Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
28/01/2014
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de légalité (devoir de respecter la loi), Manquement au devoir de probité (devoir de réserve), Manquement au devoir de loyauté à l’égard des supérieurs hiérarchiques
Avis
Non-lieu à sanction disciplinaire
Mots-clés
Réserve
Loyauté
Plainte des justiciables
Violation délibérée d'une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties
Non-lieu à sanction
Poursuites disciplinaires (statut du justiciable)
Poursuites disciplinaires (commission d'admission des requêtes)
Poursuites disciplinaires (rapport d'inspection)
Fonction
Avocat général près la cour d'appel
Résumé
Sur renvoi d'une commission d'admission des requêtes d'une plainte de justiciable, le conseil est d’avis de ne pas infliger de sanction disciplinaire au magistrat poursuivi, l'absence de recherche par ce dernier du nécessaire équilibre entre les actes d’enquête mis en œuvre et la protection du secret des sources des journalistes, si elle constitue une grave erreur d'appréciation, ne permet toutefois pas, à elle-seule, d’établir le caractère délibéré de la violation d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties constatée par une décision définitive

CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE
Formation compétente pour la discipline des magistrats du parquet

Avis motivé
de la formation du Conseil supérieur de la magistrature
compétente pour la discipline des magistrats du parquet

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, réunie les 14 novembre 2013 et 15 novembre 2013, à la Cour de cassation, 5 quai de l' Horloge, Paris 1er

La direction des services judiciaires étant représentée par Monsieur Jean-François Beynel, directeur des services judiciaires, assisté de Madame Valérie Delnaud, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature, de Madame Hélène Volant et de Madame Malika Cottet, magistrates à cette direction ;

Monsieur X, avocat général près la cour d’appel de xxxxx, précédemment procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, étant assisté de Monsieur le bâtonnier A et de Maître B, avocats au barreau de xxxxx ;
Vu l'article 65 de la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée, notamment l’article 63 ;
Vu la plainte en date du 23 janvier 2012, reçue le 24 janvier 2012 au Conseil supérieur de la magistrature, de Monsieur C, Monsieur D et de Monsieur E, en sa qualité de président du directoire de la société éditrice du journal F ;
Vu la décision en date du 10 juillet 2012 de la commission d’admission des requêtes compétente à l’égard des magistrats du parquet et ses pièces annexées, renvoyant l’examen de ladite plainte à la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet ;
Vu la désignation, en qualité de rapporteur, de Monsieur Christian Raysséguier, premier avocat général à la Cour de cassation, membre du Conseil, par décision en date du 17 juillet 2012 ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Monsieur X, mis préalablement à sa disposition, de même qu’à celle de ses conseils ;
Vu la convocation adressée le 13 septembre 2013 à Monsieur X et sa notification à l'intéressé le 19 septembre 2013 ;
Vu les convocations adressées le 13 septembre 2013 à Monsieur le bâtonnier A et à Maître B ;
Vu l'ensemble des pièces produites et jointes au dossier au cours de la procédure et avant l’audience, notamment la lettre de Maître G en date du 7 octobre 2013 et les mémoires adressés par les conseils de Monsieur X en date des 7 et 8 novembre 2013 ;

***
L'affaire a été mise en délibéré au 17 décembre 2013 à l'issue des débats qui se sont déroulés publiquement dans les locaux de la Cour de cassation les 14 et 15 novembre 2013, au cours desquels Monsieur X a comparu assisté de ses conseils. Le 17 décembre 2013, le délibéré a été prorogé au 28 janvier 2014.

A l’ouverture des débats, la parole a été donnée aux conseils de Monsieur X pour développer les moyens de procédure contenus dans leurs mémoires des 7 et 8 novembre 2013 ; après avoir entendu Monsieur le Directeur des services judiciaires, Monsieur X assisté de ses conseils ayant eu la parole en dernier, le Conseil en a délibéré.

A la reprise des débats, Monsieur Raysséguier a présenté son rapport préalablement communiqué aux parties, qui ont donné leur accord à ce qu’il ne soit pas intégralement lu.
Monsieur X a été interrogé sur les faits dont le Conseil était saisi et a fourni ses explications.
Monsieur le Directeur des services judiciaires a présenté ses demandes et a sollicité une sanction équivalente à celle consistant à retirer à Monsieur X les fonctions de procureur de la République, sans en préciser davantage la nature.
Monsieur le bâtonnier A et Maître B ont été entendus en leur défense et Monsieur X a eu la parole en dernier, le principe de la contradiction et l'exercice des droits de la défense ayant été assurés.
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*Sur la procédure

-Sur la demande des justiciables tendant à être entendus par le Conseil au cours de son audience

Vu la demande présentée le 7 octobre 2013 par Maître G sollicitant l’audition, au cours de l’audience du Conseil, de Messieurs D et C, ainsi que de Madame I, en sa qualité de directrice du journal F, Maîtres G et H souhaitant également prendre la parole à l’audience ;

Vu la lettre en date du 7 novembre 2013 de Monsieur le bâtonnier A et de Maître B, tendant au rejet de cette demande aux motifs que « aucun texte ne reconnaît au justiciable la qualité de partie, de plaignant ou encore de victime » et que « la demande d’audition de la société éditrice du F et des journalistes ainsi que celle de leur avocat visant à être entendus par la formation procède d’une erreur manifeste d’appréciation du principe du contradictoire » ;

Le Conseil, après avoir entendu Monsieur le bâtonnier A et Maître B, puis Monsieur le Directeur des services judiciaires, en leurs observations tendant au rejet de la demande, Monsieur X et ses conseils ayant eu la parole en dernier, et après en avoir délibéré, relève qu’en application de l’article 63 alinéa 4 de l’ordonnance susvisée du 22 décembre 1958, « tout justiciable qui estime qu’à l’occasion d’une procédure judiciaire le concernant le comportement adopté par un magistrat du parquet dans l’exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire peut saisir le Conseil supérieur de la magistrature », l’article 52 de la même ordonnance disposant par ailleurs qu’« au cours de l’enquête, le rapporteur entend ou fait entendre le magistrat mis en cause par un magistrat d’un rang au moins égal à celui de ce dernier, et s’il y a lieu, le justiciable et les témoins ».

Le Conseil considère qu’en application de ces dispositions, le justiciable ne saurait revendiquer le statut de partie à la procédure disciplinaire lui ouvrant droit à participer à l’instance disciplinaire.

En revanche, si aucun texte ne prévoit expressément l’audition du justiciable dont la requête a été transmise à la formation disciplinaire du Conseil, le Conseil est maître des débats et peut, s’il l’estime nécessaire, entendre toute personne utile à la compréhension des faits qui lui sont soumis.

En l’espèce, les justiciables ayant été complètement entendus par le rapporteur qui en a pleinement rendu compte dans son rapport, le Conseil n’estime pas utile de procéder à une nouvelle audition au cours de la présente audience.

-Sur la requête aux fins de cancellation de certains passages insérés dans le rapport établi par le rapporteur

Vu les mémoires des 7 et 8 novembre 2013, aux fins de « cancellation » de certains passages insérés dans le rapport du 10 septembre 2013 établi par le rapporteur désigné par le Président de la formation, aux motifs, d’une part, que le rapport de l’inspection générale des services judiciaires, en sa version provisoire, portant sur le fonctionnement et les conditions de travail du service pénal au tribunal de grande instance de xxxxx, versé au dossier disciplinaire de Monsieur X et dont les conclusions ont été citées in extenso dans le rapport établi par le rapporteur, l’a été en violation des principes du contradictoire et des droits de la défense, et, d’autre part, que le versement au dossier disciplinaire du rapport provisoire de l’inspection générale des services judiciaires et la citation de ses conclusions dans le rapport établi par le rapporteur font grief à Monsieur X.

Le Conseil, après avoir entendu Monsieur le bâtonnier A et Maître B puis Monsieur le Directeur des services judiciaires, Monsieur X ayant eu la parole en dernier, et après en avoir délibéré, relève que le dépôt du rapport établi par le rapporteur désigné par le Président de la formation pour procéder à une enquête, n’a pas pour effet de clôturer l’instruction de la procédure suivie devant le Conseil supérieur de la magistrature statuant en matière disciplinaire, l’instruction se poursuivant jusqu’à la clôture des débats ; c’est donc sur l’ensemble de cette procédure que doit s’apprécier le caractère contradictoire de cette dernière.

Le Conseil estime en outre que le rapport de l’inspection générale des services judiciaires portant sur le fonctionnement et les conditions de travail du service pénal au tribunal de grande instance de xxxxx n’étant que provisoire, sa valeur sera appréciée à l’aune de ce caractère.

Le Conseil constate que Monsieur X et ses conseils ont eu communication de l’intégralité des pièces versées à la procédure et du rapport établi par le rapporteur ; qu’en particulier, le rapport de l’inspection générale des services judiciaires susvisé, reçu par le rapporteur le 6 septembre 2013, a été transmis à Monsieur X le 9 septembre 2013, lequel en a reçu notification le 10 septembre suivant ; que le rapport de Monsieur Raysséguier, en date du 10 septembre 2013 a été transmis à Monsieur X le 11 septembre 2013, qui en a reçu notification le même jour.

Monsieur X, régulièrement convoqué dès le 13 septembre 2013 à l’audience du 14 novembre suivant, a disposé dès lors de la possibilité, en bénéficiant de l’assistance de ses conseils, de présenter toutes observations et explications qu’il estimait utiles sur ce rapport provisoire, possibilité dont il a d’ailleurs usé.

Le Conseil considère qu’il n’y a pas eu d’atteinte, ni au principe du contradictoire, ni aux droits de la défense et que les moyens tendant en réalité à voir écarter l’entier rapport de l’inspection générale des services judiciaires et les citations qui en sont extraites et qui figurent dans le rapport du rapporteur, doivent être rejetés.

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-Sur le fond

1° Sur le grief de la violation grave et délibérée d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision définitive

L’alinéa 2 de l’article 43 de l’ordonnance précitée du 22 décembre 1958, résultant de la loi n°2010-830 du 22 juillet 2010 dispose que « constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision devenue définitive », tirant les conséquences du considérant n° 7 de la décision DC 2007-551 DC du 1er mars 2007, par lequel le Conseil constitutionnel a posé le principe que « l'indépendance de l'autorité judiciaire, garantie par l'article 64 de la Constitution, et le principe de la séparation des pouvoirs, proclamé par l'article 16 de la Déclaration de 1789, n'interdisent pas au législateur organique d'étendre la responsabilité disciplinaire des magistrats à leur activité juridictionnelle en prévoyant qu'une violation grave et délibérée d'une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties puisse engager une telle responsabilité ; que, toutefois, ces mêmes principes font obstacle à l'engagement de poursuites disciplinaires lorsque cette violation n'a pas été préalablement constatée par une décision de justice devenue définitive. »

La protection de l’activité juridictionnelle du ministère public se fonde, de manière essentielle, sur le principe selon lequel l’autorité judiciaire, qui comprend en France les magistrats du siège et du parquet, soumis à une déontologie commune, assure, en vertu de l’article 66 de la Constitution, le respect de la liberté individuelle.

Elle résulte du principe d’indépendance qui régit l’exercice des missions des magistrats du ministère public, s’agissant d’une garantie essentielle de notre démocratie, et de l’obligation d’impartialité dans la mise en œuvre, en opportunité, de l’action publique par le procureur de la République qui dispose de la liberté de décider des actes d’enquête dans le cadre des prescriptions de la loi, d’après les seules inspirations de sa conscience.

Le Conseil ne peut, dès lors, connaître en matière disciplinaire, de l’activité juridictionnelle d’un magistrat du siège ou du parquet, que lorsqu’il résulte de l’autorité même de la chose définitivement jugée que, par le caractère grave et délibéré de la violation d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, le magistrat a accompli, malgré les apparences, un acte qui ne peut être regardé comme un acte juridictionnel.
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Il est reproché à Monsieur X, d’avoir, courant septembre 2010, alors qu’il était procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, prescrit aux enquêteurs de l’Inspection générale des services (IGS) d’identifier et d’examiner nominativement, de manière exhaustive, auprès des opérateurs de téléphonie, sur une période de 42 jours, l’ensemble des appels reçus et émis ainsi que des messages courts appelés « SMS » relatifs aux numéros de téléphone professionnel et personnel de Messieurs C et D, journalistes au quotidien F et, ce faisant, d’avoir, gravement et délibérément violé une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision devenue définitive.

Il résulte des pièces de la procédure et des débats que, dans le cadre d’un supplément d’information ordonné par le tribunal correctionnel de xxxxx, saisi par voie de citation directe, délivrée par Madame J1 à l’encontre de Monsieur K du chef d’abus de faiblesse, une perquisition avait lieu le 1er septembre 2010 au domicile de Madame J2.

L’avocat de Madame J2 déposait le même jour, par télécopie, plainte auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, du chef de violation du secret professionnel, ainsi que pour violation du secret de l’enquête ou de l’instruction, en visant un article du journal « F » daté du 2 septembre 2010, paru le 1er septembre en début d’après-midi, sous les signatures de Monsieur C et de Monsieur D, et intitulé « les policiers sont à la recherche de petits papiers de Madame J2 » . Cet article rendait compte, en détail, d’une audition effectuée le 31 août 2010 dans la procédure pour abus de faiblesse, ainsi que des opérations de perquisition qui avaient eu lieu le matin même.

Le 3 septembre 2010, Monsieur X chargeait par fax le Directeur de l’Inspection générale des services (I.G.S) de la préfecture de police de Paris d’une enquête sur ces faits et adressait des instructions écrites datées du 2 septembre 2010, aux fins de procéder à des investigations, en faisant application, « en tant que de besoin », de « l’article 77-1-1 du code de procédure pénale pour obtenir, par voie de réquisitions, de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou toute administration publique, les documents intéressant l’enquête ».

En exécution de ces instructions, les enquêteurs délivraient des réquisitions écrites à divers opérateurs de téléphonie mobile, ayant pour objet d’identifier les numéros de téléphones portables, personnels et professionnels, des deux journalistes, et de recenser les numéros des appels entrants et sortants sur ces lignes, incluant les messages courts écrits dits « SMS », et d’identifier les titulaires des lignes correspondantes.

L’exploitation des « fadettes », dénomination usuelle pour le relevé des factures détaillées, ainsi obtenues, permettait d’isoler et d’identifier 57 « SMS » échangés entre Monsieur D et la présidente de la chambre correctionnelle du tribunal de xxxxx chargée de l’exécution de la commission rogatoire délivrée dans le cadre du supplément d’information.

Ces constatations conduisaient le parquet de xxxxx à clore ces investigations et à solliciter du parquet général de xxxxx, par application de l’article 43 alinéa 2 du code de procédure pénale, la saisine d’un autre parquet du ressort de la cour d’appel. C’est dans ces conditions que le parquet de xxxxx a été rendu destinataire de la procédure.

- Sur la violation d’une règle de procédure constatée par une décision devenue définitive

Il résulte des pièces de la procédure qu’à la suite de l’ouverture par le parquet de xxxxx d’une information judiciaire, le 26 octobre 2010, contre personne dénommée du chef de violation du secret professionnel et du renvoi, par arrêt du 17 novembre 2010 de la Cour de cassation, pour une bonne administration de la justice, de l’examen de cette procédure à la juridiction d’instruction de xxxxx, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de xxxxx a, par arrêt du 5 mai 2011, annulé les réquisitions ayant ordonné les investigations sur les téléphones des journalistes.

Cette annulation a été confirmée le 6 décembre 2011 par la chambre criminelle de la Cour de cassation, aux motifs « que l’atteinte portée au secret des sources des journalistes n’était pas justifiée par l’existence d’un impératif prépondérant d’intérêt public et que la mesure n’était pas strictement nécessaire et proportionnée au but légitime poursuivi » et que, dès lors, « la chambre de l’instruction a légalement justifié sa décision tant au regard de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme qu’au regard de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 » ;

Le Conseil constate, en cet état, que la violation d’une règle de procédure a été constatée par une décision de justice devenue définitive.

- Sur la règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties

Statuant sur l’application de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui garantit la liberté d’expression, la Cour européenne des droits de l’Homme a affirmé, dans ses arrêts Handyside du 7 décembre 1976 et Observer et Guardian du 26 novembre 1991, que la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et dont la presse est « le chien de garde ». Corollaire de la liberté de la presse, la Cour a jugé dans son arrêt Goodwin c. Royaume-Uni du 27 mars 1996, que « la protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse (…) ».

De manière constante et réitérée, la Cour européenne des droits de l’Homme a solennellement rappelé le caractère fondamental tant du principe de la liberté de la presse que de la protection des sources journalistiques, ces principes ayant été repris par le comité des ministres du Conseil de l’Europe, dans l’exposé des motifs de sa recommandation du 8 mars 2010 sur le droit des journalistes de ne pas révéler leurs sources.

La loi n°2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes, a consacré, dans un nouvel article 2 de la loi du 29 juillet 1881, le principe de cette protection et le Conseil supérieur de la magistrature estime que la violation des règles de procédure garantissant le secret des sources porte, d’évidence, atteinte à une garantie essentielle des droits des parties.

Monsieur X, magistrat expérimenté, ne pouvait méconnaître, ce qu’il n’a d’ailleurs pas soutenu, la valeur et la portée de cette garantie fondamentale.

- Sur la gravité de la violation

Indépendamment de la violation « d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision devenue définitive », en l’espèce par l’arrêt de la chambre criminelle en date du 6 décembre 2011, il y a lieu, pour le Conseil, de vérifier si le caractère de gravité de la violation peut être retenu.

Appliquant les principes posés par la Convention européenne des droits de l’Homme éclairés par la jurisprudence de la Cour européenne, l’alinéa 3 de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse dans sa rédaction issue de la loi du 4 janvier 2010, dispose qu’ « il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources». L’alinéa 5 du même article précise que « au cours d'une procédure pénale, il est tenu compte, pour apprécier la nécessité de l'atteinte, de la gravité du crime ou du délit, de l'importance de l'information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures d'investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité. »

Il résulte des pièces de la procédure et des débats que, dès la saisine du parquet de xxxxx par la plainte en date du 1er septembre 2010 pour violation du secret de l’instruction, Monsieur X a décidé que les investigations porteraient en tout premier et unique lieu sur les lignes téléphoniques des journalistes auteurs de l’article en cause.

Monsieur L, chef de l’IGS, a ainsi déclaré au rapporteur que Monsieur X lui avait téléphoné le 3 septembre 2010 pour l’informer de la saisine de son service et qu’il souhaitait que l’enquête « aille vite ».

Monsieur X a reconnu devant le rapporteur puis devant le Conseil, avoir, pour répondre à un « impératif d’efficacité », décidé, dès l’ouverture de l’enquête, de « solliciter les factures détaillées » des journalistes. Il a expliqué cette démarche par le contexte des fuites régulières intervenant à l’occasion de l’évolution des procédures dites « J2 » et par le souhait de Monsieur M, sous-directeur des affaires économiques et financières de la Direction de la police judiciaire parisienne, d’identifier la ou les sources de ces fuites.

Au regard de l’intérêt protégé, s’agissant de la violation du secret d’une enquête, le Conseil considère que d’autres actes d’enquête auraient dû être préalablement ordonnés, comme cela était suggéré par le service enquêteur, permettant ainsi de respecter le principe de proportionnalité, principe fondamental de la procédure pénale, dans une procédure mettant spécifiquement en jeu une garantie essentielle des droits des parties.

Sur ce point, Monsieur X a indiqué à l’audience que « le caractère proportionné résultait de ce qu’(il) ne voyai(t) pas comment on pouvait identifier les auteurs de cette fuite ».

Il a contesté en outre les déclarations faites par Monsieur N, directeur adjoint de l’inspection générale des services, au rapporteur le 30 novembre 2012, aux termes desquelles conformément à la pratique professionnelle d’usage, il avait proposé à Monsieur X de procéder à l’audition des policiers présents ou informés de la perquisition. Selon Monsieur N, « M. X a aussitôt répondu de ne pas procéder ainsi mais de travailler tout de suite sur les deux journalistes (…), en recherchant les numéros de leurs lignes téléphoniques fixes et mobiles, professionnelles comme personnelles, et ensuite de demander aux opérateurs téléphoniques les facturations détaillées ». Monsieur N ajoutait que le « seul but » de Monsieur X, « c’était de faire, au plus vite, les « fadettes » des journalistes pour identifier, sans tarder, l’auteur de la « fuite ».

A l’appui des déclarations de Monsieur N, Monsieur L, chef de l’IGS, entendu par le rapporteur, a indiqué pour sa part qu’à la suite des instructions ainsi données, Monsieur N lui a dit « qu’il s’était étonné auprès de M. X de cette façon de procéder pour débuter l’enquête ».

Le Conseil constate, en tout état de cause, qu’en ordonnant de solliciter directement les « fadettes » des journalistes, Monsieur X a gravement méconnu le principe de proportionnalité des actes d’enquête à effectuer au regard de la protection due aux sources des journalistes telles que protégées par la loi et la jurisprudence européenne, dont il ne pouvait ignorer les termes, d’autant que la circulaire de la Chancellerie en date du 20 janvier 2010 avait immédiatement appelé l’attention des parquets sur les dispositions nouvelles issues de la loi du 4 janvier 2010.

Le Conseil considère que la condition de gravité de la violation de la règle de procédure est dès lors établie.

- Sur le caractère délibéré de la violation grave d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties

Monsieur X a soutenu devant le Conseil, qu’au moment où le relevé détaillé des appels et « SMS » avait été ordonné, « on se trouvait dans un domaine juridique qui était relativement nouveau, très imprécis, flou et que j’ai interprété ». Il reconnaissait avoir « sans doute mal interprété la loi du 4 janvier 2010 au regard de l’arrêt du 6 décembre 2011 », qui a annulé l’acte d’enquête ainsi décidé.

Monsieur X invoque l’existence de la seule jurisprudence postérieure à la loi susceptible d’après lui de servir de référence dans la conduite des enquêtes, en l’espèce un arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de xxxxx en date du 17 juin 2010 laquelle a jugé que « la poursuite d’infractions pénales, qui constituent les bornes dont la société ne permet en aucune circonstance le dépassement, est par essence, un impératif prépondérant d’intérêt public ».

Le Conseil constate que si la seule jurisprudence, antérieure aux actes d’enquête critiqués était la jurisprudence invoquée, la jurisprudence constante précitée de la Cour européenne des droits de l’Homme aurait dû amener Monsieur X, connaissance prise de la loi du 4 janvier 2010 et de sa circulaire d’application, à décider d’un déroulement des investigations plus proportionné à l’objet de l’enquête.

Par ailleurs, aux termes de l’alinéa 2 de l’article 43 de l’ordonnance statutaire du 22 décembre 1958, « la faute s’apprécie pour un membre du parquet (…), compte tenu des obligations qui découlent de sa subordination hiérarchique ».

Si le principe hiérarchique, inscrit à l’article 5 de l’ordonnance précitée, sur lequel est fondée l’organisation statutaire du ministère public et auquel tout magistrat du parquet est soumis, confère au procureur général le pouvoir de donner des instructions, il est également, pour ce dernier, source d’obligations, dont celles de vérifier et de valider les informations reçues et transmises par les parquets du ressort.

Or, dans un rapport adressé à la Direction des affaires criminelles et des grâces en date du 14 octobre 2010 relatif aux réquisitions téléphoniques délivrées par le parquet de xxxxx, le procureur général près la cour d’appel de xxxxx a estimé que « dans le cas d’espèce, il peut être considéré que l’objet même de l’enquête tendant à identifier l’auteur d’une atteinte au secret professionnel ou de l’instruction conduit nécessairement à la recherche des correspondants des journalistes. Interdire aux enquêteurs de procéder à ces actes, reviendrait à empêcher tout(e) enquête sérieuse en la matière et favoriserait le développement des fuites relatives aux enquêtes et aux instructions en cours. Dans cette mesure, ce type de diligences paraît donc en l’espèce entrer dans les prévisions de la loi, en ce qu’il serait incontournable et proportionné au but poursuivi». Le procureur général précisait en outre que « s’agissant, enfin, de l’appréciation du critère de gravité de l’infraction poursuivie, susceptible de légitimer l’atteinte au secret des sources, la question reste en suspens. En effet, faute de meilleure indication dans le texte de la loi ou dans les travaux préparatoires, la notion très incertaine de « gravité du crime ou du délit, ne pourra être tranchée que par la jurisprudence ».

La seule réserve réelle du parquet général de xxxxx résidait, dans ce rapport, dans l’absence de l’accord des journalistes concernés, le rapport mentionnant à cet égard que « la rédaction de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale ne semble pas permettre que les documents détenus par un organisme privé ou public (en l’espèce les listes de « fadettes » des opérateurs téléphoniques) soient remis aux enquêteurs sans l’accord des journalistes concernés, comme le prévoit l’article 56-2 du code de procédure pénale ».

Le Conseil constate que les actes d’enquête ordonnés par Monsieur X n’ont provoqué, certes a posteriori, aucune réaction du procureur général près la cour d’appel de xxxxx aux fins d’en faire constater l’irrégularité, ni davantage de la Direction des affaires criminelles et des grâces, pourtant destinataire du rapport du procureur général.

Il note également que, dans son audition par le rapporteur, Monsieur O, alors avocat général près la cour d’appel de xxxxx, a déclaré que s’il avait été consulté en temps utile, le parquet général de xxxxx n’aurait pas donné son accord à la recherche des fadettes des journalistes.

Au surplus, le Conseil relève que les incertitudes entourant l’interprétation de la loi ont conduit le Gouvernement à déposer le 12 juin 2013 un projet de loi ayant pour objet de modifier les dispositions de la loi du 4 janvier 2010 en limitant l’atteinte au secret des sources des journalistes aux seules infractions portant une atteinte grave à la personne et aux intérêts fondamentaux de la nation et en ne permettant ladite atteinte que sur décision du juge des libertés et de la détention, le Gouvernement dans l’exposé des motifs de son projet de loi justifiant que «notre législation n’est pas satisfaisante » et qu’ « en particulier, la loi n°2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes s’est révélée peu efficace ».

La précipitation avec laquelle Monsieur X a agi, dans un domaine sensible régi par un texte récent à l'époque des faits, est manifestement critiquable. En ne recherchant pas le nécessaire équilibre entre les actes d’enquête mis en œuvre et la protection du secret des sources des journalistes, Monsieur X a commis une grave erreur d'appréciation, qui ne permet toutefois pas, à elle-seule, d’établir le caractère délibéré de la violation par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties constatée par une décision définitive.

Le Conseil estime en conséquence que le premier grief n’est pas constitué, même si la méconnaissance des dispositions de la loi du 4 janvier 2010 et de la jurisprudence constante et parfaitement établie de la Cour européenne des droits de l’Homme ne laisse pas de surprendre de la part du chef du 3ème parquet de France.

2° Sur les griefs d’avoir exercé des pressions sur deux fonctionnaires de police de l’Inspection générale des services et d’avoir sollicité l’intervention du chef de ce service

Il est reproché à Monsieur X d’avoir, à deux reprises, exercé des pressions sur les policiers de l’Inspection générale des services.

2.1.- Sur la réunion du 25 octobre 2010

Selon la requête en date du 23 janvier 2012, Monsieur X, aurait, le 25 octobre 2010, exercé des pressions en convoquant à son bureau les enquêteurs pour leur signifier que, contrairement à ce que ces derniers avaient transcrit en procédure, ni lui-même ni son adjointe, Madame P, procureure de la République adjointe, ne leur avait demandé d’obtenir le contenu des 57 « SMS » échangés entre le 23 juillet et le 23 septembre 2010, entre Monsieur D et Madame Q, vice-présidente au tribunal de grande instance de xxxxx.

Il résulte de l’audition de Monsieur L, directeur de l’Inspection générale des services, que Monsieur X lui aurait demandé, le 28 septembre 2010, s’il était techniquement possible d’obtenir des opérateurs téléphoniques le contenu des « SMS » reçus et émis par les journalistes. Monsieur N, directeur adjoint de l’Inspection générale des services, déclarait sur ce point que Madame P, qui assurait également le suivi de cette procédure avec Monsieur X, lui avait demandé, le 30 septembre suivant, d’obtenir, auprès des opérateurs les contenus des « SMS » qui avaient été ainsi collectés sur les lignes des deux journalistes ciblés. Le contenu de cette conversation entre Madame P et Monsieur N était confirmé par Monsieur L et Monsieur R, commandant à l’Inspection générale des services à qui Monsieur N avait rapporté cet échange.

Tant devant le rapporteur qu’à l’audience, Monsieur X a fermement contesté le fait que le contenu des « SMS » ait été sollicité. Il expliquait au contraire devant le Conseil que dès la révélation des 57 « SMS » qui avait permis d’établir que la source de la fuite pouvait être un magistrat de la juridiction, il avait alors indiqué « qu’il fallait suspendre l’enquête et solliciter son dépaysement en application de l’article 43 du code de procédure pénale ».

Selon lui, Madame P s’était contentée de poser la question de la faisabilité de l’obtention du contenu des « SMS » d’une manière abstraite, ce que l’intéressée confirmait devant le rapporteur lors de son audition. Les déclarations de Madame P étaient corroborées par celles de Madame S, alors vice-procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx. Celle-ci, témoin de la conversation entre Madame P et Monsieur N, indiquait qu’il s’agissait d’une réflexion « à haute voix » sur la faisabilité technique d’une telle demande, qui après examen était apparue relever d’un acte d’investigation ne pouvant être réalisé que dans le cadre d’une information judiciaire. Madame S rapportait à cet effet que, par la suite, Madame P s’était « dite outrée par un procès-verbal qui relatait les instructions qu’elle aurait données aux enquêteurs de requérir de l’opérateur de téléphonie le contenu des SMS en question ».

Si, en cet état, aucun élément n’a permis au cours de l’enquête effectuée par le rapporteur d’établir la réalité de cette demande formulée par le parquet d’accéder au contenu des « SMS », il est constant que le 25 octobre suivant, au vu du procès-verbal d’enquête précité mentionnant une demande de Madame P aux fins d’obtenir le contenu des « SMS », Monsieur X avait demandé à Monsieur L et à Monsieur N de se rendre à son bureau pour un entretien auquel avait assisté Madame P.

Au cours de cet entretien, Monsieur X avait, selon lui, indiqué à Monsieur L et à Monsieur N « qu’il ne concevait pas que Madame P ait pu délivrer de telles réquisitions ».

Monsieur N ayant fermement confirmé la teneur de ces instructions, Madame P aurait indiqué que « les instructions qu’elle avait données n’avaient, peut-être, pas été claires ».

A l’audience, Monsieur X a expliqué que cette réunion s’inscrivait dans le cadre de ses missions de direction de la police judiciaire, Monsieur L ayant précisé au demeurant qu’elle s’était déroulée « sans animosité ni heurts ».

Le Conseil considère légitime l’organisation, par le procureur de la République, d’un tel entretien avec les enquêteurs, à l’occasion duquel il a fait part de ses observations sur la conduite d’une procédure. Cette démarche s’inscrit strictement dans les prescriptions de l’article 12 du code de procédure pénale qui confie au procureur de la République la direction de la police judiciaire.

Le Conseil observe toutefois qu’il eût été de bonne pratique qu’un écrit fût établi à l’occasion de cette réunion afin de souligner le manquement reproché aux enquêteurs, à la fois dans un but pédagogique et, éventuellement, dans le cadre de l'évaluation des officiers de police judiciaire.

2.2.- Sur les pressions et sollicitations exercées au cours de l’information judiciaire suivie des chefs de collecte de données à caractère personnel par moyen frauduleux

Il est d’une part reproché à Monsieur X d’avoir exercé des pressions sur Monsieur R et Monsieur N, fonctionnaires de police, et d’autre part, d’avoir sollicité, aux mêmes fins, leur chef de service, au cours de l’information judiciaire suivie sur plainte avec constitution de partie civile de Messieurs C et D, au tribunal de grande instance de xxxxx, des chefs de collecte de données à caractère personnel par moyen frauduleux, déloyal ou illicite, violation du secret professionnel et recel de ce délit, atteinte au secret des correspondances par personne dépositaire de l’autorité publique agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions.

Il est ainsi reproché à Monsieur X d’avoir exercé des pressions sur Monsieur N et Monsieur R, fonctionnaires de police, entendus comme témoin assisté par le juge d’instruction, en leur demandant de prendre l’initiative de saisir la chambre de l’instruction d’une requête en nullité de la procédure, procédure qui visait également Monsieur X, nommément mis en cause par la plainte des parties civiles.

Monsieur X a expliqué au rapporteur qu’en septembre 2011, il avait reçu du juge d’instruction de xxxxx une convocation pour mise en examen dans le cadre de l’information ouverte suite à la plainte du « F » pour violation du secret professionnel. Il a précisé que suite à ses observations concernant la régularité de cette convocation pour mise en examen, eu égard aux dispositions de l’article 6-1 du code de procédure pénale, aux termes duquel « lorsqu'un crime ou un délit prétendument commis à l'occasion d'une poursuite judiciaire impliquerait la violation d'une disposition de procédure pénale, l'action publique ne peut être exercée que si le caractère illégal de la poursuite ou de l'acte accompli à cette occasion a été constaté par une décision devenue définitive de la juridiction répressive saisie », le juge avait reporté sine die cette convocation.

Tant devant le rapporteur qu’à l’audience, Monsieur X a expliqué qu’il avait tenté, par les soins de ses avocats, d’obtenir du juge d’instruction et du parquet général que la chambre de l’instruction de la cour d’appel de xxxxx soit saisie pour statuer sur cette question de régularité de l’information ouverte au regard des dispositions de l’article 6-1 susvisé. Il a précisé que c’était en raison de l’absence de saisine de la chambre de l’instruction, tant par le juge que par le parquet, qu’il s’était adressé à Monsieur L, afin de voir si Monsieur N et Monsieur R, placés sous le statut de témoin assisté, et disposant, de ce fait, de la possibilité d’exercer des recours, étaient « prêts à exercer leur droit de saisir la chambre de l’instruction ».

Monsieur X a nié avoir exercé des pressions sur ces policiers, justifiant au contraire ne pas les avoir contacté directement, mais être passé par l’intermédiaire de Monsieur L, leur supérieur hiérarchique. Evoquant spécifiquement la situation de Monsieur R, Monsieur X indiquait au rapporteur avoir « pensé à « l’approcher » par l’intermédiaire de Monsieur L pour voir s’il envisageait une telle démarche ».

Monsieur L déclarait au rapporteur qu’il n’avait plus eu d’échanges avec Monsieur X ou Madame P sur cette affaire jusqu’au début du mois d’octobre 2011, où (il) « avait(t) reçu un appel téléphonique de Monsieur X qui (lui) a demandé « d’approcher » Monsieur N et Monsieur R, pour savoir s’ils entendraient, en leur qualité de témoin assisté, dans le cadre de la procédure suivie par Madame T, juge d’instruction au TGI de xxxxx, saisir la chambre de l’instruction d’une action en nullité ».

Monsieur X lui aurait confié « qu’il entendait lui-même le faire ». Monsieur L a indiqué lui avoir répondu « qu’il lui appartenait plutôt de s’adresser aux intéressés ». Il précisait avoir cependant informé ses deux collègues de cette démarche, lesquels lui avaient alors indiqué « n’avoir aucune intention d’y donner suite ». Monsieur L « répercut(ait) cette réponse à Monsieur X qui ne (lui) a pas paru s’en satisfaire ».

Les déclarations de Monsieur L étaient confirmées par celles de Monsieur R qui précisait n’avoir eu aucun contact direct avec Monsieur X et indiquait avoir su que l’avocat de Monsieur X ou de Madame P avait contacté le sien « pour la même requête ».

Cette démarche ne saurait s’analyser comme une tentative de pression exercée sur les fonctionnaires de police, ce qui, au surplus, n’apparaît pas avoir été ressentie comme telle par les intéressés au vu de leurs déclarations.

En revanche, le fait, pour un procureur de la République, de solliciter le chef hiérarchique d’officiers de police judiciaire, en vue d’obtenir une démarche favorable de la part de ces derniers, dans une information judiciaire le concernant personnellement, jouant sur la confusion entre sa situation judiciaire dans une procédure pénale et l’autorité qu’il exerce sur ces derniers, constitue un comportement fautif.

Toutefois, le Conseil, considérant la circonstance de l’attrait de ce magistrat dans une information judiciaire ouverte en violation de l’article 6 -1 du code de procédure pénale et de son souhait de voir constater cette irrégularité, compte tenu par ailleurs de ce que le magistrat instructeur, malgré les démarches effectuées par les conseils de Monsieur X avait sursis à son interrogatoire de première comparution sans toutefois saisir la chambre de l’instruction pour faire constater cette irrégularité, constate que Monsieur X s’est trouvé sans autre alternative que de demander aux officiers de police judiciaire par une voie maladroite et inappropriée de faire constater l’irrégularité de la procédure.

Dans ces conditions, le Conseil estime que ces faits, pour fautifs qu’ils soient, ne justifient pas le prononcé d’une sanction disciplinaire.

3° Sur le grief d’avoir fait des déclarations publiques par voie de presse, inappropriées à son statut et à ses fonctions de procureur de la République

Il est reproché à Monsieur X d’avoir, une fois révélée dans les médias l’enquête conduite par l’IGS sur ses réquisitions ainsi que les décisions judiciaires subséquentes, fait des déclarations publiques par voie de presse, inappropriées à son statut et à ses fonctions de procureur de la République et contraires à la réserve qui sied à un magistrat, notamment en soutenant, selon les justiciables ayant saisi le Conseil, qu’une procédure illégale ne présentait aucune espèce de gravité et en justifiant les actes de l’enquête préliminaire qu’il avait initiée, alors que celle-ci avait été définitivement annulée.

Au soutien de leur plainte, deux articles de presse sont produits, l’un paru dans « U » le 28 novembre 2011, intitulé « Les vérités du juge X », l’autre paru dans « F » le 28 décembre 2011, intitulé « Affaires des fadettes : X dévoile sa stratégie de défense », ainsi qu’un communiqué de presse que Monsieur X avait fait paraître le 17 janvier 2012.

L’obligation de réserve, imposée aux magistrats par les dispositions de l’article 10 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut des magistrats, si elle ne réduit pas le magistrat au silence, interdit toute expression outrancière, tous propos injurieux, voire simplement excessifs ou volontairement provocants, toutes critiques de nature à porter atteinte à la confiance et au respect que sa fonction doit inspirer aux justiciables. Le magistrat, a fortiori chef de juridiction, s’il veut faire connaître son opinion, doit en conséquence s’exprimer de façon prudente et mesurée, en raison du devoir d’impartialité et de neutralité qui pèse sur lui pour satisfaire aux exigences du service public dont il assure le fonctionnement.

Le Conseil constate, d’une part, que l’article du journal « F » est un droit de réponse que Monsieur X a demandé au journal de publier suite à la parution, le 6 décembre 2011, d’un article intitulé « le scandale des fadettes prend de l’ampleur », aux termes duquel il livrait une argumentation factuelle et juridique contraire à l’article précité ; que, d’autre part, l’article du journal électronique « U » présentait la carrière et la personnalité de Monsieur X, avec des commentaires de ce dernier portant notamment sur des « pressions » et des « attaques personnelles » qu’il subirait, selon lui, au parquet de xxxxx.

Enfin, s’agissant du communiqué de presse, la défense de Monsieur X a indiqué à l’audience que son objet était de rendre public le recours exercé par le magistrat devant la chambre de l’instruction à la suite de sa mise en examen et qu’il contenait une argumentation juridique à l’appui de ce recours. La défense du magistrat assurait, à l’audience, s’être chargée de rédiger ce communiqué et de l’avoir adressé à une agence de presse après l’avoir soumis à Monsieur X.

Monsieur X a contesté tout manquement au devoir de réserve, indiquant au rapporteur qu’il s’agissait pour lui de défendre son honneur et « de réagir à des attaques quotidiennes émanant toujours du journal « F ».

S’il apparaît pour le Conseil, inopportun et maladroit pour un magistrat, d’assurer sa propre défense pénale par voie de presse avec la référence à sa qualité de procureur de la République, une telle démarche qui participe de la liberté d’expression reconnue à tout magistrat, ne constitue pas un manquement au devoir de réserve, dès lors que les propos utilisés, en réponse à des assertions publiées dans la presse, ne sont pas outranciers ni ne présentent un caractère injurieux, excessif ou provoquant, d’autant que les articles auxquels Monsieur X répondait se référaient à sa qualité de procureur de la République de xxxxx.

Le Conseil estime, en cet état, que le grief tiré d’un quelconque manquement au devoir de réserve n’est pas établi.

4° Sur le grief tiré de « l’abandon d’enquête » par le procureur de la République et de l’insuffisante information du parquet général de xxxxx

Le Conseil est saisi de deux séries de comportements liés d’une part à « l’abandon d’enquête » par Monsieur X de ses prérogatives et, d’autre part, à l’insuffisante information du parquet général de xxxxx.

4.1.-Sur l’abandon d’enquête

Il est reproché à M. X d’avoir, « dans le cadre général qui lui est reproché de la violation du secret des sources des journalistes», abandonné « ses prérogatives de procureur de la République », « puisque les fonctionnaires de police de l’IGS ont été saisis par un soit-transmis des plus laconiques, se limitant au seul visa de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale, d’une enquête délicate par nature, comme touchant à l’activité de journalistes et à la mise en œuvre de textes issus de réformes législatives récentes dans un domaine juridique complexe ».

La décision de charger l’Inspection générale des services d’une enquête pénale, à la suite de la plainte pour violation du secret de l’enquête du 1er septembre 2010, a donné lieu à un appel téléphonique de Monsieur X le 3 septembre 2010 à Monsieur L, puis à des instructions écrites en date du 9 septembre suivant, signées par le procureur adjoint, Madame P. Il résulte de l’audition de Monsieur N que, l’enquête qui s’est prolongée jusqu’au 6 octobre 2010, a donné lieu à des comptes rendus réguliers de Monsieur N à Monsieur X, ou à son adjointe, Madame P.

La seule circonstance que le soit-transmis du 9 septembre 2010 n’ait fait référence qu’à l’article 77-1-1 du code de procédure pénale, sans autre développement d’ordre juridique sur la complexité de la question posée, n’est pas de nature à établir, à l’endroit de Monsieur X, le grief d’abandon de ses prérogatives de procureur de la République ou « d’abandon d’enquête », dès lors que la violation de la règle procédurale ne résulte pas d’une initiative propre prise par les enquêteurs de l’Inspection générale des services liée à une quelconque absence de direction d’enquête, mais, au contraire, d’un choix procédural décidé par le procureur de la République.

Le Conseil n’estime pas en conséquence que le grief tiré de « l’abandon d’enquête » par le procureur de la République de ses prérogatives soit établi.

4.2.- Sur l’insuffisante information du parquet général de xxxxx

Il est enfin reproché à Monsieur X d’avoir manqué à « l’obligation de loyauté qui incombe à tout magistrat, tout particulièrement aux magistrats du parquet dans le cadre de la subordination hiérarchique à laquelle ils sont astreints de par l’article 5 de l’ordonnance statutaire », aux motifs que si des « comptes rendus, notamment sous forme de rapports administratifs, avaient existé, on peut raisonnablement envisager que le parquet général, informé en temps utile, voir consulté préalablement sur les mesures envisagées, auraient pu enrichir la réflexion de Monsieur X sur ses analyses, en particulier sur la régularité juridique des réquisitions en cause, délivrées sans vérifications préalables et autres actes d’enquêtes ».

Il résulte des pièces versées à la procédure par Monsieur X que l’enquête ordonnée le 3 septembre 2010, et clôturée le 6 octobre suivant, a donné lieu à deux rapports administratifs. Le rapport en date du 6 septembre 2010, reçu le 9 septembre, comporte une information sur l’ouverture de ladite enquête et la précision qu’a été saisie l’Inspection générale des services. Le second rapport du 11 octobre 2010 accompagne la transmission de la procédure d’enquête clôturée et précise qu’ « au vu du résultat des investigations conduites par l’inspection générale des services relevant de nombreux contacts S.M.S., notamment la veille et le jour de la publication incriminée, entre Madame Q, vice-présidente au tribunal de grande instance de xxxxx et un journaliste du F co signataire de l’article visé dans la plainte, il m’apparaît nécessaire de saisir le tribunal de grande instance le plus proche du ressort de la cour d’appel de xxxxx », en application de l’article 43 du code de procédure pénale.

Entendu par le rapporteur, Monsieur V, procureur général près la cour d’appel de xxxxx a précisé que son information sur la plainte déposée était intervenue par le rapport écrit en date du 6 septembre 2010, sans autre information téléphonique au parquet général jusqu’à la transmission du rapport en date du 11 octobre 2010 qui avait donné lieu à un appel téléphonique de Monsieur X. Il précisait que c’était à ce moment que le parquet général de xxxxx avait constaté que les « fadettes » des journalistes avaient été sollicitées. Selon lui, il était apparu « qu’il y avait un problème juridique sérieux dont nous avons rendu compte à la Chancellerie par rapport écrit ».

Le Conseil a constaté précédemment, à l’occasion de l’examen du premier grief, que le rapport du procureur général près la cour d’appel de xxxxx du 14 octobre 2010 au garde des sceaux, rendant compte de cette procédure, n’émettait pas de réserve sur le fait que les investigations techniques aient porté sur l’identification des personnes qui avaient été en contact avec les deux journalistes, la seule réserve portant sur l’accord de ces derniers.
L’existence des deux rapports administratifs sur la période considérée ne permet pas suffisamment de caractériser, pour le Conseil, le grief d’une information insuffisante du parquet général, et partant, un manquement au devoir de loyauté, dès lors que le parquet général, informé ab initio de l’ouverture de l’enquête préliminaire, avait la possibilité de solliciter des précisions complémentaires et que n’est pas ressortie de l’instruction une volonté délibérée du procureur de la République d’induire en erreur le procureur général.

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Si le conseil est d’avis, en l'état des développements qui précèdent, de ne pas infliger de sanction disciplinaire à Monsieur X, il lui est apparu au vu de l'ensemble des éléments du dossier qui lui ont été soumis, que l’intéressé, dont le projet de nomination à la tête d'un des plus grands parquets de France a fait l'objet le 28 février 2007 d'un avis défavorable et pour lequel le Conseil a également émis le 31 juillet 2012 un avis favorable à sa mutation dans l'intérêt du service, ne disposait pas des qualités requises pour diriger un parquet.

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PAR CES MOTIFS,
Après en avoir délibéré à huis clos, et hors la présence de Monsieur Christian Raysséguier ;

Rejette la demande de Messieurs D, C et Madame I, en sa qualité de directrice du journal F, et de Maîtres G et H, tendant à être auditionnés par le Conseil ;

Rejette la demande tendant à ce que soient écartés le rapport de l’inspection générale des services judiciaires et certains passages de ce rapport insérés dans le rapport du 10 septembre 2013 du rapporteur ;
Emet l’avis qu’il n’y a pas lieu à prononcer une sanction disciplinaire ;
Dit que le présent avis sera transmis au garde des sceaux et notifié à Monsieur X par les soins du secrétaire soussigné.
Fait et délibéré à Paris, le 28 janvier 2014