Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
21/01/2015
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat, Manquement au devoir d'impartialité, Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire), devoir de probité, Manquement au devoir de légalité (obligation de diligence)
Décision
Avis de refus d'honorariat
Mots-clés
Probité
Impartialité
Image de la justice
Confiance
Honorariat
Fonction
Juge
Résumé
Le CSM rappelle que le magistrat doit, en dehors de tout cadre professionnel, veiller à ne pas porter atteinte à l’image qu’il peut renvoyer de la magistrature.En l’espèce, il était reproché à un juge d’avoir sollicité des prêts pour des montants conséquents sans que ces opérations ne soient accompagnées d’aucun écrit sur les modalités de remboursement, ni d’aucun justificatif pour les sommes qui auraient été remboursées, alors même que certaines personnes ainsi sollicitées étaient proches. d’individus mis en cause dans des procédures pénales en cours instruites dans la même juri diction que celle où il exerçait.Dans un tel contexte et malgré une situation financière notoirement obérée, puisque ces prêts s’étaient multipliés également auprès de simples voisins, ce magistrat avait pourtant adopté une fréquentation assidue d’établissements de jeux, et ce dans une ville de taille restreinte où sa fonction était connue. Le Conseil relève que cette attitude l’a placé dans une situation de dépendance manifeste contraire aux obligations de son état et qu’elle a indéniablement porté atteinte à l’image et au crédit de l’institution judiciaire. Dans cette même décision, le Conseil relève que le magistrat avait accepté de rencontrer une personne à l’encontre de laquelle il savait avoir prononcé un jugement de condamnation une année auparavant, de lui prodiguer des conseils juridiques pour « une affaire d’ordre fiscal » alors que cette personne ne faisait pas partie du cercle étroit de ses proches et, enfin, d’avoir accepté de recevoir de l’argent de cet individu. Il avait également siégé à la même époque lors d’une audience correctionnelle concernant ce même individu sans estimer nécessaire de se déporter. Le Conseil considère qu’une telle attitude constitue un manquement grave aux devoirs de son état notamment au devoir de réserve et d’impartialité justifiant ainsi son avis de voir l’honorariat refusé au magistrat qui avait pris sa retraite au cours de la procédure disciplinaire. le Conseil sanctionne aussi par cette décision l’absence ou l’insuffisance de motivation des décisions malgré des mises en garde formelles répétées sur une longue période.

CONSEIL SUPÉRIEUR
DE LA MAGISTRATURE

Conseil de discipline
des magistrats du siège

21 janvier 2015

M. X

DÉCISION

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni le 9 janvier 2015 à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le garde des sceaux à l’encontre de M. X, anciennement juge au tribunal de grande instance de xxxxx, sous la présidence de M. Bertrand Louvel, Premier président de la Cour de cassation, président de la formation, en présence de :

M. Jean-Pierre Machelon,
Mme Rose-Marie Van Lerberghe,
M. Pierre Fauchon,
M. Christophe Ricour,
M. Daniel Ludet,
M. Luc Fontaine,
M. Laurent Bedouet, rapporteur, présent aux débats, qui n’a pas participé au délibéré,
Mme Emmanuelle Perreux,
Mme Catherine Vandier,

membres du Conseil,

assistés de Mme Lisa Gamgani, secrétaire générale adjointe du Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu l’article 65 de la Constitution ;

Vu les articles 43 à 58 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu l’article 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la décision du 4 février 2011 du Conseil supérieur de la magistrature interdisant temporairement à M. X l'exercice de ses fonctions ;

Vu l'acte de saisine du garde des sceaux, en date du 1er avril 2011, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l'encontre de M. X, anciennement juge au tribunal de grande instance de xxxxx, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu l'ordonnance du 8 avril 2011 désignant M. Laurent Bedouet en qualité de rapporteur ;

Vu la saisine complémentaire du garde des sceaux, en date du 10 mai 2011 ;

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, mis préalablement à sa disposition ainsi qu’à celle de son conseil ;

Vu l’ensemble des pièces jointes au cours de la procédure ;

Vu le rapport déposé le 9 décembre 2014 par M. Laurent Bedouet, dont M. X a reçu copie le 11 décembre 2014 ;

Vu la convocation adressée le 12 décembre 2014 à M. X et sa notification à l’intéressé le 17 décembre 2014 ;

Vu la convocation adressée le 12 décembre 2014 à Mme A, vice-présidente au tribunal de grande instance de xxxxx, reçue le 16 décembre 2014 ;

Vu la lettre de M. X, en date du 22 décembre 2014, adressée à M. le Président du Conseil supérieur de la magistrature, qui a fait connaître au Conseil de son impossibilité à être présent le 9 janvier 2015, en raison notamment de son état de santé et aux termes de laquelle «(il) accepte d’être jugé en (son) absence», document porté à la connaissance des membres du Conseil ainsi qu’à Mme la sous-directrice des ressources humaines de la magistrature ;

Vu les conclusions de Mme A dans l’intérêt de M. X, en date du 5 janvier 2015, qui a fait savoir au Conseil qu’elle ne serait pas présente le 9 janvier 2015, lesdites conclusions ayant été portées à la connaissance des membres du Conseil ainsi qu’à Mme la sous-directrice des ressources humaines de la magistrature ;

Vu le rappel, par M. le Président de la formation, des termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : « L’audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le conseil de discipline » et l’absence de demande spécifique formulée en ce sens par M. X, conduisant à tenir l’audience publiquement ;

Attendu qu’à l’ouverture de la séance, après audition de Mme Valérie Delnaud, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature, assistée de Mme Hélène Volant, magistrate à cette direction, et lecture par M. Laurent Bedouet de son rapport préalablement communiqué à M. X, ainsi que des questions posées par les membres du Conseil ; qu’après avoir entendu Mme Valérie Delnaud en ses observations tendant au prononcé du refus de l’honorariat en vertu de l’article 77 de l’ordonnance statutaire précitée, le Conseil en a délibéré ;

***

I- Sur la procédure

 Sur l’absence de conseil auprès de M. X pour l’assister pendant l’inspection menée par l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ)

Attendu que, dans ses dernières écritures adressées au Conseil supérieur de la magistrature le 5 janvier 2015, le conseil de M. X explique que les conditions dans lesquelles se sont déroulées les auditions menées par la mission d’inspection ne respectent pas les règles du procès équitable et doivent donc amener le Conseil à en tirer toute conséquence quant à la valeur des propos tenus dans ce contexte ;
Attendu que, à l’appui de cette position, le conseil de M. X souligne que ce magistrat a été placé dans un état de particulière vulnérabilité, en raison de son placement à l’isolement et du « refus constant de l’IGSJ d’admettre la présence d’un tiers lors des auditions » qui se sont déroulées dans l’établissement pénitentiaire où le magistrat était provisoirement détenu ;

Attendu que le Conseil supérieur de la magistrature procède à une vérification in concreto, conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, 26 juillet 2011, n°332807), du respect des droits de la défense tout au long de la procédure ;
Attendu que si les conditions particulières dans lesquelles est conduite une enquête administrative visant un magistrat, placent celui-ci dans une position de vulnérabilité, le refus qui serait opposé à sa demande d'être assisté lors de ses auditions conduirait à les écarter de la procédure ;
Attendu que M. X a eu connaissance le 4 février 2011, de la lettre de mission de l’Inspection générale des services judiciaires, qu’il a été entendu par la mission d’inspection les 10, 11, 14 et 15 mars 2011, et que, préalablement à ces auditions, l’intégralité des pièces de la procédure ont été mises à sa disposition ; qu’à aucun moment, il n’est fait mention dans les procès-verbaux qu’il a signés après relecture, d’une demande d’assistance, ni a fortiori d’un refus de la mission d’inspection de faire droit à cette demande, M. X ayant, au contraire, systématiquement répondu positivement à la question de savoir si suffisamment de temps lui avait été accordé pour prendre connaissance de la procédure ;
Attendu que M. X a indiqué, lors de son audition par le rapporteur, le 5 mars 2012, en présence de ses deux conseils, ne pas avoir d’observations particulières sur la procédure disciplinaire et estimé avoir « pu donner ses explications » à la mission d’inspection ;
Attendu qu’il ne résulte d’aucun élément de la procédure, notamment des procès-verbaux d’audition de l’Inspection générale des services judiciaires, qui doivent faire état de toutes les demandes de la personne entendue, que M. X ait demandé à être assisté lors des auditions ;
Attendu qu’il n’y a donc eu d’atteinte ni au principe du contradictoire, ni aux droits de la défense ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu, dans ces conditions, d'écarter de la procédure le contenu des procès-verbaux d'audition de M. X par la mission d'inspection ;

 Sur la demande de surseoir à statuer dans l’attente de la décision du juge d’instruction
Attendu que le conseil de M. X sollicite du Conseil supérieur de la magistrature un sursis à statuer dans l’attente de deux décisions, d’une part l’arrêt de la Cour de cassation sur la requête en nullité de la garde à vue formée par ce dernier, et, d’autre part, la décision définitive dans le cadre de l’information judiciaire actuellement instruite par un juge d’instruction au tribunal de grande instance de xxxxx dont l’ouverture a entraîné la saisine de la formation disciplinaire du Conseil, au motif de l’absence d’urgence à se prononcer dès lors que la procédure disciplinaire n’a pas permis de recueillir de nouveaux éléments et que la situation administrative de M. X, désormais à la retraite, fait seulement obstacle à l’attribution du statut de magistrat honoraire, et ce, alors que les griefs disciplinaires sont fortement liés aux incriminations pénales ;
Attendu que si la procédure disciplinaire est indépendante de la procédure pénale, le Conseil supérieur de la magistrature peut décider, au regard des pièces du dossier et des débats à l’audience, de surseoir à statuer jusqu’à la décision du juge pénal lorsque cela paraît utile à la qualité de l’instruction ou à la bonne administration de la justice ;
Attendu, en l’espèce, que le Conseil estime, d’une part, que les pièces dont la communication est sollicitée ne sont pas décisives pour l’appréciation des faits soumis à son examen ;
Attendu, d’autre part, que la bonne administration de la justice ne requiert pas de surseoir à statuer dans l’attente d’une décision pénale ;

II- Sur le fond

Attendu qu’aux termes de l’acte de saisine du 1er avril 2011, puis de l’acte de saisine complémentaire en date du 10 mai 2011, il est reproché à M. X, nommé dans les fonctions de juge au tribunal de grande instance de xxxxx par décret du 9 novembre 1998 à la suite de la décision du 12 mars 1997, du Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, prononçant à l’encontre de ce dernier, vice-président au tribunal de grande instance de xxxxx, la sanction du retrait des fonctions de vice-président assortie d’un déplacement d’office :

- d’avoir falsifié ses relevés de compte afin de tromper des organismes financiers sur sa situation pour obtenir de leur part un crédit ;

- d’avoir entretenu depuis 2007, des relations d’amitié avec M. B et d’avoir accepté de ce dernier la remise de plusieurs chèques et de s’être ainsi placé en situation de dépendance ;

- d’avoir accepté de la part de M. C deux prêts et de s’être ainsi placé sous la dépendance de son créancier ;

- d’avoir accepté de rencontrer et de prodiguer des « conseils juridiques » à M. D, déjà condamné par la formation présidée par M. X ;

- d’avoir participé au jugement de ce même M. D peu de temps après cette rencontre ;

- de s’être dispensé de motiver ses jugements tant civils que correctionnels ;

- de n’avoir que superficiellement préparé les audiences correctionnelles dont il a assuré la présidence et de s’être abstenu de relire les décisions prononcées;

- d’avoir emprunté des sommes d‘argent à son voisinage dans une commune de petite taille afin de s’adonner à la pratique quasi quotidienne des jeux d’argent.

***

 Sur les griefs liés aux fréquentations de M. X et aux remises d’argent dont il a bénéficié
Attendu qu’à la suite d’un renseignement recueilli par les services de police de xxxxx auprès d’un de leurs informateurs faisant état de la remise d’un montant de 3000 euros par M. D, personne déjà condamnée pour des faits d’escroquerie, « au mari d’une magistrate de xxxxx » afin de mettre fin aux poursuites le concernant, remise de fonds effectuée, fin avril-début mai 2010 dans un véhicule, une enquête a été diligentée par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx ;
Attendu que cette enquête a abouti à l’ouverture d’une information judiciaire auprès d’un juge d’instruction au tribunal de grande instance de xxxxx, dans le cadre de laquelle M. X a été mis en examen, le 20 janvier 2011, des chefs de corruption passive, de trafic d’influence et de tentative d’escroquerie, puis placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention le 24 janvier 2011 ;
Attendu que dans le cadre d’une autre information judiciaire instruite au tribunal de grande instance de xxxxx des chefs de détournement de fonds publics, un des principaux mis en examen avait dénoncé une pratique de corruption concernant un juge de ce tribunal en précisant qu’un dénommé « D » faisait l’intermédiaire ;

Attendu que la procédure pénale diligentée à la suite de ces déclarations, a démontré que le véhicule évoqué par l’informateur des services de police appartenait à la compagne de M. X ; que ce dernier se trouvait alors dans une situation financière obérée et qu’il avait perçu à plusieurs reprises des sommes d’argent conséquentes de la part de différentes personnes ;
Attendu que M. X a précisé, lors de ses auditions par la mission d’inspection sur la remise d’une somme de 3000 euros de la part de M. D, s’être trouvé en grandes difficultés financières en raison de nombreuses dettes tant auprès du Trésor public, que de sa banque et de son ancienne épouse ; que cette situation financière était notamment liée aux remboursements dus au titre de la liquidation de son régime matrimonial ; que ses nombreuses dettes ont fait l’objet d’une restructuration par l’octroi d’un emprunt de 200 000 euros auprès du E en 2007, le maintenant dans une situation précaire avec une somme mensuelle disponible de l’ordre de 450 euros ;
Attendu que, dans ce contexte, M. X a précisé, dans son audition du 9 mars 2011, avoir sollicité des prêts personnels auprès de proches ;

Sur les prêts personnels accordés par M. C
Attendu que M. X, devant la mission d’inspection, a reconnu avoir accepté de la part de M. C, restaurateur de xxxxx dont il fréquentait l’établissement depuis une dizaine d’années et avec lequel il partageait « un courant d’amitié », un premier prêt, en 2005, d’un montant de 15 000 euros qu’il dit avoir remboursé en 2008, et en 2009 deux nouveaux prêts de respectivement 5000 euros et 10 000 euros, sommes que M. X se serait proposé de rembourser sans réponse de la part de M. C qui, entre temps, avait quitté la région ;
Attendu que M. X en sollicitant des prêts auprès de relations amicales pour un montant conséquent de 30 000 euros, sans que ces opérations ne soient accompagnées d’aucun écrit sur les modalités de remboursement, ni d’aucun justificatif pour les sommes qui auraient été remboursées, s’est placé dans une situation de dépendance manifeste contraire aux obligations de son état ;

Sur les prêts personnels accordés par M. B
Attendu que la situation de M. X s’est aggravée en 2009, à la suite d’un redressement fiscal, que ce dernier a précisé aux membres de la mission d’inspection, avoir sollicité auprès de M. B, qu’ « (il) fréquent(ait) depuis 2007 » des prêts personnels sous la forme de trois chèques encaissés sur son compte, un en 2009 d’un montant de 15 000 euros, puis deux chèques d’un montant nominal de 5000 euros qu’il situe au mois de juillet 2010 (les investigations effectuées au cours de l’enquête pénale datent ces deux derniers chèques du mois de septembre 2009) ;
Attendu que M. B, entrepreneur, se trouve être l’associé d’une personne mise en examen dans une procédure pénale initiée en 2009 pour des faits de détournements de fonds publics ayant eu un fort retentissement médiatique sous le nom de « l’affaire d’F » instruite, à l’époque, par un juge d’instruction au tribunal de grande instance de xxxxx ;
Attendu que ces prêts ont placé M. X dans une situation de dépendance à l’égard de M. B qui lui a ainsi demandé en 2010, de rencontrer M. D, afin que M. X puisse donner à ce dernier un « avis (…) sur un problème d’ordre fiscal », tout en lui précisant que ce dernier avait déjà fait l’objet d’une condamnation par une formation correctionnelle collégiale présidée par M. X ; que M. X a lui-même reconnu l’existence de cette dépendance envers M. B en indiquant à la mission d’inspection que « (ses) liens avec M. B étaient tels qu’(il) ne se sentait pas de lui refuser ce service » ;
Attendu que M. X en acceptant ces prêts pour un montant total de 25 000 euros en moins d’une année de la part d’une personne rencontrée peu de temps auparavant, sans que ces opérations ne soient accompagnées d’aucun écrit sur les modalités de remboursement, ni d’aucun justificatif pour les sommes qui auraient été remboursées, s’est placé dans une situation de dépendance manifeste dans un contexte judiciaire sensible impliquant l’associé de B et l’ayant amené à rencontrer une personne qu’il avait par ailleurs condamnée ; que ce comportement constitue un manquement grave aux devoirs de sa charge ;

Sur la rencontre avec M. D et les « conseils juridiques » prodigués à cette occasion
Attendu que, selon ses propres déclarations, M. X a accepté de rencontrer M. D, alors qu’il savait l’avoir déjà condamné l’année précédente, aux fins de lui prodiguer « (son) avis (…) sur un problème d’ordre fiscal » entre la fin du mois d’avril 2010 et le début du mois de mai 2010 ; que, lors de son audition par la mission d’inspection, M. X « (a) souhait(é) réserver ses explications au juge d’instruction(…) » sur la remise d’une somme de 3000 euros de la part de M. D ;
Attendu que M. X a précisé avoir « restitué le dossier fiscal à (M.) D lui-même au G, le restaurant de M. C » tout en précisant ne pas se souvenir de la présence de M. B en cette occasion ;
Attendu que M. X en acceptant de rencontrer en 2010 une personne à l’encontre de laquelle il avait prononcé un jugement de condamnation en 2009 et de lui avoir prodigué des conseils juridiques a gravement manqué aux devoirs de son état ainsi qu’au devoir d’impartialité ;

Sur la participation à l’audience du 29 avril 2010
Attendu qu’il ressort des documents recueillis par la mission d’inspection que M. X a présidé une audience correctionnelle, le 29 avril 2010, au cours de laquelle M. D a été condamné pour des faits de recel et de complicité d’escroquerie à la peine de 6 mois d’emprisonnement ainsi qu’à une amende délictuelle d’un montant de 3000 euros, avec cette circonstance que la confusion de cette peine avec celle précédemment prononcée le 4 juin 2009, également rendue par une formation collégiale présidée par M. X, a été ordonnée ;
Attendu que M. X a rencontré M. D dans un cadre privé afin de lui donner des conseils juridiques, et ce, dans un temps concomitant à l’audience du 29 avril 2010 ; que, nonobstant cette situation, M. X n’a pas estimé nécessaire de se déporter au cours de cette audience ; que ce comportement constitue une violation manifeste des obligations de réserve et d’impartialité ;
Attendu que l’ensemble de ces griefs liés aux fréquentations de M. X démontrent, en dehors de toute conclusion de la procédure pénale en cours, une perte totale de repères déontologiques de la part d’un magistrat, qui a pourtant été solennellement mis en garde et lourdement sanctionné pour des faits de même nature par la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature en 1997 ;

 Sur les griefs liés au comportement de M. X dans sa vie privée
Sur la falsification de ses comptes bancaires par M. X afin de tromper des organismes financiers et d’obtenir un crédit
Attendu qu’à l’audience, la sous-directrice des services judiciaires a déclaré que le garde des sceaux abandonnait les poursuites sur ce grief spécifique ;
Attendu que le garde des sceaux doit être regardé comme se désistant de ses poursuites concernant le grief de falsification de ses comptes bancaires et que rien ne s’oppose à ce qu’il lui en soit donné acte ;
Sur la consommation excessive d’alcool
Attendu qu’en l’absence d’éléments objectifs susceptibles de caractériser la conduite d’un véhicule sous l’empire d’un état alcoolique ou la participation à des audiences dans un tel état, et au regard des contradictions entre les témoignages des magistrats et des fonctionnaires du tribunal de grande instance de xxxxx ; il y a lieu de considérer ce grief comme non établi ;

Sur la fréquentation des établissements de jeux
Attendu que, dans le contexte précédemment décrit de grande précarité financière, M. X a également sollicité des prêts auprès de ses voisins d’un montant moyen de 100 euros afin de miser des sommes d’argent dans des établissements de jeux tels que les « paris mutualisés » ; que cette activité a pris des proportions considérables à partir du mois de juin 2010 que M. X explique, lors de son audition du 10 mars 2011 par la mission d’inspection, par « (s)a volonté de (se) refaire (…) (passant) à environ 750 à 1000 euros par mois » malgré des ressources de l’ordre de 450 euros mensuels ;
Attendu que les précautions prises par M. X, qui s’est rendu dans plusieurs établissements pour jouer, parfois en dehors de xxxxx, n’a pas suffi à empêcher certaines personnes fréquentant également ces établissements de découvrir sa qualité de magistrat ;
Attendu que cette pratique quasi quotidienne de jeux d’argent rendue possible, malgré une situation financière obérée, par des prêts octroyés par des voisins, et ce, alors que M. X résidait dans une très petite commune, a indéniablement jeté le discrédit sur l’image de la justice ; que ce faisant M. X a manqué aux devoirs de son état ;

 Sur la pratique professionnelle de M. X
Sur l’insuffisante maîtrise des audiences correctionnelles et l’absence de relecture des décisions
Attendu que les témoignages recueillis sur la préparation des audiences, l’instruction à l’audience et l’absence de relecture des décisions par M. X comportent des appréciations parfois contradictoires sur la pratique professionnelle de ce magistrat ; qu’il ne ressort pas de ces éléments que sa pratique professionnelle puisse être considérée sur ces points précis comme constitutive d’une faute disciplinaire ; que ce grief n’apparaît donc pas suffisamment établi ;

 Sur l’absence ou l’insuffisance de motivation des décisions
Concernant les décisions civiles
Attendu qu’à l’audience, la sous-directrice des services judiciaires a déclaré que le garde des sceaux abandonnait les poursuites sur ce grief spécifique ;
Attendu que le garde des sceaux doit être regardé comme se désistant de ses poursuites concernant le grief de l’absence ou de l’insuffisance de motivation des décisions civiles et que rien ne s’oppose à ce qu’il lui en soit donné acte ;

Concernant les décisions pénales
Attendu que l’article 485 du code de procédure pénale dispose que « Tout jugement doit contenir des motifs et un dispositif. Les motifs constituent la base de la décision. Le dispositif énonce les infractions dont les personnes citées sont déclarées coupables ou responsables ainsi que la peine, les textes de loi appliqués, et les condamnations civiles (…) ».
Attendu que l’analyse des documents recueillis par la mission d’inspection montre une pratique constante développée par M. X, depuis son installation au tribunal de grande instance de xxxxx en 1997, consistant à ne pas motiver ses décisions pénales, ni sur la culpabilité, ni sur les peines prononcées ou à se limiter aux motivations types très succinctes générées automatiquement par les logiciels informatiques et ce, même lorsqu’un appel était interjeté ;
Attendu que l’examen détaillé des jugements rédigés par M. X démontre que les procédures les plus complexes, telles que des accidents du travail ou des homicides involontaires, n’ont pas fait l’objet de décisions plus motivées ;
Attendu que M. X a été régulièrement alerté sur les risques juridiques encourus par ses décisions en raison du non-respect de l’article 485 du code de procédure pénale ; que ses évaluations en font régulièrement état dès 1997 en l’incitant à améliorer sa pratique ;
Attendu que ces observations ont notamment consisté en des reproches formels par le premier président de la cour d’appel de xxxxx dès 2003, qui indique que la cour a été contrainte d’annuler un jugement prononcé le 14 août 2003 par une formation collégiale présidée par M. X, et ce, après avoir relevé « des omissions, des contradictions entre les motifs et le dispositif, une rédaction succincte voire un défaut total de motifs » ; que ces reproches ont été réitérés par plusieurs présidents de chambres correctionnelles de la même cour, qui, sollicités en vue de l’inscription au tableau d’avancement de M. X, ont, en 2005, attiré l’attention sur les « risques provoqués par l’absence de motivation (et) le manque de cohérence entre les décisions » ;
Attendu que, s’il est exact, comme le souligne son conseil, que les dernières évaluations de M. X, inscrit au tableau d’avancement, ne font plus état, à partir de 2006 de cette pratique, il est cependant de nouveau mis en garde en 2008 par la présidente de la 4ème chambre des appels correctionnels de la cour d’appel sur les risques juridiques encourus en raison d’une « analyse paraissant manquer de sérieux (qui) peut faire craindre que la juridiction de première instance n’ait pas entièrement joué son rôle » ;

Attendu que l’analyse exhaustive des décisions rendues par M. X ayant donné lieu à des arrêts rendus en 2010 par la cour d’appel de xxxxx illustre la persistance de cette pratique puisque de nombreux jugements ne comportent aucune motivation ;
Attendu que M. X a, dans son audition du 15 mars 2011, justifié cette pratique en précisant d’une part, que les motivations types lui paraissaient satisfaire aux exigences des dispositions de l’article 485 du code de procédure pénale même dans des dossiers complexes, et ce, malgré des arrêts contraires de la cour d’appel de xxxxx qui avaient été expressément portés à sa connaissance, et, d’autre part, que certaines carences étaient dues à la qualité médiocre du greffe, tout en indiquant avoir motivé plus longuement certaines décisions « sortant de l’ordinaire parce qu’(il )y trouvai(t) un intérêt intellectuel qui correspondait souvent aux recherches qu’(il) effectuai(t) » ;
Attendu que le comportement de M. X, qui, malgré des mises en garde répétées des présidents de chambre, a poursuivi une pratique professionnelle consistant à ne pas motiver la majorité de ses décisions ou à n’utiliser que des motivations types dans des affaires complexes même lorsque le greffe lui précisait qu’un appel avait été interjeté et, à ne rédiger une motivation que dans les affaires suscitant un intérêt personnel sans tenir compte d’une règle de procédure constituant pourtant une garantie essentielle des droits des parties ; que cette attitude démontre une grave carence et une insuffisance professionnelle prolongées ;
Attendu en définitive que le comportement de M. X met en évidence une conception très personnelle de ses devoirs de magistrat, traduisant de sa part une indifférence à l’égard de ses obligations déontologiques ; que ce comportement s’est manifesté dans sa vie privée mais également dans sa vie professionnelle ; que les mises en garde officielles (qu’il s’agisse des juridictions du second degré ayant eu à statuer sur ses jugements ou de la sanction lourde prononcée par la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature) n’ont manifestement eu aucune influence ; que cette dérive s’est traduite par des manquements graves aux devoirs de son état de nature à porter atteinte durablement à l’image de l’institution judiciaire et au crédit de la justice ;
Attendu, dans ces conditions, que le comportement de M. X est constitutif, sous plusieurs aspects, de fautes disciplinaires prévues par l’article 43 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

***

Attendu qu’en application de l’article 77 de ladite ordonnance, « Tout magistrat admis à la retraite est autorisé, sous réserve des dispositions du second alinéa de l'article 46, à se prévaloir de l'honorariat de ses fonctions. Toutefois, l'honorariat peut être refusé au moment du départ du magistrat par une décision motivée de l'autorité qui prononce la mise à la retraite, après avis de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard du magistrat selon que celui-ci exerce les fonctions du siège ou du parquet. Si, lors de son départ à la retraite, le magistrat fait l'objet d'une poursuite disciplinaire, il ne peut pas se prévaloir de l'honorariat avant le terme de la procédure disciplinaire et l'honorariat peut lui être refusé, dans les conditions prévues au premier alinéa, au plus tard deux mois après la fin de cette procédure»
Attendu que, par arrêté du 24 septembre 2012 du garde des sceaux, ministre de la justice, M. X, juge au tribunal de grande instance de xxxxx, a été admis, à sa demande, à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er janvier 2013 ;
Attendu que le Conseil supérieur de la magistrature émet donc l’avis de refuser l’honorariat à M. X ;

***

PAR CES MOTIFS,

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos, hors la présence de M. Laurent Bedouet, rapporteur ;

Statuant en audience publique le 9 janvier 2015 pour les débats et le 21 janvier 2015 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Dit n’y avoir lieu à écarter des débats les pièces issues de l’enquête administrative menée par l’Inspection générale des services judiciaires ;

Dit n’y avoir lieu à surseoir à statuer ;

Donne acte au garde des sceaux de son désistement de ses poursuites concernant les griefs de défaut ou d’insuffisance de motivations des décisions civiles et de falsification des comptes bancaires ;

Emet l’avis que l’honorariat doit être refusé à M. X ;

Dit que le présent avis sera transmis au garde des sceaux et notifié à M. X par les soins du secrétaire soussigné.