Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
27/06/1991
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de légalité (obligation de diligence), Manquement au devoir de légalité (obligation de rédaction des décisions), Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat (obligation d’assumer ses fonctions)
Décision
Retrait des fonctions de juge d'instruction
Déplacement d'office
Mots-clés
Retard
Négligence
Légalité
Rédaction des décisions
Diligence
Etat de magistrat
Fonctions
Retrait des fonctions
Déplacement d'office
Juge d'instruction
Fonction
juge d'instruction
Résumé
Carences et insuffisances professionnelles dans le traitement de dossiers d’information judiciaire et dans la rédaction de jugements civils
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, et siégeant à la Cour de cassation ;

Sous la présidence de M. Drai, premier président de la Cour de cassation ;

Vu les articles 43 à 58 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiés par les lois organiques n° 67-130 du 20 février 1967, n° 70-642 du 17 juillet 1970 et n° 79-43 du 18 janvier 1979 ;

Vu les articles 13 et 14 de l’ordonnance n° 58-1271 du 22 décembre 1958 portant loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 9 à 13 du décret n° 59-305 du 19 février 1959 relatif au fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche du garde des sceaux, ministre de la justice, du 15 janvier 1991, dénonçant au Conseil les faits motivant une poursuite disciplinaire contre Mme X, juge d’instruction au tribunal de grande instance de V, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu la décision préalable, rendue le 18 juin 1991, par le Conseil supérieur de la magistrature ;

Sur le rapport de M. Bacou, désigné par ordonnance du 26 février 1991 ;

Après avoir entendu M. le directeur des services judiciaires ;

Après avoir entendu Mme X en ses explications et moyens de défense ;

Après avoir entendu, en ses plaidoiries, Maître Verges, avocat à la cour d’appel de Paris ;

Mme X ayant eu la parole la dernière ;

Statuant sur les faits dénoncés, le 15 janvier 1991, par le garde des sceaux, ministre de la justice ;

A rendu la décision ci-après :

Attendu qu’aux termes du premier alinéa de l’article 43 de l’ordonnance du 23 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire » ;

Attendu que le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, ne peut porter une quelconque appréciation sur les actes juridictionnels des juges, lesquels relèvent du pouvoir de ceux-ci et ne sauraient être critiqués que par le seul exercice des voies de recours prévues par la loi en faveur des parties au litige ;

Attendu que, par la dépêche du 15 janvier 1991, le garde des sceaux, ministre de la justice, impute à faute disciplinaire à Mme X, juge d’instruction à V d’abord, des « carences et insuffisances professionnelles » dans l’exercice des fonctions de juge d’instruction, ensuite des « carences et insuffisances professionnelles » dans l’exercice de fonctions judiciaires « annexes » ;

Sur le premier grief

Attendu qu’il résulte des pièces du dossier que Mme X a délaissé un nombre important d’affaires dont elle avait la charge ;

Que ce comportement s’est manifesté à divers stades des procédures ;

Attendu qu’ainsi, des délais excessifs et injustifiés ont été relevés entre la date où le juge a été saisi et celle de sa première intervention ;

Qu’il convient de se référer, notamment, à cet égard, aux procédures ci-après, données seulement à titre d’exemple et sans aucun caractère exhaustif :

- Procédure n° 99/86 où des réquisitions supplétives du parquet tendant à inculpation ont été prises le 7 juin 1988 alors que l’interrogatoire de première comparution, effectué par Mme X n’est intervenu que le 30 mai 1990 (soit un délai de vingt-trois mois) ;

- Procédure n° 37/88 dans laquelle le 9 avril 1991, date de l’enquête effectuée par le rapporteur, celui-ci n’a relevé aucune intervention du juge d’instruction depuis sa saisine par réquisitoire introductif du 13 septembre 1988 ;

- Procédure n° 42/88 où aucun acte d’instruction n’est intervenu entre le réquisitoire introductif du 13 septembre 1988 et le 25 avril 1989 (soit un délai de sept mois) ;

- Procédure n° 17/90 où Mme X n’a donné aucune suite au réquisitoire introductif en date du 6 février 1990 ;

Attendu qu’il a été constaté également un laps de temps inexplicable (et demeuré inexpliqué) entre deux actes successifs de procédure dans une même affaire ;

Qu’à titre de simple exemple, dans les dossiers :

- Procédure n° 55/86 aucune diligence n’a été effectuée entre le 7 septembre 1988, date de la première comparution et le 19 août 1990 où une commission rogatoire a été délivrée (soit un délai de vingt-deux mois) ;

- Procédure n° 90/86, il n’existe aucun acte d’instruction au fond entre l’interrogatoire de première comparution du 17 octobre 1988 et une convocation de l’inculpé datée du 17 avril 1990 (soit un délai de seize mois) ;

- Procédure n° 20/87 aucun acte d’instruction n’a été accompli en 1989 et 1990 ;

- Procédure n° 29/87, il n’a été constaté aucune diligence entre décembre 1987 et le 22 juin 1990 (soit un délai de trente mois) ;

Attendu qu’il a été enfin relevé un espace de temps injustifié entre le dernier acte d’instruction et la communication du dossier au parquet pour règlement ;

Qu’il en a été ainsi notamment dans les procédures ci-après, données à titre d’exemple seulement :

- Procédure n° 100/86 où le dernier acte est daté du 12 janvier 1989 alors que la transmission au parquet a été effectuée le 29 mai 1990 (soit un délai de seize mois) ;

- Procédures n° 101/86 et 8/87 où près de trois ans séparent ces deux dates ;

Attendu, par ailleurs, que, sans qu’il y ait lieu d’apprécier la démarche intellectuelle du juge d’instruction dans le traitement des procédures qui lui ont été confiées, il convient de relever que Mme X n’a pas fait preuve d’une attention suffisante dans le « suivi » des nombreuses commissions rogatoires et ordonnances de sub-délégation qu’elle avait délivrées ;

Qu’il est apparu, encore à titre de simple exemple :

- Procédure n° 17/87, une commission rogatoire envoyée le 27 avril 1987 et qui n’avait fait l’objet d’aucun rappel de la part de Mme X n’avait pas encore été exécutée le 8 avril 1991, date de l’enquête du rapporteur et paraît même s’être égarée ;

- Procédure n° 54/87, c’est seulement le 21 août 1990 qu’un rappel a été effectué pour une commission rogatoire datée du 21 décembre 1987 (soit un délai de trente-deux mois) ;

- Procédure n° 32/88, une commission rogatoire délivrée le 3 août 1988 n’avait pas encore été retournée au juge, en avril 1991 (soit un délai de trente-deux mois) ;

- Procédure n° 8/86, Mme X avait été saisie d’un supplément d’information ordonné par la chambre d’accusation le 10 mai 1989 dans une affaire criminelle où trois inculpés étaient détenus ; après avoir adressé le 13 septembre 1989 une ordonnance de sub-délégation à l’un de ses collègues de V, qui a même affirmé, par la suite, ne l’avoir jamais reçue, elle ne s’est plus préoccupée du sort de cette procédure ;

Sur le second grief

Attendu qu’au cours des années 1988 et 1989 pendant lesquelles Mme X n’a réglé qu’un petit nombre de procédures d’instruction, elle a été appelée, comme les autres magistrats instructeurs de V, à participer à une audience civile mensuelle ; que, dans toutes les affaires où la rédaction du jugement lui avait été confiée les délibérés ont dû être prorogés à de nombreuses reprises et les justiciables contraints d’attendre, souvent près d’un an, le prononcé de la décision, laquelle dans certains dossiers a dû finalement être rédigée par des collègues de Mme X, compte tenu de l’inertie persistante de cette dernière ;

Attendu que l’ensemble des faits ci-dessus rapportés caractérise une grave carence et une insuffisance professionnelle prolongées de la part de Mme X ; que celle-ci a fait preuve d’un défaut évident du sens des responsabilités, notamment en délaissant les procédures et en ne se préoccupant pas d’assurer le contrôle réel et efficace de l’action des personnes ou services à qui elle avait délégué partie de ses pouvoirs et prérogatives de juge d’instruction ;

Qu’ainsi elle a manqué aux devoirs et aux charges de son état de juge ;

Par ces motifs,

Prononce, à l’encontre de Mme X, par application des dispositions combinées de l’article 45, 2°, et 3°, et de l’article 46, deuxième alinéa, de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée, le retrait des fonctions de juge d’instruction, ledit retrait étant assorti du déplacement d’office.