Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
13/12/1990
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de loyauté à l’égard de l’institution judiciaire), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Déplacement d'office
Mots-clés
Argent
Dette
Emprunt
Chèque
Détournement de procédure
Faux
Probité
Dignité
Institution judiciaire (loyauté)
Institution judiciaire (confiance)
Déplacement d'office
Juge
Fonction
Juge au tribunal de grande instance
Résumé
Accumulation de dettes et impossibilité de rembourser celles-ci. Émission de chèques sans provisions. Détournement de procédure par un magistrat destiné à minimiser sa solvabilité apparente. Fausses déclarations lors de la signature d’un contrat d’assurance
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, et siégeant à la Cour de cassation, sous la présidence de M. Drai, premier président de la Cour de cassation ;

Vu les articles 43 à 58 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiés par les lois organiques n° 67-130 du 20 février 1967, n° 70-642 du 17 juillet 1970 et n° 79-43 du 18 janvier 1979 ;

Vu les articles 13 et 14 de l’ordonnance n° 58-1271 du 22 décembre 1958 portant loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 9 à 13 du décret n° 59-305 du 19 février 1959 relatif au fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche de M. le garde des sceaux du 23 juillet 1990, dénonçant au Conseil les faits motivant une poursuite disciplinaire contre Mlle X, juge au tribunal de grande instance de V, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Sur le rapport de M. Zambeaux, désigné par ordonnance du 26 juillet 1990 ;

Après avoir entendu M. le directeur des services judiciaires ;

Ouï Mlle X en ses explications et moyens de défense ;

Après avoir entendu en ses plaidoiries Maître Verges, avocat à la cour d’appel de Paris ;

Mlle X ayant eu la parole la dernière ;

Statuant sur les seuls faits contenus dans la dénonciation du garde des sceaux du 23 juillet 1990 ;

A rendu la décision ci-après :

Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 43 de l’ordonnance du 23 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire » ;

Sur les faits reprochés

Considérant que, dès février 1985, Mlle X a souscrit de multiples emprunts, soit auprès des banques, soit auprès d’organismes de crédit, et s’est aussi fait consentir des ouvertures de crédit ; qu’en raison de la multiplicité et de l’importance des emprunts contractés elle n’a pas été en mesure d’honorer une grande partie de ses engagements et, soit a sollicité des tribunaux la suspension de ses obligations, soit a été l’objet de poursuites de la part de certains de ses créanciers ;

Considérant que, malgré sa situation financière compromise, Mlle X a, notamment au cours de l’année 1989, continué à contracter des emprunts alors qu’elle n’avait pas remboursé ceux en cours, aggravant considérablement son endettement ;

Considérant que Mlle X, qui ne peut déterminer exactement le montant de son endettement excédant 400 000 francs, invoque comme excuses les conséquences d’un accident de la circulation, la nécessité dans laquelle elle se serait trouvée de pourvoir à son installation dans ses diverses résidences et l’obligation d’assister sa famille ; que ceci ne saurait pourtant justifier l’ampleur de ses dettes ni le recours à de nombreux organismes financiers et à des procédés déconsidérant le magistrat tant à l’égard de ses créanciers que des auxiliaires de justice et le privant de toute autorité ;

Considérant, en cet état, qu’elle a émis un certain nombre de chèques sans provision et a fait l’objet d’une mesure d’interdiction d’émettre des chèques ;

Considérant encore que lors de la souscription d’un contrat d’assurances relatif à l’usage d’une automobile, le 8 mai 1988, elle a répondu négativement aux questions relatives à l’existence de sinistres antérieurs, alors qu’elle avait été mise en cause dans quatre sinistres dont un ayant eu des conséquences corporelles et pour lequel elle avait été considérée comme entièrement responsable ; que la compagnie d’assurances lui ayant notifié la résiliation du contrat, elle a néanmoins assigné celle-ci, le 22 janvier 1989, en remboursement de la prime perçue ; que le jugement qui la déboute constate que son intention de tromper est établie et que sa qualité ne lui permet pas de prétendre qu’elle n’avait pas conscience de l’importance des questions posées ; que Mlle X ne conteste pas ces faits ;

Considérant enfin que, sur assignation d’une demoiselle Z le président du tribunal de grande instance de W, statuant en référé, au vu de quatre reconnaissances de dette d’un montant total de 225 000 francs et d’un engagement de remboursement par échéances mensuelles de 5 000 francs, signés de Mlle X, a, le 12 juillet 1989, condamné la débitrice au paiement de la somme due ; qu’au vu de cette décision, la demoiselle Z a obtenu du juge d’instance de W une ordonnance en date du 17 octobre suivant, autorisant une saisie-arrêt sur le traitement de Mlle X ; que cette mesure a été exécutée à partir du mois de novembre 1989 ;

Que l’enquête effectuée a révélé que les reconnaissances de dettes étaient sans objet et que la demoiselle Z avait consenti à se prêter à l’opération à la demande du magistrat qui lui avait fait connaître que la procédure était destinée à lui permettre d’échapper aux exigences de sa mère laquelle sollicitait une contribution financière plus élevée ; qu’en outre, il a été établi que l’avocat qui était intervenu pour la demoiselle Z ne connaissait pas celle-ci et avait été saisi de l’affaire par Mlle X en laquelle il avait confiance en raison de sa qualité ; qu’enfin les sommes provenant de la saisie-arrêt ont été restituées par la demoiselle Z à sa prétendue débitrice ;

Que Mlle X a reconnu les faits et, après avoir allégué que c’était l’avocat qui avait imaginé le subterfuge, a admis qu’elle était l’initiatrice de ce montage et a fait valoir qu’elle avait employé les sommes récupérées au règlement de certains de ses créanciers ;

Considérant que l’ensemble des faits ci-dessus rapportés constituent, sans qu’il soit besoin de retenir les autres faits qui ne sont pas susceptibles d’entraîner une aggravation de la sanction, autant de manquements aux devoirs de probité et de loyauté qui s’imposent à tout juge ;

Par ces motifs,

Prononce à l’égard de Mlle X, par application de l’article 45, 2°, de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée, la sanction disciplinaire du déplacement d’office.