Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
20/07/1994
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge)
Avis
Interdiction temporaire de l'exercice des fonctions
Décision Garde des sceaux
Conforme
Mots-clés
Scellés
Chef de juridiction
Arme
Greffe
Etat de magistrat
Fonctions
Probité
Dignité
Interdiction temporaire de l'exercice des fonctions
Procureur de la République
Fonction
Procureur de la République
Résumé
Abandon par un procureur de la République de ses prérogatives de magistrat à un fonctionnaire. Gestion défaillante des scellés
Décision(s) associée(s)

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, sur la demande d’interdiction temporaire de fonctions de M. X, procureur de la République près le tribunal de grande instance de V,

Vu l’article 65 de la Constitution modifié par la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 ;

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 94-101 du 5 février 1994 ;

Vu la proposition formulée le 24 juin 1994 par Mme le procureur général près la cour d’appel de A d’interdire temporairement de fonctions M. X ;

Vu les dépêches en date des 5 et 12 juillet 1994 de M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice, à M. le procureur général près la Cour de cassation, président de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, saisissant cette formation pour avis sur l’interdiction temporaire de fonctions de M. X, l’entier dossier de la procédure ayant été mis à la disposition de M. X et à celle de son conseil, M. le bâtonnier Bonnenfant ;

Vu le dossier administratif de M. X, également mis préalablement à sa disposition et à celle de son conseil ;

Vu les débats qui se sont déroulés à la Cour de cassation le 19 juillet 1994, au cours desquels M. le procureur général a rappelé les éléments du dossier en permettant à M. X et à son conseil de présenter toutes observations et moyens de défense, les membres de la formation ayant été mis en mesure de poser toutes les questions qui leur ont paru à propos, M. le directeur des services judiciaires a été entendu en ses demandes, M. X et M. le bâtonnier Bonnenfant ayant eu la parole les derniers ;

Le contradictoire et l’exercice des droits de la défense ayant ainsi été assuré ;

L’affaire ayant ensuite été mise en délibéré au 20 juillet 1994 ;

Considérant qu’à l’occasion de poursuites pénales engagées à V contre un agent de service chargé de la gestion des scellés et auquel étaient imputés des détournements d’objets placés sous main de justice, il a été allégué que M. X, procureur de la République près le tribunal de grande instance de V, qui n’hésitait pas à déléguer partie de ses fonctions à un greffier divisionnaire qu’il laissait agir à sa guise, notamment en matière de scellés, ce qui permit de nombreuses disparitions, aurait lui-même autorisé la remise à deux officiers de gendarmerie pour l’un d’un fusil de marque Mauser destiné à être exposé dans les locaux du groupement et pour l’autre d’un fusil et d’une épée ultérieurement retrouvés au domicile de cet officier ; qu’informé de la disparition d’un pistolet de modèle P 38, il aurait en outre ordonné au greffier de lui substituer une arme de même calibre qu’il a dit ensuite lui appartenir ce qui aurait entraîné la modification des écritures de greffe relatives à ce scellé et interdit toute enquête ;

Considérant qu’à la suite de la découverte de ces faits et de détournements imputés au greffier divisionnaire, un réquisitoire supplétif a été délivré au magistrat instructeur, visant, entre autres, les faits précités et que cette procédure a été renvoyée dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice à la connaissance du juge d’instruction de W, par arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 5 juillet 1994 ;

Considérant que ces mêmes faits, à les supposer établis, paraissent de nature à entraîner des poursuites disciplinaires ;

Considérant qu’avant d’engager celles-ci, M. le garde des sceaux a saisi le 5 juillet 1994 la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet d’une demande d’avis quant au prononcé à l’encontre de M. X d’une mesure d’interdiction temporaire des fonctions actuellement exercées par ce magistrat ;

Considérant que dans sa proposition aux fins d’interdiction temporaire en date du 24 juin 1994, Mme le procureur général près la cour d’appel de A expose que « M. X [a] d’ores et déjà perdu toute crédibilité et toute autorité tant au sein du tribunal qu’auprès de la gendarmerie » ; que ce procureur lui-même s’est présenté le 21 juin 1994 à son supérieur lui déclarant que « l’ambiance s’est subitement dégradée la semaine dernière lorsque j’ai constaté la gêne de M. Y, substitut, à mon égard. J’ai pensé que cela provenait du développement de l’affaire du vol de scellés dont était saisi M. Z, juge d’instruction, j’ai préféré ne pas demander moi-même communication des dossiers devant l’attitude embarrassée de M. Z » ;

Considérant que l’inspecteur général des services judiciaires, chargé le premier juillet 1994 d’une mission d’inspection, a considéré qu’il ressortait des entretiens menés sur place, que « l’autorité du procureur est affaiblie tant au tribunal qu’à l’égard des services d’enquête » ; qu’il a constaté « une perte de confiance » et relève que M. X « a commis des manquements qui le privent de l’autorité indispensable à la direction de son parquet » ;

Considérant que l’interdiction temporaire ne saurait être prononcée que dans les circonstances exceptionnelles prévues par la loi ; que ces circonstances sont réunies en l’espèce ; qu’il échet en effet de souligner que M. X exerçait lors des faits la fonction de chef de juridiction ; que dès lors l’annonce de poursuites et la découverte de graves dysfonctionnements dans un service que l’article R. 812-3 du code de l’organisation judiciaire lui faisait l’obligation de contrôler, créent au tribunal de V une situation à laquelle il doit être mis fin d’urgence dans l’intérêt du service ;

Par ces motifs,

Émet l’avis d’interdire temporairement à M. X l’exercice de ses fonctions de procureur de la République à V ;

Dit que le présent avis sera transmis à M. le ministre d’État, garde des sceaux; ministre de la justice, et notifié à M. X, par les soins du secrétaire de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet.