Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
17/03/1999
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des collègues, Manquement au devoir de pondération
Avis
Mise à la retraite d'office
Décision Garde des sceaux
Conforme (25 mars 1999)
Mots-clés
Publication
Syndicat
Antisémitisme
Délicatesse
Collègue
Pondération
Mise à la retraite d'office
Avocat général à la Cour de cassation
Fonction
Avocat général à la Cour de cassation
Résumé
Utilisation dans une publication syndicale de termes créant un soupçon d’antisémitisme, aux fins de critiquer un collègue
Décision(s) associée(s)

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, sur les poursuites disciplinaires exercées contre M. X, avocat général à la Cour de cassation,

Vu l’article 65 de la Constitution ;

Vu l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 94-101 du 5 février 1994 ;

Vu la dépêche en date du 1er décembre 1998 de Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, à M. le procureur général soussigné, saisissant la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, pour avis sur les poursuites disciplinaires exercées contre M. X ;

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, mis préalablement à sa disposition ;

Considérant que l’affaire a été mise en délibéré à l’issue de débats qui, sur décision prise d’office, avec l’accord des parties, se sont déroulés publiquement dans les locaux de la Cour de cassation le mercredi 10 mars 1999 et au cours desquels :

M. X a comparu, assisté de Me Jean-Claude Woog, avocat au barreau de Paris ;

Le rapporteur a été dispensé par toutes les parties et les membres du Conseil de la lecture intégrale de son rapport qui leur avait été antérieurement communiqué ;

M. X a été interrogé sur les faits dont le Conseil était saisi et a fourni ses explications, M. le directeur des services judiciaires a présenté ses demandes, Me Woog a été entendu en sa plaidoirie et M. X a eu la parole le dernier, le principe de la contradiction et l’exercice des droits de la défense ayant ainsi été assurés ;

Considérant qu’il est constant que M. X a publié, dans le numéro daté de septembre-octobre 1998 de la revue d’une organisation professionnelle de magistrats dont il était rédacteur en chef, un bref article intitulé « mœurs judiciaires » et consacré à la situation controversée de M. Z, substitut du procureur de la République de W ; que cet article, après avoir indiqué que ce magistrat suscitait des antipathies au sein de sa juridiction, s’achève par les mots : « Tant va Z au four... qu’à la fin il se brûle ! » ;

Considérant que le rapprochement du patronyme du magistrat ainsi mis en cause et du substantif « four » ne peut qu’évoquer le génocide dont furent victimes les populations juives sous le régime nazi ;

Considérant, dès lors, que l’écrit de M. X ne peut que douloureusement heurter la sensibilité de tout un chacun et notamment de tous ceux qui ont été victimes ou proches des victimes de l’antisémitisme ; qu’il a d’ailleurs suscité un sentiment de vive réprobation publique ;

Considérant qu’à supposer même, comme le soutient M. X, que la phrase incriminée soit due à une maladresse de rédaction, sans correspondre ni à une intention antisémite, ni à sa pensée profonde, il reste cependant que la forme sous laquelle elle a été publiée, après relecture de sa part, ne saurait être admise de quiconque, a fortiori d’un magistrat exerçant de hautes fonctions impliquant une totale maîtrise de la pensée et de la plume ;

Considérant enfin que s’il peut être admis que la polémique syndicale puisse revêtir une forme très vive, il n’en demeure pas moins que cette tolérance n’autorise en aucun cas que les termes utilisés puissent créer un soupçon d’antisémitisme chez son auteur ;

Considérant donc que M. X, en publiant le texte incriminé, a manqué aux devoirs de son état, à la délicatesse et à la réserve et ainsi commis une faute disciplinaire dont la sanction doit toutefois être appréciée en tenant compte d’une longue et honorable carrière exempte d’incidents à caractère disciplinaire et de toute imputation d’antisémitisme, ainsi qu’en font foi les nombreuses attestations de personnalité que M. X a versées aux débats ;

Par ces motifs,

Émet l’avis qu’il y a lieu de prononcer contre M. X la sanction de la mise à la retraite d’office prévue à l’article 45, 6°, du statut de la magistrature ;

Dit que le présent avis sera transmis à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, et notifié à M. X par les soins du secrétaire soussigné.