Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
22/11/1995
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice)
Décision
Non-lieu à sanction
Mots-clés
Fraude fiscale
Abus de biens sociaux
Mise en examen
Poursuites disciplinaires (présomption d'innocence)
Probité
Dignité
Honneur
Non-lieu à sanction
Conseiller de cour d'appel
Fonction
Conseiller de cour d'appel
Résumé
Mises en examen d’un magistrat des chefs de fraude fiscale et de recel d’abus de biens sociaux insusceptibles à elles seules, en application du principe de la présomption d’innocence, règle essentielle du droit disciplinaire, de permettre le prononcé de sanctions disciplinaires

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, et siégeant à la Cour de cassation, sous la présidence de M. Drai, premier président de la Cour de cassation ;

Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche du ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice, du 25 novembre 1994, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X, conseiller à la cour d’appel de V, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Sur le rapport de M. Jacques Montouchet, bâtonnier honoraire, membre du Conseil supérieur de la magistrature, désigné par ordonnance du 6 décembre 1994 ;

Après avoir entendu M. Marc Moinard, directeur des services judiciaires au ministère de la justice, assisté de Mme Isabelle Douillet, magistrat à l’administration centrale du ministère de la justice ;

Après avoir entendu M. X en ses explications et moyens de défense ;

Après avoir entendu Maître Jean-Pierre Darmon, avocat au barreau d’Aix-en-Provence, en sa plaidoirie, M. X ayant eu la parole le dernier ;

L’affaire a été mise en délibéré et il a été annoncé que la décision serait rendue le 22 novembre 1995, à 14 heures ;

Attendu qu’aux termes de l’article 43, alinéa 1, de l’ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée, portant loi organique relative au statut de la magistrature : « Tout manquement, par un magistrat, aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité constitue une faute disciplinaire » ;

Attendu qu’il est, tout d’abord, reproché à M. X d’être impliqué dans une affaire de fraude fiscale commise par son épouse, aujourd’hui décédée, et d’avoir été mis en examen, de ce chef, par un juge d’instruction de W, le 25 avril 1994, après qu’une plainte eut été déposée, le 12 juin 1991, par le directeur des services fiscaux de V à l’encontre de Mme X, prise tant comme co-gérante de la société civile mobilière « La Fenière » qu’en son nom personnel, s’agissant de la dissimulation, dans ses déclarations de revenus, au titre des années 1986 et 1987, de bénéfices industriels et commerciaux des sociétés « La Fenière et Résidence du Centre » ;

Attendu que la mise en cause de M. X tient, comme le souligne la dépêche du ministre de la justice, à ce qu’en sa qualité d’époux, il a conjointement signé les déclarations des revenus du foyer fiscal, ainsi que le prévoit l’article 170-1 bis du code général des impôts ;

Attendu qu’il est, en second lieu, fait grief à M. X d’avoir bénéficié personnellement, au moyen d’un « contrat de flotte », du paiement de l’assurance automobile d’un véhicule lui appartenant par la société « Delta Entreprise », mise en liquidation judiciaire le 9 décembre 1988 et dont l’objet social était « la réalisation de tous travaux de construction métallique, tuyauterie, isolation, électricité industrielle » ;

Attendu que, le 20 octobre 1994, le parquet de W a requis l’ouverture d’une information judiciaire du chef d’abus de biens sociaux, contre M. X ;

Attendu que M. le garde des sceaux estime que les deux affaires ci-dessus évoquées « révèlent de la part de M. X un comportement qui, indépendamment des suites pénales auxquelles il donnera lieu, apparaît contraire à la dignité et à l’honneur et constitutif, par conséquent, de fautes disciplinaires en application de l’article 43 de l’ordonnance statutaire » ;

Attendu que le Conseil constate, tout d’abord, que quatre procédures sont actuellement en cours :
- l’une engagée, de son vivant, par Mme X devant le tribunal administratif à l’encontre des réclamations de l’administration fiscale et pendante depuis 1991,
- la seconde engagée, du vivant de Mme X, par la société « La Fenière » à l’encontre de son cabinet d’expertise comptable, responsable, à ses yeux, de la production tardive des résultats de cette société et consécutivement de la reconstitution de comptabilité par l’administration ; cette procédure est pendante devant la première chambre du tribunal de grande instance de V, depuis 1991,
- l’information ouverte au cabinet du juge d’instruction de W, du chef de fraude fiscale, le 25 avril 1994,
- l’information ouverte au cabinet du juge d’instruction de W, contre M. X, du chef de recel d’abus de biens sociaux, le 20 octobre 1994 ;

Attendu que le Conseil relève que M. X, atteint par l’âge de la retraite, a cessé d’exercer ses fonctions de conseiller à la cour d’appel de V, le 30 juin 1995 ;

Attendu que, confirmant ses déclarations antérieures, M. X a protesté, devant le Conseil, contre les accusations dont il est l’objet ;

Attendu que ne saurait être retenu le moyen selon lequel une mise en examen serait, à elle seule, contraire à la dignité que tout juge doit s’imposer, porterait atteinte à l’autorité attachée à ses fonctions et permettrait ainsi le prononcé de sanctions disciplinaires ;

Attendu que l’admettre serait attentatoire au principe de la présomption d’innocence, qui est une des règles essentielles du droit disciplinaire ;

Attendu, par ailleurs, qu’il incombe à la partie poursuivante de rapporter la preuve certaine des faits servant de fondement à la saisine du Conseil et des manquements allégués à l’encontre du magistrat concerné ;

Attendu, s’agissant des griefs relatifs à la fraude fiscale, que les documents joints à la dépêche du 25 novembre 1994, ne permettent pas, en l’absence d’enquête et d’expertise comptable, de cerner la réalité économique et fiscale et de tenir pour certains les reproches formulés par l’administration ;

Attendu, s’agissant des griefs relatifs au recel d’abus de biens sociaux, que les documents produits ne permettent pas, en l’état, de tenir pour certaine une quelconque participation de M. X aux vicissitudes de la société Delta Entreprise, avec laquelle il affirme n’avoir jamais traité (pas plus qu’avec ses dirigeants pris en tant que tels) et dont il est même douteux qu’il ait connu l’existence…

Attendu que si les diverses procédures actuellement diligentées, et notamment les informations visées par la dépêche de M. le garde des sceaux, sont susceptibles de révéler la réalité de certains des manquements allégués, il reste, s’agissant de la fraude fiscale, que M. le directeur des services judiciaires a, au cours des débats, semblé lui-même la mettre en doute ;

Attendu qu’en conséquence, il n’y a pas lieu, en l’état, à se prononcer sur l’action disciplinaire ;

Par ces motifs,

Dit n’y avoir lieu, en l’état, à se prononcer sur l’action disciplinaire diligentée contre M. X et renvoie la partie poursuivante à saisir le Conseil supérieur de la magistrature, si elle s’y croit fondée, au terme des procédures en cours.