Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
07/06/2016
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat, Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des collègues
Avis
Mise à la retraite d'office
Mots-clés
Délicatesse
Dignité
Mise à la retraite d'office
Fonction
avocat général près une cour d'appel
Résumé
Le magistrat poursuivi reconnait s'être livré à une tentative de vol n'ayant manqué son effet que par des circonstances indépendantes de sa volonté, faits contraires à l'honneur et à la dignité qui constituent, par leur nature pénale, un manquement au devoir de probité, doublé d'un manquement au devoir de délicatesse à l'égard du magistrat victime de ces agissements

CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE
Formation compétente pour la discipline
des magistrats du parquet
Avis motivé
sur les poursuites engagées contre Monsieur X,
avocat général près la cour d'appel de xxxxx
La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet,
Sous la présidence de Monsieur Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation, président de la formation,
En présence de :
Monsieur Jean Danet,
Madame Soraya Amrani Mekki, Monsieur Georges-Eric Touchard, Madame Dominique Pouyaud, Madame Evelyne Serverin, Monsieur Guillaume Tusseau, Madame Paule Aboudaram, Monsieur Yves Robineau, Monsieur Didier Boccon-Gibod, Monsieur Jean-Marie Huet, Monsieur Vincent Lesclous, Monsieur Raphaël Grandfils, Monsieur François Thevenot, Monsieur Richard Samas-Santafé,
Madame Virginie Valton,
Membres du Conseil,
Assistés de Monsieur Daniel Barlow, secrétaire général du Conseil supérieur de la magistrature ;
La direction des services judiciaires étant représentée par Madame Marielle Thuau, Directrice des services judiciaires, assistée de Madame Hélène Volant, magistrate à l'administration centrale du ministère de la justice ;
Monsieur X, avocat général près la cour d'appel de xxxxx, étant assisté de Monsieur A, avocat au barreau de xxxxx ;

Vu l'article 65 de la Constitution ;

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;
Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;
Vu la dépêche du garde des Sceaux du 22 octobre 2015 et les pièces annexées, saisissant le Conseil supérieur de la magistrature pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l'encontre de Monsieur X ;
Vu l'ordonnance du 2 novembre 2015 désignant Monsieur Jean-Marie Huet, membre du Conseil, en qualité de rapporteur ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Monsieur X, préalablement mis à sa disposition ainsi qu'à celle de son conseil ;
Vu l'ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure, que Monsieur X et son conseil ont pu consulter ;
Vu le rapport du 22 mars 2016 déposé par M. Huet, dont Monsieur X a reçu copie ;
Vu la convocation adressée à Monsieur X le 12 avril 2016 et sa notification du 28 avril 2016 ;
Les débats se sont déroulés en audience publique, dans les locaux de la Cour de cassation, 5 quai de l'Horloge à Paris (1 er), le 24 mai 2016.
À l'ouverture de la séance, le président de la formation a rappelé les termes de l'article 65 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : «L'audience de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature est publique. Toutefois, si la protection de l'ordre public ou de la vie privée l'exigent, ou s'il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l'accès de la salle d'audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l'audience, au besoin d'office, par la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature ».
Monsieur X, comparant, n'a formulé aucune demande en ce sens.
Monsieur Jean-Marie Huet a été entendu en son rapport, puis Monsieur X a été interrogé sur les faits objet de la saisine et a fourni ses explications.
Madame Marielle Thuau a présenté ses observations et a demandé le prononcé d'un avis tendant à la mise à la retraite d'office de Monsieur X.
Monsieur X a été entendu en ses explications et moyens de défense. Maître A a été entendu en sa plaidoirie.
Monsieur X a eu la parole en dernier.

L'affaire a été mise en délibéré au 7 juin 2016.
La saisine du garde des Sceaux du 22 octobre 2015 reproche à Monsieur X :
- de s'être introduit dans les bureaux de collègues et de s'y être enfermé en leur absence, malgré une mise en garde solennelle adressée par son procureur général ;
- de s'être introduit dans le bureau de l'un de ses collègues, en son absence, pour s'emparer du sac contenant ses effets personnels, en fouillant dedans à la recherche de monnaie ;
- d'avoir contesté les faits qui lui étaient reprochés à ce sujet, en laissant entendre que d'autres - notamment la fonctionnaire qui les avait découverts - ¬auraient pu les commettre.
Sur le premier grief
S'il est constant et non-contesté que Monsieur X s'est introduit dans les bureaux de certains de ses collègues et s'y est enfermé en leur absence avant le 17 octobre 2012, date à laquelle il a fait l'objet d'une mise en garde solennelle de son procureur général de n'avoir pas à adopter un tel comportement, aucun élément versé aux débats ne démontre qu'il aurait réitéré ces agissements après à cette date, en dehors des faits survenus le 28 juillet 2015, qui constituent l'objet du deuxième grief.
Le premier grief retenu au soutien de l'action disciplinaire engagée contre Monsieur X n'apparaît, dès lors, pas caractérisé.
Sur le deuxième grief
Les éléments versés aux débats établissent que, profitant de l'absence de l'un de ses collègues, retenu à l'audience, Monsieur X s'est introduit dans son bureau, le 28 juillet 2015, et s'est emparé du sac contenant ses effets personnels, qu'il a fouillé dans le but de dérober des espèces.
Ayant sorti du portefeuille de ce collègue un billet de vingt euros, il a renoncé à se l'approprier, jugeant cette somme trop importante.
Après cette première tentative infructueuse, il est retourné dans le bureau de ce même collègue pour y fouiller à nouveau son sac, avant de s'interrompre du fait d'allées et venues de fonctionnaires du parquet général.
Monsieur X reconnait et a confirmé à l'audience s'être livré, ce faisant, à une tentative de vol n'ayant manqué son effet que par des circonstances indépendantes de sa volonté.

Ces faits, contraires à l'honneur et à la dignité, constituent, par leur nature pénale, un manquement au devoir de probité, doublé d'un manquement au devoir de délicatesse à l'égard du magistrat victime de ces agissements.
Commis alors que Monsieur X exerçait l'intérim de son procureur général, ils caractérisent en outre un manquement au devoir de loyauté à l'égard de ce dernier, manquement également caractérisé par la violation de la mise en garde à lui solennellement adressée le 17 octobre 2012.
Leur répercussion au sein de la juridiction, comme par leur retentissement médiatique, conforté par différents articles de presse, sont à l'origine d'une atteinte grave au crédit, à l'autorité et à la considération devant être attachés aux fonctions de magistrat.
Sur le troisième grief
S'il a reconnu les faits précités devant son procureur général, le 30 juillet 2015, Monsieur X a, dans un premier temps, nié être à l'origine du désordre constaté dans le sac du collègue dans le bureau duquel il avait été surpris, indiquant n'avoir pas été le seul à être entré dans cette pièce et nommant, à cette occasion, la fonctionnaire qui l'y avait découvert.
Monsieur X explique, à l'audience, ces dénégations par une réaction de surprise liée au fait d'avoir été découvert, doublée d'un sentiment de honte au regard des faits perpétrés. Il conteste cependant avoir voulu mettre en cause la fonctionnaire précitée.
Les témoignages recueillis au cours de l'enquête n'en établissent pas moins que les déclarations de Monsieur X ont été perçues par les personnes présentes comme une mise en cause indirecte de cette fonctionnaire.
Se trouve ainsi caractérisé un manquement au devoir de délicatesse à l'égard de cette personne, doublé d'une atteinte au devoir de dignité qui s'impose à tout magistrat.
Sur la sanction
Monsieur X, qui reconnaît pour l'essentiel sa responsabilité, explique son comportement par d'importantes difficultés financières et la honte d'avoir à faire appel à ses collègues en leur demandant des subsides. Il sollicite son maintien dans la magistrature, estimant être en mesure de servir encore l'institution et fait valoir la qualité des appréciations portées dans son dossier administratif.
Si les difficultés financières mises en avant par Monsieur X paraissent établies, elles ne sauraient justifier un comportement incompatible par nature avec l'état de magistrat et dont les répercussions ont annihilé le crédit sans lequel l'exercice des fonctions attachées à cette qualité est impossible.
Monsieur X n'étant ainsi plus à même d'assurer son office de magistrat, tant au parquet qu'au siège, il convient de prononcer à son encontre la sanction de mise à la retraite d'office prévue au 6° de l'article 45 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée.

PAR CES MOTIFS,
Après en avoir délibéré à huis clos, hors la présence de Monsieur Jean-Marie Huet, rapporteur désigné,
Emet l'avis de prononcer à l'encontre de Monsieur X la sanction de mise à la retraite d'office prévue au 6° de l'article 45 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée ;
Dit que le présent avis sera transmis au garde des Sceaux et notifié à Monsieur X par les soins du secrétaire soussigné.
Fait et délibéré à Paris, le 7 juin 2016.