Conseil d’État, section du contentieux, requête n° 68170

Date
21/02/1968
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge)
Décision Conseil d'Etat
Rejet
Mots-clés
Poursuites disciplinaires (audition de témoin)
Détournement de pouvoir
Chef de juridiction
Vie privée
Probité
Dignité
Rejet
Procureur de la République
Fonction
Procureur de la République
Résumé
Demande d’annulation de la décision de révocation du garde des sceaux en raison de l’absence de nouvel avis du CSM, d’une absence de confrontation et d’un détournement de pouvoir. Vie privée incompatible avec les fonctions exercées
Décision(s) associée(s)

Le Conseil d’État statuant au contentieux

Requête du sieur X tendant à l’annulation d’une décision du 9 juillet 1965 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice l’a révoqué, par mesure disciplinaire, de ses fonctions de procureur de la République sans suspension des droits à pension ;

Vu le code général des impôts ; l’ordonnance du 22 décembre 1958 ; la loi du 18 juin 1966 ; l’ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;

Sur la régularité de la procédure disciplinaire :

Considérant qu’aux termes de l’article 66, applicable à la discipline des magistrats du parquet, de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature « Lorsque le garde des sceaux, ministre de la justice, entend prononcer une sanction plus grave que celle proposée par la commission de discipline, il saisit la commission de son projet de décision motivée. La commission émet alors un nouvel avis qui est versé au dossier du magistrat. La décision du garde des sceaux, ministre de la justice, est notifiée au magistrat intéressé en la forme administrative » ;

Considérant, d’une part, qu’à l’issue de ses séances des 12 mars et 19 mars 1965, la commission de discipline a émis l’avis que « la sanction de la mise à la retraite d’office soit prononcée contre M. X » ; que le garde des sceaux ayant alors, en application de la disposition législative susrappelée, saisi la commission de discipline d’un projet de décision motivée de révocation, cette commission a maintenu son avis précédent dans sa séance du 21 mai 1965 ; que ces différents avis ont été versés au dossier du sieur X ; que le moyen tiré par celui-ci de l’inobservation des formalités de l’article 66 précité manque donc en fait ;

Considérant, d’autre part, qu’il résulte du procès-verbal des séances des 12 et 19 mars 1965 de la commission de discipline, que le sieur X, conformément aux articles 64 et 55 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, a eu communication de son dossier dans des conditions lui permettant de fournir ses observations ; qu’il a été régulièrement cité, ainsi que son conseil, à la séance du 12 mars 1965 où l’un et l’autre ont été entendus ; que si le dossier comportait le rapport en date du 28 novembre 1964, d’une enquête menée, avant l’ouverture de la procédure disciplinaire, par le service régional de police de V sur le comportement du sieur X, à la demande du procureur général près la cour d’appel de cette ville ainsi que les procès-verbaux d’audition des diverses personnes entendues au cours de cette enquête, aucune disposition du statut de la magistrature, non plus qu’aucune autre disposition législative ou réglementaire applicable en l’espèce, n’exigeait que l’officier de police qui avait diligenté l’enquête entendît les personnes dont le sieur X a ultérieurement invoqué les témoignages ou que les témoins fussent confrontés avec ceux qui avaient été entendus précédemment par la police ;

Considérant, enfin, que, si le dossier transmis à la commission de discipline et communiqué au sieur X ne comportait pas le rapport d’une précédente enquête de police portant sur les activités politiques de ce magistrat, ce rapport, étranger aux griefs ayant motivé l’ouverture de la procédure disciplinaire, n’était pas au nombre des pièces qui devaient être soumises à la commission de discipline et communiquées à l’intéressé en application de l’article 55 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 ;

Sur la légalité de la décision attaquée :

Considérant qu’aux termes de l’article 43 de l’ordonnance susmentionnée du 22 décembre 1958 «  Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité constitue une faute disciplinaire. Cette faute s’apprécie, pour un membre du parquet, compte tenu des obligations qui découlent de sa subordination hiérarchique » ;

Considérant que cette dernière disposition, qui fait référence à la subordination hiérarchique des magistrats du parquet, ne peut trouver d’application que lorsque les fautes reprochées à ces derniers sont d’ordre professionnel et qu’elle ne peut être invoquée, par le sieur X, à l’encontre d’une décision sanctionnant des faits étrangers à son activité professionnelle ;

Considérant, en effet, que la décision attaquée est motivée par le comportement du requérant dans sa vie privée, comportement « témoignant d’une absence totale de dignité incompatible avec la qualité de magistrat » ; qu’il résulte des pièces du dossier que les faits retenus par le garde des sceaux ne sont pas matériellement inexacts et que le sieur X n’en a d’ailleurs pas contesté la matérialité devant le conseil de discipline ; que ces faits étaient de nature à justifier une sanction disciplinaire dont il n’appartient pas au juge de l’excès de pouvoir d’apprécier la gravité ;

Considérant que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ; que, si le sieur X fait état de ce qu’antérieurement à la décision de révocation il aurait fait l’objet d’une mesure de suspension irrégulièrement prolongée, cette circonstance serait, en tout état de cause, sans influence sur la légalité de la décision de révocation attaquée, qui constitue un acte distinct de la mesure de suspension ;

Décide :

Rejet avec dépens.