Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
20/03/2014
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir d'impartialité, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des justiciables, Manquement au devoir de probité (devoir de réserve), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de légalité (obligation de diligence)
Décision
Non-lieu à sanction disciplinaire
Mots-clés
Commission d'admission des requêtes
Non-lieu
Juge d'instruction
Plainte des justiciables
Fonction
juge d'instruction
Résumé
Sur plainte de justiciables ayant bénéficié d’un non-lieu au terme d'une procédure d'instruction, et reprochant au magistrat instructeur les conditions dans lesquelles s'étaient déroulées et avaient été conduites les mesures de garde à vue et la procédure d’instruction, les propos qu'il aurait tenus au cours d’interrogatoires, son comportement à l’égard des plaignants et des atteintes à la liberté individuelle, ainsi qu'un manque de diligence et de célérité dans la conduite de l’instruction, le CSM, saisi sur renvoi de la commission d'admission des requêtes, juge qu’aucun comportement fautif de nature à justifier le prononcé d’une sanction disciplinaire n’est caractérisé à l’encontre du magistrat visé.

CONSEIL SUPÉRIEUR
DE LA MAGISTRATURE

Conseil de discipline
des magistrats du siège

20 Mars 2014

Mme X

FRAPPEE DE POURVOI

DÉCISION

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni le 19 février 2014 à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées à l’encontre de Mme X, vice-présidente au tribunal de grande instance de xxxxx, précédemment chargée des fonctions de l’instruction au même tribunal, ensuite de la décision du 25 octobre 2012 de la commission d’admission des requêtes compétente à l’égard des magistrats du siège renvoyant à la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du siège l’examen des plaintes datées des 15 mai 2011, 1er juin 2011, 8 juin 2011, 5 juin 2011 et 6 juin 2011, respectivement déposées par M. A, M. B, M. C, Mme D et Mme E,
Sous la présidence de M. Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation, président de la formation, en présence de :

M. Jean-Pierre Machelon,
Mme Chantal Kerbec,
Mme Martine Lombard,
M. Christophe Ricour,
M. Daniel Ludet,
M. Loïc Chauty,
M. Luc Fontaine,
M. Laurent Bedouet,

membres du Conseil,

assistés de M. Peimane Ghaleh-Marzban, secrétaire général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 43 à 58 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu l’article 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la décision en date du 25 octobre 2012 de la commission d’admission des requêtes compétente à l’égard des magistrats du siège et ses pièces annexées, renvoyant l’examen des plaintes susvisées à la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du siège ;

Vu l'ordonnance du 19 décembre 2012 du président de la formation désignant M. Loïc Chauty en qualité de rapporteur ;

Vu le rapport déposé le 19 décembre 2013 par M. Loïc Chauty, dont Mme X a reçu copie ;

Vu le rappel, par M. le président, des termes de l'article 57 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : «L’audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l'ordre public ou de la vie privée l'exigent, ou s'il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l'accès de la salle d'audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l'audience, au besoin d'office, par le conseil de discipline » et l'absence de demande spécifique formulée en ce sens par Mme X et ses conseils, conduisant à tenir l'audience publiquement ;

***
Attendu qu’à l’ouverture de la séance, le Président de la formation a indiqué que, par lettre en date du 3 février 2014, M. F, avocat au barreau de xxxxx, a demandé que M. B, M. C, M. A, Mme E et lui-même soient entendus par le Conseil, et que, par lettre du 17 février 2014, Maître G et M. H, vice-président chargé de l’instruction au tribunal de grande instance de xxxxx et président [d’une organisation syndicale de magistrats], conseils de Mme X, se sont opposés à cette demande ; qu’il a été indiqué que la Direction des services judiciaires n’y était pas davantage favorable ;

Attendu qu’après en avoir délibéré, le Conseil a estimé que l’audition des plaignants pouvait être utile et a donc décidé d’entendre M. B, M. C, M. A et Mme E ;

Attendu qu’à la reprise de l’audience, Maître G et M. H, ont, faisant suite à la lettre précitée du 17 février 2014, soutenu l’irrecevabilité de la plainte déposée par M. B ; qu’après avoir entendu M. Jean-François Beynel, Directeur des services judiciaire, assisté de Mme Hélène Volant, magistrate à cette direction, Mme X, assistée de ses conseils ayant eu la parole en dernier, le Conseil supérieur de la magistrature, après en avoir délibéré, a décidé de joindre cette demande au fond ;

Attendu qu’à la reprise des débats, le Conseil, après avoir entendu le rapport de M. Loïc Chauty, a procédé à l’audition de M. B, M. C, Mme E et M. A ; que le Président de la formation a, à la demande de Mme X et de ses conseils, donné lecture du procès-verbal d’audition de Mme I, présidente de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’ xxxx ; que le Conseil a ensuite procédé à l’audition de Mme J, conseillère à la cour d’appel de xxxxx et de Mme K, vice-présidente chargée de l’instruction au tribunal de grande instance de xxxxx, témoins cités par la défense ; qu’après avoir entendu Mme X en ses explications et moyens, M. le Directeur des services judiciaires en ses observations qui a indiqué qu’il n’y avait pas lieu à prononcer de sanction, Maître G en sa plaidoirie et M. H en ses observations, Mme X ayant eu la parole en dernier, le Conseil en a délibéré ;

***
-Sur la procédure

Attendu qu’à l’appui de la demande d’irrecevabilité de la plainte, les conseils de Mme X, reprenant les termes de la lettre précitée du 17 février 2014 expose que « si M. B a été placé en garde à vue dans le cadre d’une commission rogatoire, décision qui est de la compétence exclusive de l’officier de police judiciaire, à l’issue de cette garde à vue, M. B n’a pas été déféré devant Mme X » ; qu’ « il n’a jamais été mis en examen, ni même entendu comme témoin assisté ou simple témoin » et qu’ « au regard des dispositions constitutionnelles et organiques, il ne peut dès lors être considéré comme un justiciable » ;

Attendu que l’article 50-3 de l’ordonnance précitée du 22 décembre 1958 dispose que « tout justiciable qui estime qu’à l’occasion d’une procédure judiciaire le concernant le comportement adopté par un magistrat du siège dans l’exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire peut saisir le Conseil supérieur de la magistrature » ;

Attendu que le placement en garde à vue de M. B a été décidé au titre de l’exécution d’une commission rogatoire délivrée par Mme X ; qu’en application de l’article 154 du code de procédure pénale, la garde à vue s’est exercée sous son autorité, celle-ci ayant le pouvoir d’ « ordonner à tout moment que la personne gardée à vue soit (…) remise en liberté »

Attendu en conséquence que M. B a, au sens de l’article 50-3 de l’ordonnance précitée, la qualité de justiciable ; que la demande d’irrecevabilité de sa plainte ne peut dès lors être accueillie ;

***

Sur le fond

Attendu qu’il résulte des plaintes déposées par M. A, M. B, M. C, Mme D et Mme E que, le 27 novembre 2006, le Service de soutien aux investigations territoriales (SSIT) était destinataire d’une note émanant des renseignements généraux de la Préfecture de police de Paris dénonçant un trafic portant sur la délivrance de titres de séjour pour des étrangers et sur des attributions de logements ; que M. L, sous couvert de l’association « M », paraissait négocier ses interventions auprès d’individus à la recherche de logement ou de titre de séjour, voire d’indulgences policières, et solliciter à cet effet des sommes de l’ordre de 1000 euros pour des attributions de logement et de 8000 euros pour des titres de séjour ;

Attendu que l’information judiciaire ouverte le 24 janvier 2007 au cabinet de Mme X des chefs notamment de corruption passive et active de personnes exerçant une fonction publique, amenaient à suspecter l’implication de fonctionnaires travaillant au service des affaires réservées de la direction de la police générale de la préfecture de police, notamment Mme D, secrétaire administrative principale et chef de salle, Mme E, adjointe administrative principale et agent d’accueil, M. C, commandant de police en fonction au service de protection des hautes personnalités et de M. A, administrateur civil, en charge du traitement de toutes les demandes de titre qui font l’objet d’intervention ; que M. B, préfet, directeur de la police générale, et sous l’autorité duquel était placé le service des affaires réservées était suspecté pour avoir connaissance de ces interventions ;

Attendu que le 31 mai 2007, des mesures de garde à vue étaient prises notamment à l’encontre de Mme E, Mme D, M. C et M. B ; que M. A était interpellé le 19 décembre 2007 ;

Attendu que, mis en examen, Mme E, Mme D, M. C et M. A ont toujours maintenu devant le magistrat instructeur n’avoir jamais sollicité ou accepté des contreparties et n’avoir jamais fait bénéficier des étrangers d’avantages indus ;

Attendu qu’ils ont précisé durant la procédure disciplinaire suivie à l’encontre de Mme X avoir bénéficié d’un non-lieu, ordonné par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de xxxxx, par arrêt du 1er juin 2010 pour M. A et le 25 janvier 2011 pour M. C, Mme E et Mme D ;

Attendu qu’il est reproché à Mme X :

- les conditions dans lesquelles se sont déroulées et ont été conduites les mesures de garde à vue et la procédure d’instruction ;

- des propos tenus au cours d’interrogatoires ;

- son comportement à l’égard des plaignants et des atteintes à la liberté individuelle ;

- son manque de diligence et de célérité dans la conduite de l’instruction.

Sur les conditions dans lesquelles se sont déroulées et ont été conduites les mesures de garde à vue et la procédure d’instruction

Attendu qu’il est reproché à Mme X, aux termes des plaintes déposées par les justiciables, les conditions dans lesquelles se sont déroulées et ont été conduites les mesures de garde à vue et la procédure d’instruction :

-s’agissant des mesures de garde à vue, de n’avoir pas durant celles-ci fait procéder à des confrontations entre les plaignants et M. L, alors qu’il leur était reproché d’avoir perçu des contreparties de la part de ce dernier, de n’avoir pas suffisamment motivé au regard des dispositions de l’article 154 alinéa 2 du code de procédure pénale la prolongation des gardes à vue, le juge se limitant à mentionner qu’« un interrogatoire est en cours dans son cabinet » ;

-s’agissant de la procédure d’instruction, d’avoir manqué de prudence par rapport à l’enquête de l’Inspection générale des services de police (IGS), de n’avoir émis aucune réserve sur ce travail et d’avoir instruit uniquement à charge, cette attitude étant caractérisée, selon les plaignants, par l’absence de réaction du juge quant aux multiples demandes de confrontations ;

Attendu qu’il est en outre reproché à Mme X l’absence de réponse à la demande de M. B à être entendu au cours de l’information judiciaire, non mis en examen dans la procédure mais entendu sous le régime de la garde à vue, qui possédait, selon lui, des éléments à décharge, et plus généralement de ne pas avoir fait droit aux demandes d’auditions de différentes personnes citées dans la procédure ; qu’il est encore fait grief à Mme X de n’avoir procédé qu’à un seul interrogatoire par mis en examen au cours de l’instruction et, uniquement à charge, et sans que les pièces versées par leur avocat n’aient été prises en compte au cours de ces auditions ;

Attendu, selon les plaignants, qu’une demande du 16 novembre 2009 d’une nouvelle retranscription d’écoutes téléphoniques n’était pas suivie d’effet alors que la chambre de l’instruction y faisait droit dans son arrêt du 1er juin 2010, suite à la transmission par le parquet le 3 août 2009 d’une série de pièces faisant état de fausses retranscriptions d’écoutes téléphoniques par l’IGS sur la ligne de M. L, et alors qu’était mis en évidence un pacte de corruption entre M. L et deux policiers ;

Attendu enfin que Mme X est critiquée pour le choix d’un « sachant » en droit des étrangers qui ne semblait pas avoir la compétence nécessaire pour apprécier le fonctionnement spécifique du service des affaires réservées de la préfecture de police ;

Attendu que l’alinéa 2 de l’article 43 de l’ordonnance précitée du 22 décembre 1958, résultant de la loi n°2010-830 du 22 juillet 2010 dispose que « constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision devenue définitive », tirant les conséquences du considérant n°7 de la décision DC 2007-551 DC du 1er mars 2007, par lequel le Conseil constitutionnel a posé le principe que « l’indépendance de l’autorité judiciaire, garantie par l’article 64 de la Constitution, et le principe de la séparation des pouvoirs, proclamé par l’article 16 de la Déclaration de 1789, n’interdisent pas au législateur organique d’étendre la responsabilité disciplinaire des magistrats à leur activité juridictionnelle en prévoyant qu’une violation grave et délibérée d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties puisse engager une telle responsabilité ; que, toutefois, ces mêmes principes font obstacle à l’engagement de poursuites disciplinaires lorsque cette violation n’a pas été préalablement constatée par une décision de justice devenue définitive. »

Attendu que le Conseil ne peut, dès lors, apprécier un acte relevant de l’activité juridictionnelle d’un magistrat que lorsqu’il résulte de l’autorité même de la chose définitivement jugée que, par le caractère grave et délibéré de la violation d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, cet acte, en dépit des apparences, ne peut être regardé comme juridictionnel ; qu’en dehors de ce cas, un tel acte qui relève du seul pouvoir du magistrat ne peut être critiqué que par l’exercice des voies de recours prévues par la loi en faveur des parties au litige ;

Attendu, pour les griefs tirés du déroulement des mesures de garde à vue, que ni les décisions de mises en garde-à-vue, par un officier de police judiciaire, sous le contrôle du juge d’instruction, ni les conditions de leur prolongation, n’ont été jugées irrégulières par la chambre de l’instruction ; que, sur l’absence de confrontations au cours des gardes à vue, la chambre de l’instruction a estimé, dans son arrêt du 1er juin 2010, que si ces confrontations apparaissaient effectivement nécessaires, elles pouvaient très bien avoir lieu ultérieurement en cours d’instruction ;

Attendu, s’agissant du déroulement de l’information judiciaire, que la chambre de l’instruction de la cour d’appel de xxxxx, dans l’arrêt précité du 1er juin 2010, a relevé, s’agissant des demandes d’actes, que « si le juge d’instruction n’a pas assuré au cours des mois précédents la réalisation de nouveaux actes en raison de l’encombrement de son cabinet et de la nécessité d’instruire plusieurs dossiers nécessitant des investigations en Afrique, il convient d’observer que de très nombreuses investigations ont été conduites dans cette affaire et que l’ensemble des mis en examen a été réentendu au fond, que l’absence de réponses aux demandes d’actes ne caractérise pas en l’espèce un refus de nouvelles diligences, le magistrat instructeur ayant d’ailleurs sollicité des réquisitions supplétives du chef d’escroqueries manifestant ainsi sa volonté d’approfondir ses recherches… » ;

Attendu que, sur le grief spécifique de manque d’impartialité du juge, la chambre de l’instruction n’a pas jugé que telle avait été l’attitude de Mme X durant l’information judiciaire, les éléments recueillis par elle ayant permis au contraire à la cour d’appel d’ordonner un non-lieu à l’endroit de M. A le 1er juin 2010 et à l’endroit de M. C, Mme E et Mme D le 25 janvier 2011 ; qu’enfin, le choix du «sachant » n’a fait l’objet d’aucune contestation devant la chambre de l’instruction ;

Attendu, en cet état, que les conditions dans lesquelles se sont déroulées et ont été conduites les mesures de garde à vue ainsi que la procédure d’instruction n’entrent pas dans le champ d’un comportement relevant du domaine disciplinaire ;

Sur les propos tenus au cours d’interrogatoires

Attendu qu’il est reproché à Mme X les propos qu’elle aurait tenus au cours d’interrogatoires, et d’avoir, de manière générale fait preuve de dureté ;

Attendu, d’une part, que selon M. A, Mme X lui aurait dit, au cours de sa première comparution « qu’il n’avait plus sa place dans le droit des étrangers » ; que Mme X a assuré, tant devant le rapporteur que devant le Conseil, n’avoir jamais tenu de tels propos ; qu’elle a indiqué en outre au rapporteur que « Me F ne (lui) a jamais déposé une note ou bien formulé des observations par rapport à ces prétendus propos » ;

Attendu qu’aucun élément ne permet d’établir que de tels propos ont été tenus ; que la réalité du grief n’est pas établie ;

Attendu, d’autre part, que selon Mme E, lors de son audition du 17 septembre 2008, elle aurait eu du mal à retenir ses larmes devant la dureté de Mme X réagissant aux propos qu’elle avait tenus sur le comportement des policiers au cours de la garde à vue ; que Mme E les ayant comparé à « des membres de la gestapo », Mme X l’aurait menacée de poursuites pénales si elle maintenait de telles déclarations alors qu’elle ne faisait que répondre à une interrogation du juge sur le déroulement de la garde à vue ;

Attendu que, dans l’exercice de ses fonctions, tout juge doit constamment veiller à adopter avec les justiciables, une attitude empreinte de délicatesse et exempte de tout manquement à la dignité ainsi qu’à la réserve et éviter tout propos qui tendrait à une manifestation de préjugés ou de partis pris ;

Attendu que Mme X a expliqué devant le rapporteur avoir « indiqué qu’elle (Mme E) ne pouvait pas tenir de tels propos qui pouvaient faire l’objet de poursuites pénales » ; qu’elle a confirmé ce point à l’audience ;

Attendu que les propos reprochés n’établissent à l’encontre de Mme X aucun manquement à la délicatesse à l’égard de Mme E, ni davantage à la dignité et à la réserve qui doivent être inhérentes à l’accomplissement des fonctions judiciaires ; qu’en effet, la référence faite à la gestapo, synonyme de terreur, d’arbitraire, de tortures et d’exactions, pouvait justifier en l’espèce que le juge rappelle à des fins pédagogiques l’éventuelle conséquence de cette mention ;

Attendu qu’aucune faute disciplinaire ne peut dès lors être relevée à l’encontre de Mme X de ce chef ;

Attendu en outre, que, selon M. C, lors de son interrogatoire le 16 avril 2009, Mme X se serait adressée à son avocat en disant que cela allait le changer en faisant allusion à la perte de 75 % de sa rémunération, à la suite de la mesure de suspension administrative décidée par son autorité hiérarchique ;

Attendu que, devant le rapporteur, Mme X a indiqué qu’« (elle n’avait) pas souvenir des propos que l’on (lui) prête et qu’ (elle n’avait) jamais tenu des propos condescendants, blessants envers quiconque » ;

Attendu que l’existence de tels propos n’est pas démontrée ; qu’à supposer qu’ils aient été tenus, et pour maladroits qu’ils aient alors été, ils ne caractériseraient pas suffisamment, à l’encontre de Mme X un manquement délibéré à la délicatesse, à la dignité et à la réserve ;

Sur le comportement de Mme X à l’égard des plaignants et les atteintes à la liberté individuelle

Attendu que M. C, M. A, Mme D et Mme E estiment que les mesures de contrôle judiciaire auxquelles ils ont été soumis étaient disproportionnées par rapport aux faits qui leur étaient reprochés, compte tenu des pièces qu’ils avaient versées au cours de l’instruction, des actes qui avaient été sollicités auprès du juge et du résultat final de l’instruction, à savoir un non-lieu ; qu’ils font état dans leur plainte et devant le Conseil des conséquences de ces mesures sur leur situation professionnelle et de la forte atteinte à leur image créant un ostracisme social à leur égard pendant plusieurs années ;

Attendu que M. C, M. A et l’avocat de Mme D estiment que les graves problèmes de santé qu’ils ont rencontrés sont la conséquence directe de la durée de cette procédure ; que, selon M. A, Mme X aurait refusé d’alléger les mesures de contrôle judiciaire, l’empêchant ainsi de reprendre son travail et provoquant un épuisement et une dépression entraînant des conséquences graves sur sa santé ;

Attendu, de manière particulière, que, selon M. C et Mme E, Mme X aurait refusé en juin 2008 de lever en partie les mesures du contrôle judiciaire auquel ils étaient soumis, leur interdisant de rentrer en contact, afin d’échanger sur la situation de leur fils en raison de son hospitalisation pour une opération chirurgicale sous anesthésie générale consécutive à un accident ; que Mme X, aurait, de la même manière, refusé, en juin 2009, de lever le contrôle judiciaire pour les vingt ans de leur fils alors que M. C avait un cancer ; que, le 26 janvier 2010, Mme E sollicitait une modification du contrôle judiciaire afin de permettre à M. C de s’entretenir avec elle du décès brutal de son frère et de la possibilité d’assister aux obsèques ; que Mme X, selon les plaignants, aurait adopté à cette occasion une attitude particulièrement dure et inhumaine, et aurait rejeté le 23 février 2010 cette demande, hors du délai de 5 jours prévu par les dispositions de l’article 140 du code de procédure pénale ;

Attendu qu’il résulte des pièces de la procédure que Mme D, Mme E et M. C ont été placés sous contrôle judiciaire le 1er juin 2007 et que M. A a été soumis à cette mesure le 20 décembre 2007 ; que la main-levée totale du contrôle judiciaire a été ordonnée par Mme X le 28 mai 2010 à l’endroit de Mme D, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de xxxxx ayant ordonné la main-levée du contrôle judiciaire pour Mme E, M. C et M. A par arrêt du 11 mai 2010 ;

Attendu qu’aux termes de l’article 140 du code de procédure pénale, « la mainlevée du contrôle judiciaire peut être ordonnée à tout moment par le juge d’instruction, soit d’office, soir sur les réquisitions du procureur de la République, soit sur la demande de la personne après avis du procureur de la République » ; que « le juge d’instruction statue sur la demande de la personne, dans un délai de cinq jours, par ordonnance motivée » et que « faute par le juge d’instruction d’avoir statué dans ce délai, la personne peut saisir directement de sa demande la chambre de l’instruction qui, sur les réquisitions écrites et motivées du procureur général, se prononce dans les vingt jours de sa saisine. A défaut, la mainlevée du contrôle judiciaire est acquise de plein droit, sauf si des vérifications concernant la demande de la personne ont été ordonnées » ;

Attendu qu’il résulte des pièces de la procédure que les mesures de contrôle judiciaire ont été examinées, à de nombreuses reprises, tant par le juge d’instruction que par la chambre de l’instruction et, dans un cas, par la Cour de cassation ;

Attendu, s’agissant de Mme D, que si des demandes de modification du contrôle judiciaire ont été rejetées les 7 septembre 2007 et 3 octobre 2007, Mme X a autorisé des départs à l’étranger pour des vacances le 22 octobre 2009 et le 14 avril 2009 et modifié les mesures du contrôle judiciaire le 19 mars 2010 ;

Attendu, que s’agissant de Mme E, des rejets de modification des mesures du contrôle judiciaire sont intervenus le 30 juin 2008, le 23 février 2010, répondant à une demande du 26 janvier 2010 relative au décès d’un frère de l’intéressée et le 11 mai 2009, confirmé par un arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de xxxxx du 11 juin 2009 ;

Attendu, que, s’agissant de M. C, des rejets de modification des mesures du contrôle judiciaire ont été décidés le 30 juin 2008, le 11 mai 2009, confirmé par arrêt de la chambre de l’instruction du 11 juin 2009 et le 23 février 2010, répondant à la demande du 26 janvier 2010 formée à la suite du décès d’un frère de Mme E ;

Attendu enfin, que, s’agissant de M. A, des demandes de modification de mesures du contrôle judiciaire ont été rejetées le 30 juin 2008, le 22 septembre 2008 confirmé le 30 octobre 2008 par la chambre de l’instruction, le 10 décembre 2008 confirmé par arrêt du 29 janvier 2009, le 30 mars 2009 confirmé par arrêt du 14 mai 2009 de la chambre de l’instruction, le pourvoi contre cette décision ayant été rejeté le 19 août 2009, et, le 4 mars 2010 ; que, le 9 avril 2009, la chambre de l’instruction avait levé l’interdiction de quitter le territoire national décidée à l’endroit de M. A, suite à une saisine directe formée en application de l’article 140 du code de procédure pénale ;

Attendu, s’agissant de la demande de modification du contrôle judiciaire faisant suite au décès d’un frère de Mme E, que Mme X a déclaré au rapporteur que « l’objectif n’était absolument pas de heurter qui que ce soit » mais que les demandes, qui n’étaient pas claires sur la question de savoir s’il s’agissait de demandes de main-levée ou de modification du contrôle judiciaire, lui étaient apparues comme une entorse à l’interdiction de communiquer qu’elle avait décidée ; qu’elle a précisé, pour expliquer la non-réponse dans les délais légaux, le contexte d’une mission au Rwanda début mars 2010 au titre de la procédure judiciaire dans laquelle elle était co-saisie, qui avait nécessité d’être préparée les 30 et 31 janvier et les 8 et 9 février 2010 ;

Attendu, en tout état de cause, que les plaignants ont bénéficié des recours prévus en application de l’article 140 du code de procédure pénale, soit en interjetant appel des décisions rendues par Mme X, soit en saisissant directement la chambre de l’instruction ; qu’en cet état, la réalité du grief n’est pas établie ;

Sur le manque de diligence et de célérité de Mme X dans la conduite de l’instruction

Attendu qu’il est reproché à Mme X un manque de célérité dans la conduite de l’instruction ; que, si Mme D, Mme E et M. C ont été mis en examen le 1er juin 2007, ils ont bénéficié d’un non-lieu ordonné par la chambre de l’instruction le 25 janvier 2011 ; que pour M. A, mis en examen le 20 décembre 2007, la chambre de l’instruction a prononcé un non-lieu le 1er juin 2010 ;

Attendu qu’il résulte des pièces de la procédure qu’après les mises en examen, Mme X a délivré quatre commissions rogatoires, entre les 4 juin et le 11 juillet 2007, puis une nouvelle, le 14 février 2009 ; qu’un retour partiel de cette dernière commission rogatoire a eu lieu le 17 juin 2009 et un autre le 3 août 2009 ;

Attendu que l’examen de la procédure d’information judiciaire révèle, chez Mme X, une absence de diligence à compter du 3 août 2009 ;

Attendu qu’un magistrat instructeur doit, dans la mesure de sa charge de travail résultant notamment du nombre et de la difficulté des procédures dont il est saisi ainsi que d’autres attributions qui lui sont confiées au titre de ses fonctions, veiller à traiter les dossiers d’information avec une diligence exclusive de retards injustifiés ;

Attendu que le cabinet de Mme X comportait 125 dossiers dont 36 communiqués au parquet au 31 décembre 2009 et 114 dossiers dont 45 communiqués au parquet au 31 juillet 2000, à un niveau inférieur à la moyenne générale des cabinets d’instruction au tribunal de grande instance de xxxxx, mais supérieur à la moyenne nationale ; que, selon Mme N, première vice-présidente au tribunal de grande instance de xxxxx, le cabinet de Mme X était moins chargé que la moyenne des cabinets xxxxx, afin de tenir compte des dossiers du Rwanda ;

Attendu en effet que Mme X a indiqué, que saisie avec Mme I des dossiers relatifs au génocide au Rwanda, elles avaient décidé en 2008 et 2009, de mettre l’accent sur ces dossiers dans un contexte international et médiatique exigeant ;

Attendu que selon Mme N, « compte tenu de l’instruction des dossiers du Rwanda, la charge de travail a peut-être causé un problème d’organisation interne au cabinet. La spécificité de ces dossiers rendait difficile de les instruire en même temps que les autres procédures » ;

Attendu sur ce point, qu’il résulte de l’enquête effectuée, que le président du tribunal de grande instance de xxxxx a été informé le 9 novembre 2009 de la surcharge d’activité résultant de la conduite d’informations judiciaires dans des procédures de crimes contre l’humanité ; que, dans un courrier conjoint de Mme X et de Mme I, est souligné le fait que « la masse des documents à analyser et la quantité des données et informations à assimiler pour pouvoir instruire dans des conditions raisonnables la dizaine d’informations judiciaires concernant des faits survenus à l’international dans un contexte historique, est considérable » et que, «dans l’attente de la création annoncée d’un pôle spécialisé « génocide et crimes contre l’humanité » et afin de pas pénaliser davantage l’organisation de nos cabinets de service général, nous vous prions de bien vouloir envisager de nous alléger des services annexes à notre activité principale (présidences d’audiences et assises) » ;

Attendu qu’en réponse à cette lettre, le président du tribunal écrivait le 2 décembre 2009 que « les moyens nécessaires au fonctionnement des audiences pénales ne permettent pas de répondre favorablement à votre demande de dispense des services annexes » ; qu’il apparaît que les allégements obtenus ont commencé seulement début 2011, le pôle crimes contre l’humanité ayant été en outre créé en janvier 2012 avec trois juges d’instruction dédiés et des assistants spécialisés ;

Attendu en outre que Mme X a expliqué avoir eu le sentiment d’être inondée de demandes, de pièces, de mémoires par l’avocat des plaignants dans des conditions ne lui permettant pas de les traiter dans des délais satisfaisants ; que l’enquête disciplinaire a montré que quarante et une demandes d’actes avaient été présentées, dont onze entre le 13 mars et le 18 juin 2008 et treize le 16 novembre 2009 ;

Attendu en définitive que l’inaction constatée de Mme X n’a porté que sur une procédure isolée et doit être appréciée au regard de l’ensemble de ces circonstances ;

Attendu que la charge particulièrement importante du cabinet de Mme X liée aux procédures concernant le Rwanda, de même que l’absence de prise en compte significative par sa hiérarchie de cette situation, ne permettent pas de considérer le manque de diligence de Mme X dans une procédure d’information judiciaire isolée, pour regrettable qu’il soit, comme constitutif d’une faute disciplinaire ;

Attendu ainsi qu’un comportement fautif de nature à justifier le prononcé d’une sanction disciplinaire n’est pas caractérisé à l’encontre de Mme X ;

***

PAR CES MOTIFS,

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos, et hors la présence de M. Loïc Chauty, rapporteur ;

Statuant en audience publique, le 19 février 2014 pour les débats et le 20 mars 2014, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Rejette la demande d’irrecevabilité de la plainte déposée par M. B ;

Dit n’y avoir lieu au prononcé d’une sanction ;

Dit que copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d’appel de xxxxx.