Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
27/01/2006
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des justiciables, Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Avis
Déplacement d'office
Décision Garde des sceaux
Conforme (24 février 2006)
Mots-clés
Réquisitions
Propos racistes
Racisme
Liberté de parole à l'audience
Image de la justice
Délicatesse
Justiciable
Etat de magistrat
Fonctions
Probité
Dignité
Institution judiciaire (confiance)
Déplacement d'office
Vice-procureur de la République
Fonction
Vice-procureur de la République
Résumé
Propos à caractère raciste prononcés à l’occasion des réquisitions prises à l’audience

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet ;

Vu l’article 65 de la Constitution ;

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature modifiée notamment par les lois organiques n° 94-101 du 5 février 1994 et n° 2001-539 du 25 juin 2001 ;

Vu la requête du 14 avril 2005 de M. le procureur général près la cour d’appel de … au procureur général soussigné, saisissant la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, pour avis à donner à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X, vice-procureur de la République près le tribunal de grande instance de … ;

Vu les pièces annexées à ladite requête et celles ensuite transmises le 8 juin 2005 par le procureur général près la cour d’appel de …, les rapports complémentaires du 24 novembre 2005 et du 15 décembre 2005 de ce magistrat ainsi que la dépêche du 15 décembre 2005 de M. le garde des sceaux et les pièces y annexées ;

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, mis préalablement à sa disposition ;

Considérant que l’affaire a été mise en délibéré à l’issue des débats qui se sont déroulés publiquement dans les locaux de la Cour de cassation le 27 janvier 2006, et que M. X a comparu assisté de son conseil, Me …, avocat au barreau de Paris ;

Le rapporteur ayant intégralement lu son rapport ;

Considérant que M. X a été interrogé sur les faits dont le Conseil était saisi et a fourni ses explications ; que M. Léonard Bernard de la Gatinais, directeur des services judiciaires, accompagné de Mme Florence Butin, magistrat de sa direction, a présenté ses demandes et que M. X a eu la parole en dernier ;

Que le principe de la contradiction et l’exercice des droits de la défense ayant été ainsi assurés, l’affaire a été mise en délibéré ;

Considérant que par requête susvisée, le procureur général près la cour d’appel de … a saisi le Conseil supérieur de la magistrature du cas de M. X auquel il reprochait d’avoir, le 4 mars 2005 dans des réquisitions à l’audience du tribunal correctionnel de …, tenu les propos ci-après rapportés :
- à l’occasion d’un jugement d’une affaire mettant en cause trois prévenus issus de la communauté des gens du voyage : « un gitan qui a avalé l’agneau dont on voit la queue sortir par la bouche vous soutiendra encore qu’il ne l’a pas avalé » ;
- à l’occasion du jugement d’une affaire de travail dissimulé dans une exploitation agricole de culture de melons dans laquelle étaient employées des personnes d’origine nord-africaine : « ce n’est pas à Nîmes que l’on ramasse les melons, en tout cas, pas ceux-là » ;
- à l’occasion du jugement d’une affaire de violences mettant en cause une personne d’origine nord-africaine, « vous pourriez envisager un regroupement familial dans l’autre sens » ;

Considérant que le procureur général près la cour d’appel de … qualifie ces propos d’inacceptables et de nature à ternir l’image de la justice ; qu’il estime de même qu’ils traduisent de la part de M. X « au pire un fond douteux non exempt de racisme, au mieux un désordre langagier empreint de facilité, de manque de tact et de délicatesse contraire au statut des magistrats » ;

Considérant que M. X confirme avoir tenu les propos ci-dessus rappelés ; qu’il se défend toutefois d’avoir été inspiré par des sentiments racistes à l’égard des personnes concernées par ses réquisitions ;

Considérant qu’en vertu des articles 5 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature et 33 du code de procédure pénale, la parole des magistrats du parquet est libre à l’audience ; que cependant, ce principe ne constitue pas une immunité au profit du magistrat du parquet lequel, lorsqu’il prend la parole à l’audience, est tenu au respect des devoirs de son état ; qu’en particulier, il doit respecter la dignité des justiciables et, ce faisant, celle de sa charge ;

Considérant que, qu’elles qu’aient pu être ses motivations et les circonstances de l’audience, les propos tenus par M. X s’inscrivent dans un registre à caractère raciste ;

Qu’ainsi, il a manqué aux devoirs de l’état de magistrat en portant atteinte à la dignité des justiciables, à la dignité de sa charge et au crédit de l’institution judiciaire ;

Par ces motifs,

Émet l’avis de prononcer contre M. X la sanction de déplacement d’office ;

Dit que le présent avis sera transmis à M. le garde des sceaux et notifié à M. X par les soins du secrétaire soussigné.