Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
12/03/1997
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir d'impartialité, Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Retrait des fonctions de vice-président du tribunal de grande instance
Déplacement d'office
Mots-clés
Amnistie
Déport
Expert
Enquêteur social
Vie privée (proches)
Amitié
Avantage
Argent
Corruption
Image de la justice
Impartialité
Probité
Institution judiciaire (confiance)
Honneur
Retrait des fonctions
Déplacement d'office
Vice-président de tribunal de grande instance
Fonction
Vice-président de tribunal de grande instance
Résumé
Avantages divers octroyés à un magistrat par un de ses amis en contrepartie de décisions juridictionnelles favorables et de sa désignation en qualité d’expert. Désignation par un magistrat de son conjoint pour réaliser des enquêtes sociales. Défaut de déport dans une affaire concernant un ami du magistrat
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, et siégeant à la Cour de cassation, sous la présidence de M. Truche, premier président de la Cour de cassation ;

Vu les articles 43 à 58 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu l’article 6.1 de la Convention européenne du 4 novembre 1950, de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, édictant le principe de la publicité des débats ;

Vu la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice, du 5 juillet 1996, saisissant le Conseil supérieur des faits imputables à M. X, vice-président au tribunal de grande instance de V ;

Attendu qu’avant l’ouverture des débats, M. X, sur interrogation, a sollicité du Conseil qu’il siège à huis clos, et qu’eu égard aux circonstances de la cause, il convient de faire droit à cette demande ;

Sur le rapport de M. François Grégoire, désigné par le premier président ;

Après avoir entendu M. Philippe Ingall-Montagnier, directeur des services judiciaires ;

Après avoir entendu Me Honnet, avocat au barreau de W, puis M. X, qui a eu la parole le dernier ;

Attendu que le garde des sceaux fait grief à M. X d’avoir, à de nombreuses reprises, « porté atteinte à l’image et à la crédibilité de l’institution judiciaire » en exerçant ses fonctions dans des conditions qui ne pouvaient manquer de faire naître des doutes sur son impartialité ;

Attendu que membre du tribunal de grande instance de V depuis quinze ans, et, particulièrement impliqué dans la société locale, M. X devait veiller avec une rigueur particulière à demeurer étranger à tout ce qui pouvait concerner les intérêts de ses amis ou de ses relations devant ce tribunal ;

Attendu qu’il a manqué à ce devoir dans ses rapports avec M. Y, garagiste et président de la société Z ; qu’en effet, ayant accueilli en référé, le 7 octobre 1993, une demande formée par M. Y, alors, affirme-t-il, qu’il ne le connaissait qu’en qualité de client du garage, il a aussitôt après, et de façon réitérée, accepté de sa part d’importants services ;

Que M. X ayant vendu sa voiture, M. Y lui prêta gracieusement en novembre 1993 un véhicule appartenant à la société Z, qui en assurait l’entretien, et dont il conserva la disposition jusqu’en janvier 1995, soit très au-delà des usages commerciaux normaux ; qu’au cours du même mois, en vue de l’achat d’un véhicule Mercedes en Italie, M. Y mit M. X en rapport avec un garage de Padoue, où ils se rendirent ensemble en avril 1994 et où M. Y retourna seul, en août, prendre livraison du véhicule, sans demander pour cette entremise la moindre commission à son client, ni même le remboursement de la TVA qu’il avait acquittée, soit 64 827 francs, somme qui ne lui fut versée que sur l’intervention de l’inspection générale des services judiciaires ;

Qu’en novembre 1993, alors qu’il utilisait déjà la voiture prêtée par M. Y, il ne s’abstenait pas de rapporter devant la cour d’appel l’avis du tribunal sur la candidature de celui-ci à une inscription sur la liste des experts et qu’ultérieurement il désigna M. Y comme expert, à sept reprises, de décembre 1993 à juillet 1995 ;

Que l’ensemble des faits ainsi relevés plaçait M. X dans la dépendance morale de M. Y et ne pouvait manquer de faire soupçonner son impartialité ;

Attendu que ce comportement n’est pas resté isolé ; que de mars 1988 à décembre 1993, M. X a connu, comme rapporteur ou comme président, de plusieurs procès auxquels était partie M. A, ou la société qu’il dirigeait, alors que les relations d’amitié qu’ils entretenaient de façon notoire lui commandaient l’abstention, quelle que fût la nature ou l’importance des actes juridictionnels à accomplir ;

Attendu qu’en outre M. X a participé à seize reprises au jugement d’affaires à l’occasion desquelles il avait chargé sa propre épouse d’effectuer une enquête sociale ; qu’il lui est même arrivé plusieurs fois de taxer sa rémunération ; qu’il était d’ailleurs conscient des doutes que de telles pratiques pouvaient faire naître sur son impartialité, puisqu’il invoque, pour tenter de les excuser, le petit nombre des désignations incriminées par rapport à l’importance du contentieux auquel le tribunal devait faire face avec des moyens insuffisants ;

Attendu, enfin, que M. X a estimé pouvoir accompagner chez un notaire un de ses amis acheteur éventuel d’une parcelle de vignes, informé préalablement par ses soins de la possibilité de cette transaction, et ce alors qu’il était saisi d’une procédure de résiliation de bail rural portant sur cette même parcelle ; que de surcroît, après ces démarches, loin de se déporter, il a statué sur la demande de résiliation du bail ;

Attendu que les faits ainsi retenus et leur répétition au fil des années ont donné de ce magistrat, et de l’institution judiciaire, une image dégradée, qui ne pouvait qu’affaiblir la confiance des justiciables dans l’impartialité qu’ils sont en droit d’exiger de leurs juges ;

Que de telles fautes sont, de ce fait, contraires à l’honneur, et partant exclues du bénéfice de l’amnistie ; qu’elles imposent de prononcer contre M. X la sanction du retrait des fonctions de vice-président de tribunal de grande instance, assortie du déplacement d’office ;

Qu’en revanche les autres manquements énoncés dans la dépêche susvisée du garde des sceaux ne présentent pas un caractère justifiant qu’ils soient sanctionnés disciplinairement ou exclus de l’amnistie prévue par l’article 14 de la loi du 3 août 1995.

Par ces motifs,

Constate que les faits retenus dans les motifs ci-dessus énoncés sont exclus de l’amnistie ;

Prononce contre M. X la sanction de retrait des fonctions de vice-président de tribunal de grande instance, assortie du déplacement d’office.