Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
21/07/2010
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions), Manquements à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer aux justiciables, Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice)
Décision
Interdiction d'exercer des fonctions à juge unique pendant cinq ans
Déplacement d'office
Mots-clés
Délai raisonnable
Délicatesse
Déplacement d'office
Diligence
Etat de magistrat
Honneur
Inaction
Instruction (conduite)
Instruction (rigueur)
Interdiction d'exercer des fonctions à juge unique
Juge d'instruction
Négligence
Probité
Retard
Fonction
Juge au tribunal de grande instance
Résumé
Action en paiement de loyers devant le tribunal d’instance du siège du tribunal de grande instance dans lequel exerce le juge – Absence d’actes de nature à faire progresser l’information judiciaire depuis des mois, voire des années, entraînant l’acquisition, à plusieurs reprises, de la prescription – Retards fréquents, importants et injustifiés dans le prononcé des jugements soumis à sa motivation

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le Premier président de la cour d'appel de xxxx, contre Mme X, juge au tribunal de grande instance de xxxx ,

Sous la présidence de M. Vincent Lamanda, Premier président de la cour de cassation, (…)

Vu les articles 43 à 58 modifiés de l'ordonnance n? 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n? 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n? 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n? 94-199 du 9 mars 1994 modifié, relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche du Premier président de la cour d'appel de xxxx, en date du 26 juin 2008,
dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l'encontre de Mme X, juge au tribunal de grande instance de xxxx, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;
Vu l'ordonnance du 2 septembre 2008, désignant M. Luc Barbier, membre du Conseil supérieur de la magistrature, en qualité de rapporteur ;

Vu le rapport de M. Barbier daté du 3 juin 2010, dont Mme X a reçu copie ;

Vu le rappel, par M. le Premier président, des termes de l'article 57 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels “l'audience est publique, mais que, si la protection de l'ordre public ou de la vie privée l'exigent, ou s'il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l'accès de la salle d'audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l'audience, au besoin d'office, par le Conseil de discipline” et l'absence de demande spécifique formulée en ce sens par Mme A, conduisant à tenir l'audience publiquement ;

Vu la lecture de son rapport par M. Barbier, les observations de M. Pascal Prache, sous-directeur des ressources humaines de la magistrature, assisté par Mme Florence Croize, magistrate à l'administration centrale, qui a demandé le prononcé du déplacement d'office de Mme X, assorti de l'interdiction d'exercer des fonctions à juge unique pendant cinq années, les explications et moyens de défense de Mme X, la plaidoirie de M. Y, avocat au barreau de xxxx, Mme X ayant eu la parole en dernier ;

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Attendu que l'acte de saisine retient, à l'encontre de Mme X, deux griefs :
- une atteinte au crédit de la justice ;
- une négligence récurrente dans le traitement des affaires ;

 

I ? Sur l'atteinte au crédit de la justice

 

Attendu qu'un juge est tenu, en tout, y compris dans les actes de la vie privée, de veiller à ce que les obligations et les devoirs de son état ne soient pas altérés par des comportements de nature à entamer le crédit de la justice ;

Attendu que Mme X, alors juge d'instruction au tribunal de grande instance de xxxx, a fait l'objet d'une action en paiement de loyers devant le tribunal d'instance de cette ville, suivant acte d'huissier en date du 12 avril 2007 ; que cette procédure a été renvoyée devant une juridiction limitrophe, en application de l'article 47 du code de procédure civile ; que, suivant ordonnance de référé en date du 25 janvier 2008, Mme X a été condamnée au paiement de la somme de 22 022.17 euros ; que le propriétaire du bien loué s'est plaint au ministre de la justice de cette défaillance ; qu'il est justifié de l'apurement de la dette en juin 2009,? à la suite d' une mesure d'exécution;

Attendu que ces faits non contestés, contraires à l'honneur et à la délicatesse, ont manifestement porté atteinte au crédit de la justice ;

 

 

 

II ? Sur les négligences récurrentes dans le traitement des affaires

Attendu que les négligences concernent, tant l'exercice professionnel de Mme X dans le poste occupé actuellement, juge au tribunal de grande instance de xxxx , que dans le poste occupé auparavant, juge d'instruction au tribunal de grande instance de xxxx ;

A - Sur les négligences lors de l'exercice professionnel comme juge d'instruction au tribunal de grande instance de xxxx de septembre 2002 à septembre 2007

Attendu que la chambre de l'instruction de la cour d'appel de xxxx a, entre 2004 et 2007, déchargé Mme X de vingt dossiers, du fait de l'absence d'actes de nature à faire progresser l'information judiciaire depuis des mois, voire des années ; que la même juridiction a encore, à plusieurs reprises, constaté l'acquisition de la prescription (arrêts des 17 juin 2005, 30 septembre 2005, 30 juin 2006) ;

Attendu qu'ainsi, Mme X a montré, sans justification acceptable, des carences répétées, malgré les rappels écrits et renouvelés des présidents des chambres d'instruction et de son Premier président de l'époque ;

Attendu que l'intéressée ne conteste ni la réalité de ces faits, ni le caractère anormal de ces délais ; qu'elle explique sa carence par une situation personnelle difficile ;

Attendu que ces négligences caractérisées sont constitutives d'autant de manquements graves aux devoirs et obligations du juge d'instruction ;

B ? Sur les négligences lors de l'exercice professionnel comme juge au tribunal de grande instance de xxxx ?de septembre 2007 à septembre 2009

Attendu que l'acte de saisine a mis en évidence que, depuis son arrivée à xxxx, notamment au cours des années 2007 et 2008, Mme X est à l'origine de retards fréquents, importants et injustifiés dans le prononcé des jugements soumis à sa motivation ; qu'ainsi, au 1er février 2008, soit cinq mois après l'installation de ce magistrat, trente jugements sur intérêts civils étaient en retard, dont treize avec un délibéré prévu en octobre 2007, quinze pour le mois de novembre 2007 et deux pour le mois de décembre 2007?; qu'en ce qui concerne les affaires familiales, cinq dossiers de divorce, plaidés en octobre 2007, ont vu leur délibéré prorogé jusqu'en septembre 2008 ; qu'un avocat s'est inquiété, à plusieurs reprises, auprès du président du tribunal de ces retards, qui mettaient son client sous la menace d'une procédure d'abandon de famille ;

Attendu que début 2009, la situation s'aggravait puisque, si le stock des affaires familiales était redevenu normal, en revanche, celui des dossiers sur intérêts civils s'accroissait, trente réouvertures des débats étant décidées par le magistrat et confiées à des magistrats placés, spécialement délégués à cet effet par le Premier président de la cour d'appel de xxxx ;

Attendu que, courant 2009, le service de Mme X était profondément modifié pour alléger son travail de rédaction, les fonctions de juge unique lui étant retirées ; le magistrat donnait dès lors satisfaction, ainsi qu'il ressort d'un rapport du président du tribunal de grande instance de xxxx en date du 9 avril 2010?;

Attendu que Mme X reconnaît ses retards et admet ne pas avoir tiré profit des observations faites, tant par son chef de cour, que son chef de juridiction, mais indique s'être trouvée, alors, dans une période personnelle difficile qui l'empêchait d'être efficace ;

Attendu que l'accumulation de ces négligences, en dépit des difficultés d'ordre personnel rencontrées par Mme X, caractérise un manquement au devoir de rigueur qui s'impose au juge ; que Mme X ne pouvait ignorer la grave perturbation qu'elle apportait au fonctionnement de la juridiction et à la crédibilité de la justice ;

Attendu que l'ensemble de ces manquements constituent des fautes disciplinaires ; qu'il convient, en conséquence, de prononcer la sanction de l'interdiction d'être nommée ou désignée dans des fonctions de juge unique pendant une durée de 5 années, assortie du déplacement d'office ;

 

 

 

 

Par ces motifs

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos,

Statuant, en audience publique, le 7 juillet 2010 pour les débats et le 21 juillet suivant, date à laquelle la décision a été rendue par mise à la disposition de Mme X,

Prononce à l'encontre de Mme X la sanction de l'interdiction d'être nommée ou désignée dans des fonctions de juge unique pendant une durée de cinq années, prévue par l'article 45-3° bis de l'ordonnance du 22 décembre 1958, assortie du déplacement d'office prévu par les articles 45-2° et 46 du même texte.