Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
20/04/2016
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir d'impartialité, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard de la justice, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des collègues, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des auxiliaires de justice, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des justiciables, Manquement au devoir de loyauté à l’égard des supérieurs hiérarchiques
Décision
Déplacement d'office
Mots-clés
Loyauté
Délicatesse
Impartialité
Propos déplacés
Greffe
Auxiliaire de justice
Fonction
Juge au tribunal de grande instance
Résumé
Les fautes commises par le juge poursuivi caractérisant des manquements aux devoirs de loyauté à l'égard des supérieurs hiérarchiques, de délicatesse à l'égard des fonctionnaires de greffe, des auxiliaires de justice et d'impartialité à l'égard des justiciables, justifient, par leur nature et leur accumulation, une mesure de déplacement d'office rendue d'autant plus nécessaire que son maintien au sein du tribunal n'apparaît plus possible au regard des tensions relationnelles existant entre elle et les magistrats et fonctionnaires de cette juridiction.

CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

Conseil de discipline des magistrats du siège

20 avril 2016

Mme X                

 

DÉCISION

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme conseil de discipline des magistrats du siège pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le garde des Sceaux, ministre de la justice, contre Mme X, juge au tribunal de grande instance de  xxxxx, sous la présidence de M. Alain Lacabarats, président de chambre maintenu en activité à la Cour de cassation, suppléant M. Bertrand Louvel, premier président de la Cour de cassation, président de la formation,

En présence de :

M. Jean Danet,

Mme Soraya Amrani-Mekki,

M. Georges-Éric Touchard,

Mme Dominique Pouyaud,

Mme Evelyne Serverin,

M. Guillaume Tusseau,

Mme Paule Aboudaram,

M. Yves Robineau,

M. Éric Maréchal,

M. Christophe Régnard,

M. Alain Vogelweith,

M. Richard Samas-Santafé,

Membres du Conseil,


Vu l'article 65 de la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

Vu l'acte de saisine du garde des Sceaux, du 31 mars 2015, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires engagées contre Mme X, juge au tribunal de grande instance de  xxxxx, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu l'ordonnance du 8 avril 2015 désignant M. Éric Maréchal en qualité de rapporteur ;

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Mme X, mis préalablement à sa disposition, ainsi qu'à celle de son conseil ;

Vu l'ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;

Vu le rapport déposé par M. Maréchal le 9 février 2016, dont Mme X a reçu copie ;

Vu la convocation adressée à Mme X le 2 mars 2016 et sa notification du 9 mars 2016 ;

Vu la convocation adressée à Mme A, avocat au barreau de xxxxx, le 2 mars 2016, reçue le 7 mars 2016 ;

*

Le président de la formation ayant rappelé les termes de l'article 57 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : « L'audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l'ordre public ou de la vie privée l'exigent, ou s'il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l'accès de la salle d'audience peut être interdit au public pendant la totalité ou une partie de l'audience, au besoin d'office, par le conseil de discipline » ;

Mme X, comparante, n'ayant formulé aucune demande en ce sens ;

 

Le rapporteur ayant présenté son rapport, préalablement communiqué aux parties qui ont acquiescé à ce qu'il ne soit pas lu intégralement ;

Le Conseil ayant procédé à l'audition de :

- Mme B, greffier au conseil de prudhommes de  xxxxx,

- Mme C, magistrat, président de chambre à la cour d'appel de  xxxxx,

- M. D, enseignant,

Témoins entendus à la demande de Mme X et de son conseil ; Après avoir entendu :

- M. Ludovic André, sous-directeur des ressources humaines de la magistrature, assisté de Mme Hélène Volant, magistrat à l'administration centrale du ministère de la justice, en ses observations tendant au prononcé d'une mesure de déplacement d'office,

- Mme X en ses explications et moyens de défense,

- Me A en sa plaidoirie,

Mme X ayant eu la parole en dernier ;

L'affaire ayant été mise en délibéré, avis ayant été donné que la décision serait rendue le mercredi 20 avril 2016, à 14 heures, par mise à disposition au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

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Attendu qu'aux termes de l'acte de poursuite, il est reproché à Mme X une attitude irrespectueuse envers ses supérieurs hiérarchiques, une conduite méprisante avec ses collègues de travail magistrats et fonctionnaires, un positionnement inadapté avec les justiciables et les auxiliaires de justice, ainsi qu'un comportement nécessitant des adaptations constantes, sans possibilité de dialogue ;

Attendu que cette saisine porte, pour partie, sur des faits imputés à l'intéressée alors qu'elle exerçait les fonctions de substitut du procureur de la République ;

Que, conformément à l'article 65 de la Constitution, « la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du siège statue comme conseil de discipline des magistrats du siège » ;

 

Qu'il ne lui appartient pas de se prononcer sur le comportement d'un magistrat en poste au parquet ;

Que les faits reprochés à Mme X alors qu'elle était substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de  xxxxx, entre 2006 et 2009, ne sauraient, dès lors, être retenus au titre de la présente procédure ;

 

Attendu, s'agissant de la période postérieure à sa nomination comme juge au tribunal de grande instance de  xxxxx, que certains des faits reprochés à Mme X apparaissent, à l'examen, non-établis ou insuffisamment caractérisés pour être retenus à faute contre ce magistrat ;

Qu'il en va ainsi des imputations relatives à son comportement en qualité de juge aux affaires familiales, selon lesquelles Mme X se serait adressée à des parties de manière abrupte, voire brutale ; que ces accusations, qu'elle conteste, résultent des déclarations d'un unique témoin, non confortées par d'autres témoignages ;

Que, si un avocat indique avoir eu connaissance, lors de son bâtonnat, de « remontées très négatives » de la part de ses confrères sur les conditions violentes des auditions de mineurs réalisées par Mme X, cette affirmation, qui repose sur des propos rapportés, n'est pas confirmée par les autres avocats entendus au cours de l'instruction ;

Que les propos grossiers qu'aurait tenus Mme X à l'encontre de notaires ne sont, de même, évoqués que par un seul témoin, dont les déclarations restent floues quant aux termes qui auraient été employés par l'intéressée ;

Qu'il ne saurait davantage être reproché à Mme X d'avoir refusé de quitter une salle d'audience réservée pour une réunion organisée par le procureur de la République, dès lors qu'il n'est pas contesté qu'elle a libéré cette salle à l'issue de l'audition qu'elle était en train de conduire, étant précisé qu'il n'est par ailleurs pas démontré qu'elle ait préalablement eu connaissance de la réservation de la salle pour cette réunion ;

Qu'enfin, les faits se rapportant à la tenue, le 9 mars 2015, d'une audience de saisie-immobilière au cours de laquelle Mme X aurait eu une attitude agressive à l'égard d'une greffière, placée en arrêt de travail à la suite de sa rencontre avec ce magistrat, ultérieurement qualifiée d'accident du travail, ne caractérisent pas l'existence d'une faute disciplinaire ;

 

Que, si ce fonctionnaire fait état de propos déstabilisants portant notamment sur la prise de notes d'audience, un avocat ayant assisté à la scène indique que Mme X ne s'est pas comportée de manière agressive à cette occasion, les propos mis en cause apparaissant à ses yeux comme un « conseil qu'elle donnait à cette greffière qui était nouvelle dans le service » ; que ce témoin indique avoir été davantage surpris par la réaction de la greffière que par l'attitude du juge ;

Qu'ainsi, quelle qu'ait pu être la perception de la situation par ce fonctionnaire, dans un contexte de défiance à l'encontre de Mme X au sein de la juridiction  xxxxx, à l'époque de ces faits, ces accusations ne peuvent être regardées comme fondées ;

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Attendu qu'il résulte en revanche des éléments versés au dossier que Mme X a entretenu un climat de tension avec certains magistrats et fonctionnaires du tribunal de grande instance de  xxxxx, en adoptant des attitudes allant du refus de les saluer ou de communiquer autrement que par mentions manuscrites, à des propos agressifs, désobligeants ou irrespectueux ;

Que sont notamment relevés des réactions de colère manifestées par des cris dirigés contre des greffiers, un soit-transmis exigeant la réalisation d'un acte avec la mention : « est-ce trop difficile ? », ou encore l'intrusion dans le bureau d'un fonctionnaire pour exiger de lui, en claquant des mains, qu'il alimente un photocopieur en papier ;

Que Mme X, qui reconnaît certains de ces faits, attestés par des témoignages concordants, les explique par l'inaptitude professionnelle supposée des personnes concernées, la nécessité de se faire entendre ou le sentiment d'avoir elle-même été agressée ;

Que ces explications ne sauraient toutefois excuser des comportements qui, par leur outrance et leur caractère répété, comme par les répercussions qu'ils ont eues sur le bon fonctionnement du service, constituent des manquements au devoir de délicatesse auquel tout magistrat est tenu, tant à l'égard de ses collègues que des fonctionnaires avec qui il travaille ;

Attendu que Mme X a en outre fait montre d'une attitude inadaptée lors de certaines audiences collégiales, en se tenant délibérément à l'écart des autres membres composant le tribunal et en leur tournant le dos de trois-quarts, en adoptant une posture conduisant le public à s'interroger sur l'attention qu'elle portait aux débats, ou en manifestant des signes ostensibles d'impatience durant l'instruction de dossiers et les plaidoiries d'avocats ;

Qu'il est en outre établi qu'elle a émis, lors d'audience à juge unique, de fortes critiques à l'encontre du ministère public et de la politique pénale du parquet ;

Que de tels comportements, dont les témoignages versés au dossier attestent la récurrence, portent atteinte à l'image de la justice et caractérisent des manquements aux devoirs du magistrat, d'autant plus dommageables qu'ils ont eu des répercussions sur l'organisation du service et le fonctionnement de la juridiction, la présidente du tribunal ayant été conduite à décharger l'intéressée de tout service correctionnel ;

Attendu qu'il est en outre constant et non contesté que, lors d'audiences de conciliation tenues en qualité de juge aux affaires familiales, Mme X a, de façon réitérée, fait connaître aux parties son opposition au principe de la résidence alternée pour les plus jeunes enfants ;

Qu'elle justifie cette position par des considérations tenant à l'analyse de pédopsychiatres et de psychologues, ajoutant n'en avoir fait état qu'en cas de désaccord entre les parents ; qu'elle considère cette approche comme l'expression d'une marque de loyauté à l'égard des parties, à qui elle indiquait rester néanmoins à l'écoute de leurs arguments ;

Qu'une telle attitude n'en dénote pas moins un parti pris affiché dans la manière de juger et d'interpréter la loi portant atteinte au principe d'impartialité ; qu'elle constitue un manquement aux devoirs de l'état de magistrat et entache l'image de la justice ;

Attendu que Mme X s'est en outre opposée à la conduite d'un projet de juridiction en manifestant publiquement, notamment lors d'audiences qu'elle présidait, son hostilité à l'instauration de la mise en état électronique voulue par la présidente du tribunal de grande instance ;

Qu'un tel comportement, qui a pu retarder la réalisation de ce projet, caractérise une atteinte au devoir de loyauté ;

Attendu qu'il résulte enfin des éléments versés aux débats que Mme X a entretenu des relations conflictuelles avec ses supérieurs hiérarchiques ; qu'après quelques mois d'exercice dans la juridiction de  xxxxx, elle s'est inscrite dans une attitude interdisant toute possibilité de dialogue avec la présidente du tribunal ; qu'à différentes reprises, elle a adopté un comportement irrespectueux à son égard, en refusant de la saluer, y compris en public, ou en l'accusant sans fondement de n'exercer ses fonctions que pour surveiller les magistrats et venir leur faire des remarques désagréables sur la tenue des dossiers ; que des fonctionnaires en poste au sein du tribunal ont en outre relevé des propos injurieux à l'encontre de cette même présidente, que Mme X n'exclut pas avoir tenus ;

Qu'un tel comportement constitue un manquement au devoir de délicatesse et au devoir de loyauté qui, par son caractère ostensible et public, est en outre de nature à porter atteinte à l'image de la justice ;

 

Attendu que, convoquée à deux reprises par la présidente de sa juridiction, qui souhaitait la rencontrer, en mai puis en octobre 2012, afin d'évoquer des incidents la mettant en cause, Mme X a refusé de se rendre à ces entretiens ; qu'elle n'a pas davantage déféré aux convocations du premier président de la cour d'appel, les 4 juillet 2012 et 12 mars 2013, la seconde de ces convocations s'inscrivant dans une procédure préalable à un éventuel avertissement ;

Qu'en agissant ainsi, Mme X s'est privée de la possibilité de toute explication et a interdit tout dialogue sur sa situation et les difficultés rencontrées dans son exercice professionnel ;

Que, pour justifier de cette attitude, elle a mis en avant sa qualité de juge et l'indépendance attachée à celle-ci, indiquant notamment qu'elle ne pensait pas qu'un juge pût être convoqué par le premier président de la cour d'appel ;

Qu'en l'absence de toute immixtion des chefs de cour et de juridiction dans l'activité juridictionnelle de l'intéressée, un tel comportement, qui marque une attitude de défiance à l'égard de toute forme d'autorité, révèle une conception erronée de l'indépendance du juge et constitue un manquement au devoir de loyauté qui s'impose à tout magistrat ;

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Attendu que les fautes ainsi caractérisées justifient, par leur nature et leur accumulation, une mesure de déplacement d'office rendue d'autant plus nécessaire que le maintien de Mme X au sein du tribunal de grande instance de  xxxxx n'apparaît plus possible au regard des tensions relationnelles existant entre elle et les magistrats et fonctionnaires de cette juridiction ;

Qu'en considération des difficultés mises en exergue dans l'exercice professionnel de Mme X, cette mesure pourrait opportunément être exécutée en direction d'une juridiction de taille importante ;

 

PAR CES MOTIFS,

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis-clos et hors la présence de M. Éric Maréchal, rapporteur,

Statuant en audience publique le 24 mars 2016 pour les débats et le 20 avril 2016 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Prononce à l'encontre de Mme X la sanction du déplacement d'office prévue au 2° de l'article 45 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée ;

Dit que copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d'appel de  xxxxx aux fins de notification.