignement judiciaire" (sic) et de transmettre au parquet le dossier » ;

Ainsi M. X reçoit-il ce procès-verbal au plus tard le 26 juin 1984, jour de son départ définitif du parquet de V ;

Le traitement qu’il donne à ce document capital ne peut que surprendre ; la réaction normale de tout substitut d’un parquet de la dimension de celui de V aurait dû être d’en rendre compte à son procureur sur le champ et de lui remettre le procès-verbal afin que son chef hiérarchique soit mis en mesure de lui donner toutes les instructions utiles après en avoir eu connaissance ;

Au lieu de cela, M. X appose le « papillon » évoqué ci-dessus et ne se préoccupe plus du sort du procès-verbal, alors même qu’il avait ordonné à l’adjudant C de le clôturer ;

Il y a là une inadéquation radicale entre la gravité des informations contenues dans le procès-verbal et la légèreté avec laquelle elles ont été traitées par ce substitut ;

On doit relever à cet égard plusieurs manifestations de cette légèreté :
- avant de transmettre, aux fins de jonction, le procès-verbal au juge d’instruction, il aurait fallu vérifier s’il était encore saisi de l’affaire du meurtre de D (ce qui n’était plus le cas) ;
- il y a contradiction entre les mentions « à joindre au dossier D » et « me faire savoir s’il vous faut un supplétif » ;
- par ailleurs et surtout, que peut bien signifier la phrase « me faire connaître s’il vous faut un supplétif », lorsqu’elle est écrite par un magistrat qui sait devoir quitter son poste le jour même ?

Pour tenter de justifier son comportement, M. X soutient qu’il était le seul magistrat du parquet de V à se préoccuper du sort des jeunes femmes disparues et que ses collègues, à commencer par son procureur de la République, s’en désintéressaient ;

Mais, dans ces conditions, on ne comprend pas qu’il ne se soit pas assuré que le procès-verbal de C serait suivi avec attention par ses collègues après son départ du parquet et que, revenant en 1986, en qualité de premier substitut au parquet de V alors saisi du cas de nouvelles disparitions, il ne se soit en aucune façon intéressé au sort de cette procédure ; compte tenu du caractère exceptionnel des faits révélés, il est plus que surprenant que M. X ne se soit pas enquis du devenir de l’affaire et qu’il puisse alléguer qu’il l’aurait « oubliée » ;

Il paraît, en définitive, que le traitement donné par M. X au procès-verbal clôturé le 23 juin 1984 par l’adjudant C constitue une faute professionnelle ;

Cette faute est grave par elle-même car elle traduit la légèreté et le manque de conscience professionnelle de son auteur ;

Elle est grave également par les conséquences qu’elle a eues en faisant échapper à l’attention des membres du parquet et du juge d’instruction un document fondamental pour la découverte des agissements criminels imputés à Y ;

Elle est grave enfin vis-à-vis des familles des victimes qui ont été privées d’informations sur le devenir de leurs proches qui avaient disparu ;

On peut légitimement, dès lors, considérer qu’il s’agit en l’occurrence d’un manquement à l’honneur professionnel, puisque les agissements de M. X ont compromis le bon fonctionnement du parquet de V et ont contribué à la non-exploitation, des années durant, d’une enquête qui était susceptible de mettre à jour un comportement criminel particulièrement atroce ;

M. X ne saurait, dès lors, bénéficier des dispositions des lois d’amnistie du 20 juillet 1988 et du 3 août 1995 et poursuivre une activité au sein du corps judiciaire ;

Par ces motifs,

Émet l’avis qu’il y a lieu de rejeter les demandes formées par M. X et de prononcer à son encontre la sanction de la mise à la retraite d’office prévue par les articles 43 et 45-6° de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée ;

Dit que le présent avis sera transmis à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice par les soins du secrétaire soussigné.