Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
22/07/2009
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de légalité (obligation de diligence), Manquement au devoir de loyauté à l’égard des supérieurs hiérarchiques, Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice)
Décision
Mise à la retraite d'office
Mots-clés
Instruction
Négligence
Retard
Délai raisonnable
Organisation du service
Notices
Faux (notices)
Instruction (actes fictifs)
Légalité
Diligence
Loyauté
Supérieur hiérarchique
Etat de magistrat
Fonctions
Probité
Dignité
Honneur
Mise à la retraite d'office
Vice-président chargé de l'instruction
Fonction
Vice-président chargé de l'instruction
Résumé
Retards et carences du magistrat instructeur dans le traitement des procédures d’information ouvertes à son cabinet. Falsification, par le magistrat instructeur, des notices de son cabinet par la mention de diligences fictives dans le but de dissimuler ses carences
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le garde des sceaux, ministre de la justice, contre M. X, vice-président chargé de l’instruction au tribunal de grande instance de …, sous la présidence de M. Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation […] ;

Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice, en date du 14 décembre 2007, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X, vice-président chargé de l’instruction au tribunal de grande instance de …, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu l’ordonnance du 21 décembre 2007, désignant M. Dominique Chagnollaud en qualité de rapporteur ;

Vu l’article 57 de l’ordonnance précitée n° 58-1270 du 22 décembre 1958, modifié par l’article 19 de la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu le rapport de M. Dominique Chagnollaud, dont M. X a reçu copie ;

Attendu que le président a rappelé, qu’aux termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, l’audience est publique, mais que, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le conseil de discipline ;

Qu’aucune demande n’ayant été formulée en ce sens, le président a déclaré que l’audience se tiendrait publiquement ;

Après avoir entendu M. Dominique Chagnollaud donner lecture de son rapport, Mme Dominique Lottin, directrice des services judiciaires, assistée de M. Xavier Tarabeux, adjoint à la directrice des services judiciaires, et de Mme Béatrice Vautherin, magistrate à l’administration centrale du ministère de la justice, demander la mise à la retraite d’office de M. X , M. X en ses explications et moyens de défense, M. …, avocat au barreau de …, en sa plaidoirie, M. X en ses explications et moyens de défense, celui-ci ayant eu la parole en dernier ;

Attendu que M. X exerce les fonctions de vice-président chargé de l’instruction au tribunal de grande instance de … ; qu’il lui est reproché :
- l’accumulation de retards et de carences ou l’inertie dans près de la moitié des dossiers instruits à son cabinet, dont certains étaient susceptibles, de façon imminente, d’être atteints par la prescription ;
- la mise en œuvre de procédés – érigés à partir de l’année 2006 en un véritable système – destinés à dissimuler l’ampleur et la nature des anomalies constatées ;

1 - Les retards et insuffisances professionnelles constatés

Attendu que, sur la première série de griefs, le rapport de l’inspection générale des services judiciaires a mis en évidence qu’à la date du 22 mai 2007, sur cent cinquante deux procédures ouvertes au cabinet de M. X et en cours au moment du contrôle de l’inspection, cent une présentaient des retards ou des anomalies ; qu’ont été également comptabilisées vingt neuf procédures dans lesquelles M. X n’a pas réalisé d’acte durant un délai de près de trois ans, certaines s’approchant du terme d’une éventuelle prescription ; qu’à ce bilan, se sont ajoutés quarante deux dossiers ne comportant aucun acte depuis l’ouverture de l’information ;

Attendu que M. X fait état d’un cabinet sinistré lors de son arrivée, mais reconnaît avoir laissé certains dossiers de côté et, même, avoir été « dépassé » vers 2004-2005, ayant « l’impression d’un bateau qui coulait, d’un sentiment d’inutilité, d’inefficacité » ;

Attendu que l’intéressé ne conteste pas les carences relevées par l’inspection ; qu’il explique celles-ci par l’état dépressif qu’aurait provoqué la situation de son cabinet ;

Attendu que l’ensemble des faits avérés, ci-dessus énoncés, constitue des manquements répétés aux devoirs de l’état de magistrat instructeur, constitutifs d’une faute disciplinaire ;

2 - La dissimulation de l’avancement réel des procédures

Attendu qu’en procédant au contrôle des procédures en cours, l’inspection des services judiciaires a comparé les mentions inscrites dans les notices, relatives à l’activité du cabinet, au cours du deuxième semestre 2006, avec les pièces contenues dans les dossiers ; que certains actes d’investigation, mentionnés comme ayant été effectués par le juge, étaient introuvables, tant en original qu’en copie, ou, bien qu’existants en exemplaire papier au dossier, n’avaient jamais été transmis pour exécution ;

Qu’ainsi, plusieurs dizaines de commissions rogatoires et des mandats de recherche ne sont pas parvenus à leurs destinataires et n’ont donc jamais été exécutés, contrairement aux indications contenues dans les notices ; que, de la même manière, une douzaine d’ordonnances de commission d’experts n’ont pas été communiquées aux techniciens désignés ; qu’en outre, de nombreux procès-verbaux d’audition ou d’interrogatoire mentionnés sur les notices n’existent pas ; que des procès-verbaux de non-comparution de parties sont fictifs, aucune convocation préalable n’ayant été délivrée ; qu’une dizaine d’autres actes (notification d’expertise, ordonnance de soit-communiqué, avis à victime, demande d’actes d’état civil) n’ont pas été matérialisés ;

Attendu qu’au surplus, en procédant à l’étude des notices du deuxième semestre 2005, l’inspection des services judiciaires a relevé qu’apparaissait, déjà, une partie des mentions figurant dans les notices du deuxième semestre 2006 relatives à des actes, inexistants en procédure ou jamais exécutés ;

Attendu que, devant l’inspection, M. X a reconnu avoir été « débordé en 2005 et [avoir] créé des actes informatiques sans s’occuper de leur mise à exécution », puis, en 2006, s’être « affolé » et avoir « fait des actes à la pelle » ;

Attendu qu’il est donc établi que M. X a mis en place un système de dissimulation et de falsification, destiné à masquer l’ampleur de ses carences ; qu’il a, ainsi, commis un grave manquement à l’honneur, à la loyauté et à la dignité de l’état de magistrat ;

Attendu que les fautes disciplinaires retenues à l’encontre de M. X imposent que soit prononcée la sanction de la mise à la retraite d’office ;

Par ces motifs,

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos ;

Statuant, en audience publique, le 1er juillet 2009 pour les débats et, le 22 juillet suivant, date à laquelle la décision a été rendue ;

Prononce à l’encontre de M. X la sanction de la mise à la retraite d’office, prévue à l’article 45-6° de l’ordonnance susvisée du 22 décembre 1958.