Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
13/03/1995
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de légalité (devoir de respecter la loi), Manquement au devoir de loyauté à l’égard des supérieurs hiérarchiques, Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions)
Avis
Déplacement d'office
Décision Garde des sceaux
Conforme (23 juin 1995)
Mots-clés
Alcool
Faux
Avantage
Expert
Légalité
Supérieur hiérarchique
Loyauté
Etat de magistrat
Fonctions
Déplacement d'office
Procureur de la République adjoint
Fonction
Procureur de la République adjoint
Résumé
Incitation, par un procureur adjoint, à antidater des arrêtés de nomination. Délégation de certaines de ses prérogatives à un expert qu’il a cherché à favoriser. Empiètement sur les attributions de sa hiérarchie et d’autres services. Périodes d’alcoolisation

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet sur les poursuites disciplinaires exercées contre M. X, procureur de la République adjoint près le tribunal de grande instance de V,

Vu l’article 65 de la Constitution modifié par la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 ;

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 94-101 du 5 février 1994 ;

Vu la dépêche en date du 8 décembre 1993 de M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice, à M. le procureur général près la Cour de cassation, président de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, saisissant cette formation pour avis sur les poursuites disciplinaires exercées contre M. X, l’entier dossier ayant été mis à la disposition de M. X et à celle de ses conseils, M. Alain Terrail, avocat général à la Cour de cassation, et M. Jean-Jacques Bagur, premier juge au tribunal de grande instance de Marseille ;

Vu le dossier administratif de M. X, également mis préalablement à sa disposition et à celle de ses conseils ;

Vu les débats qui se sont déroulés à la Cour de cassation le 20 septembre 1994 au cours desquels M. X a comparu, assisté de son conseil M. Bagur, le rapporteur ayant été dispensé par toutes les parties et les membres du Conseil de la lecture de son rapport qui avait été antérieurement communiqué à tous ;

M. X, interrogé sur chacun des faits dont le Conseil était saisi, a fourni ses explications, M. le directeur des services judiciaires a présenté ses demandes, M. Bagur a assuré la défense de M. X qui a eu la parole le dernier ;

Le contradictoire et l’exercice des droits de la défense ayant ainsi été assurés ;

L’affaire ayant ensuite été mise en délibéré au lundi 13 mars 1995 ;

Considérant qu’ainsi qu’il le reconnaît, M. X a connu de l’année 1990 au début de l’année 1992 des problèmes d’alcoolisme importants qui se sont traduits par un relâchement de son comportement, un désintérêt pour ses fonctions, l’ayant conduit à des retards importants dans le traitement de certaines procédures et la rédaction de rapports, une présence insuffisante et même une certaine confusion dans les propos qu’il tenait ;

Que par ce comportement notoire, ce magistrat a porté atteinte à la dignité de sa fonction, mais qu’il y a lieu, pour apprécier la gravité de sa faute, de tenir compte de ce qu’il s’est soumis à une cure au cours du premier trimestre 1992 et qu’il ne subsiste actuellement aucun signe de son intoxication passée ;

Considérant que M. X prit cette décision de se soigner à la suite d’un accident survenu le 22 décembre 1991 au cours duquel il fut légèrement blessé ;

Que la seule faute qui puisse lui être reprochée est d’avoir conduit, de son propre aveu, à une vitesse excessive sur autoroute, ce qui aurait pu, à l’époque, justifier une poursuite pénale, mais qui, compte tenu des circonstances de l’espèce, ne saurait constituer une faute disciplinaire ;

Considérant que, saisi par la mairie de V, de demandes d’agrément d’agents de police municipale, M. X, a par une lettre du 25 juin 1991, invité son interlocuteur à antidater les arrêtés de nomination qui auraient dû intervenir avant l’habilitation qu’il accordait le même jour ;

Que, s’il prétend avoir agi ainsi par souci d’efficacité, M. X reconnaît également l’avoir fait pour couper court à de nouvelles demandes d’annulation de procès-verbaux, semblables à celles dont le tribunal de police avait déjà été saisi ;

Qu’il a ainsi méconnu les devoirs de sa charge qui lui imposent de respecter et faire respecter la loi ;

Considérant que, dans ses rapports avec la mairie de V, M. X a été conduit, pendant plus de dix-huit mois, à œuvrer pour l’extension de l’activité, jusque là déficitaire, de la fourrière municipale en agissant pour qu’elle reçoive non seulement les véhicules en stationnement irrégulier mais encore ceux accidentés, volés ou placés sous main de justice ;

Qu’à cette occasion il a souhaité augmenter le nombre des expertises, tarifées à la somme de 1 500 francs, tendant à déceler d’éventuelles escroqueries à l’assurance ;

Que, quel que soit le bien fondé de cette initiative, sa réalisation ne dépendait pas de la seule compétence de M. X et était susceptible d’engager la responsabilité du parquet tout entier et d’entraîner d’importants frais de justice ;

Que cependant ce procureur adjoint a agi à l’insu de tous ; qu’il s’est en revanche assuré du concours actif d’un de ses amis, M. Y, expert automobile inscrit sur la liste de la cour d’appel et expert de la ville de V, et, à ce titre, intéressé à l’augmentation de l’activité de la fourrière, comme il l’était encore, avec quatre de ses confrères, à l’augmentation du nombre des expertises ;

Considérant que M. X a ainsi participé, le 15 mars 1991, à une réunion avec des représentants de la mairie, de la police et de compagnies d’assurance alors que le procureur, présenté comme partie invitante, n’avait pas été préalablement informé ;

Qu’il a organisé dans son bureau les 17 avril et 16 mai 1991 deux réunions ;

Qu’il a pris part le 3 octobre 1991 à un colloque, bien que le procureur, dont le parrainage avait été annoncé, n’ait pas été prévenu ;

Considérant que si, à ces dates et compte tenu de son état de santé, M. X n’avait peut être plus une claire conscience de ses obligations, tout autre était la situation lorsqu’il reprit son activité en mars 1992 ;

Considérant qu’il n’est pas contestable qu’à partir de cette date, M. Z avait pris la maîtrise du dossier dont il avait été saisi par la police le 27 mars et par les compagnies d’assurance le 27 avril ; qu’il organisa lui-même une réunion le 14 mai en présence de M. X, mais une autre le mois suivant sans sa participation ;

Qu’il demanda à ce procureur adjoint une note sur le sujet, laquelle se révéla avoir été rédigée au cabinet de M. Y avec le concours de ce dernier et dactylographiée chez cet expert qui en garda copie ;

Que le 4 septembre 1992, jour où M. Z cessa ses fonctions, M. X adressa une lettre au maire de V pour lui donner l’accord du parquet à l’extension du rôle de la fourrière ;

Que, nonobstant l’arrivée imminente d’un nouveau procureur, il tint une nouvelle réunion le 24 octobre et, sans en parler à quiconque, envoya le 26 octobre une nouvelle lettre à la mairie précisant que la réglementation serait respectée à la fourrière sous l’autorité de l’expert M. Y qu’il instituait son « mandataire » ;

Que ces deux lettres furent dactylographiées au cabinet de M. Y puis expédiées sans être enregistrées au parquet ;

Que le procureur, ayant tenté de contester cet accord, s’entendit répondre que, le parquet s’étant engagé par écrit, sa responsabilité était susceptible d’être recherchée ;

Considérant que si, par ses fonctions, un procureur-adjoint est habilité à prendre seul certaines initiatives, tel n’est pas le cas lorsque, en dehors de toute urgence, il empiète sur les attributions d’autres services, lorsqu’il engage l’ensemble du parquet ou lorsque le procureur manifeste son intention de suivre personnellement un dossier, conformément à l’article R. 311-35 du code de l’organisation judiciaire ;

Qu’en l’espèce, M. X a gravement manqué à la loyauté qui doit présider aux relations dans un parquet ; qu’en déléguant illégalement à un expert partie de ses pouvoirs, M. X. a encore manqué aux devoirs de son état ;

Considérant qu’à l’époque de ces relations étroites avec M. Y, M. X a obtenu successivement d’un garage, sur la recommandation de cet expert, le prêt gratuit de trois véhicules neufs, sans avoir de surcroît à régler les frais d’assurance ;

Que ces faits se sont déroulés pendant quinze jours en janvier 1992, puis de mars 1992 à mars 1993 ;

Que, s’il n’est pas établi que M. X avait connaissance des procédures pénales dont le garagiste était l’objet au tribunal de V, et s’il est sûr qu’il n’est pas intervenu, il n’en demeure pas moins que l’acceptation durable d’une telle situation ne peut que compromettre l’indépendance du magistrat dans la cité ;

Qu’il n’est, par contre, pas établi que le prêt d’un autre véhicule par un garagiste différent pendant quelques jours en avril 1993 soit critiquable, s’agissant d’un dépannage préalable à l’achat à ce garagiste d’une automobile de même type que celle qui était prêtée ;

Considérant que les relations privées, visées dans la saisine, que M. X a entretenu ou entretient avec d’autres personnes, ne sont pas de nature à constituer une faute disciplinaire ;

Considérant qu’à la suite d’un cambriolage commis à son domicile en octobre 1992, M. X déclara le vol d’une arme de quatrième catégorie qu’il détenait sans autorisation mais qu’il y a lieu, pour apprécier ce fait, de relever qu’il avait fait part de son acquisition au procureur de la République à W, ville dans laquelle il exerçait alors ses fonctions ;

Que cette négligence, exclusive de toute dissimulation, n’est pas à elle seule susceptible de caractériser une faute disciplinaire ;

Considérant que, s’il y a lieu de prendre en considération la date des fautes retenues et les efforts fournis depuis par M. X, il n’en demeure pas moins que son autorité et, par voie de conséquence, celle de la justice, sont gravement compromises au plan local, ce qui appelle son déplacement ;

Par ces motifs,

Émet l’avis qu’il y a lieu de prononcer contre M. X la sanction disciplinaire du déplacement d’office prévue à l’article 45, 2°, du statut de la magistrature ;

Dit que le présent avis sera transmis à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice, et notifié à M. X, par les soins du secrétaire de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet.