Avis du 21 juillet 1999

21 juin 1999

Avis du Conseil supérieur de la magistrature sur la réforme des tribunaux de commerce

 

Le Gouvernement a entrepris une réforme d'envergure de la juridiction commerciale.

Une commission chargée d'examiner les modalités d'instauration de la mixité, a remis son rapport au garde des sceaux, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Le 31 mai 1999, ces deux ministres ont rendu publiques les grandes lignes de la réforme envisagée en indiquant qu'elle reposait sur trois principes :


  • le président du tribunal de commerce restera un juge consulaire élu ;


  • un juge professionnel présidera certaines formations de jugement, pour l'essentiel celles compétentes dans des matières intéressant l'ordre public économique : procédures collectives, concurrence, propriété intellectuelle, sociétés, droit financier ou du crédit, etc. ;


  • les formations consulaires resteront compétentes pour le reste du contentieux général. L'échevinage, tel qu'il est pratiqué dans les juridictions où il existe et où il donne pleine satisfaction, n'a pas été retenu par le projet.

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Le Conseil supérieur de la magistrature qui assiste le Président de la République, garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, estime utile dans ces conditions d'exprimer un avis, non sur l'ensemble de cette réforme mais sur ses aspects se rapportant directement au statut des magistrats en cause et aux conditions dans lesquelles ils exerceront leurs nouvelles attributions dans les juridictions consulaires. Organe disciplinaire des magistrats, il ne peut davantage se désintéresser des incidences de la réforme au plan déontologique.

Le présent avis examinera successivement :

- Les attributions des magistrats professionnels dans les tribunaux de commerce ;

- Le statut de ces mêmes magistrats et celui des juges consulaires siégeant en appel.

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puce LES ATTRIBUTIONS DES MAGISTRATS PROFESSIONNELS DANS LES TRIBUNAUX DE COMMERCE

A - La présidence des audiences de jugement


  • Le Conseil supérieur de la magistrature considère, en premier lieu, que le principe constitutionnel de l'indépendance de l'autorité judiciaire, dans l'application qui en est généralement faite pour l'organisation du système judiciaire français, serait difficilement compatible avec la présence de magistrats professionnels dans des formations de jugement qu'ils ne présideraient pas.


  • En second lieu, le Conseil supérieur de la magistrature estime préférable que les magistrats de carrière président l'ensemble des formations collégiales jugeant au fond. En effet, le principe d'égalité des citoyens devant la justice ne permet pas de traiter différemment, quant à la composition de la juridiction, des litiges d'une nature similaire, sauf si cette différence est fondée sur des critères objectifs : or, si un aspect spécifique peut être reconnu à la matière des procédures collectives par son retentissement sur l'emploi et l'économie en général, il n'apparaît pas que parmi les autres contentieux une distinction objective et lisible puisse être opérée entre les litiges à soumettre à la formation mixte et les autres.

 

B - L'administration de la juridiction

S'agissant de l'affectation des magistrats au sein du tribunal de commerce, son président devrait voir ses compétences limitées à la répartition des juges consulaires dans les chambres.

En ce qu'elle se rapporte aux magistrats professionnels, l'ordonnance de service ne pourrait être prise que sur avis conforme du président du tribunal de grande instance où ils auraient été affectés : le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire impose que celui-ci seul définisse le service des juges appelés à statuer en matière commerciale qui, le cas échéant, comportera aussi des attributions au sein du tribunal de grande instance.

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puceLE STATUT DES MAGISTRATSINTERVENANT DANS LES TRIBUNAUX DE COMMERCE

A - Mode de désignation des magistrats professionnels

Deux modes principaux peuvent être envisagés :


  • soit ils sont nommés par décret du Président de la République après avis du Conseil supérieur de la magistrature ;

  • soit ils sont désignés par ordonnance du Premier Président de la cour d'appel.

Le Conseil supérieur de la magistrature estime suffisantes en l'espèce les garanties offertes par la désignation par ordonnance du premier président prise après avis de l'assemblée générale des magistrats de la cour d'appel et sous la réserve que cette désignation vaille pour un délai déterminé, de trois ans au moins, éventuellement renouvelable.

La nomination par décret soulignerait l'importance de ce choix mais comporterait en l'espèce des risques de lourdeur et de rigidité de nature à compromettre le bon fonctionnement de la juridiction.

Le système d'évaluation de droit commun devra s'appliquer ici : l'évaluation du magistrat sera faite par le premier président sur proposition du président du tribunal de grande instance avec le seul avis du président de la chambre commerciale de la cour d'appel.

 

B - Statut des magistrats consulaires appelés à siéger en appel

Les juges consulaires peuvent être appelés à siéger dans les cours d'appel en qualité de :


  • conseillers en service extraordinaire conformément aux dispositions statutaires qui interdisent toute autre activité professionnelle ;


  • conseillers à vocation professionnelle et statut spécialisés, affectés uniquement dans les chambres commerciales ; le Conseil supérieur de la magistrature souhaite attirer l'attention des pouvoirs publics sur les inconvénients d'ordre statutaire et pratique qui résulteraient d'un tel choix : seraient créés, pour la première fois, au niveau des juridictions d'appel, des magistrats à compétence limitée, juridiquement insusceptibles de siéger dans toutes les formations de la Cour ; les doutes les plus sérieux peuvent être conçus quant aux conséquences d'un tel statut pour des juges d'appel ;


  • juges consulaires siégeant à la chambre commerciale de la cour : la présence de tels juges, à l'expérience reconnue, paraît au Conseil la formule la mieux adaptée.

En toute hypothèse, le Conseil supérieur de la magistrature estime qu'une réforme des juridictions consulaires devrait s'accompagner d'un renforcement de la présence du ministère public. Enfin, une réforme d'une telle ampleur suppose que les moyens humains et matériels correspondant soient mis en ouvre.

Le 21 juillet 1999.