Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
17/09/1992
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge)
Décision
Admission à cesser ses fonctions
Mots-clés
Condamnation pénale
Emprisonnement (sursis)
Amende
Abus de biens sociaux
Complicité
Détournement de fonds
Chèque
Faux
Société
Vie privée (proches)
Amnistie
Disponibilité
Probité
Dignité
Admission à cesser ses fonctions
Juge (premier)
Fonction
Premier juge au tribunal de grande instance
Résumé
Condamnation pénale pour complicité d’abus de biens sociaux d’un magistrat qui a mis son compte bancaire à la disposition de son conjoint commerçant pour les besoins de son activité professionnelle et qui a remis à ce dernier, soumis à une interdiction d’émettre des chèques, des formules de chèques en blanc
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, et siégeant à la Cour de cassation, sous la présidence de M. Pierre Drai, premier président de la Cour de cassation ;

Vu les articles 43 à 58 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiés par les lois organiques n° 67-130 du 20 février 1967, n° 70-642 du 17 juillet 1970 et n° 79-43 du 18 janvier 1979 ;

Vu les articles 13 et 14 de l’ordonnance n° 58-1271 du 22 décembre 1958 portant loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 9 à 13 du décret n° 59-305 du 19 février 1959 relatif au fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice, du 31 mars 1992, dénonçant au Conseil les faits motivant une poursuite disciplinaire contre M. X, premier juge au tribunal de grande instance de V, placé en position de disponibilité, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Sur le rapport de M. Vernette, désigné par ordonnance du 10 avril 1992 ;

Après avoir entendu M. le directeur des services judiciaires ;

Après avoir entendu M. X qui a eu la parole le dernier ;

Il résulte de l’instruction de la poursuite disciplinaire et il n’est pas contesté que, pour éluder une mesure d’interdiction d’émettre des chèques qui la frappait, Mme Y, d’abord compagne, puis épouse de M. X, utilisait, pour l’exploitation de son commerce de vêtements sis à W, les comptes bancaires de tiers et notamment de M. X, juge en fonctions dans la même ville ;

Dès le mois de janvier 1985, ce dernier mettait à la disposition de Mme Y, pour les besoins de la SARL Doma dont elle était la gérante de fait, son compte au Crédit agricole du Midi ;

Outre le salaire de M. X, ce compte était approvisionné à l’aide des chèques émis par les clients de la SARL Doma ;

Il était débité des règlements aux fournisseurs et des charges de la société au moyen de formules de chèques signées en blanc par M. X ;

Ce dernier, en février 1986, se faisait ouvrir un second compte à l’Agence W de la Banque populaire du Midi qu’il mettait à la disposition de son épouse et qui, fonctionnant dans les mêmes conditions que le compte Crédit agricole, devait servir aux besoins exclusifs du commerce ;

Jusqu’au mois de juillet 1986, les deux comptes étaient uti1isés, conjointement, d’une manière continue pour les besoins de la société Doma ; le montant total des recettes dont ils étaient crédités était arrêté à la somme de 392 202 francs ;

La confusion entre les revenus du titulaire des comptes et ceux de la société Doma a été totale : M. X ne tenait aucune comptabilité personnelle ; il n’a pu notamment indiquer de quelle manière il avait remboursé plusieurs prêts d’un montant de 175 000 francs contractés à titre personnel – mais qui auraient été affectés aux besoins de la société Doma – ni produire les talons des chèques utilisés ; la comptabilité de la société Doma elle-même était purement fictive ;

A la suite d’une information ouverte le 15 juin 1987, il a été établi que, dans l’exercice de son commerce, Mme Y, épouse X, avait commis les délits d’abus de biens sociaux, banqueroute, émission de chèques sans provision, omission de procéder à la réunion des associés et que M. X s’était rendu sciemment complice d’abus de biens sociaux ;

Pour cette infraction, celui-ci a été condamné, par arrêt définitif de la cour d’appel de U du 6 novembre 1991, à la peine de huit mois d’emprisonnement avec sursis et 30 000 francs d’amende ;

Sur quoi,

Attendu que, si aux termes de l’article 14 de la loi n° 88-828 du 20 juillet 1988, sont amnistiés les faits commis avant le 22 mai 1988 en tant qu’ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles, sont exclus du bénéfice de l’amnistie les faits constituant des manquements à la probité, aux bonnes mœurs ou à l’honneur ;

Attendu que, par les agissements qui lui sont reprochés, et qui sont établis et reconnus, M. X a personnellement et sciemment participé aux détournements des fonds sociaux commis par Mme Y dans la gestion de fait de la SARL Doma en lui fournissant les formules de chèques en blanc nécessaires au fonctionnement de cette société ;

Que le détournement de biens sociaux peut être tenu pour équivalant à un abus de confiance ;

Que, par ailleurs, par la fourniture des formules pré-signées, M. X a paralysé l’exécution de la condamnation pénale d’interdiction d’émettre des chèques prononcée contre Mme Y ;

Qu’il a ainsi directement contribué à l’aggravation du passif social et du préjudice subi par les créanciers, victimes de l’exploitation irrégulière d’une société qui a été mise en liquidation de biens, avec un passif de 1 500 000 francs pour un actif réalisé de 330 000 francs ;

Attendu que les faits imputés à M. X, même si, comme il l’affirme, il n’en a tiré aucun profit personnel sont, par nature, des manquements à la probité ; qu’ils ne sauraient, dès lors, être couverts par la loi du 20 juillet 1988 ;

Attendu que suivant l’article 43, alinéa 1er, de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, « tout manquement, par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité constitue une faute disciplinaire » ;

Que, dès lors, les faits dénoncés au Conseil supérieur de la magistrature sont de nature à justifier une sanction disciplinaire ;

Attendu que le magistrat, placé en disponibilité, reste soumis aux charges et obligations de son statut ;

Par ces motifs,

Faisant application des dispositions de l’article 45, 6°, de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée,

Prononce, à l’encontre de M. X, la sanction de l’admission à cesser ses fonctions.