Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
25/11/2010
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard de la justice, Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge)
Décision
Fin des fonctions de juge de proximité
Retrait de l'honorariat
Mots-clés
Arme
Dégradation
Dignité
Harcèlement
Image de la justice
Institution judiciaire (confiance)
Interdiction temporaire de l'exercice des fonctions
Juge de proximité
Mineur
Mise en examen
Poursuites disciplinaires (autonomie de l'instance disciplinaire)
Poursuites disciplinaires (communication d'une copie de la procédure pénale)
Presse
Probité
Représailles
Retentissement médiatique
Retrait de l'honorariat
Supplément d'instruction disciplinaire (complément d'enquête)
Troubles du voisinage
Vie privée (proches)
Violation de domicile
Violence
Fonction
juge de proximité
Résumé
Mise en examen d’un juge de proximité pour des violences commises sur sa compagne et sur son fils et des chefs de détention d’armes et de munitions – Mise en examen pour des faits de violation de domicile – violences volontaires, dégradations ou détériorations volontaires commise à l’encontre de ses voisins en représailles
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, contre M. X, juge de proximité à xxxx , sous la présidence de M. Jean-François Weber, Président de chambre honoraire à la Cour de cassation en remplacement de M. le premier président de la Cour de cassation empêché, (…)

Vu les articles 41-23, 43 à 58 et 79 modifiés de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu l'interdiction temporaire d'exercer les fonctions de juge de proximité prononcée le 22 juillet 2009, notifiée le 4 août 2009 ;

Vu la dépêche du garde des Sceaux, ministre d'Etat, ministre de la justice et des libertés, en date du 1er octobre 2009, dénonçant au conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l'encontre de M. X, juge de proximité au tribunal de grande instance de xxxx ;

Vu l'ordonnance du 2 octobre 2009, désignant Mme Gracieuse Lacoste en qualité de rapporteur ;

Vu la décision du conseil de discipline en date du 1er juillet 2010, ordonnant un complément d'enquête, confié à Mme le conseiller Lacoste pour obtenir communication d'une copie de la procédure pénale concernant M. X, entendre le magistrat au vu de cette communication et établir un rapport complémentaire au vu des éléments recueillis ;

Vu l'article 57 de l'ordonnance précitée n° 58-1270 du 22 décembre 1958, modifié par l'article 19 de la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu le rapport de Mme Gracieuse Lacoste du 10 mars 2010 et le rapport complémentaire du 6 octobre 2010 établi après le supplément d'enquête, dont M. X a reçu copie ;

Vu le rappel, par M. le président, des termes de l'article 57 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels “l'audience est publique, mais que, si la protection de l'ordre public ou de la vie privée l'exigent, ou s'il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l'accès de la salle d'audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l'audience, au besoin d'office, par le Conseil de discipline” et l'absence de demande spécifique formulée en ce sens par M. X, conduisant à tenir l'audience publiquement ;

Vu la lecture du rapport complémentaire par Mme Gracieuse Lacoste ;

Vu les observations de M. Xavier Tarabeux, adjoint à la directrice des services judiciaires, qui a sollicité le prononcé, à l'encontre de M. X, de la sanction de la cessation des fonctions de juge de proximité ; que, contrairement à la position qu'il avait soutenue lors de l'audience du 17 Juin 2010, M. Tarabeux retient que M. X, qui a démissionné de la magistrature en 1984, n'a pas été admis à la retraite et ne pouvait donc pas bénéficier de l'honorariat de ses fonctions de magistrat ; qu'en conséquence, il ne demande plus le prononcé de la sanction de retrait de l'honorariat de ce magistrat ;

Vu les explications et moyens de défense de M. X, qui a eu la parole en dernier ;

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Attendu que le garde des sceaux a saisi M. le premier président de la Cour de cassation, président de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente en matière de discipline des magistrats du siège, d'une poursuite disciplinaire par dépêche du 1er octobre 2009 ; que M. X est poursuivi pour des faits de violences physiques et verbales imposées à sa compagne et à son enfant et pour des comportements humiliants, destinés à troubler la tranquillité de ses voisins ; que ces faits sont qualifiés, par l'acte de saisine, de manquements à la dignité, à l'honneur et à la délicatesse de la part d'un membre du corps judiciaire portant atteinte à l'image de l'institution judiciaire, à son autorité et au respect qu'elle doit inspirer aux justiciables ;

Attendu que ces même faits font l'objet d'une procédure pénale ; que, par jugement du tribunal correctionnel, en date du 8 juillet 2010, M. X, sur l'action publique, a été relaxé pour les faits volontaires commis au préjudice de Mme Y et du fils de M. X, déclaré coupable des faits de dégradations commis au préjudice des époux A et de détention sans autorisation d'armes et de munitions de quatrième catégorie avec confiscation de l'arme, condamné à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis, avec une interdiction de séjour de cinq ans sur un périmètre déterminé de la commune de ;
Attendu que M. X a formé appel des condamnations pénales et civiles par déclaration du 12 juillet 2010 ; que le ministère public a fait appel, le 13 juillet 2010, “du dispositif pénal de violence avec préméditation, détention sans autorisation d'arme et de munition de catégorie 1 pou 4, dégradation ou détérioration d'un bien appartenant à autrui” ; que l'instance sera examinée le 16 décembre 2010 par la cour d'appel de xxxx ;

Attendu qu'il est reproché à M. X des faits “qui consistent, d'une part, en des violences physiques et verbales imposées à sa compagne et à son enfant et, d'autre part, des comportements humiliants, destinés à troubler la tranquillité de ses voisins - personnes âgées et mal-portantes-, à titre de représailles pour leur témoignage en faveur de sa compagne. Ces faits, qui ressortissent à la vie privée de M. X, manifestent un manquement à la dignité, l'honneur et à la délicatesse de la part d'un membre du corps judiciaire. Ils portent atteinte à l'image de l'institution, à laquelle M. X appartient, à son autorité et au respect qu'elle doit inspirer aux justiciables.” ; qu'il est, en outre, mentionné dans l'acte de saisine qu'il a été mis en examen, supplétivement, des chefs de violation de domicile, violences volontaires sans incapacité de travail avec préméditation, et dégradations ou détériorations volontaires ;

Attendu que ces poursuites disciplinaires font suite à plusieurs plaintes déposées par la compagne de M. X; que ce dernier admet une séparation du couple très conflictuelle, mais conteste les faits reprochés ; qu'il s'estime victime de la violence de sa compagne contre laquelle il a déposé plusieurs plaintes ;

Que ces faits, qui visent des aspects de la vie privée, dans un contexte de séparation conflictuelle, ont, certes, eu un retentissement extérieur par l'intervention des services de police ; que, toutefois, il n'est pas établi que M. X ait commis ces violences et proféré des injures à l'égard de son fils et de sa compagne ; que, dès lors, ces faits ne constituent pas un manquement aux devoirs d'un juge de proximité ;

Attendu que les poursuites disciplinaires font également suite à plusieurs plaintes déposées par les voisins de M. X pour des dégradations ou immondices déposés dans leur jardin, à quinze reprises entre le 3 février et le 31 mars 2009 (photos pornographiques, tessons de bouteille, clous, pointes, pétard allumé en pleine nuit, fermeture d'une vanne d'alimentation de gaz, dégradation de la boîte aux lettres, dépôt d'excréments, d'un rat mort) ; que M. X conteste l'essentiel de ces faits, qu'il réfute toute vengeance envers ses voisins et attribue ces faits aux marginaux qui fréquentent le quartier ;

Attendu que, si plusieurs de ces actes reprochés à M. X ne sont pas suffisamment établis, il n'en demeure pas moins que celui-ci a été interpellé par la police, le 31 mars 2009, à deux heures quarante cinq du matin, en flagrance, dans la propriété de ses voisins âgés de 83 et 78 ans ; qu'il admet avoir lancé dans la cour, de manière irréfléchie, des photos pornographiques trouvées devant chez lui ; qu' il conteste, toutefois, la violation de domicile, n'étant entré dans le jardin que pour se conformer à l'injonction des policiers ;

Qu'il résulte des constatations policières que les photos pornographiques retrouvées le 21 février 2009 dans la propriété des époux A sont semblables à celles que M. X a reconnu avoir lancées chez ses voisins le 31 mars et à celles qui ont été trouvées sur lui ;

Que l'enquête de voisinage décrit un quartier tranquille, sans présence de marginaux, contrairement aux allégations de M. X; que, par ailleurs, toutes les dégradations ont cessé depuis son interpellation ;
Attendu que, pour un membre du corps judiciaire, le fait de déposer des photos pornographiques dans le jardin de ses voisins âgés, à plusieurs reprises, puis d'y être interpellé, en pleine nuit en flagrance, par les policiers, le déconsidère et constitue un manquement aux devoirs de son état ;

Attendu que ces faits ont fait l'objet d' une publication d'articles dans la presse locale ; que M. X estime être victime d'un syndicat policier qui, avec la complicité de la presse, aurait porté atteinte au secret de l'instruction, au secret professionnel , à la présomption d'innocence et à l'autorité de la chose jugée ;

Que, toutefois, l'interpellation de M. X, en pleine nuit, en flagrance, est un fait avéré expliquant le retentissement public de ses agissements ; qu'appelé à juger autrui, de tels faits commis hors fonction, ne peuvent passer inaperçus dans le ressort de sa juridiction ;

Attendu que les faits reprochés à M. X constituent des manquements à la dignité, à l'honneur et à la délicatesse de la part d'un membre du corps judiciaire ; qu'ils portent atteinte à l'image de l'institution judiciaire et au respect qu'elle doit inspirer aux justiciables ; qu'ils imposent qu'il soit mis fin aux fonctions de juge de proximité de M. X, sanction prévue à l'article 41- 23 de l'ordonnance susvisée du 22 décembre 1958 ;

Attendu que M. X a été nommé, par décret du 6 octobre 2008, juge de proximité de avec la mention “magistrat honoraire” ; qu'en application de l'article 79 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précitée, « Le retrait de l'honorariat peut être prononcé pour des motifs tirés du comportement du magistrat honoraire depuis son admission à la retraite ---. L'honorariat ne peut être retiré que dans les formes prévues au chapitre VII (relatif à la discipline) » ; que, dès lors, les faits ci-dessus analysés constituant des fautes disciplinaires commises par “un magistrat honoraire” devenu juge de proximité, il convient d'ordonner le retrait de l'honorariat de ses fonctions de magistrat ;

Par ces motifs

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos,

Statuant, en audience publique, le 10 novembre 2010 pour les débats, et, le 25 novembre 2010, date à laquelle la décision a été rendue par mise à disposition au secrétariat de la Première Présidence de la Cour de cassation,

Met fin aux fonctions de juge de proximité de M. X.

Prononce le retrait de l'honorariat de magistrat.