S272 8/2025
CONSEIL DE DISCIPLINE DES MAGISTRATS DU SIÈGE |
Décision du 30 avril 2025
N° de minute : 8/2025
DÉCISION
Dans la procédure mettant en cause :
M. X, conseiller à la cour d'appel de XX,
interdit temporairement d'exercer ses fonctions depuis le 12 janvier 2024 et jusqu’à la décision définitive sur les poursuites disciplinaires suivant décision du 29 janvier 2025,
Le Conseil supérieur de la magistrature,
Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,
Sous la présidence de M. Christophe Soulard, premier président de la Cour de cassation, président de la formation,
En présence de :
M. Patrick Titiun,
Mme Diane Roman,
M. Didier Paris,
M. Patrick Wachsmann,
M. Jean-Luc Forget,
M. Pascal Chauvin,
Mme Catherine Farinelli,
M. Julien Simon-Delcros,
M. Jean-Baptiste Haquet,
Mme Clara Grande,
M. Alexis Bouroz,
Membres du Conseil, siégeant,
Assistés de Mme Sarah Salimi, secrétaire générale adjointe du Conseil supérieur de la magistrature, et de Mme Aurélie Vaudry, cheffe du pôle discipline ;
En présence de Mme Sandrine Branche, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature de la direction des services judiciaires, représentant le garde des sceaux, ministre de la justice, assistée de Mme Sara Benzohra, magistrate au bureau du statut et de la déontologie de cette même direction ;
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;
Vu la loi organique n°94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;
Vu le décret n°94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;
Vu l’acte de saisine du garde des sceaux, ministre de la justice, en date du 29 janvier 2024 reçu le 5 février 2024, ainsi que les pièces jointes ;
Vu la décision du 8 février 2024 désignant Mme Catherine Farinelli en qualité de rapporteure ;
Vu la décision du 12 janvier 2024 interdisant temporairement à M. X d’exercer ses fonctions ;
Vu la décision du 11 septembre 2024 prorogeant le délai pour statuer d’un délai de 4 mois, le portant ainsi au 5 février 2025 ;
Vu la décision du 29 janvier 2025 prononçant le maintien de l’interdiction temporaire d’exercice des fonctions jusqu’à la décision définitive sur l’action disciplinaire ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de son conseil ;
Vu la copie de la procédure disciplinaire transmise à M. X et Me A, avocat au barreau de XX, désigné par l’intéressé pour l’assister ;
Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;
Vu la convocation à l’audience du 20 mars 2025 adressée à la première présidente de la cour d’appel de XX dont M. X a reçu notification par la voie hiérarchique le 10 mars 2025 ;
Vu la convocation adressée par voie dématérialisée le 20 février 2025 à Me A ;
Les débats s’étant déroulés hors la présence du public, dans la salle d’audience de la chambre commerciale de la Cour de cassation, le 20 mars 2025 ;
Après avoir entendu :
- Mme Catherine Farinelli, en son rapport ;
- les explications et moyens de défense de M. X, après notification qui lui a été faite de son droit de garder le silence, de faire des déclarations ou de répondre aux questions, et celles de son conseil ;
- les observations de Mme Branche, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature, représentant le garde des sceaux, ministre de la justice, tendant à la révocation de M. X ;
- M. X ayant eu la parole en dernier ;
A rendu la présente
DÉCISION
Sur la saisine du conseil de discipline
Par dépêche du 29 janvier 2024 reçue le 5 février 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, a saisi le conseil de discipline de poursuites disciplinaires à l’égard de M. X, conseiller à la cour d'appel de XX, interdit temporairement d’exercer ses fonctions suivant décision du 12 janvier 2024.
L’acte de saisine du garde des sceaux, ministre de la justice, impute à M. X les manquements suivants :
- En étant interpellé, placé en garde à vue puis mis en examen pour des faits qualifiés d'agression sexuelle incestueuse sur mineure de quinze ans par ascendant, M. X a manqué à l'honneur, à la probité, à la dignité et aux devoirs de son état ; en outre, la condamnation susceptible d'intervenir sera publique et cette condamnation, ainsi que la nature même des faits reprochés et leur particulière gravité, nuiront nécessairement à la crédibilité de l'institution judiciaire, au respect et à la confiance qu'elle doit inspirer.
- En adoptant le comportement ci-dessus reproché, susceptible d'aboutir à une condamnation pénale pour des faits d'une particulière gravité, M. X a porté atteinte à l'image de la justice.
Par dépêche du 14 mars 2025, la direction des services judiciaires a saisi le conseil de discipline de nouveaux faits susceptibles de caractériser à l’égard de M. X un manquement à l’honneur, la dignité et aux devoirs de son état ainsi qu’une atteinte à l’image de l’institution judiciaire.
A l’audience, la direction des services judiciaires a imputé à M. X le nouveau manquement suivant :
- en étant mis en examen supplétivement pour des faits de détentions d’images pédopornographiques commis entre le 9 février 2022 et le 5 décembre 2023, M. X a manqué à l'honneur, à la probité, à la dignité et aux devoirs de son état ; en outre, la condamnation susceptible d'intervenir sera publique et cette condamnation, ainsi que la nature même des faits reprochés et leur particulière gravité, nuiront nécessairement à la crédibilité de l'institution judiciaire, au respect et à la confiance qu'elle doit inspirer, portant dès lors atteinte à l’image de la justice.
Il convient de rappeler que, sous réserve du respect des droits de la défense, le conseil de discipline peut connaître de l’ensemble du comportement du magistrat concerné et n’est pas tenu de limiter son examen aux seuls faits initialement portés à sa connaissance.
Constatant qu’en l’espèce M. X et sa défense ont été mis en mesure de discuter, tant lors de l’audition par la rapporteure que lors de l’audience, des faits pour lesquels il a été supplétivement mis en examen, ces nouveaux griefs seront examinés par le conseil de discipline.
Sur la publicité de l’audience
En vertu de l’article 57 de l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature, « l'audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l'ordre public ou de la vie privée l'exigent, ou s'il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l'accès de la salle d'audience peut être interdit au public pendant la totalité ou une partie de l'audience, au besoin d'office, par le conseil de discipline ».
M. X a présenté, par l’intermédiaire de son conseil, une demande tendant à ce que l’audience ne se tienne pas publiquement au regard de la nature des faits relevant de sa vie privée et afin de protéger les intérêts de sa fille mineure.
Mme Branche, représentant le garde des sceaux, ministre de la justice, ne s’est pas opposée à la demande.
Après en avoir immédiatement délibéré, le conseil a considéré que la protection de la vie privée de M. X et de sa fille mineure exigeait que l’accès à la salle soit interdit pendant toute la durée de l’audience.
Sur les faits à l’origine de la poursuite disciplinaire
Par courriel en date du 27 juin 2023, la première présidente de la cour d’appel de XX a informé la direction des services judiciaires d’un signalement effectué par les hôpitaux civils de XX relatif à la situation d’une jeune mineure, B, fille de Mme C, vice-présidente au tribunal judiciaire de XX, et de M. X, conseiller à la cour d’appel de XX. La jeune fille, née en 2009 et souffrant d’anorexie mentale sévère depuis 2021, avait révélé à sa psychologue un fait d’attouchement sexuel commis sur sa personne par son père au domicile familial quelques années auparavant. Le procureur de la République près le tribunal judiciaire de XXX a été saisi de l’enquête pénale après dépaysement de l’affaire.
Par dépêches transmises à la direction des services judiciaires les 2 et 10 octobre 2023 puis le 30 novembre 2023, la procureure générale près la cour d'appel de XXX a indiqué que, lors de son audition par les services de la police judiciaire de XX le 6 octobre 2023, B avait dénoncé un fait unique commis par son père alors qu’elle était âgée de huit ans, soit en 2017, précisant qu’un soir, couchée dans son lit et déjà endormie, son père lui avait caressé le sexe. M. X, entendu sous le régime de la garde à vue le 29 octobre 2023, avait reconnu les faits dans des termes identiques. Une information judiciaire avait été ouverte le même jour devant une juge d’instruction du tribunal judiciaire de XXX.
Par courriel du 30 novembre 2023, M. X a informé sa cheffe de cour de son placement en garde à vue suivi de sa mise en examen le 29 novembre 2023 des chefs d’agression sexuelle incestueuse sur un mineur de 15 ans par ascendant, commis entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2018, et de son placement sous contrôle judiciaire.
Lors de l’interrogatoire de première comparution, M. X a réitéré ses aveux en indiquant qu’il s’était rendu dans la chambre de sa fille pour lui dire bonne nuit, que celle-ci, déjà endormie, était allongée sur le dos, les jambes écartées et qu’en la recouvrant par son drap tombé au sol, il avait touché le haut de sa jambe avant de passer sa main sur son sexe dénudé par le short court qu’elle portait. M. X a admis avoir ressenti une excitation sexuelle lors de la commission de ce geste.
Dans un rapport du 6 décembre 2023, la première présidente de la cour d’appel de XX a indiqué à la direction des services judiciaires avoir reçu l’intéressé, qui avait de nouveau reconnu les faits.
Par dépêche du 10 avril 2024, la direction des services judiciaires a informé le conseil de discipline de la délivrance, par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de XXX, d’un réquisitoire supplétif en date du 28 février 2024, du chef de détention de l’image ou la représentation d’un mineur présentant un caractère pornographique entre le 9 février 2022 et le 5 décembre 2023.
Le rapport de l’expertise informatique du téléphone portable de M. X, reçu par le juge d'instruction le 23 février 2024, a établi notamment la présence, sur le matériel expertisé, des éléments qui suivent :
- 1287 images de jeunes filles mineures (photographies sur lesquelles elles posent pour des portraits, lors de pratiques sportives, en maillot de bain avec des cadrages sur les fesses ou l’entrejambe),
- 22 images associant Martine (héroïne de livres pour enfants) ou des photographies de jeunes filles, avec des textes à caractère sexuel et/ou pornographique,
- trois images de fillettes à caractère pédopornographique,
- 45 images à caractère pornographique,
- six photographies correspondent à des photographies de culottes et d'un homme se mettant une culotte sur la tête.
Le magistrat instructeur a notifié à M. X une mise en examen supplétive, le 8 novembre 2024, pour des faits de détention d’une ou plusieurs images ou représentation d’un mineur présentant un caractère pornographique commis entre le 9 février 2022 et le 5 décembre 2023. Celui-ci a reconnu être l’auteur des téléchargements et enregistrements des images et photographies extraites par l’expert informatique, admettant avoir utilisé pour ses recherches des mots clefs correspondant à des images et représentations de jeunes filles de l’âge de 10 ans environ et leur usage comme support de masturbation. Il a reconnu suivre également les comptes Instagram de plusieurs jeunes filles âgées de 10 à 18 ans, outre une attirance pour une amie de sa fille.
Il ressort, par ailleurs, de l’interrogatoire que M. X s’était masturbé à plusieurs reprises sur une culotte appartenant à sa fille Bet qu’il avait posé son sexe sur l’ours en peluche de celle-ci.
Par dépêche du 7 août 2024, la direction des services judiciaires a transmis au conseil de discipline les rapports des expertises psychiatrique et psychologique réalisées à la demande du magistrat instructeur, desquels il ressort la reconnaissance d’un unique fait d’agression sexuelle envers sa fille, des visionnages pornographiques adultes réalisés alors qu’il était plus jeune, puis des visionnages d’images de fillettes alors qu’il était plus âgé. Ces images provoquaient chez lui une excitation sexuelle et étaient le support de masturbations.
Tant l’expert psychologue que l’expert psychiatre ont relevé la conscience qu’avait M. X du caractère anormal et transgressif de cette pratique pédopornographique. Concernant le passage à l’acte sur sa fille, il est décrit comme un défaut de contrôle pulsionnel, un acte l’ayant dépassé dans « le cadre d’une structure névrotique de la personnalité ».
Sur le manquement à la dignité, l’honneur, la probité et aux devoirs de son état de magistrat
Aux termes des dispositions du premier alinéa de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée susvisée, dans sa version applicable en l’espèce, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».
Il est établi que M. X, qui se livrait depuis plusieurs années à des consultations et enregistrements d’images ou représentations de mineurs présentant pour certaines un caractère pornographique, a agressé sexuellement sa fille B alors qu’elle était âgée de neuf ans.
Ces faits, pour lesquels il est mis en examen et dont il ne conteste nullement la matérialité, M. X les ayant reconnus de manière constante tout au long des procédures pénale et disciplinaire, constituent des manquements graves à l’honneur et la dignité au regard de leur nature et du contexte du passage à l’acte incestueux, s’agissant de la transgression d’une norme fondamentale par un magistrat présentant une attirance pour les jeunes filles. Cette attirance s’est exprimée non seulement par des milliers de téléchargements d’images de mineurs, dont des images pornographiques, qui ont persisté sur une longue durée et jusqu’à la dénonciation des faits d’inceste, mais également par un voyeurisme inadapté sur les réseaux sociaux.
De par leur nature, les faits commis par M. X dans sa vie privée sont contraires aux devoirs de son état et sont de nature à porter une profonde atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer. En outre, ils préjudicient gravement à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire.
Sur la sanction
Nonobstant les qualités professionnelles de M. X relevées tout au long de sa carrière et sa prise en charge psychologique et psychiatrique, l’incompatibilité des manquements commis avec l’état de magistrat justifie le prononcé de la sanction de révocation prévue par le 7°de l’article 45 de l’ordonnance précitée. Il convient de souligner au surplus que, M. X ayant exercé les fonctions de juge des enfants, il était, plus que tout autre, en mesure d’appréhender les conséquences traumatiques des faits d’abus sexuels pour les jeunes victimes.
PAR CES MOTIFS,
Le Conseil,
Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de Mme Catherine Farinelli, rapporteure ;
Siégeant en audience publique puis à huis clos, le 20 mars 2025, pour les débats, et statuant le 30 avril 2025 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;
Prononce, à l'encontre de M. X, la sanction de la révocation.
La présente décision sera notifiée par la voie hiérarchique à M. X et à son conseil par voie dématérialisée.
Une copie sera adressée par voie dématérialisée au garde des sceaux, ministre de la justice.
La secrétaire générale adjointe
Sarah Salimi |
Le Président
Christophe Soulard |