S264 QPC 2 2/2024

S264 QPC 2 2/2024

Date
25/01/2024
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement à l'honneur, à la délicatesse et à la dignité du magistrat, Manquement au devoir d'impartialité
Décision
Transmission des questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil d’Etat
Mots-clés
Question prioritaire de constitutionnalité
droit au silence
changement de circonstances
seconde QPC
Fonction
vice-président chargé des fonctions de juge des libertés et de la détention
Résumé
Par décision du 12 avril 2023, le Conseil de discipline des magistrats du siège a ordonné la transmission au Conseil d’Etat des questions prioritaires de constitutionnalité déposées par le magistrat relatives à la notification du droit au silence au magistrat faisant l’objet d’une procédure disciplinaire. Par décision du 23 juin 2023, le Conseil d’Etat a jugé que la question ne présentait pas un caractère sérieux dans la mesure où il résultait de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel que le droit de se taire, fondé sur l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen avait seulement vocation à s’appliquer dans le cadre d’une procédure pénale. Dans la présente décision, le Conseil supérieur de la magistrature a, de nouveau, ordonné la transmission au Conseil d’Etat de questions prioritaires de constitutionnalité déposées par le magistrat relatives au droit au silence en matière disciplinaire, considérant que la décision du Conseil Constitutionnel 2023-1074 du 8 décembre 2023 ayant étendu la portée de l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen à la matière disciplinaire constituait une circonstance de droit nouvelle requérant l’examen par le Conseil Constitutionnel de la conformité des dispositions de l’ordonnance du 22 décembre 1958 à la Constitution, la question n’étant pas dépourvue de caractère sérieux.

 

 

 

Conseil de discipline des magistrats du siège

 

 

 

Décision du 25 janvier 2024

N° de minute : 2/2024

 

 

DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE

 

 

Dans la procédure mettant en cause :

 

M. X

Vice-président au tribunal judiciaire de XXXX, et précédemment vice-président en charge des fonctions de juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de XXXXX,

 

Le Conseil supérieur de la magistrature,

Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,

 

Sous la présidence de M. Christophe Soulard, premier président de la Cour de cassation, président de la formation,

 

En présence de :

 

M. Patrick Titiun                                                                            

Mme Diane Roman                                                 

M. Loïc Cadiet                                                                                  

Mme Dominique Lottin                                                                  

M. Patrick Wachsmann                                                       

M. Jean-Luc Forget                                                                          

M. Christian Vigouroux                                                     

M. Pascal Chauvin                                       

Mme Catherine Farinelli                                                                

M. Julien Simon-Delcros                                                                 

M. Jean-Baptiste Haquet                                                                

Mme Clara Grande                                                              

M. Alexis Bouroz                                                                 

Mme Céline Parisot

 

Membres du Conseil,

 

Assistés de M. Jean-Baptiste Crabières et Mme Sarah Salimi, secrétaires généraux adjoints du Conseil supérieur de la magistrature et de Mme Aurélie Vaudry, greffière principale ;

 

Vu les articles 61-1 et 65 de la Constitution ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;

 

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

 

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

 

Vu l’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice, en date du 17 février 2022, reçu au Conseil le 21 février 2022, ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;

 

Vu l’ordonnance du 2 mars 2022 désignant Mme Virginie Duval en qualité de rapporteur ;

 

Vu les décisions de prorogation de délai pour statuer des 19 janvier 2023 et 15 juin 2023 ;

 

Vu la désignation en tant que rapporteur de M. Jean-Baptiste Haquet le 23 février 2023 ;

 

Vu la décision du 12 avril 2023 portant transmission au Conseil d’Etat des questions prioritaires de constitutionnalité déposées par Me de A le 17 mars 2023 ;

 

Vu la décision du Conseil d’Etat du 23 juin 2023 refusant de transmettre ces questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil Constitutionnel ;

 

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de Maître de A avocat au barreau de XX et de Mme B, vice-présidente au tribunal judiciaire de XXX, secrétaire permanente du C, désignés par l’intéressé pour l’assister ;

 

Vu la copie de l’entière procédure délivrée à M. X et à son premier conseil, Me A ;

  

Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;

 

Vu la convocation à l’audience du 11 janvier 2024, adressée à Monsieur le premier président de la cour d’appel de XX pour notification à M. X par courrier du 6 septembre 2023 envoyé par LRAR, qui lui a été notifié par la voie hiérarchique 6 septembre 2023 ;

 

Vu la convocation à l’audience susvisée adressée par voie dématérialisée le 6 septembre 2023 à Maître A et Mme B, courriers dont ils ont pris connaissance le jour même ;

 

Vu les questions prioritaires de constitutionnalité transmises par voie dématérialisée le 11 décembre 2023 par le conseil de M. X au soutien de ses intérêts ;

 

Vu les observations de M. le garde des Sceaux, ministre de la Justice du 8 janvier 2024 communiquées aux parties par voie dématérialisée ;

 

Vu le rapport de M. Jean-Baptiste Haquet du 9 janvier 2024 transmis aux parties par voie dématérialisée le même jour ;

 

Les débats s’étant déroulés en audience publique, au siège du Conseil supérieur de la magistrature, le 11 janvier 2024 ;

 

Après avoir entendu :

 

- Les conseil et défenseur de M. X au soutien de leur demande de transmission au Conseil d’Etat des questions prioritaires de constitutionnalité ;

 

- Les observations de Mme Soizic Guillaume, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, représentant le garde des sceaux, ministre de la Justice, assistée de Mme Emilie Zuber, adjointe à la cheffe du pôle déontologie et de la discipline au sein de cette même direction ;

 

-   M. Jean-Baptiste Haquet, en son rapport ;

 

A rendu la présente

 

 

 

 

DÉCISION

 

 

 

Aux termes de l’article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, « lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. »

 

En vertu de l’alinéa 6 de l’article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, « La décision […] n’est susceptible d’aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu’à l’occasion d’un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ».

 

M. X sollicite la transmission au Conseil d’Etat des questions prioritaires de constitutionnalité suivantes :

« L’article 52 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 qui organise l’audition du magistrat poursuivi devant le rapporteur du Conseil supérieur de la magistrature porte-t-il atteinte au principe constitutionnel du droit à la présomption d’innocence protégé par l’article 9 de la DDHC en ce que le droit au silence ne lui est pas notifié ? ».

« L’article 56 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 qui organise l’audition du magistrat poursuivi devant le Conseil de discipline du conseil supérieur de la magistrature porte-t-il atteinte au principe constitutionnel du droit à la présomption d’innocence protégé par l’article 9 de la DDHC en ce que le droit au silence ne lui est pas notifié ? ».

Il soutient que, si les questions prioritaires de constitutionnalité sont identiques à celles transmises au Conseil d'Etat par le Conseil le 12 avril 2023 et ayant fait l’objet d’un refus de transmission au Conseil constitutionnel, celles-ci ne peuvent se heurter à une décision d’irrecevabilité dans la mesure où aucune disposition de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ne fait obstacle à la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité déjà transmise dans la même procédure si les critères limitativement énumérés sont constitués au jour où se prononce de nouveau la juridiction du fond.

Or, selon M. X, il existe en l’espèce un changement de circonstances depuis la décision du Conseil d’État rendue dans la présente procédure (CE, 23 juin 2023, n°473249) et la décision n° 2023-856 DC du 16 novembre 2023 du Conseil Constitutionnel ayant déclaré conformes les dispositions de la loi organique modifiant l’article 52 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958.

Selon lui, le changement de circonstances est constitué par la décision rendue le 8 décembre 2023 (n° 2023-1074), dans laquelle le Conseil Constitutionnel a précisé que le droit au silence, découlant de l’article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, devait s’appliquer à la procédure disciplinaire.

Sur ce,

En application de l’article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, il est procédé à la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

En l’espèce, les articles 52 et 56 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 sont applicables au litige.

Par décision du 12 avril 2023, le Conseil de discipline des magistrats du siège a ordonné la transmission au Conseil d’Etat des questions prioritaires de constitutionnalité présentées par M. X.

Dans sa décision rendue le 23 juin 2023, le Conseil d’Etat a jugé que la question prioritaire de constitutionnalité transmise ne présentait pas un caractère sérieux dans la mesure où il résultait de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que le droit de se taire, fondé sur l’article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, avait seulement vocation à s’appliquer dans le cadre d’une procédure pénale. 

Or, le Conseil constitutionnel s’est précisément prononcé depuis cette décision du Conseil d'Etat sur l’application à la matière disciplinaire du principe fondé sur l’article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen par une décision 2023-1074 du 8 décembre 2023 en considérant que le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire, s’applique non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition, étant précisé que cette décision concernait la procédure disciplinaire applicable aux notaires.

L’extension de la portée de l’article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen à la matière disciplinaire par cette décision du Conseil constitutionnel postérieure constitue une circonstance de droit nouvelle de nature à justifier que la conformité des dispositions discutées de l'ordonnance du 22 décembre 1958 à la Constitution soit examinée par le Conseil constitutionnel, la question n’étant pas dépourvue de caractère sérieux.

M. X n’ayant pas fait l’objet d’une décision définitive sur le fond et les conditions de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité étant remplies, il convient de transmettre les questions prioritaires de constitutionnalité posées par M. X.

 

 

 

PAR CES MOTIFS

 

 

Le Conseil,

Statuant en audience publique, le 11 janvier 2024 pour les débats, et le 25 janvier 2024 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de M. Jean-Baptiste Haquet rapporteur ;

ORDONNE la transmission au Conseil d’Etat des questions prioritaires de constitutionnalité suivantes :

« L’article 52 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 qui organise l’audition du magistrat poursuivi devant le rapporteur du Conseil supérieur de la magistrature porte-t-il atteinte au principe constitutionnel du droit à la présomption d’innocence protégé par l’article 9 de la DDHC en ce que le droit au silence ne lui est pas notifié ? ».

« L’article 56 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 qui organise l’audition du magistrat poursuivi devant le Conseil de discipline du conseil supérieur de la magistrature porte-t-il atteinte au principe constitutionnel du droit à la présomption d’innocence protégé par l’article 9 de la DDHC en ce que le droit au silence ne lui est pas notifié ? ».

DIT que la présente décision sera adressée au Conseil d’Etat dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires des parties relatifs aux questions prioritaires de constitutionnalité ;

ORDONNE le renvoi de l’affaire au fond dans l’attente que soient tranchées les questions prioritaires de constitutionnalité.

La présente décision sera notifiée à M. X par la voie hiérarchique et à ses conseil et défenseur par voie dématérialisée.

Une copie sera adressée par voie dématérialisée à M. le garde des Sceaux, ministre de la justice.

 

 

La secrétaire générale adjointe

 

 

Sarah Salimi

Le président

 

 

Christophe Soulard