Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
24/05/2006
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir d'impartialité, Manquement au devoir de fidélité au serment prêté (respect du secret professionnel), Manquement au devoir de légalité (obligation de diligence), Manquement au devoir de légalité (devoir de respecter la loi), Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions), Manquement au devoir de probité (devoir de ne pas abuser de ses fonctions), Manquement au devoir de probité (devoir de réserve), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Retrait des fonctions de juge d'instruction
Déplacement d'office
Mots-clés
Poursuites disciplinaires (constitution de partie civile)
Poursuites disciplinaires (saisine du CSM)
Instruction
Négligence
Retard
Délai raisonnable
Saisine
Intervention
Déclaration
Presse
Conseils
Déport
Retentissement médiatique
Image de la justice
Impartialité
Secret professionnel
Légalité
Diligence
Etat de magistrat
Fonctions
Probité
Abus des fonctions
Réserve
Institution judiciaire (confiance)
Retrait des fonctions
Déplacement d'office
Juge d'instruction
Fonction
juge d'instruction
Résumé
Absence de diligence dans des dossiers d’instruction. Intervention d’un juge d’instruction dans une affaire en cours dont il n’était pas saisi. Investigations hors de tout cadre juridique dans une affaire concernant l’un de ses amis et communication à un journaliste d’informations sur cette affaire. Gestion par le magistrat du patrimoine d’un gagnant du loto au bénéfice de l’un de ses amis. Conseils juridiques dispensés par un juge d’instruction préalablement au dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile instruite dans son cabinet
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le garde des sceaux, ministre de la justice contre M. X, juge d’instruction au tribunal de première instance de …, sous la présidence de M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation […] ;

Vu les articles 43 à 58 modifiés par l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994, relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie ;

Vu la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice, du 4 novembre 2005, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X juge d’instruction au tribunal de première instance de …, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu l’ordonnance du 2 décembre 2005 désignant M. Beauvois, en qualité de rapporteur ;

Vu la décision prise le 18 janvier 2006 par le Conseil supérieur de la magistrature, interdisant temporairement à M. X l’exercice de toutes fonctions au tribunal de première instance de … jusqu’à décision définitive sur les poursuites disciplinaires ;

Vu l’article 57 de l’ordonnance précitée n° 58-1270 du 22 décembre 1958, modifié par l’article 19 de la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu le mémoire déposé par … le 15 mai 2006 ;

Sur le rapport de M. Beauvois dont M. X a reçu copie ;

Après avoir entendu M. Léonard Bernard de la Gatinais, directeur des services judiciaires du ministère de la justice, M. Beauvois donner lecture de son rapport, M. X en ses explications et moyens de défense, Me … en sa plaidoirie, M. X ayant eu la parole en dernier ;

Attendu que par lettre du 4 novembre 2005, le garde des sceaux, ministre de la justice, a dénoncé au Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, des faits imputables à M. X, juge d’instruction au tribunal de première instance de … ;

Sur le mémoire en intervention et en constitution de partie civile déposé par … ;

Attendu que l’intervention ou la constitution de partie civile n’est pas recevable devant l’instance disciplinaire ;

Sur la régularité de la saisine du Conseil supérieur de la magistrature contestée par M. X ;

Attendu qu’aux termes de l’article 50-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, portant loi organique relative au statut de la magistrature : « le Conseil supérieur de la magistrature est saisi par la dénonciation des faits motivant les poursuites disciplinaires que lui adresse le garde des sceaux, ministre de la justice » ; que les faits dénoncés peuvent résulter des rapports adressés au garde des sceaux par les services et chefs de juridiction relevant de son autorité ; qu’il appartient au Conseil d’apprécier la nature et la gravité de ces faits ainsi que les autres éléments d’information qu’il a pu recueillir ;

Que la saisine est régulière ;

Au fond :

Attendu qu’il résulte du rapport de l’inspection générale des services judiciaires ainsi que des auditions effectués par le rapporteur et des pièces jointes, qu’au mois d’octobre 2004, aucun acte d’instruction n’avait été accompli pendant de longues périodes et dans une proportion significative, dans des procédures dont était chargé M. X ; que d’autres retards de même nature ont encore été constatés au cours de l’année 2005 ; que ni les difficultés attribuées au mauvais fonctionnement du greffe ni le nombre de dossiers en cours au cabinet, notamment à partir de 2004, ne sauraient justifier les négligences constatées dans la conduite des procédures ;

Attendu qu’il est également établi que M. X est intervenu dans une affaire pénale consécutive à un conflit social, dont il n’était pas encore saisi, en sollicitant des informations auprès d’un officier de gendarmerie ; qu’il s’est encore livré à des investigations, hors de tout cadre procédural, dans une affaire concernant le suicide de la fille d’un de ses amis et a communiqué à un journaliste ses convictions sur les responsabilités dans l’affaire en cause, sans pouvoir ignorer que l’anonymat de ses déclarations risquait fort de ne n’être pas préservé ;

Attendu qu’il ressort encore du dossier que M. X, sollicité par une personne ayant gagné au loto et dont il avait d’ailleurs accepté une procuration générale, s’est comporté comme gérant des biens de cette personne, avec cette circonstance particulière qu’il l’a incitée à acquérir un immeuble vendu par un de ses amis ; que dans ce cas encore, la presse locale n’a pas manqué, comme il était prévisible, de faire état du rôle joué par le magistrat ;

Attendu que l’instruction disciplinaire a enfin révélé que M. X a reçu à plusieurs reprises et a conseillé une autre personne avant qu’elle ne dépose une plainte avec constitution de partie civile contre son mari et a accepté ensuite d’instruire cette affaire sans se déporter ;

Attendu que chacun de ses agissements, tous postérieurs au 17 mai 2002, et dès lors non couverts par la loi du 6 août 2002, portant amnistie, constitue un manquement aux devoirs de l’état de magistrat, alors même qu’il n’est ni allégué ni établi que M. X en ait tiré un profit personnel ; qu’en ce qu’ils révèlent une absence de repères déontologiques et une violation des obligations de réserve et d’impartialité, ils portent atteinte à l’institution judiciaire et au crédit de la justice ;

Que les faits ainsi établis justifient le prononcé d’une sanction disciplinaire de retrait des fonctions de juge d’instruction assortie du déplacement d’office en application des articles 45-3°, 45-2° et 46 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 ;

Par ces motifs,

Statuant en audience publique le 17 mai 2006, pour les débats et le 24 mai 2006, date à laquelle la décision a été rendue,

Prononce à l’encontre de M. X la sanction du retrait des fonctions de juge d’instruction assortie du déplacement d’office.