Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
24/07/2000
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir d’indépendance, Manquement au devoir d'impartialité, Manquement au devoir de fidélité au serment prêté (respect du secret des délibérations), Manquement au devoir de probité (devoir de ne pas abuser de ses fonctions), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Mise à la retraite d'office
Mots-clés
Poursuites disciplinaires (pièces écartées)
Argent
Corruption
Vie privée (proches)
Amitié
Fréquentations
Intervention
Déport
Conseils
Image de la justice
Indépendance
Impartialité
Secret des délibérations
Probité
Abus des fonctions
Dignité
Honneur
Institution judiciaire (confiance)
Mise à la retraite d'office
Conseiller de cour d'appel
Fonction
Conseiller de cour d'appel
Résumé
Utilisation de sa qualité de magistrat au profit de l’un de ses amis promoteur immobilier, notamment dans le cadre de procédures judiciaires, contre rémunération. Violation du secret du délibéré
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme conseil de discipline des magistrats du siège, sous la présidence de M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation ;
 
Les débats s’étant déroulés le 12 juillet 2000, en chambre du conseil, conformément au souhait de M. X, spécialement informé qu’il pouvait demander la publicité de la séance conformément aux dispositions de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
 
Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance nº 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
 
Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature ;
 
Vu les articles 40 à 44 du décret nº 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;
 
Vu la décision du 27 avril 1999 interdisant temporairement M. X de l’exercice de ses fonctions ;
 
Vu les dépêches du garde des sceaux, ministre de la justice, des 23 juin 1999 et 21 décembre 1999, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X, conseiller à la cour d’appel de V, ainsi que les pièces jointes à cette dernière dépêche ;

Vu le mémoire déposé le 11 juillet 2000 par M. X tendant au rejet de pièces de la procédure ;

Sur le rapport établi par M. Henry Robert, dont M. X a reçu copie, et de la lecture duquel le rapporteur a été dispensé ;

Après avoir entendu M. Bernard de Gouttes, directeur des services judiciaires du ministère de la justice, et M. X, assisté de Me Jean-Louis Cocusse, avocat au barreau de Paris, et de Me Michel Patte, avocat au barreau de Compiègne, en ses explications et moyens de défense, M. X ayant eu la parole en dernier ;
 
Attendu que M. X demande que soient rejetés des débats un rapport du 26 juin 2000 du procureur de la République près le tribunal de grande instance de A au procureur général près la cour d’appel de A et les lettres de transmission de ce rapport dont la production tardive le priverait du délai nécessaire à la préparation de sa défense ; qu’en raison de la proximité du versement de ces pièces de la date de la séance, il y a lieu de les écarter du dossier ;

Attendu qu’il résulte du rapport établi par l’inspection générale des services judiciaires et des documents annexes, relatifs au comportement de M. X, qu’à partir de 1984, alors qu’il exerçait les fonctions de juge d’instruction au tribunal de grande instance de W, de vice-président au même tribunal, puis de conseiller à la cour d’appel de V, ce magistrat a noué et poursuivi, durant plus de quinze ans, des relations de proche amitié avec M. Y, promoteur immobilier, dirigeant de fait d’une entreprise du bâtiment et de sociétés civiles immobilières dont la responsabilité juridique était fictivement exercée par des personnes de son entourage ; que fréquentant assidûment les locaux professionnels de cet homme d’affaires, où se rencontraient des responsables de diverses administrations et d’établissements bancaires, des professionnels de l’immobilier et diverses personnes ayant des antécédents judiciaires que, pour certaines d’entre elles, il n’ignorait pas, il a obtenu de lui, outre diverses manifestations ostensibles de générosité, des remises d’argent, effectuées par chèques successifs de 10 000 francs, tirés entre 1993 et 1997, notamment sur le compte d’une entreprise et dont le montant reconnu s’élève à 100 000 francs ; que bien qu’il s’agisse, selon M. X, de prêts destinés à faire face à une situation financière rendue difficile par des circonstances familiales, ces versements n’ont été constatés par aucun acte, n’étaient assortis d’aucune condition ni intérêts et n’ont fait l’objet d’aucun remboursement ; qu’une telle situation, dont M. X n’a pas manqué de se prévaloir auprès de ses relations, a placé M. X sous la dépendance de M. Y ;
 
Attendu que cette dépendance s’est traduite, durant la même période, par divers témoignages de soutien ou de reconnaissance accordés par M. X à M. Y, en usant du crédit conféré par sa qualité de magistrat ;
 
Qu’en 1993, sur papier à en-tête de son cabinet et sous le timbre et la signature de juge d’instruction, il a adressé à celui-ci une lettre destinée à l’aider à obtenir d’un avocat genevois restitution d’une somme de 625 000 dollars versée dans le cadre d’une opération immobilière interrompue et l’a accompagné, quelques semaines plus tard, en Suisse, dans le cabinet de cet avocat, dans une démarche visant aux mêmes fins, où il a été fait état de sa qualité de doyen des juges d’instruction ;

Que bien qu’il le conteste, il est établi, par les déclarations concordantes des autres protagonistes, qu’au mois de décembre 1996, ayant siégé en tant qu’assesseur à la cour d’appel de … où il était alors en fonction, dans une affaire de fraude fiscale suivie contre M. Z, agent immobilier et relation de M. Y, M. X a, après l’audience et avant le prononcé de la décision, révélé à M. Y que ne serait pas maintenue la peine d’emprisonnement ferme infligée par le tribunal, permettant ainsi à celui-ci de tenter de monnayer ce renseignement auprès de M. Z ;

Qu’en 1997, sachant que M. Y était impliqué dans des affaires financières en cours d’instruction dans le cabinet de son collègue de B, il est intervenu, à deux reprises, auprès d’officiers de police judiciaire chargés de l’exécution d’une commission rogatoire, en faisant état de sa qualité de magistrat, pour obtenir des renseignements sur l’évolution de l’enquête puis sur l’issue de la garde à vue ;

Qu’en 1998, lors d’une réunion tenue en présence de l’avocat de M. Y avant le placement de ce dernier en garde à vue dans une autre affaire, il lui a prodigué des conseils sur la conduite à tenir pendant cette phase de la procédure relative à une escroquerie importante commise au préjudice d’un établissement de crédit ;

Attendu qu’en participant ainsi au réseau d’influence constitué par M. Y pour protéger le développement de ses affaires, M. X a favorisé aux yeux du public une suspicion de compromission dans l’exercice de la justice, donnant ainsi de l’institution judiciaire une image dégradée de nature à affaiblir la confiance des justiciables dans l’impartialité qu’ils sont en droit d’exiger de leurs juges ; qu’en outre, en livrant, avant jugement, à M. Y, une information substantielle sur le contenu d’une décision relevant de sa juridiction, il a violé le secret du délibéré ;

Que dans leur ensemble, par leur nature et leur persistance, les comportements de M. X sont gravement contraires à l’honneur, à l’impartialité et à la probité ;
 
Qu’en conséquence, il y a lieu de prononcer à son encontre la mise à la retraite d’office ;
 
Par ces motifs,
 
Écarte des débats le rapport du 23 juin 2000 du procureur de la République près le tribunal de grande instance de A au procureur général près la cour d’appel de A et les lettres de transmission de ce rapport des 26 et 30 juin 2000 ;
 
Prononce à l’encontre de M. X la sanction de mise à la retraite d’office prévue par l’article 45, 6º, de l’ordonnance du 22 décembre 1958.