S257 1/2023

Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
11/01/2023
Qualification(s) disciplinaire(s)
Atteinte à l'image de la justice, Manquement à l'honneur et la dignité, Manquement au devoir d'impartialité, Manquement au devoir de loyauté et de délicatesse, Manquement au devoir de probité et d'intégrité, Manquement au devoir de prudence, Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat
Décision
exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux mois avec privation de la moitié du traitement
Mots-clés
atteinte au crédit et à l’image de la justice
Vol
Presse
liberté d’association
recevabilité nouveaux griefs
saisine initiale
étendue saisine du Conseil
principe du contradictoire
Droits de la défense
nouveaux griefs à l’audience
Condamnation pénale
condamnation pénale définitive
prérogatives du rapporteur
convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
Fonction
juge (fonctions civiles)
Résumé
En l’espèce, le rapporteur a notifié à Mme X lors de sa seconde audition devant lui les nouveaux griefs qu’il entendait retenir à son égard, constitutifs d’un manquement aux devoirs de son état visé dans l’acte de saisine initial. La magistrate poursuivie a été mise en mesure de présenter ses observations à cet égard à l’occasion de ladite audition mais aussi au cours de l’audience du conseil de discipline. Le principe du contradictoire ayant été respecté, le Conseil supérieur de la magistrature a considéré qu’il pouvait examiner au fond les griefs supplémentaires retenus par le rapporteur, susceptibles de constituer un manquement aux devoirs de l’état de magistrat. En revanche, les griefs développés à l’audience, à la fin de ses réquisitions par la représentante du garde des Sceaux, seront déclarés irrecevables comme tardifs et n’ont donc pas à être examinés au fond, Mme X n’ayant pas été mise en mesure de faire valoir ses moyens de défense sur ces points. Le fait d’avoir été définitivement condamné pour des faits de nature pénale, constitue un manquement à la probité et à l’honneur et sont incompatibles avec l’exigence de dignité qui s’impose, en toutes circonstances, à un magistrat, lequel doit, y compris dans sa vie privée, veiller au respect des devoirs de son état. Dès lors que les faits commis ont donné lieu à un jugement en audience publique, lequel a fait l’objet de plusieurs publications dans la presse, ils ont nécessairement porté atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer aux justiciables et par là-même à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire. Par ailleurs, le magistrat jouit, comme tout citoyen, de la liberté d’association. Ce droit est protégé par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Toutefois, le magistrat, tenu à un devoir d’impartialité et de neutralité, se doit d’éviter toute interférence entre son activité juridictionnelle et son activité associative. Or, en l’espèce, la preuve d’une telle interférence n’est pas rapportée.

CONSEIL

SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

 

Conseil de discipline des magistrats

du siège

 

 

 

DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE

 

 

 

Dans la procédure mettant en cause :

 

Mme X,

juge au tribunal judiciaire de xxxxx,

précédemment juge au tribunal judiciaire de xxxx,

 

 

Le Conseil supérieur de la magistrature,

Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,

 

Sous la présidence de M. Christophe Soulard, premier président de la Cour de cassation, président de la formation,

 

 

En présence de :

 

Mme Sandrine Clavel                                           

M. Yves Saint Geours                                                                   

Mme. Hélène Pauliat                                                                                

M. Georges Bergougnous                                                            

Mme Natali Fricero                                                                       

M. Jean-Christophe Galloux                                                        

M. Frank Natali                                                      

M. Didier Guérin                                                               

M. Benoit Giraud                                                                           

Mme Virginie Duval                                                         

M. Benoist Hurel                                        

Mme Dominique Sauves                                      

Mme Marie-Antoinette Houyvet

 

Membres du Conseil, siégeant,

 

 

Assistés de Mme Lise Chipault, secrétaire générale adjointe du Conseil supérieur de la magistrature et de Mme Aurélie Vaudry, greffière ;

 

 

Vu l’article 65 de la Constitution ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;

 

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

 

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

 

Vu l’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice, en date du 30 juillet 2021, reçu au Conseil le 4 août 2021, ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;

 

Vu l’ordonnance du 10 août 2021 désignant Mme Marie-Antoinette Houyvet en qualité de rapporteur ;

 

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Mme X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de Maître A, avocat au barreau de xxx, désigné par l’intéressée pour l’assister;

  

Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;

 

Vu la convocation à l’audience du 20 octobre 2022, adressée à Mme X le 21 novembre 2022 par lettre recommandée dont l’intéressée a accusé réception le 22 novembre 2022 ;

 

Vu la convocation à l’audience susvisée adressée par courriel en date du 21 novembre 2022 à Maître A, convocation qui a été téléchargée le jour même;

 

 

Après avoir entendu :

 

-   le rapport de Mme Marie-Antoinette Houyvet;

 

- les observations de Mme Soizic Guillaume, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, assistée de Mme Emilie Zuber, adjointe à la cheffe du bureau du statut et de la déontologie au sein de la même direction, qui a demandé le prononcé de la sanction disciplinaire de révocation prévue au 7° de l’article 45 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature;

 

- les explications et moyens de défense de Mme X et Maître A, avocat au barreau de xxx, Mme X ayant eu la parole en dernier ;

A rendu la présente

 

DÉCISION

 

 

Selon les dispositions du premier alinéa de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».

 

  1. Sur l’étendue de la saisine du Conseil

 

  1. Griefs initiaux et nouveaux griefs:

L’acte de saisine initial du garde des Sceaux, ministre de la justice, reçu au Conseil le 4 août 2021, a relevé plusieurs griefs portant sur des manquements imputés à Mme X, à savoir:

  • un manquement aux devoirs de probité, d’honneur et de dignité ainsi qu'aux devoirs de l’état de magistrat, en s’appropriant la chose d’autrui et en étant condamnée définitivement pour des faits de vol, nonobstant le fait d’avoir été dispensée de peine ;

 

  • une atteinte au crédit et à l’image de la justice, en adoptant un tel comportement dont la presse s’est fait l’écho et qui a eu un impact particulièrement important au sein des juridictions du ressort de la cour d’appel.

 

Au terme de l’instruction du dossier, le rapporteur a retenu des griefs supplémentaires, constitutifs d’un manquement aux devoirs de l’état de magistrat, résultant du fait d’avoir  créé E sans en informer sa hiérarchie et d’avoir continué à entretenir des contacts, notamment par le biais de cette association, avec certaines des familles suivies au cabinet du juge des tutelles pour mineurs du tribunal judiciaire de xxxx, intervenant même dans le suivi du dossier du mineur B, ce qui a mis en difficulté tant Mme C, qui lui a succédé comme juge des tutelles des mineurs, que Mme D, la greffière de ce service.

 

Aux termes de ses observations à l’audience du conseil de discipline en date du 30 novembre 2022, la représentante du garde des Sceaux, ministre de la justice, a indiqué qu’il convenait de retenir les nouveaux griefs soulevés par le rapporteur ainsi que d’autres nouveaux griefs, susceptibles de constituer des manquements disciplinaires supplémentaires, à savoir:

 

  • un manquement au devoir d’impartialité en adoptant une posture visible et notoire de proximité avec des justiciables, posture contraire au devoir d’impartialité qui était le sien et en s’exprimant publiquement en faveur des victimes ;

 

  • un manquement au devoir de prudence dans son expression dans les médias ;

 

  • un manquement au devoir de délicatesse en interférant dans un dossier dont elle n’avait plus la charge ;

 

  • un manquement au devoir de loyauté et de légalité, en omettant d’informer sa hiérarchie de la création de E, et ce en violation de l’article 7-2 de l’ordonnance statutaire, l’objet de cette association, créée dans le ressort de son tribunal d’exercice, étant incompatible avec ses fonctions de juge des tutelles des mineurs.

 

 

  1. Sur la recevabilité des griefs nouveaux :

Dans la décision qu’il a rendue le 26 octobre 2005 sur le recours d'un magistrat du parquet, le Conseil d’Etat a jugé que, sous réserve du respect des droits de la défense, le Conseil supérieur de la magistrature pouvait légalement connaître de l’ensemble du comportement du magistrat concerné et n’était pas tenu de limiter son examen aux seuls faits qui ont été initialement portés à sa connaissance (CE n°278224 du 26 octobre 2005). Il a rappelé ce principe dans une décision du 26 juillet 2007 concernant un magistrat du siège (CE n°293059 du 26 juillet 2007).

Le Conseil d’Etat a également considéré que le Conseil supérieur de la magistrature pouvait sanctionner un magistrat pour un grief différent de celui dont il avait été saisi par le garde des Sceaux au regard des faits relevés par le rapporteur (CE n°276042, 278318, 280402 du 15 mars 2006) et qu’il était saisi de l’examen de « l’ensemble du comportement du magistrat », sans limitation aux seuls faits visés dans l’acte de saisine, et des éléments portés à la connaissance du rapporteur au cours de l’enquête (CE n° 312928, 314791 du 21 octobre 2009).

 

En l’espèce, le rapporteur a notifié à Mme X lors de son audition du 9 novembre 2022 les nouveaux griefs qu’il entendait retenir à son égard, constitutifs d’un manquement aux devoirs de son état visé dans l’acte de saisine initial. La magistrate poursuivie a été mise en mesure de présenter ses observations à cet égard à l’occasion de ladite audition mais aussi au cours de l’audience du conseil de discipline en date du 30 novembre 2022.

 

Le principe du contradictoire ayant été respecté, le Conseil supérieur de la magistrature examinera au fond les griefs supplémentaires retenus par le rapporteur, susceptibles de constituer un manquement aux devoirs de l’état de magistrat.

 

En revanche, les griefs développés à l’audience, à la fin de ses réquisitions par la représentante du garde des Sceaux, seront déclarés irrecevables comme tardifs et ne seront pas examinés au fond, Mme X n’ayant pas été mise en mesure de faire valoir ses moyens de défense sur ces points.

 

  1. Sur les faits

 

  1. Sur les faits à l’origine de la poursuite disciplinaire du garde des Sceaux

 

Le 7 mai 2020, une femme a signalé aux services de police la perte d’un portefeuille contenant notamment 200 euros en espèces au magasin xxxx de xxxx. L’exploitation des enregistrements audiovisuels des caméras de surveillance du magasin établissait qu’une jeune femme se trouvait en caisse, derrière cette cliente, quand elle s'est baissée pour prendre le portefeuille de celle-ci, tombé au sol, en prenant soin de le dissimuler sous un sac en plastique dans lequel elle le mettait.

 

Le 19 juin 2020, Mme X, cliente régulière du magasin, est revenue y faire ses courses. Le responsable du magasin, reconnaissant la jeune femme qui avait récupéré le portefeuille tombé au sol le 7 mai 2020, a immédiatement avisé les services de police. Ceux-ci se sont déplacés et ont procédé au contrôle de l’intéressée. Elle leur a alors présenté une carte professionnelle de magistrat au nom de Mme X, leur a indiqué être juge au tribunal correctionnel de xxxx et être une cliente régulière du magasin. Elle s’est défendue d'être l'auteur d’un quelconque vol, arguant du fait qu’à la date des faits, elle était confinée.

 

Sur le film de la vidéo-surveillance qui leur était présenté par les fonctionnaires de police en charge du dossier de vol, à la suite de la procureure de la République près le tribunal judiciaire de xxxx, la présidente de la juridiction et une première vice-présidente, ont identifié formellement Mme X comme étant l'auteur du vol et ont confirmé que celle-ci était bien juge au tribunal judiciaire de xxxx, et ce depuis le 1er septembre 2015. Elle y exerçait principalement les fonctions de juge aux affaires familiales, assurait également le service des tutelles mineurs et contribuait au service général de la juridiction. Le jour des faits, elle avait été autorisée à se rendre sur son lieu de travail dans le cadre du plan de continuation d’activité.

 

Eu égard à la qualité de magistrate de la mise en cause, le dossier d'enquête du chef de vol a été dépaysé au tribunal judiciaire de xx.

 

Le procureur de la République près le tribunal judiciaire de xx a confié la poursuite de l'enquête du chef de vol au service régional de police judiciaire (SRPJ) de xx, service dans les locaux duquel Mme X a été convoquée pour une audition libre le 26 juin 2020 puis une nouvelle fois, à sa demande, le 30 juin 2020. Mme X a alors reconnu avoir ramassé le portefeuille mais a indiqué ne pas s’expliquer son geste et ne jamais avoir eu pour intention de le dérober. Elle a attribué son comportement aux difficultés personnelles qu’elle traversait à cette période.

 

Le 16 juillet 2020, une convocation par officier de police judiciaire lui a été notifiée pour l'audience du 16 juillet 2020 mais l'affaire a été renvoyée, à la demande de son conseil.

 

Compte tenu de la procédure pénale en cours pour des faits commis dans le ressort du tribunal judiciaire de xxxx, Mme X a été déléguée par la première présidente au tribunal judiciaire du xxxxxx à compter du 15 septembre 2020.

 

A l'audience du tribunal correctionnel de xx en date du 17 décembre 2020, elle s’en est tenue pour l'essentiel à la même version des faits. Elle s’est excusée tout en rappelant qu'elle n'était pas dans son état normal.

 

Par jugement contradictoire en date du 29 décembre 2020, le tribunal correctionnel de xx a déclaré Mme X coupable des faits de vol, « l'intention d'appropriation frauduleuse résultant », pour le tribunal, « du comportement de X et consistant à glisser le portefeuille ramassé, qu'elle savait ne pas lui appartenir, au demeurant de couleur différente que le sien qu'elle tenait de l'autre main, dans le sac en plastique de course qu'elle a fait tomber sur le sol à cette fin. Cette intention délictueuse l'a empêchée ensuite et alors qu'elle avait pris conscience de la mesure de son acte, de restituer l'objet dérobé ». Il l’a néanmoins dispensée de peine.

 

Pour autant et tout en disant accepter sa condamnation pour vol, Madame X a persisté à contester l'élément intentionnel de l'infraction, et ce y compris lors de l’audience du conseil de discipline.

 

 

 

 

  1. Sur les faits nouveaux révélés lors de l’instruction du dossier par le rapporteur

 

L'instruction du dossier par le rapporteur a révélé que Mme X avait été à l'origine de la création, au mois de février 2021, sans en faire part à sa hiérarchie, de E dont elle était la présidente. Les actions de cette association, souvent médiatisées, avaient pour objet de « redonner le sourire aux enfants qui ont perdu leur maman, leur papa, voire leurs deux parents, accompagner les enfants faisant suite au décès de leur maman ou de leur papa dans des conditions brutales et tragiques telles qu'un homicide, un attentat, un accident ou un suicide, aider les enfants, les accompagner, ainsi que leur famille, dans leur reconstruction après la perte d'une maman ou d'un papa, ou des deux parents à travers notamment des actions culturelles et sportives, aider matériellement, financièrement et moralement les enfants, les soutenir, les aider et partager avec les familles qui en ont besoin un accompagnement ».

 

Lors de son audition du 15 avril 2022, Mme X a déclaré que cette association la conduisait à avoir des contacts avec des mineurs qu'elle avait suivis quand elle était juge des tutelles des mineurs à xxxx ainsi qu'avec leur famille. Elle a indiqué avoir délibérément tu l'existence de cette association à la présidente du tribunal judiciaire de xxxx, dont elle s'était éloignée et qui, selon elle, n'aurait pas manqué de lui signaler qu'elle avait tort de s'engager ainsi dans une telle association. Lors de son audition du 9 novembre 2022, Mme X a précisé au rapporteur qu'elle avait envoyé un courriel à la première présidente dans lequel elle lui faisait part de ce qu'elle envisageait de s'investir dans le secteur associatif pour se reconstruire.

 

Entendue par le rapporteur, Mme C, qui a succédé à Mme X depuis son éviction du service des tutelles des mineurs, a expliqué que la proximité entre sa collègue et certaines familles l’avait mise en difficulté ainsi que la greffière du cabinet. Mme C et la greffière ont ainsi déclaré que Mme X avait continué à intervenir dans le dossier du mineur B, pour lequel elle avait téléphoné à la greffière, en lui indiquant que la mère de l’enfant était en colère contre les décisions rendues par Mme C et que si cette dernière refusait de donner une suite favorable au devis de clôture de la maison d'habitation présenté par la mère, celle-ci risquait de s'adresser à la première présidente de la cour d'appel de xx.

 

Au cours de son audition du 9 novembre 2022 et à l’audience, Mme X a fait remarquer que les affirmations de Mme C et de Mme D n'étaient pas datées et que si ce qu'elles rapportaient s'était déroulé au mois de juillet 2020, à un moment où elle était en arrêt maladie, il était logique qu'elle intervienne dans les dossiers dont elle avait, de fait, encore la charge. Elle a néanmoins contesté avoir dit à la greffière qu'elle pourrait s'adresser à la première présidente si Mme C ne donnait pas une suite favorable à la demande de la mère du mineur.

 

Après avoir fortuitement appris que Mme X avait créé en février 2021 E et qu'elle avait donné des interviews à la fois comme juge à xxxx et comme présidente de cette association, la présidente du tribunal judiciaire de xxxx a convoqué l’intéressée, laquelle a été rappelée à ses obligations déontologiques le 21 juillet 2021.

 

A l’audience, Mme X a justifié avoir démissionné de la présidence de E le 23 avril 2022.

 

 

  1. Discussion sur les griefs et manquements

 

  1. S’agissant du manquement aux devoirs de probité, d’honneur et de dignité ainsi qu'aux devoirs de l’état de magistrat, résultant du fait de s’approprier la chose d’autrui et d’avoir été condamnée définitivement pour des faits de vol, nonobstant le fait d’avoir été dispensée de peine :

 

Il résulte des éléments figurant au dossier de la procédure disciplinaire que par jugement en date du 29 décembre 2020, le tribunal correctionnel de xx a déclaré Mme X coupable des faits de vol et l’a dispensée de peine.

 

Aucune des parties n’ayant interjeté appel dudit jugement, celui-ci a désormais acquis un caractère définitif.

 

La matérialité des faits constatés par ce jugement, à laquelle s’attache l’autorité de la chose jugée, est donc établie.

 

Ces faits constituent un manquement à la probité et à l’honneur et sont incompatibles avec l’exigence de dignité qui s’impose, en toutes circonstances, à un magistrat, lequel doit, y compris dans sa vie privée, veiller au respect des devoirs de son état.

 

 

  1. S’agissant de l’atteinte au crédit et à l’image de la justice résultant de ce que la presse s’est fait l’écho de ce comportement, lequel a eu un impact particulièrement important au sein des juridictions du ressort de la cour d’appel :  

 

Dans son édition du vendredi 18 décembre 2020, le journal local F a titré en une: « La magistrate...jugée pour vol ». Ledit bandeau figurait sur les panneaux publicitaires de ce quotidien disposés devant les buralistes et presses locales pour la région G. L'article faisait expressément mention du lieu habituel des fonctions de la magistrate poursuivie (xxxx) et de son affectation au xxxxxx depuis le mois de septembre 2020.

 

Un nouvel article est dans le journal local du 30 décembre 2020 avec pour titre « la juge voleuse dispensée de peine ».

 

Enfin, un article paru dans H du 17 février 2021 a titré « La juge pique à la caisse ».

 

Par ailleurs, la première présidente de la cour d'appel de xx a indiqué que la condamnation de Mme X avait eu un retentissement notable pour l'ensemble des magistrats du ressort de la cour d'appel de xx, et tout particulièrement au tribunal judiciaire du xxxxxx où les magistrats ignoraient les raisons de la délégation de leur collègue mais aussi au tribunal judiciaire de xxxx.

 

La première présidente de la cour d'appel de xx a précisé que la parution du premier article avait causé un véritable séisme dans la juridiction de xxxx. Ce séisme a été d’autant plus grand qu'à l'exception de certains magistrats du siège, les autres magistrats, les fonctionnaires et les auxiliaires de justice ignoraient les circonstances dans lesquelles Madame X avait soudainement quitté le tribunal judiciaire de xxxx.

 

Mme X a elle-même reconnu que son comportement avait jeté le discrédit sur l'institution.

 

Dès lors que les faits commis ont donné lieu à un jugement en audience publique, lequel a fait l’objet de plusieurs publications dans la presse, ils ont nécessairement porté atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer aux justiciables et par là-même à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire.

 

Partant, il y a lieu de considérer que ce grief est caractérisé.

 

 

  1. S’agissant du manquement au devoir de l’état de magistrat résultant du fait d’avoir créé E sans en informer sa hiérarchie, d’avoir continué à entretenir des contacts, notamment par le biais de cette association, avec certaines des familles suivies au cabinet du juge des tutelles pour mineurs du tribunal judiciaire de xxxx, intervenant même dans le suivi du dossier du mineur B, ce qui a mis en difficulté tant Mme C qui lui a succédé comme juge des tutelles pour mineurs, que Mme D, la greffière de ce service :

 

Le magistrat jouit, comme tout citoyen, de la liberté d’association. Ce droit est protégé par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. 

 

Toutefois, le magistrat, tenu à un devoir d’impartialité et de neutralité, se doit d’éviter toute interférence entre son activité juridictionnelle et son activité associative.

 

Or, en l’espèce, il ne résulte d’aucun élément du dossier que tel ait été le cas. Notamment, il est constant que l’intéressée avait déjà quitté ses fonctions de juge des tutelles mineurs au tribunal judiciaire de xxxx lors de la création, au mois de février 2021, de E, dont le siège social est au demeurant situé dans les xxxx, soit en dehors du ressort de la cour d’appel de xx.

 

Dès lors, compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que la preuve d’une telle interférence n’est pas rapportée.

 

De même, il n’est pas non plus établi par les pièces de la procédure que Mme X serait intervenue dans le dossier du mineur B alors qu’elle n’était plus en charge du cabinet de juge des tutelles au tribunal judiciaire de xxxx.

 

En effet, ni Mme C ni Mme D n’ont été en mesure, lors de leur audition, de dater l’appel téléphonique évoqué et il n’est donc pas démontré ainsi de manière certaine que cette intervention soit postérieure à la date à laquelle Mme X a effectivement quitté la juridiction de xxxx pour rejoindre celle du xxxxxx.

 

Partant, ces griefs seront écartés en ce qu’ils sont insuffisamment caractérisés.  

 

  1. Sur la sanction

Le manquement aux devoirs de probité, d’honneur et de dignité ainsi qu'aux devoirs de l’état de magistrat qui peuvent être imputés à Mme X constitue une faute disciplinaire. Il a porté atteinte, de manière incontestable et durable, au crédit et à l’image de la justice.

Toutefois, il s’agit d’un acte isolé dans un parcours professionnel de qualité, commis dans un contexte de fragilité personnelle importante objectivé par l’expertise psychiatrique réalisée à la demande du rapporteur.

Par ailleurs, Mme X, qui exerce des fonctions civiles au tribunal judiciaire de xxxxx depuis le 1er septembre 2021, a retrouvé une certaine stabilité professionnelle, dans un autre ressort de cour d’appel que celui dans lequel les faits ont été commis. Elle donne entière satisfaction dans sa nouvelle juridiction et dans les nouveaux contentieux qu’elle traite.  

Aussi, eu égard à la nature des faits reprochés à l’intéressée, au contexte de leur commission et à leur caractère isolé dans un parcours de qualité, il convient de prononcer à l’encontre de Mme X, la sanction d’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux mois avec privation de la moitié de son traitement, prévue au 4° bis de l’article 45 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

 

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS,

 

 

Le Conseil,

Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de Mme Marie-Antoinette Houyvet, rapporteur ;

Statuant en audience publique, le 30 novembre 2022 pour les débats et le 11 janvier 2023, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

PRONONCE la sanction d’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux mois avec privation de la moitié de son traitement à l’encontre de Mme X, sanction prévue au 4° bis de l’article 45 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

La présente décision sera notifiée à Mme X.

Une copie sera adressée à M. le garde des Sceaux, ministre de la justice.

 

 

La secrétaire générale adjointe

 

 

Lise Chipault

Le président

 

 

Christophe Soulard