S273 9/2025

Date
07/05/2025
Décision
Non-lieu à sanction disciplinaire
Mots-clés
Délicatesse
attention à autrui
Dignité
intégrité
Devoirs de son état
Loyauté
Diligence
Rigueur
attitude autoritaire
Négligence
management directif
management rigide
management vertical
communication insécurisante
communication désordonnée
Statistiques
mises en garde hiérarchique
retards délibéré
Exception de procédure
saisine imprécise
Prescription
non bis in idem
audition de témoins
coordinatrice
souffrance
Retrait des fonctions
encadrement intermédiaire
Fonction
Première vice-présidente
Résumé
Sur les exceptions de procédure soulevées par la magistrate, le Conseil a d’une part rejeté la demande de nullité tenant à une atteinte aux droits de la défense fondée sur une imprécision des griefs de la saisine en indiquant que celle-ci décrivait au contraire avec précision les faits reprochés et que les qualifications disciplinaires retenues en étaient directement tirées et qu’au surplus la magistrate avait pu faire valoir toute observation utile. D’autre part, le Conseil a rejeté la fin de non-recevoir fondée sur l’autorité de chose jugée en indiquant que le retrait des fonctions de coordonnateur de la magistrate ne s’analysait comme une sanction disciplinaire mais n’était qu’une application des prérogatives de la présidente de la juridiction que lui confère le code de l’organisation judiciaire. Sur la demande de prescription, le Conseil l’a accueilli uniquement pour les faits relatifs à la juridiction de XXXX, pour lesquels la hiérarchie et la direction des services judiciaires du ministère de la justice en avaient eu une connaissance effective avant le 6 décembre 2020. S’estimant suffisamment informé, le Conseil a rejeté la demande d’auditions de témoins. Sur les premier et deuxième grief fondé sur le manquement au devoir de délicatesse et d’attention à autrui et le manquement aux devoirs de l’état de coordinatrice au sein de deux juridictions, le Conseil a relevé tant la maladresse que le manque de souplesse de la magistrate dans sa gestion des ressources humaines au sein du tribunal d’instance notamment en adoptant des règles d’organisation strictes voire « rigides » sans toutefois retenir de faute disciplinaire. S’agissant de la seconde juridiction, le Conseil a relevé que s’il est constant, au regard des témoignages, motions et courriers versés aux débats, que les tensions avec Mme X se sont déclarées immédiatement après son arrivée en septembre 2020, de tels éléments ne permettent pas de la tenir pour seule responsable de cet échec relationnel, celle-ci ayant eu la lourde charge de réorganiser des services en difficulté ou fonctionnant en autonomie, sans bénéficier d’un véritable accompagnement et, surtout, d’un soutien de sa hiérarchie. Dans un tel contexte, et quand bien même Mme X ne disposait pas de toutes les qualités requises pour exercer des fonctions d’encadrement intermédiaire, les manquements aux devoirs de délicatesse et de l’état de coordonnatrice lui étant imputés ne sont pas caractérisés. Sur le troisième grief, le Conseil a indiqué que les manquements aux devoirs de délicatesse et de son état de coordinatrice sur lesquels se fondent l’acte de saisine pour le caractériser n’ayant pas été retenus, ce grief ne pouvait davantage l’être à l’encontre de Mme X. Le Conseil n’a retenu aucune faute disciplinaire concernant le quatrième grief, ce dernier étant fondé sur la persistance et la réitération des trois premiers manquements non retenus comme fautifs. Sur le cinquième grief fondé sur les manquements aux devoirs de rigueur, de diligence et de délicatesse envers le greffe, le Conseil a relevé que bien qu’il ressortait de l’enquête administrative des difficultés de gestion par Mme X de la charge de son activité juridictionnelle et en particulier des délais de remises de ses délibérés, les manquements reprochés constitutifs de fautes disciplinaires n’étaient pas suffisamment établis.

CONSEIL DE DISCIPLINE DES MAGISTRATS DU SIÈGE

 

 

 

 

Décision du 7 mai 2025

N° de minute : 9/2025

 

 

DÉCISION

 

 

Dans la procédure mettant en cause :

 

Mme X, conseillère à la cour d'appel de XXX, précédemment première vice-présidente chargée des fonctions de juge des contentieux de la protection au tribunal judiciaire de XX,

 

Le Conseil supérieur de la magistrature,

 

Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,

 

Sous la présidence de M. Pascal Chauvin, président de chambre honoraire à la Cour de cassation, président suppléant du conseil de discipline des magistrats du siège, conformément à l’article 14 de la loi organique n°94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature,

 

En présence de :

Mme Elisabeth Guigou,                       

M.  Patrick Titiun,     

Mme Diane Roman,               

M.  Didier Paris,

Mme Dominique Lottin,

M.  Patrick Wachsmann,

M.  Jean-Luc Forget,

M.  Christian Vigouroux, 

M.  Julien Simon-Delcros,

Mme Clara Grande,

M.  Alexis Bouroz,

Mme Céline Parisot                                               

 

Membres du Conseil, siégeant,

 

Assistés de Mme Sarah Salimi, secrétaire générale adjointe du Conseil supérieur de la magistrature, et de Mme Aurélie Vaudry, cheffe du pôle discipline ;

 

En présence de Mme Sylvie Berbach, sous-directrice des ressources humaines des greffes de la direction des services judiciaires, représentant le garde des sceaux, ministre de la justice, assistée de Mme Anaëlle Louat, adjointe à la cheffe du bureau du statut et de la déontologie de cette même direction ;

 

Vu l’article 65 de la Constitution ;

Vu l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;

Vu la loi organique n°94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

Vu le décret n°94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

Vu l’acte de saisine du garde des sceaux, ministre de la justice, daté du 6 décembre 2023 et reçu le 11 décembre 2023, ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;

Vu la décision du 14 décembre 2023 désignant M. Christian Vigouroux en qualité de rapporteur ;

Vu la décision du 5 décembre 2024 prorogeant d’une durée de six mois le délai pour statuer, le portant ainsi au 11 juin 2025 ;

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Mme X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de ses conseil et défenseures ;

Vu la copie de la procédure disciplinaire transmise à Mme X et Me A, avocate au barreau de XXX, premier avocat désigné par l’intéressée pour l’assister ;

Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;

Vu la convocation à l’audience du 3 avril 2025 adressée à Mme X par lettre recommandée au premier président de la cour d’appel de XXX dont elle a reçu notification par la voie hiérarchique le 17 mars 2025 ;

Vu la convocation adressée par voie dématérialisée le 13 mars 2025 aux conseil et défenseures de Mme X ;

 

Les débats s’étant déroulés en audience publique, dans la salle d’audience de la chambre commerciale de la Cour de cassation, le 3 avril 2025 ;

 

Après avoir entendu :

  • M. Vigouroux, en son rapport ;
  • Les explications et moyens de défense de Mme X, après notification qui lui a été faite de son droit de garder le silence, de faire des déclarations ou de répondre aux questions, ainsi que de ses conseil et défenseure ;
  • Les observations de Mme Berbach, représentant le garde des sceaux, ministre de la justice, tendant au prononcé de la sanction du blâme avec inscription au dossier ;
  • Mme X ayant eu la parole en dernier ;

 

A rendu la présente

 

DÉCISION

 

 

Sur la saisine du conseil de discipline

 

Par acte du 6 décembre 2023, reçu le 11 décembre 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice, a saisi le conseil de discipline de poursuites visant Mme X, conseillère à la cour d'appel de XXX, précédemment première vice-présidente chargée des fonctions de juge des contentieux de la protection au tribunal judiciaire de XX.

 

L’acte de saisine impute à Mme X les manquements suivants :

1-           En adoptant régulièrement depuis son affectation à XXXX une attitude autoritaire, en formulant de façon individuelle ou collective des reproches à l'égard des membres du service, magistrats, fonctionnaires ou juristes assistants dont elle a eu la charge tant aux tribunaux de XXXX et de XXXXX qu'au tribunal de XX, en négligeant l'accueil des personnes nouvellement arrivées dans ces services, magistrats et juristes assistants, en imposant des conditions de travail dégradées par un tabagisme passif à l'une de ses greffières, Mme X a manqué à son devoir de délicatesse et d'attention à autrui ;

2-           En adoptant un comportement fermé et imprévisible, en refusant ostensiblement de laisser leur place aux magistrats référents de chambre ou coordonnateurs de pôle tant au sein des pôles civils de XX qu'au service des tutelles de XXXXX, en s'immisçant dans la gestion du greffe du tribunal d'instance de XX, en imposant un calibrage des audiences et une politique de renvoi sans concertation avec l'ensemble des services du tribunal d'instance de XXXXX et des chambres civiles du tribunal judiciaire de XX, en ne conduisant pas ses politiques de changement avec concertation et transparence, en sollicitant de manière pressante des états des lieux et des chiffres laissant penser à un contrôle des activités de chacun dans chacune de ses fonctions d'encadrement, en s'obstinant dans chacun de ses postes dans un management très pointilleux tout en tardant à valider les plannings et en n'assurant pas de manière régulière des réunions de services, en adoptant un mode de communication insécurisant et désordonné avec les membres de ces services, en donnant des consignes contradictoires, en travaillant à distance de manière excessive et en ne permettant pas une fluidité dans la communication avec ses services successifs, en adoptant une communication électronique envahissante, Mme X a manqué à ses devoirs de délicatesse envers les magistrats, greffiers et fonctionnaires composant les différents services qu'elle a encadrés et aux devoirs de son état de coordinatrice ;

3-           En adoptant de manière très régulière et accrue l'ensemble de ces comportements à l'égard de quelques magistrats (Mme B, M. C et Mme D) et d'une juriste assistante (Mme E), en adoptant de la sorte un comportement confinant au harcèlement à leur égard, Mme X a manqué à ses devoirs de dignité et d'intégrité et aux devoirs de son état ;

4-           En persistant dans ces comportements, malgré de nombreuses mises en garde de chacun de ses supérieurs hiérarchiques mais également en dépit d'un accompagnement régulier tant de ses chefs de cour que de la chancellerie, Mme X a manqué à ses devoirs de loyauté, de dignité et aux devoirs de son état ;

5-           En accumulant les retards dans la transmission de ses délibérés au tribunal d'instance de XXXXX et au tribunal judiciaire de XX, contraignant le greffe à se soumettre à son rythme de travail personnel, en faisant de la prorogation de ses délibérés un mode de fonctionnement de son cabinet, en ne veillant pas à rendre les dossiers de manière à ce qu'ils soient compréhensibles au sein de ces mêmes services et en ne communiquant avec l'ensemble de ses greffiers que via des post-it illisibles, Mme X a manqué à ses devoirs de rigueur et de diligence et au devoir de délicatesse envers le greffe.

 

Sur les exceptions de procédure et fins de non-recevoir

 

Sur l’exception de nullité de l’acte de saisine

 

Dans son mémoire en défense et à l’audience, le conseil de Mme X a invoqué un manquement aux droits de la défense par l’acte de saisine au motif que les griefs, ni datés ni étayés par des circonstances précises, sont dénués de précision.

 

Selon la défense, l’identification exacte des faits reprochés implique de se référer aux rapports des chefs de cour, de la présidente et de la directrice de greffe du tribunal judiciaire de XX et au rapport de l’Inspection, alors que l’acte de saisine a précisément pour objet de circonstancier les griefs imputés à la magistrate poursuivie et les faits sur lesquels ils sont fondés.

 

Toutefois, le conseil de discipline relève que les pages deux à six de la saisine décrivent avec précision les faits reprochés à Mme X et que les qualifications disciplinaires retenues en sont directement tirées.

 

En outre, aussi bien devant l’Inspection que devant le rapporteur du conseil et lors de l’audience, Mme X a pu discuter tant les faits que les circonstances dans lesquelles ils se sont déroulés, de sorte que la demande de nullité doit être rejetée.

 

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

 

Aux termes de l’article 47 de l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée, portant loi organique relative au statut de la magistrature, « le garde des sceaux, ministre de la justice, dans les cas mentionnés à l'article 50-1 [...], et les chefs de cour, dans les cas mentionnés à l'article 50-2 [...], ne peuvent saisir le Conseil supérieur de la magistrature de faits motivant des poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de trois ans à compter du jour où ils ont eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur de ces faits. [...] Passé ce délai et hormis le cas où une autre procédure disciplinaire a été engagée à l'encontre du magistrat avant l'expiration de ce délai, les faits en cause ne peuvent plus être invoqués dans le cadre d'une procédure disciplinaire. »

 

Les griefs imputés à Mme X sont en lien avec les fonctions exercées par celle-ci à XXXX de 2005 à 2010, à XXXXX de 2010 à 2020 et à XX de 2020 à 2023.

 

Mme X invoque la prescription des faits antérieurs au 11 décembre 2020, visés dans la saisine du 6 décembre 2023 et reçue le 11 décembre 2023.

 

En ce qui concerne les griefs se rattachant aux fonctions exercées au tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire) de XXXX, il ressort de l’entretien préalable joint à l’évaluation 2005-2006 de Mme X que les difficultés relationnelles de la magistrate avec sa greffière Mme F avaient été signalées par celle-ci à sa hiérarchie et aux syndicats. De même, le président de la chambre de l’instruction avait observé que la situation du greffe de l’instruction avait engendré un ralentissement du traitement des dossiers, ainsi que des conflits entre Mme X et le greffe, relatés dans un document établi à la suite d’une réunion de service.

 

Il apparaît ainsi que la hiérarchie de Mme X, par suite la direction des services judiciaires du ministère de la justice, avaient eu, avant le 6 décembre 2020, une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits afférents à la juridiction de XXXX, de sorte que la prescription invoquée est acquise de ce chef.

 

En revanche, en ce qui concerne les autres griefs repris dans l’acte de saisine, il est constant qu’ils n’ont été révélés au premier président de la cour d'appel de XX qu’en janvier 2021, pour ce qui concerne le tribunal judiciaire de XX, et par le rapport de l’Inspection du 30 mai 2023, en ce qui concerne la juridiction de XXXXX.

 

La prescription n’est donc pas acquise de ces chefs.

 

Sur la fin de non-recevoir tirée de la violation du principe non bis in idem

 

Mme X soutient que le retrait unilatéral de ses fonctions d’encadrement par la présidente du tribunal judiciaire de XX s’analyse en une sanction disciplinaire déguisée concernant les faits lui étant imputés par l’acte de saisine, de sorte qu’aucune autre sanction disciplinaire ne peut être prononcée à son égard pour ces mêmes faits.

 

Il convient de rappeler qu’aux termes de l’article R. 213-9-10 du code de l’organisation judiciaire, « le président du tribunal judiciaire désigne, après concertation avec les juges des contentieux de la protection du ressort et avis de l'assemblée des magistrats du siège du tribunal judiciaire, parmi les magistrats nommés dans des fonctions de premier vice-président ou à défaut parmi les autres magistrats, un juge des contentieux de la protection, dénommé magistrat coordonnateur de la protection et de la conciliation de justice, pour assurer la coordination et l'animation de l'activité des juges des contentieux de la protection et des conciliateurs de justice pour le ressort de ce tribunal judiciaire ».

 

En l’espèce, le 5 janvier 2021, une réunion organisée à l’initiative de la présidente du tribunal judiciaire de XX, en présence des magistrats civilistes, a conduit à redéfinir et limiter le rôle de coordonnatrice de Mme X. Puis, par ordonnance de roulement du 22 février 2021, la présidente du tribunal a restructuré les services civils en désignant plusieurs référents. Mme X a ainsi été écartée de l’organisation effective des services.

 

C’est par conséquent en usant des prérogatives que lui confère le code de l’organisation judiciaire que la présidente du tribunal judiciaire de XX a redéfini les fonctions de Mme X au sein de la juridiction, de sorte que le retrait des fonctions d’encadrement attribuées initialement à celle-ci ne saurait s’analyser en une sanction disciplinaire.

 

La fin de non-recevoir tirée de l’autorité de chose jugée doit donc être rejetée.

 

 

Sur la demande d’audition de témoins

 

Suivant mémoire déposé le 28 mars 2025, Mme X a sollicité l’audition des témoins suivants :

- M. G, ancien président du tribunal judiciaire de XXXX,

- Mme H, magistrate au tribunal d’instance de XXXXX de septembre 2012 à septembre 2017,

- Mme I, vice-présidente chargée des fonctions de juge des contentieux de la protection au tribunal judiciaire de XXXXXX.

 

Après en avoir immédiatement délibéré hors la présence du rapporteur, le conseil de discipline a rejeté la demande d’auditions, considérant, comme le rapporteur du conseil qui avait été saisi d’une demande quasi-identique, qu’il était suffisamment informé par les auditions de ces témoins menées par l’Inspection.

 

 

Sur les faits à l’origine des poursuites disciplinaires

 

Les faits en cause ont eu lieu alors que Mme X exerçait les fonctions de première vice-présidente chargée des fonctions de juge des contentieux de la protection au tribunal judiciaire de XX et assurait à ce titre la coordination du pôle civil et état des personnes, comprenant les services des affaires familiales, du contentieux de la protection et de la troisième chambre civile.

 

Par dépêche du 27 janvier 2021, le premier président de la cour d'appel de XX et le procureur général près cette cour ont informé la direction des services judiciaires de la diffusion sur le ressort, le 26 janvier 2021, d'un tract du J intitulé :

« Une aventure d’K - la zizanie - en direct du TJ de XX – au tribunal judiciaire de XX, une question est sur toutes les lèvres : quelle potion de management boit-on au tribunal pour obtenir une telle zizanie ? ».

 

Dans un rapport du 11 février 2021, les chefs de cour ont précisé qu’il ressortait des entretiens des 2 février 2021 avec les chefs du tribunal de XX et 4 février 2021 avec les représentants syndicaux, une situation de tensions et de souffrance au travail régnant au tribunal judiciaire de XX, aggravée au sein du pôle civil par l’arrivée depuis le 1er septembre 2020 de Mme X en qualité de première vice-présidente.

 

Les délégués syndicaux soulignaient ainsi que le management mis en place par Mme X était intervenu dans une juridiction où étaient relevés, par ailleurs, une gestion des ressources humaines autoritaire et verticale de la présidente et un dysfonctionnement de la commission restreinte des magistrats du siège.

 

A la suite de ce rapport, la chargée de mission santé et qualité de vie au travail de la direction des services judiciaires s’est déplacée sur le ressort du tribunal les 11 et 16 mars 2021.

 

La présidente de la juridiction et la directrice de greffe, par des rapports en date des 17 et 18 juin 2021, ont conclu à l'existence d'une indéniable souffrance de plusieurs magistrats et personnels de greffe, avec des répercussions avérées sur leur santé, ainsi qu'à l'existence d'une situation de blocage institutionnel et juridictionnel. Ainsi, la majorité des magistrats ne reconnaissait pas la légitimité de la première vice-présidente dans ses fonctions de hiérarchie intermédiaire et les personnels de greffe étaient réticents voire refusaient de travailler avec elle.

 

Suivant dépêche du 21 juin 2021 adressée à la direction des services judiciaires, le premier président de la cour d'appel de XX a sollicité la mise en œuvre d’une enquête administrative.

 

Des pièces jointes à la dépêche précitée, il ressort les éléments principaux qui suivent concernant la situation de la juridiction de XX.

 

Le 27 novembre 2020, douze magistrats civilistes adressaient à Mme X une lettre l’alertant sur ses méthodes managériales et faisant état d'une grande souffrance au travail des magistrats du service.

 

Le 16 décembre 2020, les mêmes magistrats saisissaient par courriel la présidente de la juridiction de l’aggravation, depuis septembre 2020, de leurs conditions de travail au pôle civil - affaires familiales et de la rupture de confiance avec Mme X.

 

Le 5 janvier 2021, à l’occasion d’une réunion convoquée par la présidente, tenue en l'absence de Mme X, son rôle et sa place dans la hiérarchie intermédiaire étaient redéfinis.

 

Par une ordonnance de roulement du 22 février 2021, la présidente modifiait la mission de Mme X à la demande du premier président. Notamment, de nouveaux magistrats référents étaient nommés dans les pôles qu’elle coordonnait, de manière à la positionner dans un rôle transversal détaché de l’organisation opérationnelle.

 

Le 19 mai 2021, était adressée au premier président une note de signalement établie par des magistrats du tribunal judiciaire de XX concernant une situation préoccupante de souffrance au travail de deux magistrats (Mme D, vice-présidente chargée des fonctions de juge des contentieux de la protection, et M. C, juge des contentieux et de la protection) et du greffe du service des contentieux de la protection. La direction du greffe avait, en effet, mis en place une organisation spécifique pour la remise des dossiers, destinée à éviter tout contact direct entre les agents du greffe et la première vice-présidente.

 

Entendus par le premier président le 20 mai 2021, les deux magistrats précités confirmaient les difficultés rencontrées avec leur coordinatrice dont ils dénonçaient la volonté de tout contrôler, un management sans concertation, une communication insécurisante, désordonnée et envahissante, y compris en dehors des temps de travail (fins de semaine et vacances), une pression statistique, ainsi qu’un empiètement sur les compétences des référents qui étaient privés de toute autonomie dans l’organisation des services.

 

Le 27 mai 2021, six magistrats du parquet et un magistrat du siège sollicitaient la saisine du CHSCT en raison d’une situation de souffrance au pôle JCP/JAF/CIVIL.

 

Le 28 mai 2021, une mention était portée au registre hygiène et sécurité au travail par 24 magistrats du siège signalant que « le comportement harcelant » de la première vice-présidente perturbait les collègues qui travaillaient au quotidien avec elle (magistrats et greffiers) et se trouvaient dans une situation de souffrance au travail telle que leur intégrité physique et mentale était atteinte.

 

Lors de l’assemblée générale des magistrats du siège tenue au tribunal judiciaire de XX le 28 mai 2021, le projet d’organisation des services désignant Mme X pour coordonner les pôles relatifs au civil général - état des personnes, ainsi que l’activité des juges des contentieux de la protection et des conciliateurs de justice pour le ressort donnait lieu à un avis défavorable.

 

Lors d’une nouvelle assemblée générale du 8 juin 2021, la présidente constatait le blocage institutionnel et juridictionnel sur la question de la coordination des services assurée par Mme X.

 

La direction des services judiciaires mettait en place à compter du 26 janvier 2022 un accompagnement individualisé de Mme X, tandis qu’au sein de la juridiction, celle-ci s’était vu retirer toute fonction d'encadrement.

 

Suivant un rapport en date du 15 juin 2022, le nouveau président du tribunal judiciaire de XX, installé en septembre 2021, signalait des difficultés relationnelles entre la magistrate et une juriste assistante, Mme E, qu'il avait reçue « en pleurs », compte tenu du mal-être qu'elle ressentait dans ses relations professionnelles avec Mme X.

 

Par rapport en date du 20 juin 2022, la première présidente de la cour d'appel de XX estimait que, « en dépit de l'accompagnement dont elle avait bénéficié, [... la situation ne s'était pas stabilisée et Mme X ne paraissait toujours pas en capacité à se remettre en question ».

 

Par lettre de mission du 11 octobre 2022, l’Inspection générale de la justice était saisie par le garde des sceaux, ministre de la justice, de la situation de Mme X.

 

Le rapport de l’enquête administrative déposé le 30 mai 2023 a retenu à l’égard de Mme X plusieurs manquements aux devoirs de dignité, de délicatesse et d’attention à autrui dans les juridictions de XXXX, XXXXX et XX et aux devoirs de son état de coordinatrice au tribunal judiciaire de XXXXX, puis de XX.

 

 

Sur les premier et deuxième griefs fondés sur le manquement au devoir de délicatesse et d’attention à autrui et le manquement aux devoirs de l’état de coordinatrice à XXXXX et XX

 

Aux termes des dispositions du premier alinéa de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée, dans sa version applicable en l’espèce, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».

 

Il est reproché à Mme X, alors qu’elle exerçait ses fonctions à XXXXX puis à XX, une attitude autoritaire à l'égard des magistrats, fonctionnaires ou juristes assistants et une négligence dans l'accueil des personnes nouvellement en fonction dans les services.

 

Il lui est également imputé, dans ces mêmes juridictions, un mode de management directif, rigide et vertical, s’exprimant par un comportement fermé et imprévisible, afin de parvenir à ses objectifs de service, au détriment de la bienveillance et de l’écoute à l’égard des personnes avec lesquelles elle travaillait.

 

En ce qui concerne la juridiction de XXXXX

 

Il ressort de l’enquête administrative que Mme X, chargée de l'administration et de la direction du tribunal d'instance de janvier 2012 à décembre 2019, a imposé notamment un calibrage des audiences et une politique de renvoi sans concertation suffisante avec l'ensemble des services.

 

Il est, par ailleurs, fait état par certains magistrats d'un « flicage » voire de la « volonté de garder la mainmise sur tout », excluant les contacts directs entre les magistrats et le greffe et retirant toute possibilité d'initiative aux magistrats référents notamment. Il est indiqué que ce contrôle s'était aggravé par un recours au télétravail qui ne permettait pas, selon ces magistrats, une communication sereine au regard des courriels envoyés en grand nombre par Mme X à toute heure, y compris les fins de semaine.

 

Il est, en outre, signalé des relations litigieuses entre Mme X et les deux magistrates en charge des tutelles au sein du tribunal d’instance.

 

Plus particulièrement, la mission fait état du comportement adopté par Mme X à l'égard de Mme B, juge des tutelles installée dans la juridiction le 31 août 2015, qu’elle n’aurait pas accueillie et à laquelle elle aurait confié un cabinet dont la charge était inadaptée à ses compétences et à son temps partiel.

 

Le conseil observe qu’il ne ressort pas du dossier que les personnes concernées en aient alors avisé leur hiérarchie.

 

Il relève que Mme X a mis en place des règles d’organisation strictes, voire rigides, afin d’améliorer le fonctionnement du service.

 

Toutefois, sa maladresse et son manque de souplesse dans la gestion des ressources humaines du tribunal d’instance et dans sa relation à ses collègues et aux personnels de greffe ne caractérisent pas des manquements au devoir de délicatesse et d’attention à autrui et aux devoirs de son état de coordinatrice, constitutifs de fautes disciplinaires. 

 

En ce qui concerne la juridiction de XX

 

Suivant la lettre de mission remise à Mme X par la présidente de la juridiction lors de sa prise de poste, la première vice-présidente s’est vu confier une mission générale et transversale de coordination et d’animation des pôles civil et état des personnes, recouvrant l’organisation de réunions avec les magistrats et fonctionnaires afin d’assurer la bonne marche des services et favoriser les échanges, ainsi que l’établissement de propositions de tableaux de service.

 

S’agissant du service des affaires familiales, Mme X s’est vu confier la réflexion et la transmission de toutes propositions utiles pour organiser de manière structurée le service en vue de la réduction des délais de traitement, de la gestion des renvois de dossiers et de la mise en forme de la réforme de la procédure de divorce, sans pour autant exercer les fonctions de juge aux affaires familiales.

 

Selon l’enquête administrative, Mme X a manqué de transparence et de concertation dans l’organisation et les modifications apportées au fonctionnement des services, sujets abordés dès la première réunion du mois d’octobre 2020, outre qu’elle a été l’auteure de demandes de statistiques jugées excessives et non explicitées et d’une communication électronique ressentie comme envahissante et déstabilisante pour les magistrats, lesquels ont sollicité l’arbitrage de la présidente sur plusieurs points.

 

S’agissant de Mme E, juriste assistante recrutée en juillet 2021 au bénéfice de la troisième chambre civile, la mission a retenu à l’encontre de Mme X, une absence d’accueil et d’intégration professionnelle de celle-ci dans la juridiction, outre des appréciations indélicates sur ses compétences professionnelles et une absence de prise en compte de sa capacité à traiter des dossiers dont certains lui étaient confiés tardivement, sans lui apporter d’aide ou de conseils méthodologiques.

 

Suivant les conclusions de l’enquête administrative, les conditions de fonctionnement mises en place par Mme X se sont avérées également insécurisantes pour les services du greffe des majeurs protégés au regard de la multiplicité de consignes parfois contradictoires, de demandes statistiques pressantes vécues comme suspicieuses et d’une communication électronique confuse, parcellaire et vécue par certains greffiers comme excessive.

 

Toutefois, ainsi que l’a d’ailleurs souligné Mme X, ses fonctions de hiérarchie intermédiaire se sont avérées spécifiquement délicates à exercer dans une juridiction de la taille du tribunal judiciaire de XX où chaque service disposait d’un référent ayant un accès direct à la présidence sans besoin du relais d’une première vice-présidente dont le positionnement et les attributions se trouvaient dès lors amoindris.

 

En outre, le conseil relève que la prise de poste de Mme X en septembre 2020 est intervenue alors que, depuis plusieurs années, il régnait dans la juridiction un climat social dégradé, ainsi qu’en témoignent notamment la motion adressée l’année précédente (15 novembre 2019) à la présidente et faisant état de la souffrance au travail des magistrats du siège, de même que le tract syndical du 26 janvier 2021 venant confirmer cette situation délétère au sein de la juridiction dès avant l’arrivée de Mme X, qui n’a pas été alertée par sa hiérarchie de ce contexte préoccupant.

 

Par ailleurs, la très ambitieuse lettre de mission remise par la présidente, sans aucun commentaire, à Mme X à son arrivée est de nature à démontrer, en soi, la situation dysfonctionnelle de la juridiction dans laquelle les motions collectives étaient devenues le mode d’expression habituel au détriment des instances de dialogue social et où le service des tutelles s’était constitué « en pôle de totale autonomie », suivant les déclarations de la présidente du tribunal judiciaire d’alors devant le rapporteur du conseil.

 

Enfin, s’agissant de la situation de la juriste assistante, doit être soulignée la contradiction existant entre le maintien de Mme X dans ses fonctions d’animation de l’équipe autour du magistrat et le retrait de ses prérogatives d’encadrement des magistrats des services civils, ce qui n’est pas sans interroger sur le positionnement de sa hiérarchie à l’égard de ses qualités managériales.

 

S’il est constant, au regard des témoignages, motions et courriers versés aux débats, que les tensions avec Mme X se sont déclarées immédiatement après son arrivée en septembre 2020, de tels éléments ne permettent pas de la tenir pour seule responsable de cet échec relationnel, celle-ci ayant eu la lourde charge de réorganiser des services en difficulté ou fonctionnant en autonomie, sans bénéficier d’un véritable accompagnement et, surtout, d’un soutien de sa hiérarchie.

 

Dans un tel contexte, et quand bien même Mme X ne dispose pas de toutes les qualités requises pour exercer des fonctions d’encadrement intermédiaire, les manquements aux devoirs de délicatesse et de son état de coordinatrice qui lui sont imputés ne sont pas caractérisés.

 

Sur le troisième grief fondé sur le manquement aux devoirs de dignité et d’intégrité

 

L’acte de saisine reproche à Mme X d’avoir, plus particulièrement et de manière régulière, manqué à son devoir de délicatesse et aux devoirs de son état de coordinatrice à l’égard de Mme B, M. C et Mme D, magistrats, et de Mme E, juriste-assistante. Il s’agit, suivant l’autorité de saisine, d’un comportement confinant au harcèlement moral, constitutif de manquements aux devoirs de dignité et d’intégrité et aux devoirs de son état.

 

Cependant, les manquements aux devoirs de délicatesse et de son état de coordinatrice sur lesquels se fondent l’acte de saisine pour caractériser ce troisième grief n’ayant pas été retenus par le conseil, ce grief ne peut davantage l’être à l’encontre de Mme X.

 

Sur le quatrième grief fondé sur les manquements aux devoirs de loyauté, de dignité et aux devoirs de son état

 

Suivant les termes de la saisine, en persistant dans les comportements décrits, malgré de nombreuses mises en garde de chacun de ses supérieurs hiérarchiques, mais également en dépit d'un accompagnement régulier tant de ses chefs de cour que de la chancellerie, Mme X a manqué à ses devoirs de loyauté à l’égard de sa hiérarchie.

 

Toutefois, le conseil relève que Mme X a accepté tant le retrait de ses missions d’encadrement par la présidente de la juridiction que l’accompagnement mis en place par la direction des services judiciaires, ainsi, en dernier lieu, que sa nomination en qualité de conseillère à la cour d’appel de XXX.

 

En tout état de cause, dès lors que ce grief se trouve fondé sur la persistance et la réitération des trois premiers manquements repris par l’acte de saisine mais non retenus comme fautifs par le conseil, aucune faute disciplinaire ne peut être retenue à l’égard de Mme X à ce titre.

 

Sur le cinquième grief fondé sur les manquements aux devoirs de rigueur et de diligence et au devoir de délicatesse envers le greffe

 

L’acte de saisine impute à Mme X une accumulation de retards dans la transmission de ses délibérés et une désorganisation dans la gestion de son cabinet, tant au tribunal d'instance de XXXXX qu’au tribunal judiciaire de XX, contraignant le greffe à se soumettre à son rythme de travail personnel.

 

Il lui est également reproché, en ce qui concerne son activité juridictionnelle au sein de la troisième chambre civile du tribunal judiciaire de XX, des retards chroniques dans la remise de ses délibérés au greffe et la restitution de dossiers en désordre ou incomplets, contraignant le greffe à travailler dans l’urgence et la précipitation ou engendrant une surcharge de travail.

 

Cependant, s’il ressort de l’enquête administrative des difficultés de gestion par Mme X de la charge de son activité juridictionnelle et en particulier des délais de remises de ses délibérés, il n’est pas pour autant suffisamment établi des manquements aux devoirs de rigueur et de diligence et au devoir de délicatesse envers le greffe, constitutifs de fautes disciplinaires.

 

 

PAR CES MOTIFS,

 

Le Conseil,

 

Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de M. Christian Vigouroux, rapporteur ;

Siégeant en audience publique le 3 avril 2025 pour les débats et statuant le 7 mai 2025 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Déclare prescrits les faits afférents à la juridiction de XXXX,

Rejette la demande de nullité de l’acte de saisine, la fin de non-recevoir tirée de la prescription pour le surplus, la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée et la demande d’audition de témoins,

Renvoie Mme X des fins de la poursuite disciplinaire.

La présente décision sera notifiée à Mme X par courrier recommandé avec demande d’avis de réception et par voie dématérialisée au premier président de la cour d’appel de XXX pour notification par la voie hiérarchique et à ses conseil et défenseure par voie dématérialisée.

 

Une copie sera adressée par voie dématérialisée au garde des sceaux, ministre de la justice.

 

La secrétaire générale adjointe

 

 

Sarah Salimi

Le président suppléant

 

 

Pascal Chauvin