Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
24/02/2010
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des auxiliaires de justice, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des justiciables, Manquement au devoir de légalité (obligation de tenue des audiences), Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Rétrogradation
Déplacement d'office
Mots-clés
Alcool
Absence
Retard
Avertissement
Greffe
Gestes déplacés
Propos déplacés
Image de la justice
Délicatesse
Auxiliaire de justice
Justiciable
Légalité
Audience
Etat de magistrat
Fonctions
Probité
Dignité
Institution judiciaire (confiance)
Déplacement d'office
Rétrogradation
Vice-président de tribunal de grande instance
Fonction
Vice-président de tribunal de grande instance
Résumé
Réitération, malgré un avertissement, d’incidents liés à une addiction à l’alcool du magistrat : tenues d’audiences en état d’ébriété, absences et retards récurrents, propos déplacés à l’égard d’une greffière et d’un justiciable

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par M. le premier président de la cour d’appel de …, contre M. X, vice-président au tribunal de grande instance de ..., sous la présidence de M. Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation, […] ;

Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu l’acte de saisine constitué des dépêches du premier président de la cour d’appel de ... en date du 10 novembre 2008 et 26 janvier 2009, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X, vice-président au tribunal de grande instance de ..., ainsi que les pièces jointes à ces dépêches ;

Vu l’ordonnance du 1er décembre 2008 désignant M. Michel Le Pogam en qualité de rapporteur ;

Vu l’ordonnance du 19 février 2009 désignant le docteur … pour procéder à l’examen médical et psychiatrique de M. X ;

Vu l’ordonnance du même jour désignant M. Michel Lernoult et M. Philippe Mury, pour procéder à des auditions, en application de l’article 52 alinéa 1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 ;

Vu le rapport de M. Le Pogam du 2 novembre 2009, dont M. X a reçu copie ;

Vu le rappel, par M. le premier président, des termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels « l’audience est publique, mais que, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le conseil de discipline » et l’absence de demande spécifique formulée en ce sens par M. X, conduisant à tenir l’audience publiquement ;

Vu la lecture de son rapport par M. Le Pogam, les observations de Mme Véronique Malbec, directrice des services judiciaires, assistée de Mme Béatrice Vautherin, magistrate à l’administration centrale, qui a demandé le prononcé d’une mesure de rétrogradation et de déplacement d’office à l’encontre de M. X, les explications et moyens de défense de celui-ci, la plaidoirie de M. Y, avocat au barreau de ..., M. X ayant eu la parole en dernier ;

Attendu que l’acte de saisine dénonce, à l’encontre de M. X, deux griefs qualifiés de comportements indignes d’un magistrat :
- un état d’ébriété fréquent pendant le service et, plus généralement, une addiction à l’alcool ayant engendré des incidents à plusieurs reprises ;
- des absences du service injustifiées ayant nécessité son remplacement dans l’urgence ;

Sur l’état d’ébriété pendant le service et les incidents en ayant découlé

Attendu qu’il résulte des éléments accompagnant l’acte de saisine et des investigations qui ont suivi, notamment des auditions des magistrats et fonctionnaires du greffe, que M. X, lors d’une audience de comparution immédiate du 7 avril 2008 qu’il présidait, était ivre, ce qui a engendré de sa part des propos confus, une direction laborieuse des débats, ainsi qu’une sortie précipitée de la salle entraînant une interruption de la plaidoirie d’un avocat, sous le prétexte d’une urgence concernant une demande de mise en liberté dans un dossier ; qu’il était encore sous l’emprise de l’alcool le 26 septembre 2008, lors d’une audience sur reconnaissance préalable de culpabilité au cours de laquelle il a tenu des propos déplacés et a eu une attitude équivoque envers une greffière, se mettant à la tutoyer, à l’appeler par un prénom souvent considéré comme dévalorisant et qui n’était pas le sien, à faire des commentaires sur son physique accompagnés de termes grivois, et en la prenant par la taille ; qu’un troisième incident a été signalé à la suite d’une audience du juge des libertés et de la détention du 6 décembre 2008, au cours de laquelle M. X, sentant l’alcool, a eu un comportement anormal, notamment en tenant des propos incohérents aux deux greffières, évoquant ses quatre filles alors qu’il n’en a que deux, donnant du « monsieur » à une femme mise en examen et usant, envers celle-ci, de termes vulgaires en parlant de ses enfants « sortis de ses cuisses » ; que ces greffières ont été d’autant plus gênées par l’état d’ébriété manifeste de M. X que la personne mise en examen se voyait reprocher des violences sur ses enfants commises sous l’empire de l’alcool ;

Attendu qu’au delà de ces trois incidents, il résulte des nombreux témoignages recueillis au cours de l’enquête que des magistrats et fonctionnaires travaillant habituellement avec M. X évoquent son état d’alcoolisme régulier altérant, au fil des heures, sa capacité professionnelle et ternissant l’image de la juridiction ;

Attendu que M. X s’était vu délivrer un avertissement le 24 octobre 2007 par le premier président de la cour d’appel de ..., à la suite de son état d’ébriété lors d’une audience pénale qu’il présidait le 15 décembre 2006 ;

Attendu que M. X explique, pour l’essentiel, son comportement par un état dépressif ancien ;

Sur les absences injustifiées du service

Attendu que les faits dénoncés par l’acte de saisine concernant des absences fréquentes de M. X de son poste, ainsi que des arrivées en retard ou des départs précipités, ayant à chaque fois engendré des difficultés d’organisation et fait encourir le risque d’irrégularités ou de carences procédurales, ont été confirmés par les auditions des magistrats et fonctionnaires de la juridiction ; qu’il en a été notamment ainsi lors d’une permanence de juge des libertés et de la détention du 7 octobre 2008, au cours de laquelle le président du tribunal de grande instance a dû se substituer à lui pour procéder à une prolongation de garde à vue qui devait être impérativement réalisée avant 10 heures, M. X étant resté introuvable et injoignable ce matin-là ; qu’il en a été de même le 22 janvier 2009, lors d’une audience de prolongation d’une rétention administrative d’étrangers, le président de la juridiction ayant dû, de nouveau, substituer, à 14 heures, M. X, qui n’est arrivé qu’à 15 heures 20, sentant l’alcool et finissant par reconnaître avoir oublié cette audience ; que, les 28 janvier et 2 février 2009, M. X, qui était de service et n’avait pas signalé son absence, a du être remplacé à deux reprises, l’une pour une demande de mise en liberté dont le délai de traitement expirait le jour même, et l’autre pour rectifier une erreur qu’il avait commise dans une autorisation de perquisition ;

Attendu que M. X, qui ne conteste pas la réalité de ces absences et retards, tenant à de simples oublis selon ses explications, estime que ce grief s’inscrit dans une exigence renforcée de sa hiérarchie, alors qu’il a toujours été très disponible pour le service et joignable en cas de problème ;

Mais attendu que l’état d’ébriété de M. X, avéré à trois reprises au moins durant l’année 2008, et sa dépendance alcoolique ont été constatés par tous dans la juridiction et lors des audiences qu’il préside ; que ses absences du service, arrivées tardives ou départs intempestifs de la juridiction, générant fréquemment des difficultés d’organisation et des risques d’irrégularités procédurales, sont établis ; que ces comportements ont perduré après que M. X a fait l’objet d’un avertissement le 24 octobre 2007 pour des faits de même nature ;

Attendu que, par ces deux séries de comportement graves et répétés, devenus désormais habituels, M. X a violé ses obligations de magistrat et a porté atteinte au crédit et à l’image de la justice ;

Attendu qu’aux termes du rapport d’expertise ordonné, « les faits retenus dans la poursuite disciplinaire sont en relation avec la dépendance décrite qui ne conduit pas à un trouble psychique abolissant son discernement ou le contrôle de ses actes. En revanche, l’altération doit être retenue notamment quant au contrôle et à la maîtrise de ses paroles et de ses actes » ;

Attendu qu’en dépit de compétences reconnues à M. X en matière pénale, les fautes disciplinaires établies justifient que soient prononcées, à l’encontre de ce magistrat, la sanction de la rétrogradation assortie du déplacement d’office ;

Par ces motifs,

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos ;

Statuant en audience publique, le 27 janvier 2010 pour les débats et le 24 février suivant, date à laquelle la décision a été rendue ;

Prononce à l’encontre de M. X, la sanction de la rétrogradation assortie du déplacement d’office, en application de l’article 45-2° et 5° de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958.