Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
01/07/2010
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Révocation sans suspension des droits à pension
Mots-clés
Alcool
Arrêt maladie
Détention provisoire
Dignité
Honneur
Image de la justice
Institution judiciaire (confiance)
Interdiction temporaire de l'exercice des fonctions
Mise en examen
Poursuites disciplinaires (communication des pièces)
Poursuites disciplinaires (constitution défense)
Poursuites disciplinaires (renvoi)
Probité
Vie privée (proches)
Violences
Fonction
Juge au tribunal de grande instance
Résumé
Mise en examen et placement en détention provisoire d’un magistrat pour violences conjugales – Relations conflictuelle notoires avec son épouse du fait d’une alcoolisation excessive

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le garde des Sceaux, ministre d’Etat, ministre de la justice et des libertés, contre M. X, juge au tribunal de grande instance de xxxx, ayant fait l’objet d’une interdiction temporaire d’exercice du 30 décembre 2009 ;

Sous la présidence de M. Vincent Lamanda, Premier président de la cour de cassation,(…)

Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche du garde des Sceaux, ministre d’Etat, ministre de la justice et des libertés, en date du 19 octobre 2009, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu l’ordonnance du 22 octobre 2009, désignant M. Grange en qualité de rapporteur ;

Vu le rapport de M. Grange, du 28 avril 2010, dont M. X a reçu copie le 11 mai 2010 ;

Vu le rappel, par M. le Premier président, des termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels “l’audience est publique, mais que, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le Conseil de discipline” et l’absence de demande spécifique formulée en ce sens par M. X , conduisant à tenir l’audience publiquement ;

Vu la lecture de son rapport par M. Hervé Grange, les observations de M. Pascal Prache, sous-directeur des ressources humaines de la magistrature, assisté par Mme Florence Croize, magistrate à l’administration centrale, qui a demandé le prononcé d’une mesure de révocation sans suspension des droits à pension, les explications et moyens de défense de M. X , ainsi que la plaidoirie de M. A, juge d’instruction au tribunal de grande instance de xxxx , représentant d’un syndicat, M. X ayant eu la parole en dernier ;

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I - Sur la procédure :

Attendu qu’à l’audience, M. A, conseil de M. X , a sollicité le renvoi de l’affaire, au motif qu’il n’a eu accès au dossier que tardivement, le 7 juin dernier, soit deux jours avant l’audience ;

Mais attendu qu’il résulte des pièces de la procédure que M. A ne s’est constitué pour défendre les intérêts de M. X , que par télécopie adressée le 3 juin 2010, alors même que M. X avait reçu notification du rapport de M. Grange et des pièces de la procédure dès le 11 mai 2010, puis de la date d’audience le 17 mai 2010 ; qu’invité, à plusieurs reprises au cours de la procédure, à fournir le nom de son conseil, M. X a indiqué, lors de cette notification de la date d’audience, qu’il assurerait seul sa défense ;

Attendu qu’il ne peut donc valablement invoquer aujourd’hui la communication tardive des pièces à son conseil qu’il lui appartenait de saisir plus tôt ; que sa demande de renvoi sera rejetée ;

II - Sur les griefs disciplinaires :

Attendu que, le 19 octobre 2009, conformément aux dispositions de l’article 50-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, le garde des Sceaux a dénoncé au Conseil supérieur de la magistrature des faits motivant des poursuites disciplinaires contre M. X  ;

Qu’au vu des éléments déjà recueillis au moment de la saisine il retient :
- que M. X a commis des violences conjugales répétées, non contestées, dont la gravité a justifié l’ouverture d’une information judiciaire sous une qualification criminelle et son placement en détention provisoire et qu’il entretient, en outre, des relations notoirement conflictuelles avec son épouse, dans un contexte d’alcoolisation excessive ;
- que même si ces faits relèvent de la vie privée, ils apparaissent, par leur nature, leur gravité et leur répétition, incompatibles avec l’exigence de dignité qui s’impose, en toutes circonstances, à un magistrat, et sont de nature à jeter le discrédit sur sa personne et à porter atteinte à l’image de l’institution judiciaire à laquelle il appartient, à son autorité et au respect qu’elle doit inspirer aux justiciables ;

Attendu que, selon les déclarations de Mme B, seconde épouse de M. X, celui-ci l’a violemment agressée physiquement, au cours de la nuit du 26 au 27 juin 2009, dans l’appartement du couple à xxxx, à la suite d’une dispute conjugale dont l’origine, pouvant être liée à un sentiment de jalousie et à un état chronique de dépendance à l’alcool du mari, n’a pas été clairement expliquée par la victime ; que M. X a projeté son épouse au sol, en tentant de l’étrangler, tout en lui disant : “Tu ne partiras pas, il faut que je te tue“ ; que peu de temps après, alors qu’elle essayait de s’enfuir, M. X s’est précipité vers elle et lui a porté des coups, avec un couteau de cuisine (comportant une lame de 10 cm selon le compte rendu du Docteur C du 29 juin 2009), d’abord sur les mains, qu’elle avait mises en avant pour se protéger, puis à l’estomac, et enfin au sein gauche ; que Mme B, toujours selon ses déclarations, a retiré le couteau qui était planté dans son sein gauche et l’a jeté le plus loin possible; que M. X a repris le couteau et l’a menacée à nouveau, en lui disant :  “Il faut que je te crève, je vais te finir” ; qu’elle est alors parvenue à ouvrir la porte de l’appartement et à s’enfuir sur le palier, où se trouvaient des voisins ; que Mme B affirme que seul M. X est l’auteur de violences physiques, elle-même ayant seulement essayé de se défendre ;

Attendu que M. X soutient, au contraire, que son épouse l’avait harcelé pendant la nuit, à partir de 23 heures, moralement en formulant à son encontre des reproches pour des achats inconsidérés, mais aussi, physiquement en le frappant, à plusieurs reprises, sur différentes parties du corps ; qu’à la suite d’un échange de coups réciproques, il avait pris un “couteau à viande”, dans le seul but de faire peur à son épouse, sans avoir aucunement l’intention de la blesser, pour mettre fin à l’altercation qu’il ne supportait plus ; que Mme B s’est précipitée sur lui et l’a saisi par les poignets ; qu’il a tenté de se dégager en se dirigeant vers l’entrée de l’appartement ; qu’ayant réalisé, à un certain moment, que le couteau avait pénétré dans le corps, sans pouvoir préciser à quel endroit, il l’a immédiatement retiré; qu’il n’a pas ramassé le couteau avant que Mme B ne parvienne à sortir de l’appartement et qu’à aucun moment, il n’a volontairement porté un coup de couteau ; qu’il a le souvenir d’une seule blessure occasionnée par le couteau, alors qu’il tentait seulement de se dégager de l’agression de son épouse ; qu’il n’a pas tenté d’étrangler son épouse et ne lui a pas tapé la tête contre les murs ; qu’il a peut-être proféré des menaces de mort, mais n’en a pas gardé de souvenirs précis ; qu’il n’a jamais été dans un état de dépendance alcoolique et que le lendemain matin des faits, à 6 heures, le contrôle d’alcoolémie s’est révélé totalement négatif ;

Attendu que, même à supposer que M. X ait reçu des coups lors de cette altercation, il est constant qu’une voisine a appelé la police parce qu’elle avait entendu Mme B crier au secours et que les coups et blessures reçus par Mme B, ayant entraîné une incapacité totale de travail de 10 jours, ont été clairement constatés par un document médical du Docteur C du 29 juin 2009, relevant notamment de nombreuses ecchymoses sur différentes parties du corps, une douleur à la déglutition, suite à des tentatives de strangulation, une plaie épigastrique et une plaie au sein gauche, compatibles avec une “production” par arme piquante et tranchante, une plaie du pouce gauche compatible avec une lésion de défense ;

Attendu que ces faits, commis dans la nuit du 26 au 27 juin 2009, ayant donné lieu à l’ouverture d’une information judiciaire sous une qualification criminelle actuellement en cours et au placement en détention provisoire de M. X , alors en congé longue durée, ont été précédés d’autres violences exercées peu de temps auparavant par M. X sur Mme B ; qu’ainsi, dans la nuit du 20 au 21 juin 2009, au domicile conjugal, M. X , selon les déclarations de son épouse, l’avait déjà agressée verbalement, puis physiquement ; que notamment, il l’avait projetée au sol, puis avait essayé de l’étrangler ; qu’à cet égard, M. X admet seulement l’existence de violences réciproques, s’expliquant par le harcèlement moral exercé par son épouse ;

Attendu, cependant, que plusieurs coups et blessures reçus par Mme B ont été constatés par trois certificats médicaux du 23 juin 2009, faisant état de multiples hématomes, notamment sur le visage, et une fracture des os propres du nez, justifiant une incapacité totale de travail de 10 jours ; que la voisine des époux X confirme que, dans la nuit du 20 au 21 juin 2009, les disputes entre les époux X avaient repris ; que le mardi soir 23 Juin 2009, vers 18 heures, elle avait trouvé, devant la porte de l’immeuble, Mme B, couverte de bleus au visage et sur un bras ; que cette dernière lui avait déclaré qu’elle avait été frappée par son mari, qui l’avait déjà battue à plusieurs reprises ;

Attendu que d’autres violences, s’inscrivant au moins pour partie dans un contexte d’alcoolisation excessive de M. X , avaient déjà été exercées par ce dernier à l’encontre de sa première épouse, Mme D ; que celle-ci avait porté plainte, à deux reprises, pour des violences exercées par son mari, les 21 décembre 2002 et 26 janvier 2003, dans la maison du couple située alors à xxxx; que, M. X , selon ses dires, aurait seulement un peu bousculé son épouse, la seule sanction ayant d’ailleurs consisté en un rappel à la loi prononcé, le 12 novembre 2003, par le procureur de la République de xxxx ;

Attendu, toutefois, que la réalité des violences physiques exercées par M. X à l’encontre de Mme D a été attestée par leur fille, et, dans une moindre mesure, par leur fils E ; que la fille de M. X a confirmé, en outre, les termes d’une lettre qu’elle avait envoyée à son père en mai 2003, selon lesquels il devenait agressif parce qu’il consommait trop d’alcool ; qu’à cet égard, M. X conteste avoir jamais souffert d’une quelconque dépendance à l’alcool, alors que plusieurs témoins, dans les sphères familiale et professionnelle, affirment le contraire ; qu’ainsi M. X s’est trouvé, à plusieurs reprises, dans le courant de l’année 2003, en état d’ébriété, lorsqu’il présidait des audiences correctionnelles à juge unique, ce qui avait conduit le président du tribunal à le décharger de ce service ;

Attendu qu’il apparaît, au vu de l’ensemble de ces éléments, que les manquements reprochés à M. X , bien que partiellement contestés, sont établis ; que, même s’ils relèvent, pour partie, de la vie privée de l’intéressé, ils sont, par leur nature, leur gravité et leur répétition, contraires à l’honneur et incompatibles avec l’exigence de dignité qui s’impose en toutes circonstances à un magistrat, et sont de nature à jeter le discrédit sur sa personne et à porter atteinte à l’image de l’institution judiciaire à laquelle il appartient, à son autorité et au respect qu’elle doit inspirer aux justiciables ;

Attendu que, selon l’expert psychiatre, désigné par le magistrat instructeur, M. X n’était atteint, au moment des faits ayant donné lieu à ouverture d’une procédure criminelle, d’aucun trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré son discernement ou le contrôle de ses actes ;

Que la gravité des fautes disciplinaires commises par M. X justifie que soit prononcée, à son encontre, une mesure de révocation, sans suspension des droits à pension ;

Par ces motifs

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos,

Statuant, en audience publique, le 9 juin 2010 pour les débats et le 1er juillet suivant, date à laquelle la décision a été rendue par mise à la disposition de M. X ,

Prononce à l’encontre de M. X la sanction de révocation sans suspension des droits à pension, prévue à l’article 45-7° de l’ordonnance du 22 décembre 1958.