Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
17/12/1974
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de fidélité au serment prêté (respect du secret de l’instruction)
Décision
Retrait des fonctions de juge d'instruction
Mots-clés
Presse
Instruction
Secret de l'instruction
Retrait des fonctions
Juge d'instruction
Fonction
juge d'instruction
Résumé
Permission donnée à un journaliste d’assister à la réalisation d’actes d’instruction ayant donné lieu à la parution d’un article révélant des éléments permettant l’identification des parties en cause

Le Conseil supérieur de la magistrature réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, sous la présidence du premier président de la Cour de cassation, et siégeant à huis clos ;

Vu les articles 43 à 58 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature complétée et modifiée par les lois organiques n° 67-130 du 20 février 1967 et n° 70-642 du 17 juillet 1970 ;

Vu les articles 9 à 13 du décret n° 59-305 du 19 février 1959 relatif au fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche de M. le garde des sceaux du 7 novembre 1974, dénonçant au Conseil les faits motivant une poursuite disciplinaire contre M. X, juge d’instruction au tribunal de grande instance de V ;

Ouï M. le directeur des services judiciaires qui s’est retiré après les débats ;

Et sur le rapport de M. Thirion, conseiller à la Cour de cassation ;

Ouï M. X en ses explications, ainsi que Me Lyon-Caen, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation et M. Y, substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, qui l’assistaient ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction et des débats que M. X a reçu les 24 et 25 septembre 1974 à son cabinet d’instruction une journaliste, Mme Z, sur la demande qu’elle lui avait présentée quelques jours auparavant en vue d’un article qu’elle se proposait de publier dans l’hebdomadaire « Le nouvel observateur » ; que pour fournir à cette journaliste la documentation nécessaire, M. X a accepté qu’elle assiste à un certain nombre d’interrogatoires de première comparution et lui a permis de prendre connaissance des procès-verbaux d’enquêtes préliminaires relatifs à ces affaires ; qu’il l’a également renseignée sur une autre procédure ouverte à son cabinet sur constitution de partie civile ;

Considérant que des indications données par le magistrat et des observations qu’elle avait pu faire au cours des actes d’instruction auxquels elle a assisté, la journaliste a tiré la matière d’un article paru dans l’hebdomadaire précité à la date du 14 octobre 1974 pages 64 à 67 sous le titre : « Notre époque... Trois jours avec le W », avec en sous-titre : « Pour la première fois en France un juge d’instruction ouvre les portes de son cabinet à un journaliste. M. X, 35 ans, a résolu de prendre des risques. Voici donc trois jours de la vie d’un homme dont Napoléon disait que c’était l’homme qui en France détenait le plus de pouvoir » ; que la page de couverture de l’hebdomadaire portait au gros titre « Pour la première fois en France : les secrets d’un juge d’instruction » avec, en médaillon, la photographie de M. X au-dessus d’un cortège de magistrats en robe ;

Considérant que si la présentation de l’article a pu être aménagée par la rédaction et par les services publicitaires pour « axer sur lui leur publicité de la semaine », selon les propres termes de la journaliste, et que si Mme Z a tenu l’engagement qu’elle avait pris envers M. X de faire en sorte que les personnes impliquées dans les affaires à l’instruction desquelles elle avait assisté ne pussent être identifiées, il reste cependant que la relation qu’elle a faite d’une affaire dont les éléments lui avaient été communiqués par M. X et où les parties étaient nommément désignées a conduit certaines d’entre elles à demander que ce magistrat soit dessaisi du dossier ;

Considérant qu’en donnant ainsi à un journaliste accès à son cabinet pendant qu’il procédait à des actes d’instruction et en lui permettant de prendre connaissance de dossiers d’information sachant l’utilisation qui en serait faite, M. X, quelles que soient les explications qu’il a entendu fournir quant aux mobiles qui l’ont déterminé, a manqué aux devoirs de son état ;

Par ces motifs,

Prononce contre M. X la sanction disciplinaire prévue par l’article 45, 3°, de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature (retrait des fonctions de l’instruction).