Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
17/06/1965
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de probité (devoir de respecter les exigences des bonnes mœurs), Manquement au devoir de probité (devoir de ne pas abuser de ses fonctions), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de réserve)
Décision
Déplacement d'office
Mots-clés
Vie privée
Dette
Argent
Photographies (nus)
Pornographie
Fréquentations
Probité
Bonnes mœurs
Abus des fonctions
Dignité
Réserve
Déplacement d'office
Juge d'instance
Fonction
Juge d'instance
Résumé
Vie privée incompatible avec les fonctions exercées (Dettes, fréquentations douteuses, exposition de photographies obscènes). Arrestation d’automobilistes et rétention de documents administratifs abusives

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, sous la présidence du premier président de la Cour de cassation, et statuant à huis clos ;

Vu les articles 43 à 58 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique sur le statut de la magistrature ;

Vu les articles 13 et 14 de l’ordonnance n° 58-1271 du 22 décembre 1958 portant loi organique sur le Conseil supérieur de 1a magistrature ;

Vu les articles 9 à 13 du décret n° 59-305 du 19 février 1959 relatif au fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche de M. le garde des sceaux du 19 février 1965 dénonçant au Conseil les faits motivant la poursuite disciplinaire ouverte contre M. X, juge au tribunal d’instance de V ;

Sur le rapport de M. le conseiller Monegier du Sorbier ;

Ouï M. X en ses explications et Me Jacques-Arnold Croquez, avocat à la cour d’appel de Paris, son conseil ;

Attendu qu’il ressort du dossier qu’ayant perdu, à V, l’autorité nécessaire à l’exercice de ses fonctions, à la suite d’un incident auquel avait été mêlée sa femme et des dettes qu’il avait contractées, M. X dut, à l’instigation de ses chefs, demander sa mutation ; que nommé à W, M. X, loin de tenir compte de la bienveillance dont il avait été l’objet, ne cessa de faire de nouvelles dettes qui, en 1952 et 1956, provoquèrent une enquête du Conseil supérieur de la magistrature, lequel, tenant compte des promesses de M. X et des bonnes notes contenues dans son dossier, adressa à ce magistrat une « admonestation paternelle pour le ramener à l’observation des règles de modération et de dignité qui s’imposent à lui » ; que cependant M. X a continué à se montrer mauvais payeur et débiteur négligent notamment vis-à-vis d’un garagiste et d’un restaurateur de A et d’un photographe de B, et ne fournit sur ces incidents que des explications verbales insuffisantes pour permettre, en l’absence de toute autre preuve, de les excuser ;

Attendu qu’il est, encore, établi que M. X a, à plusieurs reprises, et même dans des documents officiels (permis de conduire) utilisé le nom de « Y » qu’il faisait, parfois, précéder de la particule « de » ; que s’il est exact, comme le dit M. X, que ce nom est celui de sa grand-mère paternelle, rien, dans les documents produits, ne prouve que M. X ait été autorisé à le porter ;

Attendu que M. X est, à plusieurs reprises, intervenu de façon intempestive, auprès de chauffeurs circulant sur les routes de l’Ile pour les arrêter et leur prendre leurs papiers, ou auprès de policiers en service pour leur reprocher leurs activités ; que ces faits sont reconnus par M. X qui regrette son attitude ;

Attendu que, photographe amateur et participant à ce titre à diverses expositions, M. X photographie, ainsi qu’il le reconnaît, des femmes de l’Ile, dans le plus simple appareil, et montre lui-même ou expose les photographies de nus ainsi prises ; que certains clichés ont, selon les témoins auxquels ils ont été soumis par M. X lui-même, un caractère obscène ou pornographique qui, d’après les explications de M. X , serait dû à un mouvement du sujet ou de l’appareil lors de la prise de vue ;

Attendu, enfin, qu’il est également certain que dans le choix de ses relations et dans les fréquentations publiques qu’il a eues à V, M. X n’a pas su observer les règles de prudence et de réserve qui s’imposent à tout magistrat et qui obligent celui-ci à éviter de se montrer en compagnie de personnes notoirement connues pour ne pas avoir une vie privée ou publique sans reproche ;

Attendu que le comportement de M. X l’a déconsidéré auprès de la population de la ville et des autorités de l’Ile ; que ce magistrat a manqué à la dignité qui s’imposait à lui et ce d’autant plus qu’il résidait dans une localité où les activités d’un magistrat même hors de ses fonctions ne peuvent passer inaperçues ;

Attendu qu’il y a lieu cependant de tenir compte des services accomplis par M. X tant dans l’armée que dans les forces françaises libres ;

Par ces motifs,

Prononce contre M. X la sanction disciplinaire prévue par l’article 45, paragraphe 2, de l’ordonnance du 22 décembre 1958 (déplacement d’office).