Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
16/12/2004
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de fidélité au serment prêté (respect du secret de l’instruction), Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice)
Décision
Amnistie
Mots-clés
Poursuites disciplinaires (renvoi devant le CSM par le CE)
Poursuites disciplinaires (enregistrement des débats)
Poursuites disciplinaires (audition de témoin)
Poursuites disciplinaires (saisine du CSM)
Poursuites disciplinaires (sursis à statuer)
Amnistie
Secret de l'instruction
Probité
Honneur
Juge d'instruction
Fonction
juge d'instruction
Résumé
Le fait, pour un magistrat, de communiquer à un tiers des informations issues d’un dossier instruit dans son cabinet, s’il est de nature à constituer une faute disciplinaire, ne présente pas le caractère d’un manquement à l’honneur
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par M. le garde des sceaux, ministre de la justice, contre M. X, juge d’instruction au tribunal de grande instance de V, sous la présidence de M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation ;

Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu l’article 11 de la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994, relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu l’arrêt du Conseil d’État, en date du 30 juin 2003, annulant la décision du Conseil supérieur de la magistrature du 19 avril 2000 et renvoyant l’affaire devant ledit Conseil ;

Vu la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice, du 1er août 2003, demandant la réinscription à l’ordre du jour du Conseil supérieur de la magistrature de cette affaire ;

Sur le rapport établi par M. Alain Bacquet, dont M. X a reçu copie et dont il a été donné lecture à l’audience ;

Après avoir entendu M. Patrice Davost, directeur des services judiciaires au ministère de la justice, et M. X, assisté de Maître Patrick Rizzo, avocat au barreau de Nice, Maître Jean-Marc Fedida, Maître Alex Ursulet, avocats au barreau de Paris, et de Mme Anne Crenier-Vaudano, magistrate, ayant fourni ses explications et moyens de défense sur les faits reprochés ;

Maître Patrick Rizzo, avocat au barreau de Nice, Maître Jean-Marc Fedida et Maître Alex Ursulet, avocats au barreau de Paris, ainsi que Mme Anne Crenier-Vaudano, magistrate, ayant présenté leurs observations ;

M. X ayant eu la parole en dernier ;

Attendu que le 1er décembre 1997, M. X, faisant état de sa qualité de juge d’instruction au tribunal de grande instance de V, a adressé une lettre manuscrite à M. Y, lui indiquant, qu’après diffusion d’une émission télévisée sur le dossier du Crédit ..., il se devait de lui rapporter la teneur de déclarations reçues le 20 septembre 1997 « sous le sceau de la confidence », de la part de M. Z, président de ..., filiale du Crédit ..., après que celui-ci eut été entendu par le juge, selon lesquelles le Crédit ... aurait retiré des gains substantiels de la cession de la société ..., alors dirigée par M. Y ; que M. X autorisait ce dernier à faire usage en justice de sa lettre ;

Attendu que par lettre du 9 septembre 1999, le garde des sceaux a saisi le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, de poursuites à l’encontre de M. X, aux motifs que le fait pour un juge d’instruction de communiquer à un tiers, étranger à la procédure pénale dont ce juge est saisi, des informations tirées de celle-ci était « constitutif d’une violation de l’obligation générale de discrétion professionnelle, s’agissant de révélations d’informations obtenues à l’occasion de l’exercice des fonctions » et que ce manquement à l’obligation de discrétion professionnelle constituait un manquement à l’honneur ;

Attendu que sur cette saisine, le Conseil supérieur de la magistrature a statué par décision du 19 avril 2000 ; que par arrêt du 30 juin 2003, le Conseil d’État a annulé cette décision et renvoyé l’affaire devant le Conseil supérieur de la magistrature ;

Sur les décisions rendues en cours d’audience

Attendu que M. X a sollicité l’enregistrement des débats devant le Conseil supérieur de la magistrature ;

Attendu qu’un tel enregistrement, qui n’est prévu par aucun texte, n’apparaît pas nécessaire à la manifestation de la vérité, dans la présente procédure, ni à la clarté des débats et à la qualité des délibérés ;

Que par ces motifs, la demande a été rejetée ;

Attendu qu’il a également été demandé le renvoi à une autre audience pour l’organisation de la défense et la comparution de divers témoins ;

Attendu que cette demande a été présentée en cours d’audience alors qu’il appartenait à la défense d’appeler en temps utile les témoins qu’elle entendait faire déposer, que la demande en cause, tardive, devait nécessairement entraîner un renvoi de l’audience qui n’est pas apparu nécessaire à la solution du litige ;

Que cette demande a été rejetée ;

Sur les incidents joints au fond

Attendu que par conclusions envoyées par télécopie le 6 décembre 2004, M. X a soulevé « l’exception tendant à constater l’extinction de la procédure disciplinaire par l’effet de la loi d’amnistie » du 6 août 2002 ; qu’il a fait valoir que l’acte de saisine n’avait pas justifié, au regard des faits dénoncés, une atteinte à l’honneur ; que par conclusions subsidiaires déposées à l’audience, M. X a soulevé la nullité de la poursuite engagée en l’absence de réquisitoire écrit, communiqué en temps utile, relatif à la qualification des faits au regard de la loi d’amnistie ;

Attendu que la saisine du Conseil supérieur de la magistrature n’ayant pas été modifiée après annulation et renvoi de l’affaire par le Conseil d’État, M. X était précisément informé des faits qui lui étaient reprochés et de leur qualification, d’autant que par lettre du 1er août 2003, le garde des sceaux a demandé la réinscription de l’affaire à l’ordre du jour du Conseil supérieur de la magistrature en joignant à cette lettre le texte de sa précédente saisine non modifiée, invoquant une atteinte à l’honneur ;

Qu’ainsi plus d’un an avant l’audience, l’application de la loi d’amnistie du 6 août 2002 était nécessairement dans le débat et devait être examinée, au besoin d’office, par la formation disciplinaire ; que M. X ne saurait prétendre n’avoir pas été en mesure d’organiser sa défense sur ce point ;

Qu’au surplus, le directeur des services judiciaires a fait connaître, dès le début de l’audience, que les faits reprochés à M. X ne lui apparaissaient pas constituer une atteinte à l’honneur ;

Que la demande de nullité doit être rejetée ;

Attendu que par conclusions remises à l’audience, M. X a sollicité la délivrance immédiate des copies des décisions rendues en cours d’audience et rejetant les demandes de retranscription des débats et d’audition des témoins puis, par de nouvelles conclusions, demandé le sursis à statuer jusqu’à ce que la juridiction compétente se soit prononcée sur les recours en cassation dirigés contre ces deux décisions ;

Attendu que l’absence de remise immédiate du texte des décisions, fondées sur les motifs déjà énoncés, n’était pas de nature à nuire aux droits de la défense, en particulier aux possibilités de recours ;

Que la remise des copies, de même que le sursis à statuer sollicité ne pouvaient en revanche que différer, sans motif valable, la continuation des débats et la solution à apporter par une décision au fond, aux poursuites entreprises contre M. X ;

Que les deux demandes jointes au fond doivent être rejetées ;

Sur le fond

Attendu que M. X expose qu’il a reçu les déclarations de M. Z, placé en détention provisoire, alors que l’audition de ce dernier était terminée et qu’il attendait, dans un couloir du palais de justice, son départ pour la maison d’arrêt ; que M. X soutient, qu’ayant pris conscience lors d’une émission télévisée, de l’importance des propos recueillis de M. Z, il en a informé M. Y, par souci de vérité ;

Attendu que les faits reprochés à M. X, de nature à constituer une faute disciplinaire, ne présentent pas le caractère d’un manquement à l’honneur ; qu’ils bénéficient en conséquence de l’amnistie prévue à l’article 11 de la loi du 6 août 2002 portant amnistie ;

Par ces motifs,

Rejette les demandes sur incidents ;

Constate que les faits reprochés à M. X sont amnistiés.