Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
12/07/2000
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des collègues, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des tiers, Manquement au devoir de probité (devoir de ne pas abuser de ses fonctions)
Décision
Retrait des fonctions de vice-président chargé d'un tribunal d'instance
Déplacement d'office
Mots-clés
Chef de juridiction
Tutelles
Emancipation
Mineur
Intervention
Faux (allégations)
Négligence
Expertise psychiatrique
Délicatesse
Collègue
Tiers
Probité
Abus des fonctions
Retrait des fonctions
Déplacement d'office
Vice-président chargé d'un tribunal d'instance
Fonction
Vice-président chargé d'un tribunal d'instance
Résumé
Obtention par le juge directeur d’un tribunal d’instance d’une décision du juge des tutelles de ce tribunal prononçant l’émancipation de son fils sur la base de fausses allégations qu’il n’avait pas sérieusement vérifiées. Participation par un magistrat à une importante opération immobilière dont la réalisation ne reposait que sur le versement à son fils âgé de seize ans de fonds obtenus dans des circonstances invraisemblables et non vérifiées
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme conseil de discipline des magistrats du siège, sous la présidence de M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation ;

Les débats s’étant déroulés le 29 juin 2000, en chambre du conseil, conformément au souhait de Mme X, spécialement informée qu’elle pouvait demander la publicité de la séance conformément aux dispositions de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance nº 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique nº 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret nº 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice, du 20 mars 1998, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de Mme X, vice-présidente au tribunal de grande instance de V, chargée du service du tribunal d’instance de W, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu la décision du 22 janvier 1998 par laquelle le Conseil a interdit temporairement Mme X de l’exercice de ses fonctions ;

Sur le rapport établi par M. Michel Lernout, dont Mme X a reçu copie, et de la lecture duquel le rapporteur a été dispensé ;

Après avoir entendu M. Bernard de Gouttes, directeur des services judiciaires du ministère de la justice, et Mme X, qui a eu la parole en dernier, en ses explications et moyens de défense ;

Attendu, selon l’acte de saisine, en premier lieu, que Mme X a sollicité et obtenu, le 6 janvier 1997, de sa collègue juge des tutelles au tribunal d’instance de W, l’émancipation de son fils Y, sur l’indication fausse que le mineur exerçait la profession de pilote de ligne et qu’il gérait seul un haras, en second lieu, qu’elle a constitué avec celui-ci, le 17 février 1997, une société civile immobilière dont le capital d’un montant de 100 000 francs a été libéré au moyen d’un chèque faussement certifié et sans provision, émis par le mineur, pour l’acquisition, par la SCI, d’un immeuble d’un prix de six millions de francs qui devait être payé au moyen de fonds provenant d’un don hypothétique fait à son fils par un ami étranger, dont elle ne s’est pas assurée de la réalité et qui s’est révélé imaginaire ; que l’information pénale ouverte, pour ces derniers faits, du chef d’escroquerie, contre Mme X, a été clôturée par un non-lieu devenu définitif ;

Attendu qu’admettant avoir été négligente, Mme X expose qu’elle a été abusée par son fils, dont les mensonges, assortis de manœuvres et de la production de faux documents, l’ont convaincue qu’en dépit de son jeune âge, il exerçait la profession de pilote de ligne, qu’il administrait un haras et qu’il avait obtenu d’une personne âgée, rencontrée lors d’un voyage aux États-Unis, la promesse d’un don de dix millions de francs ; que sa crédulité et le manque de vigilance dont elle a fait preuve sont expliqués par les conclusions de l’expertise psychiatrique à laquelle elle s’est soumise et qui admet la possibilité d’une altération partielle de discernement résultant de sa propre personnalité et de celle de son fils unique dont, depuis le plus jeune âge, elle a assuré seule la charge et l’éducation ;

Attendu qu’en obtenant d’un magistrat en fonction dans la juridiction soumise à sa propre administration et pour de faux motifs, l’émancipation de son fils, puis, en s’engageant dans une opération immobilière importante dont la réalisation ne reposait que sur le versement à ce dernier, alors âgé de seize ans, de fonds obtenus dans des circonstances invraisemblables et non vérifiées, Mme X a manqué à la délicatesse ;

Qu’en conséquence, il y a lieu de prononcer à son encontre la sanction disciplinaire de déplacement d’office assortie du retrait des fonctions de vice-président chargé d’un tribunal d’instance ;

Par ces motifs,

Prononce à l’encontre de Mme X son déplacement d’office assorti du retrait des fonctions de vice-président chargé d’un tribunal d’instance prévue par les articles 45, 2º et 3º, et 46, alinéa 2, de l’ordonnance du 22 décembre 1958.