Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
18/11/2010
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de légalité (obligation de diligence), Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions)
Décision
Déplacement d'office
Interdiction d'exercer des fonctions à juge unique pendant cinq ans
Mots-clés
Délai raisonnable
Déplacement d'office
Détention provisoire
Diligence
Inaction
Instruction (conduite)
Instruction (rigueur)
Interdiction d'exercer des fonctions à juge unique
Juge d'instruction
Négligence
Retard
Fonction
juge d'instruction
Résumé
Retard croissant dans le traitement des procédures d’information ; défaut d’information, à intervalles réguliers, à des mis en examen détenus du cabinet, sur l’évolution de l’instruction les concernant et des perspectives de règlement

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées contre M. X, juge d'instruction au tribunal de grande instance de xxxx, sous la présidence de M. Vincent Lamanda, Premier président de la cour de cassation, en présence de :
- M. Jean-Claude Becane, secrétaire général honoraire du Sénat,
- M. Dominique Latournerie, conseiller d'Etat honoraire,
- M. Jean-François Weber, président de chambre honoraire à la Cour de cassation,
- M. Hervé Grange, Premier président de la cour d'appel de Pau,
- M. Michel Le Pogam, président du tribunal de grande instance des Sables-d'Olonne,
- Mme Gracieuse Lacoste, conseillère à la cour d'appel de Pau,
- M. Xavier Chavigné, substitut du procureur général près la cour d'appel de Bordeaux,

assistés de Mme Sylvie Ménotti, secrétaire général de la première présidence de la Cour de cassation, assurant le secrétariat du conseil de discipline.

Etaient d'autre part présents :
- M. Xavier Tarabeux, adjoint à la directrice des services judiciaires, assisté de Mme Sandrine Bourdin, magistrate à l'administration centrale du ministère de la justice et des libertés,
- M. X, assisté de M. A, avocat au barreau de xxxx.

Vu les articles 43 à 58 modifiés de l'ordonnance n? 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n? 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n? 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n? 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche du garde des Sceaux, ministre d'Etat, ministre de la justice et des libertés, en date du 23 juin 2010, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l'encontre de M. X , juge d'instruction au tribunal de grande instance de xxxx, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu l'ordonnance du 24 juin 2010, désignant M. Jean-François Weber en qualité de rapporteur ;

Vu le rapport de M. Weber en date du 5 octobre 2010, dont M. X et son avocat ont reçu copie ;

Vu le rappel, par M. le Premier président, des termes de l'article 57 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels “l'audience est publique, mais que, si la protection de l'ordre public ou de la vie privée l'exigent, ou s'il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l'accès de la salle d'audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l'audience, au besoin d'office, par le Conseil de discipline” et l'absence de demande spécifique formulée en ce sens conduisant à tenir l'audience publiquement ;

Vu la lecture de son rapport par M. Weber, les observations de M. Xavier Tarabeux, adjoint à la directrice des services judiciaires, assisté par Mme Sandrine Bourdin, magistrate à l'administration centrale, qui a demandé la sanction du retrait des fonctions de juge d'instruction, assortie d'un déplacement d'office, les explications et moyens de défense de M. X, la plaidoirie de M. A, avocat au barreau de xxxx, M. X ayant eu la parole en dernier ;

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Attendu que l'acte de saisine retient “qu'en accumulant un retard croissant dans le traitement des procédures d'information dont il a la charge en qualité de juge d'instruction, au mépris des justiciables et du bon fonctionnement de l'institution judiciaire, M. X a manqué à ses devoirs de magistrat, en particulier aux devoirs de rigueur et de diligence, et au sens des responsabilités” ;

Attendu que, lors de son installation comme juge d'instruction au tribunal de grande instance de xxxx , le 21 mars 2005, M. X, ancien fonctionnaire de police ayant réussi le concours complémentaire d'accès à la magistrature de 2004, a repris un cabinet qui était parfaitement tenu, même si le magistrat placé, qui avait assuré l'intérim des fonctions de juge d'instruction pendant quelques mois, s'était contenté de gérer les affaires urgentes ; que, dès sa première évaluation professionnelle pour les années 2005 et 2006, la présidente du tribunal de xxxx relève que ce magistrat devrait s'impliquer davantage dans la gestion de son cabinet et avoir une conception plus dynamique de ses fonctions ; que l'aggravation importante, en 2007 et 2008, de dysfonctionnements portés à la connaissance du premier président, a conduit ce dernier à enjoindre à la présidente de la chambre de l'instruction de procéder à une inspection du cabinet de M. X, puis à solliciter, le 28 septembre 2009, une intervention de l'inspection générale des services judiciaires ; que, dans l'évaluation professionnelle portant sur les années 2007-2008, le premier président conclut à l'inaptitude de M. X aux fonctions de juge d'instruction et s'interroge même sur l'aptitude de ce magistrat à exercer d'autres fonctions judiciaires ;

Attendu qu'il résulte des constatations des inspecteurs que, sur 291 procédures instruites par M. X depuis sa prise de fonction, 175 (soit 60%) d'entre elles ont connu une période d'inaction égale ou supérieure à six mois, dont 51 à plusieurs reprises ; que 23% de ces affaires ont connu des périodes sans actes supérieures à un an ; qu'en quatre ans, le stock des dossiers de plus de deux ans est passé de 25 à 74% et ceux de plus de trois ans, de 8 à 48% ; que, sur les 116 détentions qu'il a eu à gérer, 29 mis en examen détenus n'ont pas été entendus pendant une durée supérieure à quatre mois ;

Attendu que M. X ne conteste pas la réalité de ces chiffres, mais invoque la conjonction d'un certain nombre de facteurs défavorables, qui auraient tous contribué à l'insuffisante maîtrise de la situation de son cabinet dénoncée par le garde des sceaux ; qu'il explique, notamment, qu'il n'a pas été informé des critiques de faible implication, de manque de curiosité et de carences procédurales qui avaient été émises par les magistrats instructeurs parisiens, chez lesquels il avait été en stage lors de son intégration ; qu'à xxxx, il participe à de nombreuses tâches annexes (présidence d'audiences correctionnelles à juge unique, de septembre 2005 à 2009, à raison de trois audiences par mois ; participation à deux sessions d'assises d'une semaine par an) ; que l'effectif des magistrats du tribunal a été souvent incomplet, entraînant l'obligation de procéder à des remplacements ; que les greffiers affectés à son cabinet n'ont pas toujours montré les mêmes qualités professionnelles ;

Attendu que M. X revendique n'avoir jamais effectué d'actes inutiles, ce qui expliquerait qu'il n'ait pas toujours extrait les détenus, tous les quatre mois, lorsqu'il n'avait rien de particulier à leur demander et s'ils n'avaient pas, eux-mêmes, sollicité cette audition ; qu'il considère que son souci constant d'une exigence de perfection, a pu, de l'extérieur, être perçu comme une forme de lenteur, voire de passivité, et qu'il a eu à gérer des dossiers lourds de stupéfiants, ainsi qu'un dossier criminel médiatisé ;

Mais attendu que les explications fournies par ce magistrat ne peuvent justifier l'importance et l'aggravation des anomalies constatées sur une longue période ; que, même si des défaillances dans le contrôle de l'activité de ce cabinet par la présidente de la chambre de l'instruction de xxxx, ont été relevées par l'inspection générale, elles ne peuvent exonérer M. X de sa propre responsabilité, en ce qu'il n'a pas tenu compte des recommandations et mises en garde qui lui étaient néanmoins prodiguées et n'a pris aucune mesure pour redresser la situation du cabinet, dont il avait la charge et dont il devait avoir clairement conscience, à partir des notices semestrielles qu'il établissait ; qu'en laissant s'allonger inconsidérément la durée des informations qui lui étaient confiées et en ne remettant pas en cause son mode de fonctionnement aboutissant à une augmentation considérable du stock des dossiers en cours, alors même que le nombre de ses saisines diminuait fortement, M. X a manqué à ses devoirs de rigueur et de diligence de juge d'instruction, qui imposent de traiter, sans délai, l'ensemble des procédures qui lui sont confiées ;

Attendu que, si l'article 148-4 du code de procédure pénale n'impose pas au magistrat instructeur d'entendre, d'initiative, les mis en examen détenus tous les quatre mois si ceux-ci ne le sollicitent pas, le magistrat instructeur doit néanmoins veiller à ce qu'ils soient tenus au courant de l'évolution de l'information les concernant et des perspectives de règlement ; qu'en l'espèce, ce magistrat instructeur a, pendant quatre années, consciemment laissé 25% des mis en examen détenus dans l'ignorance de l'évolution des procédures qui les concernaient, ce qui ne saurait être justifié par les explications qu'il a fournies ; que ces négligences, s'agissant de personnes détenues, aggravent le manque de rigueur précédemment retenu ;

Attendu que cette insuffisance professionnelle et ces manquements caractérisés constituent des fautes disciplinaires qui doivent être sanctionnées par l'interdiction d'être nommé ou désigné dans des fonctions de juge unique pendant une durée de cinq ans, assortie d'un déplacement d'office ;

Par ces motifs

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos,

Statuant, en audience publique, le 10 novembre 2010 pour les débats et le 18 novembre suivant, date à laquelle la décision a été rendue par mise à disposition au secrétariat de la Première présidence de la Cour de cassation,

Prononce, à l'encontre de M. X, la sanction de l'interdiction d'être nommé ou désigné dans des fonctions de juge unique pendant une durée de cinq ans, assortie du déplacement d'office, prévue par les articles 45-2?, 45-3 bis et 46 alinéa 2 de l'ordonnance susvisée du 22 décembre 1958.