S261 5/2023

Decision Disciplinaire

Date
18/01/2023
Qualification(s) disciplinaire(s)
Atteinte à l'image de la justice, Manquement au devoir de loyauté et de délicatesse, Manquements à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer aux justiciables, Manquement au devoir de probité (devoir de réserve)
Décision
Retrait de l’honorariat
Mots-clés
intérêt à agir
Prescription
prérogatives rapporteur
caractère précis saisine
expression publique
liberté d’expression
termes outranciers
devoir de réserve
Fonction
Magistrat honoraire
Résumé
Sur les exceptions de nullité déposées par le conseil de M. X, le Conseil a tout d’abord rappelé qu’il était saisi aux termes de l’article 50-1 de l’ordonnance statutaire par la dénonciation des faits motivant les poursuites disciplinaires adressées par le garde des Sceaux, ministre de la Justice lequel n’a pas à faire valoir un quelconque intérêt à agir, n’agit pas pour le compte des magistrats concernés par des termes outranciers et n’a nul besoin d’avoir, en ces circonstances, un mandat pour agir ou une procuration. Puis, le Conseil, pour rejeter l’atteinte aux droits de la défense qui résultant des termes trop généraux et imprécis de la saisine, a relevé que cette dernière citait au contraire très précisément plusieurs extraits de l’interview du magistrat sur une chaîne télévisée ainsi que d’autres passages de son livre et énonçait les qualifications disciplinaires que le garde des Sceaux entendait retenir. Par ailleurs, le Conseil a rappelé qu’il n’était pas saisi d’une action en diffamation mais d’une procédure disciplinaire et qu’en conséquence le délai de prescription de l’action était de trois ans conformément à l’article 47 de l’ordonnance statutaire, il en résultait que les faits en cause n’étaient pas atteints par la prescription. Enfin, le Conseil a réaffirmé qu’il était saisi pour connaître de l’ensemble du comportement du magistrat et n’était pas limité aux seuls faits décrits par la saisine. Le rapporteur peut ainsi relever des faits non mentionnés dans la saisine initiale mais révélés au cours de l’enquête, sous réserve que soient respectés les droits de la défense. En l’espèce, la nouvelle pièce intégrée en procédure avait été portée à la connaissance des parties dans un délai raisonnable permettant la préparation de sa défense. Le Conseil a rappelé que la liberté d’expression de tout citoyen bénéficiait d’un niveau élevé de protection, notamment par le truchement des articles 11 de la DDHC et 10 de la CEDH mais que pour un magistrat, cette liberté devait être conciliée avec leur devoir de réserve prévu par l’article 10 de l’ordonnance statutaire. Le magistrat, dans son expression publique ou bien dans son ouvrage, en critiquant sévèrement l’institution judiciaire a tenu des propos outranciers, caricaturaux voire outrageants notamment à l’égard des femmes magistrates et a asséné comme vérités des éléments non objectivés, non caractérisés, non étayés et procédant systématiquement par jugements de valeur sans démonstration, caractérisant donc un manquement au devoir de réserve. Egalement, en usant de qualificatifs animaliers pour parler de ses collègues magistrats, M. X a montré le mépris ressenti pour ceux-ci et a manqué à son devoir de délicatesse. Enfin, ces écrits particulièrement inadaptés lorsqu’il relate ses audiences correctionnelles ou quand il présente les magistrats du ministère public comme « des petits soldats » ou bien lorsqu’il énonce que le système informatique décide des sanctions à la place du magistrat, caractérisent une atteinte à la confiance et au respect que la fonction de juge doit inspirer et par là-même une atteinte à l’image et à l’autorité judiciaire.

CONSEIL

SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

 

Conseil de discipline des magistrats

du siège

 

 

 

DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE

 

 

 

Dans la procédure mettant en cause :

 

M. X

Magistrat honoraire

 

Le Conseil supérieur de la magistrature,

Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,

 

Sous la présidence de M. Christophe Soulard, premier président de la Cour de cassation, président de la formation,

 

En présence de :

 

Mme Sandrine Clavel 

Mme Hélène Pauliat

M. Georges Bergougnous

Mme Natalie Fricero

M. Frank Natali

M. Olivier Schrameck

M. Didier Guérin                                                      

M. Régis Vanhasbrouck

Mme Virginie Duval 

Mme Dominique Sauves

 

Membres du Conseil,

 

Assistés de Mme Sophie Rey, secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature et de Mme Aurélie Vaudry, greffière principale ;

 

Vu l’article 65 de la Constitution ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;

 

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

 

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

 

Vu l’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice, en date du 18 mars 2022, reçu au Conseil le 25 mars 2022, ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;

 

Vu l’ordonnance du 28 mars 2022 désignant M. Régis Vanhasbrouck en qualité de rapporteur ;

 

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de Maître A, avocat au barreau de Xxx, désigné par l’intéressé pour l’assister ;

  

Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;

 

Vu la convocation à l’audience du 7 décembre 2022, adressée à M. X par lettre recommandée envoyée le 23 novembre 2022 ;

 

Vu la convocation à l’audience susvisée adressée par voie dématérialisée le 23 novembre 2022 à Me A, courrier qui a été téléchargé le jour même ;

 

Vu le mémoire du 7 décembre 2022 produit par Me A au soutien des intérêts de M. X ;

 

Les débats s’étant déroulés en audience publique, à la Cour de cassation, le 7 décembre 2022 ;

 

Après avoir entendu :

 

-   le rapport de M. Régis Vanhasbrouck ;

 

- les observations de Mme Soizic Guillaume, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, assistée de Madame Emilie Zuber, magistrate, adjointe à la cheffe de bureau du statut et de la déontologie à la sous-direction des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, qui a demandé le prononcé de la sanction disciplinaire de retrait de l’honorariat prévue à l’article 79 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature;

 

- les explications et moyens de défense de M. X et Maître A, avocat au barreau de Xxx, M. X ayant eu la parole en dernier ;

A rendu la présente

 

DÉCISION

 

L’acte de saisine du garde des sceaux, ministre de la justice, relève plusieurs griefs portant sur des manquements imputés à M. X, à savoir:

  • Un manquement au devoir de réserve en utilisant des termes outranciers et sur un ton catégorique et sans nuance pour décrire ses collègues et l’institution judiciaire et cela sur une chaîne de grande écoute ; en intitulant son ouvrage « ne faites jamais confiance à la justice de votre pays » ; en tenant au sein de cet ouvrage des propos remettant en cause l’indépendance des magistrats, la confiance des citoyens dans la Justice ; en véhiculant des idées tronquées sur les magistrats du parquet en soutenant qu’ils sont inféodés au pouvoir politique ou encore en s’exprimant sans mesure et dans des termes injurieux sur la féminisation de la magistrature ou le travail des magistrats ;

 

  • Un manquement au devoir de délicatesse en tenant des propos mettant en cause plusieurs magistrats nominativement identifiés et ce à plusieurs reprises au sein de son ouvrage, en questionnant leur vie privée ou leur probité, en utilisant des termes très familiers pour les nommer ou en les comparant à des animaux ;

 

  • Une atteinte à la confiance et au respect que la fonction de juge doit inspirer, et par là-même, une atteinte à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire qui est présentée dans son ouvrage comme totalement partisane, soumise au pouvoir politique, en proie à une informatisation aveugle et sourde aux attentes du justiciable.

 

Selon les dispositions du premier alinéa de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».

Sur la procédure

Sur la qualité à agir

Pour conclure à l’irrecevabilité de la saisine disciplinaire, M. X soutient en premier lieu que ses propos et écrits n’étaient pas formulés à l’endroit du garde des Sceaux et qu’en conséquence ce dernier ne peut faire valoir un quelconque intérêt à agir.

Aux termes de l’article 50-1 de l’ordonnance précitée, le Conseil supérieur de la magistrature est saisi par la dénonciation des faits motivant les poursuites disciplinaires que lui adresse le garde des Sceaux, ministre de la justice.

Dans ces conditions, le garde des Sceaux n’a pas à faire valoir un quelconque intérêt à agir dans le cadre d’une procédure disciplinaire pour saisir le Conseil supérieur de la magistrature.

La demande présentée à ce titre sera rejetée.

« Nul ne peut plaider par procureur »

Sur le fondement de cet adage, le magistrat soulève, en second lieu, la nullité de la procédure arguant que le garde des Sceaux ne peut pas engager des poursuites à son encontre pour des déclarations à caractère diffamatoire contre des magistrats à la place de ces derniers, en l’absence de procuration ou de mandat pour agir.

Toutefois, le garde des Sceaux, quand il saisit le Conseil de propos outranciers d’un magistrat à l’égard de ses collègues, agit en application de l’article 50-1, qui lui réserve la dénonciation au Conseil supérieur de la magistrature des faits motivant les poursuites disciplinaires, et non pour le compte des magistrats concernés.

La demande présentée à ce titre sera rejetée.

Sur la distribution des poursuites

M. X soulève la nullité de la procédure en faisant valoir que les faits, dans la saisine disciplinaire du 18 mars 2022, sont dénoncés par le garde des Sceaux de façon trop générale et imprécise et que cela porte atteinte aux droits de la défense.

Le Conseil relève que la saisine disciplinaire du 18 mars 2022 cite très précisément plusieurs extraits de l’interview du magistrat sur la chaîne CNEWS ainsi que différents passages de son ouvrage publié le 26 août 2021, et énonce les qualifications disciplinaires que le garde des Sceaux entend retenir.

Dans ces conditions, le Conseil considère en conséquence qu’il ne peut être retenu aucune atteinte aux droits de la défense.

La demande présentée à ce titre sera rejetée.

Sur les règles de prescription

M. X soutient que si ses propos sont considérés comme injurieux ou à tout le moins diffamatoires, ils doivent être requalifiés, dans le cadre de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté d’expression, sous le terme de diffamation, qualification pour laquelle la durée de prescription est de trois mois révolus à partir de la diffusion des propos litigieux. Il soulève en conséquence la prescription des faits reprochés.

En l’espèce, le Conseil supérieur de la magistrature n’est nullement saisi d’une action en diffamation mais d’une procédure disciplinaire à l’encontre de M. X, pour laquelle le délai de prescription est de trois ans conformément à l’article 47 de l’ordonnances statutaire. En conséquence, le droit applicable à la diffamation, et notamment le délai de prescription, est inopérant dans la présente procédure.

La demande présentée à ce titre sera rejetée.

Sur l’irrecevabilité des nouvelles pièces versées par le procès-verbal du 16 novembre 2022

Le conseil de M. X soulève l’irrecevabilité du procès-verbal du 16 novembre 2022, versé aux débats par le rapporteur, qui relate les propos tenus par son client à l’occasion de l’émission télévisée « Touche pas à mon poste » sur la chaîne C8 les 21 et 24 octobre 2022, considérant que ces faits nouveaux devraient faire l’objet d’une nouvelle saisine du Conseil supérieur de la magistrature.

Le Conseil supérieur de la magistrature peut légalement, sous réserve que soient respectés les droits de la défense, connaître de l’ensemble du comportement du magistrat et n’est pas tenu de limiter son examen aux seuls faits qui ont été portés à sa connaissance par la saisine. En application de l’article 51 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, le rapporteur peut ainsi, pour apprécier les mérites de certains des griefs retenus à l’encontre d’un magistrat, relever dans son rapport des faits particuliers non mentionnés dans la saisine initiale et révélés au cours de l’enquête.

Le Conseil relève que le procès-verbal du 16 novembre 2022 a été notifié à M. X et à son conseil le 22 novembre 2022 par voie dématérialisé et qu’il a donc bénéficié d’un délai suffisant pour préparer sa défense.

La demande présentée à ce titre sera rejetée.

 

Sur les faits à l’origine de la poursuite disciplinaire

 

Après un premier parcours professionnel en qualité d’avocat, M. X, né le 16 janvier 1948, a intégré la magistrature en 1990 et a exercé des fonctions principalement pénales jusqu’au 23 février 2013, date de son placement en congé longue maladie. Il a fait valoir ses droits à la retraite le 1er juillet 2014.

 

Alors que M. X avait été nommé juge d’instruction au tribunal de X par décret du 28 juin 1990, son cabinet a fait l’objet d’une inspection par l’inspection générale des services judiciaires.

 

Le 1er octobre 2021, M. X, à l’occasion de la parution de son ouvrage intitulé « Ne faites jamais confiance à la justice de votre pays » sous-titré « Coup de tonnerre dans la magistrature », a donné une interview sur la chaîne de télévision CNEWS dans l’émission animée par M. B. Il s’exprimait sur plusieurs sujets relatifs au fonctionnement de la justice et à l’indépendance des magistrats. Il indiquait en substance qu’on assistait à une déshumanisation de la justice avec une « justice du clic » dans laquelle c’est l’ordinateur qui rend la décision, que l’indépendance de la justice était remise en cause par la pression politique et hiérarchique, et qu’il n’était pas possible de faire confiance à la justice française. Il reprenait ainsi les grandes thématiques de son livre autobiographique dans lequel il relate ses premières années d’exercice au sein du tribunal de X et ses réflexions sur l’institution judiciaire. Il y livre une critique virulente du fonctionnement de la justice et des magistrats.

 

Il donnait une seconde interview dans la même émission le 16 juin avec le bandeau « ce magistrat risque d’être sanctionné ». Postérieurement à son audition par le rapporteur de la saisine disciplinaire, il a participé   les 21 et 24 octobre 2022 à l’émission « Touche pas à mon poste » animée par M. C sur la chaîne C8.

 

Ces différentes interviews apportaient une forte publicité à l’ouvrage publié par M. X, ouvrage qui concentre les critiques les plus virulentes à l’encontre de l’institution judiciaire.

 

 

Sur les griefs et manquements

 

S’agissant du manquement au devoir de réserve en utilisant des termes outranciers et sur un ton catégorique et sans nuance pour décrire ses collègues et l’institution judiciaire et cela sur une chaîne de grande écoute ; en intitulant son ouvrage « ne faites jamais confiance à la justice de votre pays » ; en tenant au sein de cet ouvrage des propos remettant en cause l’indépendance des magistrats, la confiance des citoyens dans la justice ; en véhiculant des idées tronquées sur les magistrats du parquet en les rendant inféodés au pourvoir politique ou encore en s’exprimant sans mesure et dans des termes injurieux sur la féminisation de la magistrature ou le travail des magistrats ;

 

La liberté d’expression de tout citoyen bénéficie d’un niveau élevé de protection. En particulier, l’article 11 de la déclaration du 26 août 1789 des droits de l'homme et du citoyen dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme stipule que « toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ».

 

S’agissant plus particulièrement des magistrats, la liberté d’expression doit être conciliée avec leur devoir de réserve posé par l’article 10 de l’ordonnance statutaire. Aux termes de l’article 79 de l’ordonnance précitée, les magistrats honoraires sont également tenus à la réserve qui s’impose à leur condition.

 

Ainsi, si les magistrats peuvent faire connaître leur opinion, ils doivent toutefois s’exprimer de façon mesurée afin de ne pas compromettre l’image d’impartialité et de neutralité indispensable à la confiance du public ni porter atteinte au crédit et à l’image de l’institution judiciaire et des juges ni donner de la justice une image dégradée ou partisane. La parole du magistrat est en effet reçue comme l’expression d’une appréciation objective qui engage non seulement celui qui s’exprime mais aussi, à travers lui, toute l’institution de la Justice.

 

En l’espèce, sur l’indépendance des magistrats, M. X écrit dans son livre « les juges sont des pions que l’on déplace à la disposition de la chancellerie » (…) « l’indépendance décisionnelle du juge d’instruction n’est qu’un leurre qu’on agite sur le nez des gogos (…). Lors de son interview, il évoque à plusieurs reprises « la pression patente » qui s’exerce sur les juges, faisant état d’une pression politique et également hiérarchique. Il déplore de façon récurrente l’absence d’indépendance des membres du ministère public : « par l’entremise de ses petits soldats que sont les procureurs, le ministre de la justice est partie dans tous les dossiers d’instruction » ou « officiellement (le magistrat du ministère public) représente les intérêts de la société. En réalité il défend les intérêts du ministre de la justice ».

 

Il relate également à maintes reprises le fait qu’il n’est pas possible de faire confiance à la justice de son pays. Le titre de son ouvrage en témoigne très précisément et il écrit également « la confiance : une farce ! la justice : une parodie orchestrée par le pouvoir pour une question d’ordre public ». Il reprend d’ailleurs cette idée lors de son interview en disant « l’aléa judiciaire est à ce point large qu’on a plus de chance de gagner au loto que de gagner son procès » et ajoute : « on ne peut pas faire confiance à la justice pour le moment ».

 

Il critique avec virulence la féminisation de la justice : « elles en font des tonnes et ça gratouille du papier, et ça rentre dans les détails, et ça dissèque la pensée, ça veut tout comprendre, tout expliquer (…) elles fixent la norme selon leurs humeurs et participent au déclin de nos institutions. (…) la justice se déshumanise à mesure qu’elle se féminise ».

 

 

Il résulte de ces éléments oraux ou écrits que M. X ne se livre pas seulement à une critique sévère de l’institution judiciaire, qui relèverait de sa liberté d’expression, mais tient des propos outranciers, caricaturaux, voire outrageants notamment à l’égard des femmes magistrates. Que ce soit sur l’indépendance des magistrats, sur la confiance dans l’institution judiciaire ou sur la féminisation du corps judiciaire, il assène comme vérités des éléments non objectivés, non caractérisés, non étayés et procède systématiquement par jugements de valeur sans démonstration. Enfin, le lien qu’il noue entre déshumanisation et féminisation est injurieux pour l’ensemble des magistrates.

 

Ainsi, en mettant en doute sans nuance et sans objectivation les fondements de l’institution judiciaire, à savoir l’indépendance des juges et du ministère public, la qualité des magistrats, la crédibilité de l’institution judiciaire, il commet un manquement disciplinaire à son devoir de réserve.

 

 

S’agissant du manquement au devoir de délicatesse en tenant des propos mettant en cause plusieurs magistrats nominativement identifiés et ce à plusieurs reprises au sein de son ouvrage, en questionnant leur vie privée ou leur probité, en utilisant des termes très familiers pour les nommer ou en les comparant à des animaux ;

 

Il résulte des éléments versés au dossier que M. X n’hésite pas, dans son ouvrage, à critiquer des magistrats en usant de comparaisons animalières particulièrement grossières, associant ceux qui utilisent le logiciel pénal Cassiopée à des « chimpanzés ». Il qualifie également un membre du Conseil supérieur de la magistrature de « froid comme un lézard » ou un inspecteur général de « grand, sec, avec la tronche de l’emploi qui fait penser à celle du dindon ».   Il cite enfin nommément une magistrate en fonction au tribunal de XX qui, parce qu’elle « venait de se faire larguer par son mec », « condamnait tous les pères qui ne payaient pas à des peines de prison ferme avec mandat de dépôt à l’audience ».

 

Ces expressions, qui résument le mépris de M. X pour les magistrats, sont particulièrement injurieuses et constituent un manquement disciplinaire au devoir de délicatesse.

 

 

S’agissant du manquement à la confiance et au respect que la fonction de juge doit inspirer, et par là-même une atteinte à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire qui est montrée dans son ouvrage comme totalement partisane, soumise au pouvoir politique en proie à une informatisation aveugle et sourde aux attentes du justiciable ;

 

M. X relate dans son ouvrage les audiences correctionnelles auxquelles il a participé : « et pendant que les avocats plaident, moi je m’éloigne par la pensée. Je suis loin ; Mais qu’est-ce qu’elle est chiante cette avocate de permanence. Et je vais devoir me la farcir pendant toute l’audience. Et si je piquais un petit roupillon, moi ? ça y est c’est parti : je somnole ». Ces écrits particulièrement inadaptés ne sont pas dignes d’un magistrat et portent une atteinte grave à l’image de l’institution judiciaire. De même, ses propos sur les magistrats du ministère public, présentés comme des « petits soldats » à la solde du garde des Sceaux ou l’argument récurrent sur le système informatique qui décide des sanctions à la place du magistrat participent également de l’atteinte à la fonction de juger et à l’image de la justice.

 

En ce sens, ils constituent un manquement disciplinaire à la confiance et au respect que la fonction de juge doit inspirer, et par là-même une atteinte à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire.

Sur la sanction

 

Aux termes de l’article 79 de l’ordonnance statutaire précitée, le retrait de l’honorariat peut être prononcé pour des motifs tirés du comportement du magistrat honoraire depuis son admission à la retraite.

 

En l’espèce, les manquements déontologiques commis par ce magistrat honoraire sont constitutifs d’autant de fautes disciplinaires qui seront sanctionnées par le retrait de l’honorariat.

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS,

 

 

Le Conseil,

Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de M. Régis Vanhasbrouck, rapporteur ;

Statuant en audience publique, le 7 décembre 2022 pour les débats et le 18 janvier 2023, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Rejette les exceptions d’irrecevabilité et de nullité présentées par M. X ;

Prononce à l’encontre de M. X la sanction de retrait de l’honorariat ;

La présente décision sera notifiée à M. X, par courrier recommandé avec accusé de réception et à son conseil par voie dématérialisée.

Une copie sera adressée par voie dématérialisée à Monsieur le garde des Sceaux, ministre de la justice.

 

 

La secrétaire générale

 

 

Sophie Rey

Le président

 

 

Christophe Soulard