Conseil d’État, section du contentieux, requêtes n° 276042, 278318 et 280402

Date
15/03/2007
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de neutralité, Manquement au devoir de prudence, Manquement au devoir de loyauté à l’égard des supérieurs hiérarchiques, Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat
Décision
Rejet
Mots-clés
Juge d'instruction
CEDH
Poursuites disciplinaires (saisine du CSM)
Poursuites disciplinaires (principe du contradictoire)
Poursuites disciplinaires (opinion du garde des sceaux)
Poursuites disciplinaires (régularité formelle de la décision)
Poursuites disciplinaires (observations orales)
Poursuites disciplinaires (qualification des faits)
Poursuites disciplinaires (choix de la sanction)
Poursuites disciplinaires (exécution de la sanction)
Neutralité
Prudence
Loyauté
Supérieur hiérarchique
Etat de magistrat
Rejet
Vice-président chargé d'un tribunal d'instance
Fonction
Vice-président chargé d'un tribunal d'instance
Résumé
Requête en annulation de la décision du CSM aux motifs allégués d’une modification de la saisine du Conseil, d’une méconnaissance du principe du contradictoire, d’une qualification inexacte des faits, d’une méconnaissance de l’article 6 de la CEDH, d’une irrégularité formelle de la décision, du défaut de prise en compte d’observations orales présentées à l’audience et d’une mauvaise appréciation des faits. Absence d’incidence sur la régularité de la procédure du fait que le garde des sceaux ait publiquement exprimé sa conviction quant aux manquements imputés au magistrat avant que le Conseil supérieur de la magistrature ne se soit prononcé. Violations graves et répétées par le magistrat des obligations de prudence, de diligence, de neutralité, de loyauté et des devoirs de son état
Décision(s) associée(s)

Le Conseil d’État statuant au contentieux (section du contentieux, 6ème et 1ère sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la section du contentieux

Vu, 1), sous le n° 276042, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 décembre 2004 et 29 avril 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour M. X, demeurant … ; M. X demande au Conseil d’État d’annuler la décision du 29 octobre 2004 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, a prononcé à son encontre la sanction de la mise à la retraite d’office ;

Vu, 2), sous le n° 278318, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 mars et 7 juillet 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour M. X, demeurant … ; M. X demande au Conseil d’État d’annuler pour excès de pouvoir la décision du garde des sceaux, ministre de la justice, du 9 décembre 2004 lui refusant l’honorariat de ses fonctions ;

Vu, 3), sous le n° 280402, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 mai et 12 septembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour M. X, … ; M. X demande au Conseil d’État d’annuler pour excès de pouvoir le décret du 3 mars 2005 par lequel le Président de la République l’a radié des cadres de la magistrature à compter du 2 novembre 2004 ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 ;

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bertrand Dacosta, maître des requêtes,
- les observations de la SCP …, avocat de M. X,
- les conclusions de M. Mattias Guyomar, commissaire du gouvernement ;

Considérant que les trois requêtes sont relatives à la situation d’un même magistrat et présentent à juger des questions communes ; qu’il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision ;

Sur les conclusions dirigées contre la décision du Conseil supérieur de la magistrature

Considérant, en premier lieu, que le Conseil supérieur de la magistrature, lorsqu’il se prononce en matière disciplinaire, peut légalement, sous réserve que soient respectés les droits de la défense, connaître de l’ensemble du comportement du magistrat concerné et n’est pas tenu de limiter son examen aux seuls faits qui ont été initialement portés à sa connaissance ; qu’en application de l’article 51 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, le rapporteur devant le Conseil supérieur de la magistrature désigné par une ordonnance du premier président de la Cour de cassation, agissant en qualité de président du conseil de discipline, en date du 26 janvier 2004, a été chargé de procéder à une enquête ; que la circonstance qu’il ait, en l’espèce, relevé dans son rapport, pour apprécier le mérite de certains des griefs retenus à l’encontre de M. X, des faits non mentionnés dans la saisine initiale et révélés au cours de l’enquête qu’il a menée, n’est donc pas de nature à entacher d’irrégularité la procédure suivie, dès lors que M. X a été mis à même de les discuter avant que la décision ne soit prise ; que, par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu par M. X, si le Conseil supérieur de la magistrature a estimé, parmi d’autres reproches, que l’intéressé avait manqué à son devoir de loyauté envers son chef de juridiction, en raison de son abstention de l’informer d’une imputation de corruption le concernant, il s’est ainsi borné à donner une qualification à des faits mentionnés dans le rapport et sur lesquels M. X a pu s’expliquer ;

Considérant, en deuxième lieu, que la circonstance que le garde des sceaux, ministre de la justice a publiquement exprimé sa conviction quant aux manquements imputés à M. X, avant que le Conseil supérieur de la magistrature se soit prononcé, est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie ;

Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article 55 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, le magistrat poursuivi a droit à communication, avant l’audience, « de son dossier, de toutes les pièces de l’enquête et du rapport établi par le rapporteur » ; qu’il résulte des dispositions de l’article 56 de l’ordonnance, dont il n’est pas établi, ni même allégué, qu’elles aient été en l’espèce méconnues, que, lors de l’audience du Conseil supérieur de la magistrature siégeant comme conseil de discipline des magistrats du siège, le magistrat poursuivi est invité à fournir ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés après l’audition du directeur des services judiciaires et après lecture du rapport ; qu’eu égard au caractère de la procédure suivie devant le Conseil supérieur de la magistrature, et à la possibilité offerte au magistrat poursuivi de s’exprimer en dernier lieu, le principe du contradictoire, contrairement à ce qui est soutenu, n’implique pas que les observations du directeur des services judiciaires soient communiquées à l’intéressé préalablement à la tenue de l’audience ; que M. X ne peut, en tout état de cause, utilement invoquer le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont les stipulations, relatives aux contestations sur des droits et obligations de caractère civil et aux accusations en matière pénale, ne concernent pas le régime disciplinaire applicable à des personnes qui, comme c’est le cas pour les magistrats de l’ordre judiciaire, participent, de par leurs fonctions, à l’exercice de la puissance publique et à la sauvegarde des intérêts généraux de l’État ;

Considérant, en quatrième lieu, que la décision attaquée comporte les noms des membres du Conseil supérieur de la magistrature ayant siégé et précise que le Conseil a délibéré hors la présence du rapporteur ; qu’ainsi le moyen tiré de ce que la décision ne mentionnerait pas le nom des membres qui l’ont rendue manque en fait ;

Considérant, en cinquième lieu, qu’aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe général du droit applicable, même en l’absence de texte, n’imposait au Conseil supérieur de la magistrature d’analyser les observations orales qui ont été présentées à l’audience au nom de M. X par l’avocat de ce dernier ;

Considérant, en sixième et dernier lieu, qu’en jugeant que les faits reprochés à M. X constituaient des violations graves et répétées aux obligations de prudence, de diligence, de neutralité, de loyauté et de rigueur, et que l’intéressé avait ainsi manqué aux devoirs de son état, le Conseil supérieur de la magistrature n’a pas entaché sa décision d’une erreur de qualification ; qu’il n’appartient pas au Conseil d’État, juge de cassation, de se prononcer sur le choix de la sanction à infliger compte tenu de la gravité des faits qui l’ont motivée, lequel relève de l’appréciation souveraine de la juridiction disciplinaire ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. X n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature a prononcé à son encontre la sanction de la mise à la retraite d’office ;

Sur les conclusions dirigées contre la décision du garde des sceaux, ministre de la justice refusant à M. X l’honorariat de ses fonctions

Considérant qu’aux termes de l’article 77 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 : « Tout magistrat admis à la retraite est autorisé à se prévaloir de l’honorariat de ses fonctions. Toutefois, l’honorariat peut être refusé au moment du départ du magistrat par une décision motivée de l’autorité qui prononce la mise à la retraite, après avis du Conseil supérieur de la magistrature » ;

Considérant, en premier lieu, que les décisions prises en application de ces dispositions ne constituent pas des sanctions disciplinaires et ne sont, par suite, pas subordonnées à l’observation des règles de compétence et de procédure prévues par le chapitre VII de l’ordonnance du 22 décembre 1958 ; qu’en l’espèce, il ressort des pièces du dossier que M. X a été dûment informé, par un courrier en date du 2 novembre 2002 qui lui a été notifié le jour même, de l’intention du garde des sceaux, ministre de la justice, d’engager la procédure prévue par l’article 77 et a été mis à même de consulter son dossier ; qu’ainsi l’intéressé n’est pas fondé à soutenir que les droits de la défense auraient été méconnus ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’aucun principe ni aucune règle ne fait obstacle à ce que le Conseil supérieur de la magistrature, lorsqu’il est amené à rendre un avis sur une décision de refus d’attribution de l’honorariat à un magistrat du siège, comprenne l’ensemble des membres ayant siégé dans la formation disciplinaire qui a sanctionné le même magistrat, ainsi que le rapporteur devant celle-ci ;

Considérant, en troisième lieu, que, contrairement à ce qui est soutenu, l’article 77 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 n’implique nullement que la décision de refus de l’honorariat, qui relève de la compétence du garde des sceaux, ministre de la justice, ne pourrait être légalement prise qu’après que l’intéressé a été radié des cadres par le Président de la République ;

Considérant, enfin, que les conclusions dirigées contre la décision du Conseil supérieur de la magistrature ayant prononcé la sanction de la mise à la retraite d’office à l’encontre de M. X ayant été rejetées par la présente décision, le moyen tiré de ce que la décision de refus de l’honorariat devrait être annulée par voie de conséquence de l’annulation de la décision du Conseil supérieur de la magistrature ne peut qu’être écarté ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. X n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de lui accorder l’honorariat de ses fonctions ;

Sur les conclusions dirigées contre le décret du Président de la République radiant M. X des cadres de la magistrature

Considérant qu’en vertu de l’article 58 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, la décision par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature prononce une sanction disciplinaire à l’encontre d’un magistrat du siège prend effet du jour de sa notification ; que le Président de la République est tenu d’en tirer les conséquences sur le plan statutaire et, en particulier, lorsque la sanction consiste en une mise à la retraite d’office, de procéder, par décret, à la radiation des cadres de l’intéressé ;

Considérant que le décret radiant des cadres de la magistrature M. X se réfère à la sanction disciplinaire prise à son encontre par le Conseil supérieur de la magistrature ; qu’ainsi le moyen tiré de ce qu’il serait insuffisamment motivé ne peut, en tout état de cause, qu’être écarté ;

Considérant qu’en radiant M. X des cadres de la magistrature à compter du 2 novembre 2004, date à laquelle la décision du Conseil supérieur de la magistrature a été notifiée à l’intéressé, le Président de la République s’est borné à faire application des dispositions de l’article 58 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 ; que le moyen tiré de ce que le décret serait entaché d’une rétroactivité illégale ne peut donc qu’être écarté ;

Considérant que le recours formé contre la décision du Conseil supérieur de la magistrature par M. X étant dépourvu d’effet suspensif, celui-ci n’est pas fondé à soutenir que le Président de la République aurait dû attendre que cette décision fût devenue définitive avant de prendre le décret contesté ;

Considérant, enfin, que les conclusions dirigées contre la décision du Conseil supérieur de la magistrature ayant prononcé la sanction de la mise à la retraite d’office à l’encontre de M. X ayant été rejetées par la présente décision, le moyen tiré de ce que le décret le radiant des cadres devrait être annulé par voie de conséquence de l’annulation de la décision du Conseil supérieur de la magistrature ne peut qu’être écarté ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. X n’est pas fondé à demander l’annulation du décret du Président de la République le radiant des cadres de la magistrature ;

Décide :

Article 1er : Les requêtes n° 276042, 278318 et 280402 de M. X sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. X, au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.