Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
16/11/2022
Qualification(s) disciplinaire(s)
Atteinte à l'image et à l'autorité de la justice, Manquements à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer aux justiciables, Manquement au devoir de probité (devoir de loyauté à l’égard de l’institution judiciaire)
Décision
Dit n’y avoir lieu à sanction disciplinaire
Mots-clés
Loyauté
Probité
Confiance
respect des fonctions du juge
image et autorité de l’institution judiciaire
Légalité
minute
destruction jugement
accord des parties
Avocat
infraction pénale
voies de recours
rôle d’audience
Condamnation pénale
Fonction
vice-présidente
Résumé
Le Conseil a rappelé que la remise en cause d’une décision judiciaire n’était possible que par l’exercice des voies de recours légales et a donc considéré que la magistrate aurait dû s’interdire de rectifier son premier jugement notifié aux parties en dehors de tout cadre légal, et ce, même si cette rectification répondait à une demande des parties et était une pratique susceptible d’avoir eu cours dans certains services de la juridiction. En outrepassant la règle de droit, la magistrate a ainsi manqué à son devoir de loyauté imposant le respect de la légalité. Par ailleurs, la magistrate n’ayant fait l’objet d’aucune condamnation pénale à ce stade pour les faits objet des poursuites disciplinaires, le Conseil a considéré qu’il n’était pas possible de lui imputer un quelconque manquement au devoir de probité tel que libellé dans l’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice. Enfin, le Conseil a estimé qu’au regard du contexte de la commission des faits, il n’était pas établi que la magistrate aurait porté atteinte à la confiance et au respect que la fonction de juge doit inspirer et par là-même à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire. Au total, le Conseil a décidé qu’au regard du contexte de commission des faits (accord des parties, juridiction en sous-effectif, déficit de hiérarchie intermédiaire, congés scolaires imposés par la situation sanitaire) ainsi que du parcours professionnel exemplaire de la magistrate et de sa remise en cause depuis cet incident, rendant le risque de réitération particulièrement faible, il n’y avait pas lieu au prononcé d’une sanction disciplinaire à l’encontre de Mme X.

CONSEIL

SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

 

Conseil de discipline des magistrats

du siège

 

 

 

DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE

 

 

 

Dans la procédure mettant en cause :

 

Mme X

Conseillère à la cour d’appel de Xxxx, précédemment vice-présidente

au tribunal judiciaire de Xxx

 

 

Le Conseil supérieur de la magistrature,

Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,

 

Sous la présidence de M. Christophe Soulard, premier président de la Cour de cassation, président de la formation,

 

 

En présence de :

 

Mme Sandrine Clavel

M. Georges Bergougnous

Mme Hélène Pauliat

Mme Natalie Fricero

M. Jean-Christophe Galloux

M. Frank Natali

M. Didier Guérin

M. Régis Vanhasbrouck

M. Benoit Giraud

Mme Virginie Duval

Mme Dominique Sauves

 

Membres du Conseil, siégeant,

 

 

Assistés de Mme Lise Chipault, secrétaire générale adjointe du Conseil supérieur de la magistrature et de Mme Aurélie Vaudry, greffière ;

 

 

 

Vu l’article 65 de la Constitution ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;

 

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

 

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

 

Vu l’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice, en date du 9 février 2022, reçu au Conseil le 11 février 2022, ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;

 

Vu l’ordonnance du 11 février 2022 désignant M. Jean-Christophe Galloux en qualité de rapporteur ;

 

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Mme X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de Maître A, avocat au barreau de Xxxxx, désigné par l’intéressée pour l’assister;

  

Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;

 

Vu la convocation à l’audience du 20 octobre 2022, adressée à Mme X par lettre recommandée le 23 septembre 2022, dont elle a accusé réception le 27 septembre 2022 et notifiée par la voie hiérarchique le 12 octobre 2022 ;

 

Vu la convocation à l’audience susvisée adressée par courriel en date du 23 septembre 2022 à Maître A, courrier qui a été téléchargé le jour même ;

 

 

Après avoir entendu :

 

-   le rapport de M. Jean-Christophe Galloux;

 

- les observations de Mme Soizic Guillaume, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, assistée de Mme Philippine Roux, magistrate au bureau du statut et de la déontologie à la sous-direction des ressources humaines de la magistrature au sein de la même direction, qui a demandé le prononcé de la sanction disciplinaire de blâme avec inscription au dossier prévue au 1° de l’article 45 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature;

 

- les explications et moyens de défense de Mme X et Maître A, avocat au barreau de Xxxxx, Mme X ayant eu la parole en dernier ;

A rendu la présente

 

DÉCISION

 

L’acte de saisine du garde des Sceaux, ministre de la justice, relève plusieurs griefs portant sur des manquements imputés à Mme X, à savoir:

  • un manquement au devoir de loyauté, qui impose le respect de la légalité, en rendant un nouveau jugement alors qu’un jugement avait déjà été rendu entre les mêmes parties et pour les mêmes causes et notifié aux parties, en acceptant que la minute de ce précédent jugement et ses expéditions soient détruites par la greffière et que le rôle de l’audience soit modifié a posteriori ;

 

  • un manquement au devoir de probité, en commettant des faits constitutifs d’infractions pénales ;

 

  • une atteinte à la confiance et au respect que la fonction de juge doit inspirer, et par là-même, une atteinte à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire.

Selon les dispositions du premier alinéa de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».

 

 

Sur les faits à l’origine de la poursuite disciplinaire

 

Au moment des faits qui lui sont reprochés, Mme X, magistrate depuis 2005, exerçait les fonctions de vice-présidente au tribunal judiciaire de Xxx, fonctions dans lesquelles elle avait été installée le 23 septembre 2015. Elle traitait principalement du contentieux civil.

 

Le poste de juge de l’exécution était occupé par des juges placés jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle collègue au mois de décembre 2020. Ce poste étant resté vacant pendant plusieurs mois, Mme X avait été amenée, à trois ou quatre reprises, à présider des audiences de saisies immobilières et était, après l’arrivée de la nouvelle collègue, susceptible de la remplacer en cas d’absence. Ce fut précisément le cas de l’audience du 9 février 2021. La greffière d’audience était en charge du service de l’exécution depuis son arrivée dans la juridiction en 2020, à sa sortie de l’Ecole nationale des greffes.

 

Le dossier abordé à l’audience du 9 février 2021 présidée par Mme X et ayant donné lieu aux faits objet de la poursuite disciplinaire est un dossier de saisie immobilière. Le 20 juillet 2020, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Xxx avait en effet été saisi par dépôt au greffe de trois assignations, enrôlées sous trois numéros de registre différents, au nom de deux créanciers poursuivants. Au cours de l’été 2020, le greffe avait été destinataire de dénonciations d’autres créanciers mais ceux-ci n’avaient pas été enregistrés dans le logiciel WinciTgi.

 

A l’issue de l’audience du 9 février 2021, la décision a été mise en délibéré au 30 mars 2021. Un avis de prorogation au 9 avril 2021 a été transmis aux parties.

 

Par décision en date du 9 avril 2021, la vente forcée des biens (trois lots : une maison, un hangar et des vignes) a été ordonnée.  La copie exécutoire a été transmise à l’avocat de l’un des créanciers poursuivants et des copies certifiées conformes aux avocats des débiteurs et des créanciers inscrits.

 

Le 12 avril 2021, l’avocat d’un des créanciers inscrits a pris attache avec la greffière pour signaler qu’il manquait un créancier dans la décision.

 

Par courriel en date du 14 avril 2021, la greffière a alors contacté les autres avocats des parties pour leur demander « de lui retourner leur exemplaire du jugement (si aucune notification n’a été effectuée) ». Tous les avocats ont restitué les copies reçues.

 

Par courriel du même jour, la greffière en a informé Mme X, laquelle était en congés depuis le 12 avril 2021 et jusqu’au 16 avril 2021 inclus. Celle-ci lui a répondu le même jour en indiquant qu’elle acceptait de « reprendre sa copie » en ajoutant les mentions manquantes et de proroger le délibéré au 23 avril 2021, jour de son retour au tribunal à l’issue d’une semaine de congés et de quatre jours de télétravail.

 

Le 23 avril 2021, une nouvelle décision a été rendue. Cette nouvelle décision, en comparaison de celle du 9 avril 2021, mentionnait dans le chapeau un autre créancier inscrit et, dans la partie relative à l’exposé du litige, la dénonciation des créances des créanciers inscrits agissant dans les différentes procédures de saisie qui avaient été jointes entre elles. Le dispositif de la décision avait également été modifié, la vente étant désormais fixée à la date du 13 juillet 2021, ultérieure à celle du 22 juin 2021 prévue dans la décision du 9 avril 2021.

 

Une fois la décision rendue, la greffière a déchiré la décision du 9 avril 2021, qui n’avait pas été minutée avant d’être adressée aux parties, et minuté celle du 23 avril 2021. De nouvelles copies et expéditions ont été adressées aux conseils des parties.

 

L’avocat des débiteurs s’étant entretemps retiré, un nouvel avocat a été désigné.

 

Le 27 mai 2021, celui-ci a interjeté appel de la décision du 9 avril 2021 puis, le 4 juin 2021, de celle du 23 avril 2021.

 

Le 2 juillet 2021, la chambre civile de la cour d’appel de Xxxxx, après avoir joint les deux instances, a déclaré sans objet l’appel interjeté à l’encontre de la décision du juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Xxx datée du 9 avril 2021, constatant que ladite décision ne portait aucun numéro de minute. Elle a également déclaré irrecevable comme tardif l’appel interjeté le 2 juin 2021 à l’encontre de la décision du juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Xxx datée du 23 avril 2021 et a notamment condamné les débiteurs aux entiers dépens d’appel.

 

Un pourvoi en cassation a été formé à l’encontre de l’arrêt du 2 juillet 2021.

 

Le 16 juillet 2021, l’avocat des débiteurs a déposé une plainte pénale des chefs de faux et usage de faux à l’encontre de Mme X et de la greffière. 

 

Le 10 septembre 2021, cette plainte a fait l’objet d’un dépaysement au visa de l’article 43 du code de procédure pénale. Le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Xxxxx a été désigné, les faits ayant été analysés comme des faits de faux en écriture publique par personnes dépositaires de l’autorité publique, relevant du pôle criminel de Xxxxx.

 

Le 2 décembre 2021, Mme X, reçue par le premier président de la cour d’appel de Xxxxx, a admis avoir commis une erreur, qu’elle a attribuée à son inexpérience en droit de l’exécution et à sa situation de congés au moment où elle avait reçu un message de la greffière l’interrogeant sur la conduite à tenir suite à la difficulté signalée par un des conseils des parties.

 

Le 22 décembre 2021, le premier président de la cour d’appel de Xxxxx a adressé à la direction des services judiciaires un rapport relatif à ces faits.

 

C’est dans ces circonstances que par acte en date du 9 février 2022, reçu le 11 février 2022, le garde des Sceaux, ministre de la juste, a saisi le Conseil supérieur de la magistrature de poursuites disciplinaires à l’encontre de Mme X.

 

Quant à la procédure pénale, elle est toujours pendante, l’un des débiteurs s’étant constitué partie civile devant le juge d’instruction. Dans le cadre de l’information judiciaire en cours, Mme X a été placée sous le statut de témoin assistée et la greffière a été mise en examen.

 

 

Sur les griefs et manquements

 

 

S’agissant du manquement au devoir de loyauté

 

Mme X a reconnu avoir modifié la décision qu’elle avait rendue le 9 avril 2021 à l’issue de l’audience du 9 février 2021 en procédant à l’ajout, dans la partie relative à l’exposé du litige, de la dénonciation des créances des créanciers inscrits agissant dans les différentes procédures de saisie qui avaient été jointes entre elles. Elle a également reconnu avoir rectifié le dispositif de la décision en modifiant la date de la vente initialement fixée à la date du 22 juin 2021, à laquelle elle a substitué la date du 13 juillet 2021 pour tenir compte des délais légaux.

 

Or, une décision erronée ne peut être remise en cause que par le seul exercice des voies de recours légales.

 

Aussi, Mme X aurait dû s’interdire le comportement en cause, fût-il incité par l’une des parties, en accord avec les avocats des autres parties à l’instance, et fût-il issu d’une pratique susceptible d’avoir eu cours dans certains services de la juridiction.

 

Il s’ensuit qu’en outrepassant ainsi la règle de droit par la modification d’une décision judiciaire, Mme X a incontestablement manqué à son devoir de loyauté, lequel impose le respect de la légalité. 

 

En revanche, il ne ressort ni des déclarations de la greffière ni d’aucune autre pièce du dossier que Mme X aurait accepté que la minute d’une première décision fût détruite et que le rôle de l’audience fût modifié a posteriori, de sorte que ces deux griefs, retenus dans l’acte de saisine du garde des Sceaux, seront écartés.

 

 

S’agissant du manquement au devoir de probité

 

L’acte de saisine du garde des Sceaux vise un manquement au devoir de probité qui résulterait de la commission, par Mme X, de faits constitutifs d’infractions pénales.

 

Or, Mme X n’a, pour l’heure, fait l’objet d’aucune condamnation pénale pour les faits objet de la saisine disciplinaire.

 

Il s’ensuit qu’en l’état, il ne peut lui être reproché d’avoir commis des faits constitutifs d’infractions pénales.

 

Ce grief, tel que libellé dans l’acte de saisine du garde des Sceaux, sera écarté.

 

 

S’agissant de l’atteinte à la confiance et au respect que la fonction de juge doit inspirer et par là-même à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire

 

Si Mme X a incontestablement manqué à son devoir de légalité en modifiant une décision de justice sans respecter les règles de procédure applicables en la matière, il n’est pas établi, au regard du contexte de commission des faits, qu’il aurait été porté atteinte à la confiance et au respect que la fonction de juge doit inspirer et par là-même à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire.

 

Partant, ce grief sera écarté.

 

Sur la sanction

Le manquement au devoir de légalité imputable à Mme X est constitutif d’une faute disciplinaire.

Toutefois, il s’agit d’un acte isolé dans un parcours professionnel pouvant être qualifié d’exemplaire, commis par une magistrate du premier grade, consciencieuse et volontaire, appelée très souvent à remplacer ses collègues dans des contentieux divers qu’elle ne pratiquait pas au quotidien, au sein d’une juridiction en sous-effectif et souffrant d’un déficit de hiérarchie intermédiaire. C’est justement dans un tel contexte que les faits ont eu lieu.

Par ailleurs, lorsque la greffière a contacté Mme X pour lui signaler l’omission de plusieurs créanciers dans la décision du 9 avril 2021, cette dernière se trouvait en situation de congés. Elle ne disposait pas du dossier à son domicile et n’a pas été mise en mesure de le reprendre avec recul.

De surcroît, les modifications apportées l’ont été avec l’accord des avocats de toutes les parties, lesquelles ont accepté de restituer à la greffière l’exemplaire de la décision du 9 avril 2021 qui leur avait initialement été adressé.

Enfin, Mme X, parfaitement consciente du caractère fautif du manquement déontologique qui lui est imputable, a exprimé des regrets et a fait preuve de remise en cause, de sorte que le risque de réitération d’un tel comportement est particulièrement faible.

Dès lors, compte tenu du caractère circonscrit et unique de la faute commise, du contexte dans lesquels les faits s’inscrivent ainsi que de la qualité du parcours professionnel de Mme X, il convient de dire n’y avoir lieu au prononcé d’une sanction disciplinaire à l’encontre de celle-ci.

 

 

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS,

 

 

Le Conseil,

Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de M. Jean-Christophe Galloux, rapporteur ;

Statuant en audience publique, le 20 octobre 2022 pour les débats et le 16 novembre 2022, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

DIT n’y avoir lieu au prononcé d’une sanction disciplinaire à l’encontre de Mme X;

La présente décision sera notifiée à Mme X par la voie hiérarchique.

Une copie sera adressée à M. le garde des Sceaux, ministre de la justice.

 

 

La secrétaire générale adjointe

 

 

Lise Chipault

Le président

 

 

Christophe Soulard