11/2025
CONSEIL DE DISCIPLINE DES MAGISTRATS DU SIÈGE |
Décision du 3 juillet 2025
N° de minute : 11/2025
DÉCISION
Sur la question prioritaire de constitutionnalité
Dans la procédure mettant en cause :
Mme X, juge au tribunal judiciaire de XX, précédemment substitute du procureur de la République près le tribunal judiciaire de XXX ;
Le Conseil supérieur de la magistrature,
Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,
Sous la présidence de M. Christophe Soulard, premier président de la Cour de cassation, président du Conseil de discipline des magistrats du siège,
En présence de :
Mme Elisabeth Guigou,
Mme Diane Roman,
M. Didier Paris,
Mme Dominique Lottin,
M. Patrick Wachsmann,
M. Jean-Luc Forget,
M. Christian Vigouroux,
Mme Catherine Farinelli,
M. Julien Simon-Delcros,
M. Jean-Baptiste Haquet,
Mme Clara Grande,
M. Alexis Bouroz,
Membres du Conseil, siégeant,
Assistés de Mme Sarah Salimi, secrétaire générale adjointe du Conseil supérieur de la magistrature, et de Mme Aurélie Vaudry, cheffe du pôle discipline ;
En présence de Mme Sandrine Branche, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature de la direction des services judiciaires, représentant le garde des sceaux, ministre de la justice, assistée de Mme Anaëlle Louat, adjointe à la cheffe de bureau du statut et de la déontologie de cette même direction ;
Vu les articles 61-1 et 65 de la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;
Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;
Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;
Vu l’acte de saisine du garde des sceaux, ministre de la justice, en date du 26 février 2024 reçu le 4 mars 2024, ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;
Vu la décision du 14 mars 2024 désignant Mme Elisabeth Guigou en qualité de rapporteure ;
Vu l’ordre du jour arrêté par le président de formation le 12 mai 2025 et sa communication aux parties ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Mme X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de son conseil ;
Vu la copie de la procédure disciplinaire transmise à Mme X et Maître A, avocat au barreau de XXXX, désigné par l’intéressée pour l’assister ;
Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;
Vu la convocation à l’audience du 12 juin 2025 adressée à Mme X par lettre recommandée au premier président de la cour d’appelde XXXX dont elle a reçu notification par la voie hiérarchique le 15 mai 2025 ;
Vu la convocation adressée par voie dématérialisée le 19 mai 2025 à Me A ;
Vu la comparution de Mme X, assistée de son conseil ;
Vu la question prioritaire de constitutionnalité transmise par voie dématérialisée le 21 mai 2025 par le conseil de Mme X au soutien de ses intérêts ;
Vu les observations de la direction des services judiciaires du 3 juin 2025, communiquées aux parties le même jour ;
Vu le rapport de Mme Guigou du 10 juin 2025 transmis aux parties par voie dématérialisée le même jour ;
Les débats s’étant déroulés en audience publique dans la chambre commerciale de la Cour de cassation, le 12 juin 2025 ;
Après avoir entendu :
- Le conseil de Mme X au soutien de la demande de transmission au Conseil d’Etat de la question prioritaire de constitutionnalité ;
- Mme Guigou, en son rapport ;
- Les observations de Mme X, après notification qui lui a été faite de son droit de garder le silence, de faire des déclarations ou de répondre aux questions, Mme X ayant eu la parole en dernier ;
- Les observations de Mme Branche, tendant à la non-transmission de la question prioritaire de constitutionnalité ;
A rendu la présente
DÉCISION
Aux termes de l’article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, « lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. »
En vertu de l’alinéa 6 de l’article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, « La décision […] n’est susceptible d’aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu’à l’occasion d’un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ».
Mme X sollicite la transmission au Conseil d’Etat de la question prioritaire de constitutionnalité suivante : « L’article 54 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 est-il conforme aux droits de la défense, au droit à un recours effectif et au droit au procès équitable, protégés par l’article 16 de la déclaration de 1789, alors que le magistrat poursuivi, absent devant le Conseil de discipline et dont les motifs d’absence ne sont pas reconnus justifiés n’a pas le droit d’être représenté par un avocat, ce qui conduit le Conseil de discipline à statuer sans que le magistrat poursuivi n’ait pu faire valoir ses moyens de défense? »
Elle soutient que cette disposition législative, qui prive du droit d’être représenté le magistrat absent dont le motif de non-comparution n’est pas jugé légitime, est contraire à l’exercice des droits de la défense, au droit d’accès au juge et aux garanties du procès équitable.
Sur ce,
En application de l’article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, il est procédé à la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :
1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;
3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.
En l’espèce, l’article 54 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, qui dispose que « le magistrat cité est tenu de comparaître en personne. Il peut se faire assister et, en cas de maladie ou d'empêchement reconnus justifiés, se faire représenter par l'un de ses pairs, par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ou par un avocat inscrit au barreau », est applicable au litige en ce qu’il régit les conditions de comparution du magistrat poursuivi devant le conseil de discipline.
Par ailleurs cet article n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
Enfin la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux en ce que l’impossibilité, pour le magistrat poursuivi, de se faire représenter, hors les cas dans lesquels le conseil a reconnu, par une appréciation souveraine, l’existence d’une maladie ou d’un empêchement, pourrait être contraire aux principes fondamentaux du droit processuel résultant notamment de l’article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Les conditions de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité étant remplies, il convient de l’ordonner.
L’audience de jugement de l’affaire au fond sera en conséquence renvoyé à une audience ultérieure en l’absence d’urgence.
PAR CES MOTIFS
Le conseil de discipline,
Siégeant en audience publique le 12 juin 2025, pour les débats, et statuant le 3 juillet 2025, après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de Mme Elisabeth Guigou, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;
ORDONNE la transmission au Conseil d’État de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :
« L’article 54 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 est-il conforme aux droits de la défense, au droit à un recours effectif et au droit au procès équitable, protégés par l’article 16 de la déclaration de 1789, alors que le magistrat poursuivi, absent devant le conseil de discipline et dont les motifs d’absence ne sont pas reconnus comme justifiés, n’a pas le droit d’être représenté par un avocat, ce qui conduit le conseil de discipline à statuer sans que le magistrat poursuivi n’ait pu faire valoir ses moyens de défense ? »
DIT que la présente décision sera adressée au Conseil d’État dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires des parties relatifs aux questions prioritaires de constitutionnalité ;
ORDONNE le renvoi de l’affaire au fond dans l’attente que soit tranchée la question prioritaire de constitutionnalité.
La présente décision sera envoyée par lettre recommandée avec avis de réception et par voie dématérialisée au premier président de la cour d'appel de XXXX pour notification par la voie hiérarchique à Mme X et voie dématérialisée à son conseil.
Une copie sera adressée par voie dématérialisée au garde des sceaux, ministre de la justice.
Une version pseudonymisée sera mise en ligne sur le site internet du Conseil et sera transmise au Conseil Constitutionnel.
La secrétaire générale adjointe Sarah Salimi |
Le Président Christophe Soulard |