Conseil d’État, section du contentieux, requêtes n° 170792 et 170793

Date
30/07/1997
Décision
Rejet
Mots-clés
Chef de juridiction
CEDH
Poursuites disciplinaires (régularité formelle de la décision)
Poursuites disciplinaires (principe du contradictoire)
Poursuites disciplinaires (appréciation souveraine des faits)
Détournement de procédure
Rejet
Président de tribunal de grande instance
Fonction
Président de tribunal de grande instance
Résumé
Demande d’annulation d’une décision de déplacement d’office prononcée par le Conseil supérieur de la magistrature en raison de son irrégularité formelle, du non respect du contradictoire et de l’article 6 de la CEDH, d’une appréciation erronée des faits et d’un détournement de procédure. Demande d’annulation du décret de nomination consécutif au déplacement d’office prononcé par le CSM
Décision(s) associée(s)

Le Conseil d’État statuant au contentieux (section du contentieux, 6ème et 2ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la section du contentieux

Vu 1), sous le n° 170792, la requête et le mémoire ampliatif, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’État les 5 juillet et 2 novembre 1995, présentés pour M. X demeurant ... ; M. X demande au Conseil d’État :

1 - d’annuler le décret du 4 mai 1995 le nommant président de chambre à la cour d’appel de V ;

2 - de condamner l’État à lui verser la somme de 12 000 F en application de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu 2), sous le n° 170793, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’État les 5 juillet et 2 novembre 1995, la requête et le mémoire ampliatif présentés pour M. X ; M. X demande au Conseil d’État :

1 - d’annuler la décision du 30 janvier 1995 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature a prononcé à son encontre la sanction de déplacement d’office ;

2 - de condamner l’État à lui verser la somme de 12 000 F en application de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces jointes aux dossiers ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 ;

Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Marchand, conseiller d’État,
- les observations de Me Delvolvé, avocat de M. X,
- les conclusions de M. Lamy, commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes susvisées concernent la situation d’un même magistrat ; qu’il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision ;

Sur la requête n° 170793 :

- Sur la légalité externe :

Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier, d’une part, que M. X a reçu le 16 décembre 1994 notification de la citation à comparaître le 19 janvier 1995 devant le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège et, d’autre part, que le procès-verbal de la séance du Conseil supérieur mentionne la date des débats et l’audition du président de la cour d’appel de W ; que ni la circonstance que la décision attaquée ne mentionne pas la date de la séance au cours de laquelle M. X a comparu, ni celle de l’absence de mention de la déposition du magistrat précité dont le Conseil supérieur avait accepté l’audition à la demande du requérant, ne sont de nature à entacher d’un vice de procédure la décision attaquée ;

Considérant, en second lieu, qu’en vertu de l’article 38 du décret du 7 janvier 1993 susvisé tel que modifié par le décret du 20 avril 1994 : « Au cours des débats du Conseil supérieur de la magistrature siégeant en formation disciplinaire, le directeur des services judiciaires peut être assisté d’un magistrat de sa direction » ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le directeur des services judiciaires entendu par le Conseil n’aurait pu légalement être assisté d’un magistrat de sa direction n’est pas fondé ;

Considérant, en troisième lieu, que si M. X soutient que, le lendemain de son audition, la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente en matière de discipline des magistrats du parquet a examiné le cas du procureur de la République près le tribunal de grande instance qu’il présidait, avant même que la formation relative aux magistrats du siège ait délibéré sur son propre cas, cette circonstance n’est pas de nature à porter atteinte au principe du contradictoire et aux droits de la défense ; que, par suite, M. X n’est fondé à soutenir ni que le caractère contradictoire de la procédure n’aurait pas été respecté ni que la procédure aurait été menée en violation de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales susvisée ;

- Sur la légalité interne :

Considérant qu’aux termes de l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature : « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire » ;

Considérant, en premier lieu, que le Conseil supérieur s’est fondé sur des faits qui ne sont entachés d’aucune inexactitude matérielle et qui sont de nature à justifier légalement une sanction disciplinaire ;

Considérant, en second lieu, qu’à supposer même que le Conseil supérieur ait interprété de manière erronée des incidents survenus en 1991, cette erreur de qualification serait sans incidence sur la légalité de la décision du 30 janvier 1995 attaquée, qui repose sur d’autres motifs ;

Considérant, en troisième lieu, que le contrôle de l’appréciation de la gravité de la sanction échappe au juge de cassation ; que M. X n’est, dès lors, pas fondé à soutenir que le Conseil supérieur aurait entaché sa décision d’erreur manifeste d’appréciation en infligeant une sanction disproportionnée par rapport aux faits reprochés ;

Considérant, enfin, que le moyen tiré du détournement de procédure allégué ne peut être légalement invoqué à l’encontre d’une décision du Conseil supérieur de la magistrature ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. X n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision du 30 janvier 1995 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature a prononcé à son encontre la sanction de déplacement d’office ;

Sur les conclusions de M. X tendant à l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant que les dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l’État, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à payer à M. X la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Sur la requête n° 170792 :

Considérant que le recours contre une décision du Conseil supérieur de la magistrature n’est pas suspensif ; que, dès lors, le requérant n’est pas fondé à soutenir que la décision le nommant en qualité de président de chambre de la cour d’appel de V est illégale pour avoir été prise alors que la décision du Conseil supérieur le concernant faisait l’objet d’un recours ;

Considérant, en deuxième lieu, que la décision précitée du Conseil supérieur de la magistrature n’étant pas, ainsi qu’il a été dit précédemment, entachée d’illégalité, le requérant n’est pas fondé à soutenir que le décret attaqué doit être annulé par voie de conséquence de l’annulation de la décision du Conseil supérieur de la magistrature prononçant son déplacement d’office ;

Considérant, en troisième lieu, que les circonstances que la copie du décret attaqué notifié au requérant ne comporte pas la date du décret de nomination et que la date de l’avis du Conseil supérieur de la magistrature ne soit pas mentionnée dans les visas dudit décret, ne sont pas de nature à entacher celui-ci d’un vice de procédure, dès lors, d’une part, que la publication au Journal officiel du décret attaqué et que sa notification mentionnent ces dates et que, d’autre part, la consultation du Conseil supérieur prévue par la loi a été régulièrement effectuée ;

Considérant, en quatrième lieu, que la décision de nomination d’un magistrat, y compris celle intervenant par voie de conséquence d’une sanction réglementaire elle-même motivée, n’entre pas dans le champ d’application des dispositions de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 ;

Considérant, en cinquième lieu, qu’aux termes de l’article 4 du décret du 7 janvier 1993 susvisé : « Les magistrats du premier grade sont appelés à exercer les fonctions classées dans les groupes suivants : [...] II- Second groupe : 1°) président et procureur de la République d’un tribunal de grande instance hors classe ou à deux chambres [...] 4°) président de chambre et avocat général de cour d’appel » ; que la nomination de M. X président du tribunal de grande instance dans le même grade et le même groupe en qualité de président de chambre à la cour d’appel de V peut, au regard des dispositions précitées, être assimilée à une sanction disciplinaire de rétrogradation quelle que soit la différence des émoluments ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. X n’est pas fondé à demander l’annulation du décret du 4 mai 1995 le nommant président de chambre à la cour d’appel de V ;

Sur les conclusions de M. X tendant à l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant que les dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l’État, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à payer à M. X la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Décide :

Article 1er : Les requêtes n° 170792 et 170793 de M. X sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. X et au garde des sceaux, ministre de la justice.