Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
03/04/1995
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des collègues, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des justiciables, Manquement au devoir de loyauté à l’égard des supérieurs hiérarchiques, Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge)
Avis
Mise à la retraite d'office
Décision Garde des sceaux
Conforme (6 avril 1995)
Mots-clés
Greffe
Scellés
Chef de juridiction
Permanences
Injure
Délicatesse
Collègue
Justiciable
Supérieur hiérarchique
Loyauté
Etat de magistrat
Fonctions
Probité
Dignité
Mise à la retraite d'office
Procureur de la République
Fonction
Procureur de la République
Résumé
Abandon des prérogatives de magistrat à un fonctionnaire. Absence de mesures pour remédier aux dysfonctionnements de son service. Contrôle défaillant des scellés. Défaut d’information de son supérieur hiérarchique. Propos injurieux envers des collègues et un justiciable
Décision(s) associée(s)

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du Parquet, sur les poursuites disciplinaires exercées contre M. X, procureur de la République près le tribunal de grande instance de V,

Vu l’article 65 de la Constitution modifié par la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 ;

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 94-101 du 5 février 1994 ;

Vu la dépêche en date du 19 septembre 1994 de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, à M. le procureur général près la Cour de cassation, président de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, saisissant cette formation pour avis sur les poursuites disciplinaires exercées contre M. X, l’entier dossier ayant été mis à la disposition de M. X et à celle de son conseil, M. le bâtonnier Christian Bonnenfant, avocat au barreau ;

Vu le dossier administratif de M. X, également mis préalablement à sa disposition et à celle de son conseil ;

Vu les débats qui se sont déroulés à la Cour de cassation le 31 mars 1995, au cours desquels M. X a comparu, assisté de son conseil, M. Bonnenfant ; le rapporteur a été dispensé par toutes les parties et les membres du Conseil de la lecture de son rapport qui avait été antérieurement communiqué à tous ;

M. X, interrogé sur chacun des faits dont le Conseil était saisi, a fourni ses explications, M. le directeur des services judiciaires a présenté ses demandes, M. Bonnenfant a assuré la défense de M. X qui a eu la parole le dernier ;

Le contradictoire et l’exercice des droits de la défense ayant ainsi été assurés ;

Considérant que M. X a exercé la fonction de procureur de la République près le tribunal de grande instance de V du 2 novembre 1978 au 21 juillet 1994, date à laquelle il a été suspendu provisoirement ;

Que cette juridiction a eu à souffrir d’un manque d’effectifs, notamment au greffe ;

Que si, au début, M. X a pu faire face à cette situation avec compétence, il a en revanche, depuis plusieurs années, renoncé à assurer ses responsabilités de chef de juridiction ;

Considérant qu’informé de graves dysfonctionnements dans l’écoulement et l’audiencement des affaires, la délivrance de citations, l’exécution des peines et l’émission d’ordonnances pénales, il s’est abstenu, bien que chef de juridiction, de prendre des dispositions pour tenter d’y remédier ; que, s’il se faisait présenter les procès-verbaux de contraventions des quatre premières classes, il s’abstenait par contre de suivre régulièrement les affaires commerciales dont il s’était pourtant réservé la connaissance ;

Considérant que M. X a laissé sans directives ses substituts, même lorsqu’ils étaient encore inexpérimentés et malgré une mise en garde du procureur général ;

Qu’il n’a pas davantage exercé auprès des officiers de police judiciaire son rôle de conseil lors de la mise en place de réformes, et de direction, ne contrôlant pas par exemple les prolongations de garde à vue ou ne suivant pas de près le déroulement de l’enquête consécutive à la profanation du cimetière juif de V ;

Considérant, en revanche, que M. X a investi de sa confiance M. Y, greffier divisionnaire en poste à V depuis 1975 ;

Qu’il lui a délégué partie de ses attributions, notamment lorsqu’il était de permanence ;

Qu’ainsi ce fonctionnaire a pu renseigner les services de police et de gendarmerie, leur donner des orientations d’enquête et se rendre seul dans des brigades où des personnes se trouvaient en garde à vue, procéder à des interrogatoires, ouvrir des informations grâce à des imprimés vierges mais signés par le procureur, se déplacer sur les lieux d’événements graves ;

Que c’est ainsi qu’à W, les 6 et 7 août 1988, il a, au nom du parquet, obtenu la reddition d’un homme armé et menaçant qui s’était retranché dans une maison, qu’il l’a ensuite conduit dans son véhicule jusqu’à la brigade de gendarmerie puis a rédigé le réquisitoire introductif d’instruction ;

Que c’est encore ainsi qu’à V, le 10 mai 1990, il a été le premier sur les lieux d’une profanation de sépultures au cimetière juif ;

Qu’en agissant ainsi, M. X a abandonné ses prérogatives de procureur de la République que la loi lui faisait obligation d’assurer personnellement ;

Considérant, d’autre part, qu’alors qu’il était notoire que le service des scellés n’était pas tenu avec rigueur, des objets saisis étant déposés dans la loge du concierge ou des bureaux de magistrats, M. X s’est abstenu de tout contrôle, protégeant M. Y, chargé de cette tâche ;

Qu’il l’a même autorisé à remettre en 1990 deux armes à un officier de gendarmerie « à titre de prêt » et qu’en septembre de la même année, ayant été informé de la disparition d’un pistolet, il n’ordonna aucune enquête et demanda au greffier de lui substituer une arme de même modèle qu’il possédait ;

Considérant que le désordre qui régnait dans les pièces à conviction conduisit M. Y et l’employé Z, qu’il s’était adjoint, à détourner pour le premier des meubles et pour le second de l’argent et des armes ;

Que le greffier en chef ayant, après la découverte de ces faits, entrepris un inventaire qui conduisit au dépôt de quatorze plaintes, M. X ne réagit qu’avec retard et surtout sur instructions du parquet général ;

Considérant que la carence de M. X s’est encore manifestée dans ses relations avec le procureur général, qu’il n’a pas informé d’un non-lieu qu’il avait requis dans une affaire signalée concernant un administrateur judiciaire ni de l’appel qu’il avait relevé de l’ordonnance du juge contraire à ses réquisitions ;

Considérant enfin que M. X a tenu des propos injurieux ou orduriers envers le président du tribunal au cours d’une assemblée générale le 22 octobre 1992, envers une auditrice de justice en 1989-1990, et à l’égard d’un plaignant ;

Considérant que M. X a ainsi gravement manqué aux devoirs de son état de procureur et de magistrat, à l’honneur, à la délicatesse et à la dignité, et qu’il y a lieu de tenir compte du fait que ces manquements se sont poursuivis pendant plusieurs années ;

L’affaire ayant ensuite été mise en délibéré au lundi 3 avril ;

Par ces motifs,

Émet l’avis qu’il y a lieu de mettre M. X à la retraite d’office conformément à l’article 45, 6°, du statut de la magistrature ;

Dit que le présent avis sera transmis à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice, et notifié à M. X, par les soins du secrétaire de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet.