Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
19/12/2019
Qualification(s) disciplinaire(s)
absence d’obtention d’une dérogation individuelle pour dispenser les formations, Manquement au devoir d’impartialité et absence de déport
Décision
Non-lieu à sanction
Mots-clés
Renvoi des fins de la poursuite - Commission d'admission des requêtes
plainte du justiciable
Non-lieu à sanction
Impartialité objective
Déport
Récusation
conflits d’intérêts
activité d’enseignement
dérogations individuelles
déclaration d’intérêts
Fonction
Président de chambre à la Cour de cassation - Conseillers à la Cour de cassation
Résumé
Le Conseil relève que l’impartialité du magistrat constitue, pour celui-ci, un devoir absolu, destiné à rendre effectif l’un des principes fondateurs de la République : l’égalité des citoyens devant la loi. Ce principe trouve son corollaire dans l’obligation de déport lorsqu’un lien existe entre le magistrat et l’une des parties d’un litige qu’il est appelé à trancher. Cette obligation est reprise dans le recueil de déontologie diffusé en janvier 2019 : « Le magistrat se déporte, sans attendre une éventuelle demande de récusation lorsqu’une situation fait naître, dans son esprit, dans celui des parties ou du public un doute légitime sur son impartialité ou l’existence d’un conflit d’intérêts ». En l'espèce, la participation régulière et rémunérée des magistrats mis en cause à des journées d’études organisées par une société privée, à destination d’un public qui y accédait en réglant des frais d’inscription, constituait un lien d’intérêt entre les magistrats et l’une des parties au pourvoi qu’ils jugeaient. L’existence de ce lien a pu créer un doute légitime dans l’esprit du justiciable sur l’impartialité des magistrats mis en cause. Les magistrats mis en cause se sont d’ailleurs interrogés sur l’opportunité d’un déport en raison d’une atteinte à l’impartialité objective. Dès lors, les magistrats en cause, auraient dû faire usage de la règle du déport. Toutefois, il n’est pas contesté que, dans le cadre de ces interventions extérieures, les magistrats n’entretenaient aucune relation directe avec les dirigeants des sociétés en cause, n’étaient pas choisis comme intervenants intuitu personae mais en raison de leur statut et de leur position au sein de leur juridiction, n’étaient pas salariés de la société puisqu’ils disposaient d’une liberté totale d’intervention, et n’avaient aucun lien de subordination avec les sociétés. Enfin, leur rémunération pour ces interventions était forfaitaire, d’un montant conforme aux usages et ne constituait pas pour eux une condition de leurs interventions. Compte tenu de ces circonstances particulières, le Conseil considère que l’inobservation des règles déontologiques constatée n’atteint pas un niveau de gravité la rendant constitutive d’une faute disciplinaire. // L’article 8 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature dispose que « l’exercice des fonctions de magistrat est incompatible avec l’exercice de toutes fonctions publiques et de toute autre activité professionnelle ou salariée (…). Des dérogations individuelles peuvent toutefois être accordées aux magistrats, par décision des chefs de cour, pour donner des enseignements ressortissant à leur compétence ou pour exercer des fonctions ou activités qui ne seraient pas de nature à porter atteinte à la dignité du magistrat et à son indépendance, à l’exception des activités d’arbitrage, sous réserve des cas prévus par les dispositions législatives en vigueur ». En l’espèce, les magistrats mis en cause participaient régulièrement, en recevant une rémunération forfaitaire, à des journées de formation, sans qu’aucune dérogation individuelle pour effectuer de telles prestations n’ait été sollicitée par eux. Ces rencontres avaient pour vocation principale la diffusion par les magistrats de la jurisprudence. Elles permettaient au surplus d’échanger avec les différents acteurs du monde de l’entreprise. Dès lors, le Conseil considère que ces interventions extérieures relevaient d’une activité d’enseignement en application de l’alinéa 2 de l’article 8 et ne pouvaient être assimilées à des travaux scientifiques, littéraires ou artistiques. La connaissance par le chef de Cour du fait que des magistrats réalisaient des interventions extérieures relevant d'une activité d'enseignement ne saurait se substituer à l’obligation légale d’une décision de sa part valant dérogation individuelle. En ce sens, les magistrats mis en cause n’ont pas respecté l’article 8 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Toutefois, ces formations sont intervenues dans un contexte caractérisé par l’absence de lignes directrices précises. Le Conseil considère donc, en l’espèce, que l’inobservation de l’article 8 susvisé par les magistrats mis en cause n’est pas constitutive d’une faute disciplinaire au sens de l’article 43 de l’ordonnance susvisée. // En application du principe d’autonomie de la procédure disciplinaire par rapport à la procédure judiciaire, il incombe au Conseil supérieur de la magistrature d’apprécier le comportement des magistrats au regard des dispositions de l’article 43, premier alinéa, de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 aux termes duquel « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».

CONSEIL SUPÉRIEUR

DE LA MAGISTRATURE

Conseil de discipline des magistrats du siège

DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni le 4 décembre 2019 à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites engagées à l’encontre de :

M. X

Président de chambre à la Cour de cassation maintenu en activité pour exercer les fonctions de conseiller,

 

M. Y

Conseiller à la Cour de cassation,

 

Mme Z

Conseiller à la Cour de cassation,

 

Ensuite de la décision du 22 janvier 2019 de la commission d’admission des requêtes compétente à l’égard des magistrats du siège renvoyant à la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du siège l’examen de la plainte de A, B et C, en date du 26 juin 2018, transmise le 12 février 2019,

Sous la présidence de M. Didier Guérin, président de chambre honoraire à la Cour de cassation, président suppléant de la formation,

En présence de :

Madame Sandrine Clavel

Monsieur Yves Saint-Geours

Monsieur Georges Bergougnous

Monsieur Jean Cabannes

Monsieur Frank Natali

Monsieur Régis Vanhasbrouck

Monsieur Benoît Giraud

Monsieur Benoist Hurel

  Madame Marie-Antoinette Houyvet

 

Membres du Conseil, siégeant,

Assistés de Mme Sophie Rey, secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature,

Vu l'article 65 de la Constitution ;

Vu l'ordonnance no 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;

Vu la loi organique no 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

Vu le décret no 94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

Vu la plainte déposée par A, B et C, en date du 26 juin 2018 et les pièces jointes en annexe ;

Vu les décisions en date du 22 janvier 2019 de la commission d’admission des requêtes compétente à l’égard des magistrats du siège et ses pièces annexées, renvoyant l’examen de la requête susvisée devant la formation du Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège ;

Vu l’ordonnance du 20 mars 2019 désignant Monsieur Olivier Schrameck, membre du Conseil supérieur de la magistrature, en qualité de rapporteur ;

Vu la note de Monsieur Olivier Schrameck, membre du Conseil, du 5 avril 2019, indiquant qu’il ne peut ni rapporter ni siéger dans cette procédure ;

Vu l’ordonnance du 11 avril 2019 désignant M. Jean Cabannes, membre du Conseil, en qualité de rapporteur ;

Vu les dossiers disciplinaires et administratifs de M. X, M. Y et Mme Z mis préalablement à leur disposition, ainsi qu'à celle de leur conseil ;

Vu l'ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;

Vu le rapport déposé par M. Jean Cabannes le 15 octobre 2019, dont M. X, M. Y et Mme Z ont reçu copie ;

Vu les convocations adressées à M. X, président de chambre à la Cour de cassation maintenu en activité pour exercer les fonctions de conseiller, M. Y, conseiller à la Cour de cassation, et Mme Z, conseiller à la Cour de cassation, le 29 octobre 2019 ;

Vu les conclusions et pièces déposées par Maître D ;

Vu les conclusions et pièces déposées par Maître E ;

Les débats s'étant déroulés en audience publique, à la Cour de cassation, le mercredi 4 décembre 2019 ;

Après avoir entendu :

  • Le rapport de M. Jean Cabannes ;
  • Les observations de M. Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires, assisté de M. Patrick Gerbault, adjoint au chef du bureau du statut et de la déontologie;
  • Monsieur F, président de la chambre, en qualité de témoin ;
  • Les explications et moyens de défense de Maître E, avocat au barreau de Paris, conseil de M. Y et Mme Z ;
  • Les explications et moyens de défense de Maître D, avocat au barreau de Paris, conseil de M. X ;
  • M. X, M. Y et Mme Z ;

 A, le 19 décembre 2019, rendu la présente

 

DECISION

Sur la procédure à l’audience

Par lettres réceptionnées les 22 et 28 novembre 2019, Maître D, conseil de M. X, et Maître E, conseil de M. Y et de Mme Z, ont sollicité l’audition de M. F, président de la chambre à la Cour de cassation.

Si cette demande n’entre pas dans les prévisions des articles 51 à 56 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 qui confient au rapporteur le soin d’entendre les témoins et plus généralement d’accomplir tous actes d’investigation utiles, elles ne font pas obstacle à ce que le Conseil, à titre exceptionnel, décide l’audition d’une personne.

En l’espèce, il apparaît que l’audition de M. F présente un intérêt pour éclairer le Conseil sur le fonctionnement de la chambre sociale et les interventions extérieures de ses membres.

Il s’ensuit que la demande est recevable et bien fondée.

Sur la demande d’irrecevabilité de la plainte tenant à l’absence d’une demande de récusation

Enoncé de la demande :

La défense soulève l’irrecevabilité de la plainte au motif qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’Homme et de la Cour de cassation que les plaignants ne peuvent pas soulever la violation du devoir d’impartialité alors même qu’ils se sont abstenus de demander, en toute connaissance de cause, la récusation des trois magistrats.

Réponse du Conseil :

A supposer établi que les requérants se soient volontairement abstenus de solliciter la récusation des magistrats mis en cause, cette abstention ne saurait constituer une cause d’irrecevabilité de la plainte.

En effet, compte tenu du principe d’autonomie de la procédure disciplinaire par rapport à la procédure judiciaire, il incombe au Conseil supérieur de la magistrature d’apprécier le comportement des trois magistrats au regard des dispositions de l’article 43, premier alinéa, de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 aux termes duquel « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».

Il appartiendra en revanche à la seule Cour européenne des droits de l’Homme qui aurait été saisie par les plaignants en septembre 2018 d’apprécier, le cas échéant, la conséquence procédurale sur la recevabilité de leurs griefs du fait qu’ils auraient pu solliciter la récusation des trois magistrats mis en cause et n’auraient pas fait usage de ce droit devant la chambre sociale de la Cour de cassation.

En conséquence, la demande d’irrecevabilité de la plainte sur ce fondement ne peut être accueillie.

Sur les demandes d’irrecevabilité de la plainte tenant à l’absence éventuelle de déclarations d’intérêts et au défaut d’obtention d’une dérogation individuelle pour dispenser les formations en cause

Enoncé de la demande

Le conseil de M. X expose que deux des griefs soulevés par les plaignants tenant d’une part, à l’obligation de solliciter une dérogation individuelle pour donner des enseignements et, d’autre part, à l’obligation de remettre une déclaration d’intérêts, sont indépendants de toute procédure judiciaire et sont, à ce titre, irrecevables en application de l’article 50-3 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 précités.

Réponse du Conseil

L’article 50-3 de l’ordonnance précitée dispose que « tout justiciable qui estime qu’à l’occasion d’une procédure judiciaire le concernant le comportement adopté par un magistrat du siège dans l’exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire peut saisir le Conseil supérieur de la magistrature. »

Le Conseil considère que, de façon générale, les griefs tenant à l’absence de déclaration d’intérêts et d’obtention d’une dérogation individuelle pour dispenser des formations ne s’inscrivent pas dans le cadre d’une procédure judiciaire et ne peuvent donc, en conséquence, faire l’objet d’une plainte devant le Conseil supérieur de la magistrature.

Toutefois, la déclaration d’intérêts ayant pour vocation, aux termes de l’article 7-2 de l’ordonnance précitée, de prévenir un éventuel conflit d’intérêts au regard notamment des activités extérieures des trois magistrats en cause donnant lieu à rémunération, le grief soulevé se rattache étroitement, en l’espèce, au grief principal des plaignants, à savoir l’atteinte à l’impartialité objective. Il est donc indivisible de ce dernier. Le second grief soulevé tenant à l’absence d’une dérogation individuelle pour donner des enseignements vise la même finalité et est donc également indivisible du grief principal.

En conséquence, les exceptions d’irrecevabilité ne peuvent qu’être rejetées.

Sur le fond

Les faits à l’origine de la plainte

La plainte a pour origine une procédure engagée par les plaignants contre les sociétés G et H à la suite d’une opération de restructuration qui visait à permettre à la société mère d’atteindre le seuil nécessaire à certains développements internationaux. La filiale avait ainsi souscrit un emprunt de 445 millions d’euros auprès de la société mère, remboursable sur quinze ans, cet endettement ayant eu pour effet de réduire le montant de la réserve spéciale de participation et donc le versement aux salariés de leur participation aux résultats de l’entreprise.

Les syndicats ayant saisi le juge pour demander que l’opération de restructuration leur soit déclarée inopposable, ils ont été déboutés par un jugement du 22 janvier 2015 du tribunal de grande instance de xxxxx.

La cour d’appel de xxxxx, par un arrêt infirmatif du 2 février 2016, a fait droit à leur demande. En relevant que l’emprunt souscrit ne présentait pas un taux d’endettement trop lourd pour la société emprunteuse et que la restructuration n’avait pas donné lieu à une consultation régulière du comité d’entreprise, elle a estimé que cette restructuration était constitutive d’une manœuvre frauduleuse.

Par arrêt du 28 février 2018, la formation de la Cour de cassation dans laquelle siégeaient les trois magistrats mis en cause, saisie d’un pourvoi des sociétés G et H, a cassé sans renvoi l’arrêt de la cour d’appel de xxxxx.

Les griefs des plaignants

Il résulte des pièces du dossier que les plaignants ont relevé trois griefs principaux à l’encontre de Monsieur X, Monsieur Y et Mme Z :

  • Le défaut de remise de la déclaration d’intérêts en violation de l’article 7-2 de l’ordonnance statutaire ;
  • Le défaut d’obtention d’une dérogation individuelle pour dispenser les formations en cause, en violation de l’article 8 de l’ordonnance statutaire ;
  • L’existence d’un conflit d’intérêts, la violation du devoir d’impartialité et l’absence de déport.

Selon les dispositions du premier alinéa de l’article 43 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».

Sur le premier grief relatif au défaut de remise de la déclaration d’intérêts

Les conseils des parties font valoir que le grief est inopérant en raison de la remise par les trois magistrats d’une déclaration au Premier président de la Cour de cassation.

Aux termes de l’article 7-2 du statut précité, dans les deux mois qui suivent l’installation dans leurs fonctions, les magistrats remettent une déclaration exhaustive, exacte et sincère de leurs intérêts au Premier président de la Cour de cassation pour les magistrats du siège de la Cour.

Il résulte des pièces du dossier que les déclarations d’intérêts de M. X, M. Y et Mme Z ont été régulièrement remises au Premier président de la Cour de cassation ; qu’elles mentionnent les rémunérations versées au titre des formations assurées pour le compte de la société G ; qu’elles sont par conséquent sur ce point exactes et sincères au regard des critères définis.

Dès lors, le grief soulevé manque en fait et doit être écarté.

Sur le second grief relatif au défaut d’obtention d’une dérogation individuelle du chef de Cour pour dispenser les formations en cause

L’article 8 du statut de la magistrature dispose que « l’exercice des fonctions de magistrat est incompatible avec l’exercice de toutes fonctions publiques et de toute autre activité professionnelle ou salariée (…) ».

« Des dérogations individuelles peuvent toutefois être accordées aux magistrats, par décision des chefs de cour, pour donner des enseignements ressortissant à leur compétence ou pour exercer des fonctions ou activités qui ne seraient pas de nature à porter atteinte à la dignité du magistrat et à son indépendance, à l’exception des activités d’arbitrage, sous réserve des cas prévus par les dispositions législatives en vigueur ».

« Les magistrats peuvent, sans autorisation préalable, se livrer à des travaux scientifiques, littéraires ou artistiques ».

 

Il n’est pas contesté que les trois magistrats participaient régulièrement, en recevant une rémunération forfaitaire, aux journées intitulées « un an de jurisprudence sociale » organisées par la filiale « I » de la société G, journées qui se tenaient deux fois par an. Ces interventions s’adressaient à un public composé de représentants du monde de l’entreprise, tant employeurs que salariés, ainsi que d’avocats, chacun réglant un droit d’accès. Aucune dérogation individuelle pour effectuer ces prestations n’était sollicitée par les magistrats.

Ces rencontres avaient pour vocation principale la diffusion par les magistrats de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation. Elles permettaient au surplus d’échanger avec les différents acteurs du monde de l’entreprise. Dès lors, le Conseil considère que ces interventions extérieures relevaient d’une activité d’enseignement en application de l’alinéa 2 de l’article 8 et ne pouvaient être assimilées à des travaux scientifiques, littéraires ou artistiques contrairement à ce que soutient l’un des magistrats mis en cause.  Elles étaient, par conséquent, soumises à une autorisation préalable du Premier président de la Cour de cassation.

Sur l’argument avancé par les magistrats mis en cause, tiré de l’existence d’une dérogation implicite du Premier président de la Cour de cassation, il résulte des éléments débattus devant le Conseil que ces interventions extérieures étaient en effet organisées en toute transparence et qu’elles étaient connues du chef de Cour. De fait, peu après la révélation des faits litigieux, ce dernier écrivait que ces journées de formation s’inscrivaient dans la tradition de la chambre sociale tendant à permettre une meilleure connaissance de sa jurisprudence.

Nonobstant ces éléments, la connaissance par le chef de Cour de l’existence de ces formations ne saurait se substituer à l’obligation légale d’une décision de sa part valant dérogation individuelle. En ce sens, les magistrats mis en cause n’ont pas respecté l’article 8 du statut.

Toutefois, ces formations sont intervenues dans un contexte caractérisé par l’absence de lignes directrices précises émanant du chef de cour, ce qui avait d’ailleurs conduit certains magistrats de la chambre sociale à participer en 2011 à un groupe de travail visant à fixer des règles pour les interventions extérieures des membres de cette chambre. Ces interventions publiques étaient connues des membres de la Cour et des spécialistes du droit social.

Le Conseil considère donc, en l’espèce, que l’inobservation de l’article 8 précité par les trois magistrats mis en cause n’est pas constitutive d’une faute disciplinaire au sens de l’article 43 susvisé.

Sur le grief relatif à l’existence d’un conflit d’intérêts, à la violation du devoir d’impartialité et à l’absence de déport.

Le Conseil supérieur de la magistrature, convaincu que le magistrat doit s’inscrire dans la vie de la cité, observe en premier lieu que la participation aux activités de diffusion de la jurisprudence et de réflexion sur l’application du droit présente un intérêt essentiel pour l’institution judiciaire et pour la société tout entière, et contribue au nécessaire dialogue entre le monde judiciaire et le corps social.

Le Conseil relève en second lieu que le point B1 du recueil des obligations déontologiques des magistrats publié en 2010 précise que « l’impartialité du magistrat constitue, pour celui-ci, un devoir absolu, destiné à rendre effectif l’un des principes fondateurs de la République : l’égalité des citoyens devant la loi ».

Ces principes trouvent leur corollaire dans l’obligation de déport lorsqu’un lien existe entre le magistrat et l’une des parties d’un litige qu’il est appelé à trancher. Cette obligation est d’ailleurs reprise, certes postérieurement aux faits, dans le recueil de déontologie diffusé en janvier 2019 : « Le magistrat se déporte, sans attendre une éventuelle demande de récusation lorsqu’une situation fait naître, dans son esprit, dans celui des parties ou du public un doute légitime sur son impartialité ou l’existence d’un conflit d’intérêts ».

Il résulte des pièces de la procédure et des débats que la participation régulière et rémunérée des trois magistrats aux journées d’études organisées par la société G, à destination d’un public qui y accédait en réglant des frais d’inscription, constituait un lien d’intérêt entre les trois magistrats et l’une des parties au pourvoi qu’ils jugeaient ; que l’existence de ce lien a pu créer un doute légitime dans l’esprit du justiciable sur l’impartialité des magistrats mis en cause ; que M. Y, Mme Z et M. X se sont d’ailleurs interrogés sur l’opportunité d’un déport en raison d’une atteinte à l’impartialité objective.

Les arguments soulevés par M. X et M. Y pour asseoir leur décision de ne pas se déporter, à savoir qu’un déport aurait entraîné le renvoi à une formation de section composée de magistrats non spécialisés sur une question juridique particulièrement technique et complexe et le fait que la solution du pourvoi s’imposait comme étant conforme à une jurisprudence constante de la Cour de cassation ne sauraient être mis en balance avec l’obligation déontologique d’impartialité du magistrat qui constitue un devoir absolu et s’impose à lui.

Le Conseil estime donc que la situation des trois magistrats doit s’analyser de manière identique, le fait que M. Y ait fait part de ses hésitations quant à sa participation à l’examen du pourvoi à Monsieur le président X n’étant pas de nature à le dispenser de se déporter.

Dès lors, les trois magistrats en cause, M. X, M. Y et Mme Z, auraient dû faire usage de la règle du déport.

Toutefois, il n’est pas contesté que, dans le cadre de ces interventions extérieures, les trois magistrats n’entretenaient aucune relation directe avec les dirigeants des deux sociétés G et H, n’étaient pas choisis comme intervenants intuitu personae mais en raison de leur statut et de leur position au sein de la Cour de cassation, n’étaient pas salariés de la société puisqu’ils disposaient d’une liberté totale d’intervention, et n’avaient aucun lien de subordination avec les sociétés. Enfin, leur rémunération pour ces interventions était forfaitaire, d’un montant conforme aux usages et ne constituait pas pour eux une condition de leurs interventions.

Compte tenu de ces circonstances particulières, le Conseil considère que l’inobservation des règles déontologiques constatée n’atteint pas un niveau de gravité la rendant constitutive d’une faute disciplinaire.

Il y a lieu en conséquence de renvoyer les magistrats des fins de la poursuite et dire n’y avoir lieu au prononcé d’une sanction disciplinaire.  

PAR CES MOTIFS,

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis-clos, et hors la présence de M. Jean Cabannes, rapporteur ;

Statuant en audience publique, le 4 décembre 2019 pour les débats, et le 19 décembre 2019 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Rejette les demandes d’irrecevabilité de la plainte ;

Dit n’y avoir lieu au prononcé d’une sanction disciplinaire à l’encontre de M. X, M. Y et Mme Z.

 

La présente décision sera notifiée à M. X, M. Y, et Mme Z. Une copie sera adressée à Madame la garde des Sceaux, ministre de la justice.