Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de disipline des magistrats du siège

Date
29/04/1993
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de probité (devoir de ne pas abuser de ses fonctions), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Révocation sans suspension des droits à pension
Mots-clés
Poursuites disciplinaires (sursis à statuer)
Argent
Détournement de fonds
Mise en examen
Abus de confiance
Comptabilité
Probité
Abus des fonctions
Dignité
Institution judiciaire (confiance)
Révocation sans suspension des droits à pension
Juge de l'application des peines
Fonction
Juge de l'application des peines
Résumé
Mise en examen du chef d’abus de confiance d’un magistrat assurant la direction d’un comité de probation et d’assistance aux libérés en raison de la réalisation d’opérations financières depuis le compte du comité vers son compte personnel. Absence de tenue d’une comptabilité régulière fiable
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, et siégeant à la Cour de cassation, sous la présidence de M. Pierre Drai, premier président de la Cour de cassation,

Vu les articles 43 à 58 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiés par les lois organiques n° 67-130 du 20 février 1967, n° 70-642 du 17 juillet 1970, n° 79-43 du 18 janvier 1979 et n° 92-189 du 25 février 1992 ;

Vu les articles 13 et 14 de l’ordonnance n° 58-1271 du 22 décembre 1958 portant loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 9 à 13 du décret n° 59-305 du 19 février 1959 relatif au fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la décision du Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège le 6 juillet 1992, interdisant temporairement l’exercice de ses fonctions à M. X, juge de l’application des peines au tribunal de grande instance de V ;

Vu la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice, du 24 juillet 1992, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Sur le rapport de M. le conseiller Jacques Souppe, membre du Conseil, désigné par ordonnance du 29 juillet 1992 ;

Après avoir entendu, à l’audience du 8 avril 1993 :
- M. le directeur des services judiciaires,
- M. Marcel Foulon, président du tribunal de grande instance de Toulouse, assistant M. X, en ses observations,
- Maître Denys Robillard, avocat au barreau de Blois, en sa plaidoirie,
- M. X, qui a eu la parole en dernier et a été avisé de la date du prononcé de la décision au 29 avril 1993 ;

Sur la demande de sursis

Attendu que les faits dénoncés dans la présente poursuite disciplinaire font l’objet d’une information suivie contre M. X, du chef d’abus de confiance, dont la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris a été chargée par arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 2 septembre 1992 ;

Attendu que, dans le mémoire qu’il a déposé le jour de l’audience, le conseil de M. X demande qu’il soit sursis à statuer jusqu’à décision définitive sur les poursuites pénales ;

Mais attendu qu’en raison de l’indépendance des actions disciplinaire et pénale, cette mesure ne s’impose pas ; que la situation actuelle de M. X, temporairement interdit d’exercer ses fonctions, commande une décision immédiate sur la présente poursuite ;

Sur le fond

Attendu qu’il résulte du dossier soumis au Conseil et des débats à l’audience, les faits suivants :

- M. X, juge de l’application des peines à V, depuis le 15 décembre 1987, assure, en cette qualité, la direction du comité de probation et d’assistance aux libérés (CPAL) de cette ville ;

- Pour le règlement de ses dépenses et l’encaissement de ses recettes, cet organisme est titulaire d’un compte courant postal au centre des chèques postaux de … ;

- Depuis le mois de février 1990, date du décès de M. Z, délégué titulaire, qui assurait la gestion comptable et financière du comité, le compte fonctionne sous la seule signature de M. X, lequel dispose également, de manière exclusive, de la carte de retraits à vue ;

- Entre le mois d’avril 1990 et le mois de juin 1992, le compte a fait l’objet des opérations suivantes :

1 - Émission de dix chèques, pour un montant total de 31 200 francs, qui ont été encaissés sur les comptes personnels dont M. X est titulaire dans divers établissements bancaires,

2 - Émission de huit chèques, en contrepartie de retraits en espèces au guichet de la poste, pour un montant total de 20 380 francs,

3 - Quatre retraits en espèces au guichet de la poste, pour un montant total de 12 200 francs,

4 - De nombreux retraits en espèces opérés aux distributeurs automatiques, à l’aide de la carte de retraits à vue pour un montant total de 43 400 francs, dont 20 680 francs pour l’année 1990, 12 900 francs pour 1991 et 9 400 francs pour 1992 ;

- Le jour même des retraits en espèces, visés au 2°, les comptes personnels de M. X ont été crédités de versements en espèces à concurrence de 15 500 francs ;

- Le jour même (ou le surlendemain) des retraits en espèces, visés au 3°, les mêmes comptes ont été crédités de versements à hauteur de 8 000 francs ;

- Pour les 43 400 francs retirés aux distributeurs, visés au 4°, l’emploi des fonds est partiellement justifié,

- En ce qui concerne l’année 1990, à concurrence de 12 850 francs sur 20 600 francs,

- En ce qui concerne les années 1991 et 1992, à concurrence de 4 009 francs ; Il s’agissait alors de prêts d’honneur et de dons effectués par les délégués à la probation, qui en avaient pris régulièrement l’initiative et la responsabilité et avaient établi des reçus et conservé la preuve de ces opérations ;

- Au cours de la même période, le compte courant postal du comité a été crédité du montant de quatre chèques tirés sur les comptes personnels de M. X, pour la somme totale de 10 100 francs ;

- Il résulte de ces constatations que, sur les 107 180 francs (31 200 francs + 20 380 francs + 12 200 francs + 43 400 francs) retirés du compte du comité, somme qui doit être ramenée à 97 080 francs par déduction des opérations de crédit à hauteur de 10 100 francs, provenant des comptes de M. X,

- 16 859 francs (12 850 francs + 4 009 francs) ont été affectés aux fins auxquelles ces fonds étaient destinés (prêts d’honneur et dons),

- 54 700 francs (31 200 francs + 15 500 francs + 8 000 francs) ont été transférés sur les comptes personnels de M. X,

- La destination du solde, soit 35 621 francs, reste indéterminée et, en tout cas, ne fait l’objet d’aucune justification comptable ;

Attendu que M. X, qui admet s’être abstenu de tenir une comptabilité régulière, soutient :

- que les sommes transférées ou déposées sur ses comptes personnels en provenance du compte du comité (54 700 francs) correspondent au remboursement d’avances par lui consenties à ce même comité,

- que les retraits en espèces – dont l’emploi n’est justifié par aucune pièce comptable – ont été affectés à des dons au profit de « passagers », qui se sont présentés au comité pour demander une aide et dont il a établi une liste nominative ;

Attendu que ces allégations se heurtent aux observations suivantes :

a) en ce qui concerne les transferts et versements :

- la répétition à intervalles parfois très rapprochés de certaines opérations,

- l’absence de tout document justificatif des prétendues avances,

- le fait que le compte du comité, alimenté essentiellement par les subventions du ministère de la justice, n’a cessé d’être créditeur, sauf, précisément, à la suite des transferts ou retraits qui, excédant la provision disponible et faisant apparaître un solde débiteur, ont contraint M. X à le « renflouer » par des chèques tirés sur ses comptes personnels,

- le fait qu’au contraire la situation financière personnelle de M. X apparaît lourdement obérée par la charge d’importants remboursements ou paiements à échéance régulière, se traduit par des soldes constamment débiteurs de ses propres comptes et le mettait dans l’impossibilité de se constituer le banquier du comité, ainsi qu’il le prétend ;

b) en ce qui concerne l’emploi des sommes provenant des retraits en espèces :

- la liste des bénéficiaires des dons (dits « passagers ») établie de façon manuscrite par M. X, comporte quatre vingt quinze noms, pour un montant total de 20 550 francs ; elle est, du propre aveu de son auteur, incomplète, le nombre réel des donataires s’élevant à 300 ou 400 sur l’ensemble de la période considérée, selon les allégations de l’intéressé,

- ce document, dénué au demeurant de toute valeur probante – nul ne pouvant se constituer un titre à soi-même – apparaît d’une sincérité douteuse ; l’état civil de chaque bénéficiaire – étant incomplet – fait obstacle bien évidemment à toute vérification,

- les déclarations précises et concordantes des délégués à la probation, témoins de l’activité du juge de l’application des peines, et celles de sa secrétaire ne permettent pas de considérer comme véridiques les affirmations de M. X, touchant l’ampleur et la fréquence des remises de fonds prétendues ;

Attendu, en définitive, que M. X – chargé d’un mandat et, à ce titre, appelé à rendre comptes de son exécution – et, plus précisément, comptable appelé à justifier l’emploi des deniers à lui confiés,

- s’est mis dans l’impossibilité de répondre à ses obligations, en négligeant de tenir toute comptabilité et en abandonnant même l’utilisation de carnets à souches pour les sommes prétendument distribuées,

- a confondu ses biens propres et ceux du comité de probation dont il assurait la gestion, en procédant, entre le compte courant postal de cet organisme et ses propres comptes, à des opérations que rien ne vient justifier,

- a disposé des fonds de ce compte, sans être en mesure d’établir la conformité de leur emploi à leur destination légale exclusive ;

Attendu que les juges doivent présenter, en leur personne même, les qualités de probité qui les rendent dignes d’exercer leur mission et légitiment leur action ;

Attendu que les agissements de M. X sont contraires à une stricte probité ;

Qu’ils rendent leur auteur indigne d’exercer des fonctions judiciaires ;

Qu’il convient, dès lors, de prononcer, à l’encontre de M. X, une sanction qui l’écarte définitivement de ces fonctions, pour l’avenir ;

Par ces motifs,

Faisant application des dispositions de l’article 45, 7°, de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée,

Prononce à l’encontre de M. X la sanction de la révocation, sans suspension des droits à pension.