Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
08/11/1995
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de probité (devoir de ne pas abuser de ses fonctions), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge)
Décision
Interdiction temporaire de l'exercice des fonctions
Mots-clés
Argent
Détournement de fonds
Caisse noire
Probité
Dignité
Interdiction temporaire de l'exercice des fonctions
Juge du livre foncier
Fonction
Juge du livre foncier
Résumé
Constitution d’une « caisse noire » alimentée par des sommes reçues du barreau en contrepartie de la délivrance de photocopies et d’appels téléphoniques émis du tribunal, ainsi que par des ristournes consenties par la société distributrice des machines à café installées dans la juridiction. Détournement de ces fonds à des fins personnelles
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, et siégeant à la Cour de cassation ;

Vu l’article 50 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifié par la loi organique n° 92-189 du 25 février 1992 ;

Vu la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice, du 5 octobre 1995, proposant au Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline, d’interdire temporairement à M. X, juge du livre foncier au tribunal d’instance de V, l’exercice de ses fonctions ;

Vu l’avis du premier président de la cour d’appel de V ;

Après avoir entendu :
- M. Marc Moinard, directeur des services judiciaires au ministère de la justice, assisté de Mme Isabelle Douillet, magistrat à l’administration centrale du ministère de la justice ;
- M. X, celui-ci ayant eu la parole le dernier ;

Attendu que la mesure d’interdiction temporaire, par ses conséquences irrémédiables, ne peut être ordonnée qu’autant que les faits invoqués à l’encontre d’un juge présentent un caractère d’évidence incontestable, dans leur matérialité ou scandaleuse, par la publicité qui en a été ou peut en être donnée ;

Attendu qu’il résulte du dossier soumis au Conseil et des débats, que M. X a reconnu que, greffier en chef au tribunal de grande instance de W, il a poursuivi une pratique instaurée avant sa prise de fonctions en assurant la tenue d’une « caisse noire », alimentée, d’une part, par des sommes reçues du barreau et correspondant à la délivrance de photocopies de documents de la bibliothèque du tribunal et à des appels téléphoniques émis du tribunal, d’autre part, par des ristournes consenties sur les consommations par la société Cafématic, distributrice de machines à café installées dans les locaux de la juridiction ;

Que les sommes ainsi perçues ont été portées par M. X sur un compte Codevi ouvert, à son nom, à la banque populaire de Lorraine ;

Attendu que, le 18 mai 1994, alors juge du livre foncier au tribunal d’instance de V, M. X a clos ce compte Codevi et en a viré le solde, soit 11 974,80 francs, sur son compte personnel, avant d’utiliser cette somme pour son propre usage ;

Attendu que ces faits, qui ont été reconnus par M. X, revêtent un caractère d’évidence, dans leur seule matérialité ;

Qu’ils constituent un obstacle majeur à l’exercice du pouvoir de juger, par l’atteinte grave portée au crédit de celui qui en est le titulaire ;

Qu’il y a lieu de faire droit à la demande d’interdiction temporaire de l’exercice des fonctions ;

Par ces motifs,

Interdit temporairement à M. X l’exercice de ses fonctions de juge du livre foncier au tribunal d’instance de V ;

Dit que la présente décision produira effet dès sa notification ;

Dit que l’interdiction cessera de plein droit de produire ses effets si, à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, le garde des sceaux n’a pas saisi le Conseil supérieur de la magistrature dans les conditions prévues à l’article 50-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature ;

Dit que copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d’appel de V et au président du tribunal de grande instance de V, pour servir à leur information.