P106 1/2025

Date
29/04/2025
Qualification(s) disciplinaire(s)
Atteinte à l'image de la justice, Manquement à l'honneur, à la délicatesse et à la dignité du magistrat, Manquement au devoir de loyauté à l'égard des collègues
Avis
Abaissement d’un échelon
Mots-clés
Huis-clos
publicité
exception de nullité
saisine du Conseil
gouvernement démissionnaire
affaire courante
gestion ordinaire
procédure diligentée par un procureur général
pouvoir hiérarchique du procureur général
droit au silence
demande avant-dire droit
difficultés médicales
Chef de juridiction
Gestes déplacés
propos inadaptés
secrétaire
comportement et propos à connotation sexiste ou sexuelle
comportement répété
Impartialité
Dignité
Délicatesse
image de l’institution judiciaire
Loyauté
égalité entre les hommes et les femmes
Honneur
Fonction
Procureur de la République
Résumé
Le magistrat a soulevé plusieurs exceptions de nullités, jointes au fond. Sur l’incompétence du garde des sceaux pour saisir la formation de discipline des magistrats du parquet au motif qu’une telle saisine ne relevait pas de l’expédition des « affaires courantes » permise à un ministre démissionnaire, le Conseil a rejeté ce moyen aux motifs que cette saisine s’inscrivait dans le cadre d’une activité quotidienne et continue de l’administration au sein de la direction des services judiciaires, que cet acte n’était que l’application du dispositif prévu par le statut de la magistrature régi par l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958, qu’il relevait de la gestion ordinaire par le garde des sceaux, démissionnaire ou non, des questions relevant de ses attributions, et se bornait, en tout état de cause, à tirer les conclusions du rapport de l’inspection générale de la Justice. Le magistrat a également argué de l’irrégularité de la procédure conduite par le procureur général, ante disciplinaire. Le conseil a tout d’abord observé qu’aucun texte ne prévoyait limitativement les actes susceptibles d’être réalisés par un chef de cour dans le cadre de son pouvoir hiérarchique ni d’ailleurs la forme qu’ils devaient prendre. Il a ensuite indiqué que le magistrat avait eu communication de la totalité des éléments du dossier et qu’il avait pu formuler toutes observations utiles. Aucune violation des droits de la défense n’était relevée. Sur l’impartialité de l’enquête conduite par le procureur général, le Conseil a observé qu’aucun élément extérieur n’était produit pour corroborer ou objectiver cette allégation, ajoutant que le rapport de l’inspection de fonctionnement ne constituait, au demeurant, qu’un élément de preuve parmi d’autres Le Conseil a considéré que le comportement du magistrat, alors chef de juridiction, par ses propos inadaptés, à connotation sexiste ou sexuelle et ses gestes déplacés, tant à l’égard de sa secrétaire que de trois autres femmes, placées sous son autorité, n’était pas à la hauteur des exigences, des prérogatives et des responsabilités qui lui incombait et était de nature à constituer un manquement aux devoirs de dignité, de délicatesse, à l’honneur et aux devoirs de son état, peu importe l’absence d’intention malveillante. Les difficultés médicales du magistrat ne peuvent justifier l’ensemble des manquements reprochés ni occulter sa responsabilité. Le Conseil a constaté que les attitudes et propos du magistrat démontraient son incapacité à adopter les comportements et à respecter les limites qui s’imposent dans les relations professionnelles avec ses subordonnées ou les personnels de greffe. L’ensemble des manquements décrits ci-dessus, commis pour certains d’entre eux devant plusieurs personnels du tribunal ou des partenaires extérieurs, est non seulement de nature à altérer l’autorité et la crédibilité du magistrat mais aussi de porter atteinte à l’image de l’institution judiciaire, fortement incarnée par la personne du procureur de la République. En revanche, les griefs tenant au déséquilibre des charges de travail respectives des trois magistrats du parquet, au temps limité de la présence du procureur de la République au sein du tribunal ou au fait de n’avoir pas spontanément décelé la souffrance au travail subie par ses deux substituts, ne sont pas objectivés de sorte qu’aucun manquement disciplinaire ne peut être relevé à son encontre.

 FORMATION DE DISCIPLINE DES MAGISTRATS DU PARQUET

 

 

 

 

 

Avis du 29 avril 2025

N° de minute : 1/2025                                                       

 

AVIS

 

 

Dans la procédure mettant en cause :

 

M. X, vice-procureur de la République près le tribunal judiciaire de XX, précédemment procureur de la République près le tribunal judiciaire de XXX,

 

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet statuant en matière disciplinaire,

 

Sous la présidence de M. Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation, président de la formation de discipline du Conseil compétente à l’égard des magistrats du parquet,

 

En présence de :

 

Mme Elisabeth Guigou,                                                                      

M. Patrick Titiun,                                                                                    

Mme Diane Roman,                                                               

M. Didier Paris,                                                                                         

Mme Dominique Lottin,                                                                                     

M. Patrick Wachsmann,                                      

M. Jean-Luc Forget,                                                                                                              

Mme Madeleine Mathieu,

M. Pierre-Yves Couilleau,

M. Rémi Coutin,

M. Laurent Fekkar,

Mme Véronique Basselin,

Mme Céline Parisot,

M. Alexis Bouroz,

 

Membres du Conseil,

 

Assistés de Mme Marie Dubuisson, secrétaire générale adjointe au Conseil supérieur de la magistrature, et de Mme Aurélie Vaudry, cheffe du pôle discipline ;

 

En présence de Mme Sandrine Branche, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature de la direction des services judiciaires, représentant le garde des sceaux, ministre de la justice, assistée de Mme Sara Benzhora, magistrate au bureau du statut et de la déontologie de cette même direction ;

 

Vu l’article 65 de la Constitution ;

 

Vu l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958, modifiée, portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 66 ;

 

Vu la loi organique n°94-100 du 5 février 1994, modifiée, sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

 

Vu le décret n°94-199 du 9 mars 1994, modifié, relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

 

Vu la dépêche M. le garde des sceaux, ministre de la justice en date du 12 août 2024 reçue le 14 août 2024, et les pièces annexées, saisissant le Conseil supérieur de la magistrature pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l’encontre de M. X ;

 

Vu la décision du 27 août 2024 désignant Mme Dominique Lottin, membre du Conseil, en qualité de rapporteure ;

 

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, préalablement mis à sa disposition ainsi qu’à celle de ses conseils et défenseurs ;

 

Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure, dont M. X et son premier conseil ont reçu copie ;

 

Vu le rapport du 21 janvier 2025 déposé par Mme Dominique Lottin, dont M. X et son premier conseil ont reçu copie ;

 

Vu la convocation à l’audience du 18 mars 2025 adressée à M. X le 22 janvier 2025 et sa notification du 28 janvier 2025 ;

 

Vu les convocations adressées à Me A, avocat au barreau de XXXX, à M. B, substitut général près la cour d'appel de XXXXX, défenseur, à M. C, vice-président placé auprès de M. le premier président de la cour d'appel de XXXXXX, représentant syndical et à Me I, avocat au barreau de l'XXXXXXX, par voie dématérialisée le 22 janvier 2025 ;

 

Vu la demande de huis clos déposée le 14 mars 2025 et soutenue à l’oral par Me A, au soutien des intérêts de M. X ;

 

Après avoir entendu dans la salle d’audience de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, lors de l’audience publique du 18 mars 2025 :

  • Mme Dominique Lottin, en son rapport ;
  • Les explications et moyens de défense de M. X, après notification qui lui a été faite de son droit de garder le silence, de faire des déclarations ou de répondre aux questions - lequel a indiqué souhaiter répondre aux questions de M. le président - de ses conseil et/ou défenseurs et de Mme la représentante du garde des sceaux, ministre de la justice ;
  • Les observations de Mme Sandrine Branche, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature, représentant le garde des sceaux, ministre de la justice, qui a demandé la rétrogradation du magistrat ;
  • M. X ayant eu la parole en dernier ;

 

A rendu le présent

AVIS

 

               

Sur la demande de non-publicité des débats

 

Aux termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, « L’audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exige, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le Conseil de discipline ».

 

Le conseil de M. X a présenté une demande tendant à ce que l’audience ne se tienne pas publiquement.

 

Mme Sandrine Branche, représentante du garde des sceaux, s’oppose à cette demande.

 

Après en avoir immédiatement délibéré hors la présence de la rapporteure, le Conseil rejette la demande de huis-clos, estimant que les conditions de l’article 57 susvisé ne sont pas remplies en l’espèce.

 

Sur la procédure

 

Avant toute défense au fond, M. X a soulevé plusieurs exceptions de nullités, qui ont été jointes au fond.

 

Sur l’incompétence alléguée du garde des sceaux pour saisir le Conseil supérieur de la magistrature

 

Après avoir rappelé qu’il a été mis fin aux fonctions des membres du gouvernement par décret du président de la République du 16 juillet 2024, M. X fait valoir que la saisine du Conseil par le garde des sceaux, le 12 août 2024, ne relève pas de l’expédition des « affaires courantes » permise à un ministre démissionnaire.

 

Cet usage, apparu aux débuts du régime parlementaire, a été qualifié par le juge administratif de principe traditionnel du droit public et la limitation des prérogatives du gouvernement doit en pratique être conciliée avec la nécessité d’assurer le fonctionnement ininterrompu des services publics.

 

Il convient d’indiquer que la saisine du Conseil à des fins disciplinaires découle d’une analyse déontologique et d’une appréciation juridique des faits portés à la connaissance du garde des sceaux. Ce processus s’inscrit dans le cadre d’une activité quotidienne et continue de l’administration au sein d’un pôle dédié à la direction des services judiciaires.

 

Cet acte n’est que l’application du dispositif prévu par le statut de la magistrature régi par l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958. Le fait que ce statut soit défini de façon spécifique par une loi organique ne confère pas pour autant à l’éventuelle phase de saisine disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature un caractère autre que celui d’un acte relevant de la gestion ordinaire par le garde des sceaux, démissionnaire ou non, des questions relevant de ses attributions. De même, le fait que de telles saisines restent rares demeure sans incidence sur leur nature. En tout état de cause, en l’espèce, la saisine du Conseil se borne à tirer les conclusions du rapport de l’inspection générale de la Justice du 7 mai 2024.

 

Dans ces conditions, le garde des sceaux était compétent pour saisir le Conseil et, partant, le moyen sera rejeté.

 

Sur l’irrégularité de la procédure diligentée par le procureur général près la cour d’appel de XXXXXXXX

 

En premier lieu, M. X déplore le fait que le procureur général près la cour d’appel de XXXXXXXX l’ait entendu « dans un cadre juridique non communiqué » alors que, dans les procès-verbaux des auditions des personnes entendues ultérieurement, il est indiqué que celles-ci s’effectuent dans le cadre des dispositions de l’article R312-68 du code de l’organisation judiciaire.

 

Il convient de constater que même si cet article qui définit l’exercice normal du pouvoir hiérarchique des chefs de service ne figure pas dans le procès-verbal d’audition de M. X, ni dans celui de Mme D par ailleurs, aucun texte ne prévoit la nécessité d’une telle mention.

 

Il s’ensuit que le moyen sera rejeté.

 

En deuxième lieu, M. X soutient que le procureur général a réalisé une enquête, excédant ses pouvoirs, et sans qu’elle présente les garanties d’indépendance dévolues aux enquêtes menées par l’inspection générale de la Justice.

 

Il sera tout d’abord observé qu’aucun texte ne prévoit limitativement les actes susceptibles d’être réalisés par un chef de cour dans le cadre de son pouvoir hiérarchique ni d’ailleurs la forme qu’ils doivent prendre. Par ailleurs, en l’espèce, le procureur général s’est borné à réaliser plusieurs auditions de personnels du tribunal judiciaire de XXX, lequel dépend de son ressort, dont il a dressé procès-verbal.

 

Il apparaît enfin que M. X a eu régulièrement connaissance de la totalité des éléments du dossier sur lesquels il a pu formuler toutes observations utiles.

 

Dans la mesure où aucune violation des droits de la défense n’est constatée, le moyen sera rejeté.

 

En troisième lieu, M. X argue de l’absence d’impartialité de l’enquête menée par le procureur général du fait de la présence de sa secrétaire générale ayant procédé à la retranscription des procès-verbaux d’audition alors qu’elle avait été récipiendaire des faits dénoncés par Mme D puis interrogée dans le cadre de l’enquête administrative.

M. X soutient également que la partialité du procureur général ressort de son audition devant l’inspection lorsqu’il évoque avoir vécu les faits dénoncés par Mme D « comme une forme de trahison ».

 

Il sera tout d’abord observé que l’assistance des chefs de cour par le magistrat chargé du secrétariat général pour l’accomplissement de cette mission est prévue explicitement par l’article R.312-68 susvisé.

 

De plus, le seul fait de la présence de la secrétaire générale lors des auditions menées par le procureur général n’est pas de nature, en dehors de tout autre élément, à caractériser une atteinte au principe d’impartialité dans la conduite de l’inspection de fonctionnement dont le rapport constitue, au demeurant, un élément de preuve parmi d’autres.

 

S’agissant de la partialité alléguée du procureur général, aucun élément extérieur n’est produit de nature à corroborer et objectiver ces simples allégations, ces propos ayant été, au surplus, tenus postérieurement aux vérifications qu’il a entreprises.

 

Il s’ensuit que le moyen sera rejeté.

 

En dernier lieu, M. X soutient que l’absence de notification du droit de se taire lors de son audition par le procureur général porte atteinte à la régularité de la procédure.

 

Tel que l’a jugé le Conseil d’Etat, l’agent public faisant l’objet d’une procédure disciplinaire ne peut être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire. A ce titre, il doit être avisé, avant d’être entendu pour la première fois, qu’il dispose de ce droit pour l’ensemble de la procédure disciplinaire. Dans le cas où l’autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l’encontre d’un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d’une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l’informer du droit qu’il a de se taire. En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s’applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l’exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l’autorité hiérarchique et par les services d’inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent (CE, 19 décembre 2024, n°490157).

 

En l’espèce, dans la mesure où le grief tenant à l’absence de notification du droit de se taire concerne une audition qui s’est tenue lors d’une phase précédente à celle d’engagement des poursuites, soit à un moment où un tel droit ne trouvait pas à s’appliquer, le moyen sera rejeté.

 

Sur la demande avant-dire droit d’expertise médicale

 

L’avocat de M. X sollicite, avant-dire droit, une demande d’expertise médicale de son client.

 

S’estimant suffisamment éclairé par les certificats médicaux déjà présents au dossier, le Conseil rejette cette demande.

 

 

Sur le fond

 

L’acte de saisine de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, relève à l’encontre de M. X les manquements suivants :

 

  • En complimentant de manière récurrente sa subordonnée, Mme D, adjointe administrative (secrétaire du procureur de la République), en lui faisant une remarque à connotation sexuelle, en ne maintenant pas une juste distance physique à son égard, de nature à instaurer une proximité pesante qui excède le cadre professionnel, M. X a manqué aux devoirs de dignité, de délicatesse, à l'honneur et aux devoirs de son état de chef de juridiction.
  • En insistant pour inviter Mme D à un dîner à l'été 2023 sans lui en exposer les motifs, en l'invitant à boire un verre à l'issue d'un déjeuner du 12 juillet 2023, et en lui écrivant un SMS « gros bisous de ma part » le même jour, de nature à rendre ambiguës ses intentions, M. X a manqué aux devoirs de dignité, de délicatesse, à l'honneur et aux devoirs de son état de chef de juridiction.
  • En indiquant au commissaire de police de XXX, futur supérieur hiérarchique de Mme F, adjointe administrative, « Tu verras elle travaille bien et en plus elle est jolie », lors d'un appel téléphonique passé en sa présence, propos sexistes et de nature à provoquer un malaise, M. X a manqué aux devoirs de dignité, de délicatesse, à l'honneur et aux devoirs de son état de chef de juridiction. Il a porté atteinte au crédit et à l’image de l'institution judiciaire.
  • En présentant lors d'un déjeuner professionnel au restaurant Mme G, greffière, comme son épouse et en faisant une plaisanterie à connotation sexuelle, de nature à l'humilier et l'embarrasser, de surcroît devant le juge avec lequel elle travaille, M. X a manqué aux devoirs de dignité, de délicatesse, à l'honneur et aux devoirs de son état de chef de juridiction.
  • En touchant à plusieurs reprises le chemisier de Mme E, adjointe administrative, en fixant avec insistance sa poitrine, en l'attrapant par la taille en lui disant qu'elle est la meilleure des greffières devant des officiers de police judiciaire, M. X a manqué aux devoirs de dignité, de délicatesse, à l'honneur et aux devoirs de son état de chef de juridiction. Il a porté atteinte au crédit et à l'image de l'institution judiciaire.
  • En réorganisant les attributions des membres du parquet de manière à s'octroyer un nombre de jours de permanence et d'astreintes inférieur à ceux des substituts et en limitant sa participation aux audiences à juge unique et d'homologation de CRPC, de nature à créer un déséquilibre des charges de travail respectives et un sentiment d'iniquité générateur de souffrance au travail, M. X a manqué au devoir de délicatesse et à la loyauté dans les relations avec les autres magistrats ainsi qu'à ses devoirs de chef de juridiction.
  • En limitant son temps de présence au sein du tribunal du fait de jours de télétravail ou de réunions extérieures sans en avertir systématiquement sa collectivité de travail, suscitant de l'incompréhension et de nature à reporter sa charge de travail sur les substituts présents, M. X a manqué au devoir de délicatesse et à la loyauté dans les relations avec les autres magistrats ainsi qu'à ses devoirs de chef de juridiction.
  • En ne décelant pas spontanément la souffrance au travail subie par ses deux substituts, M. X a manqué au devoir de délicatesse et à la loyauté dans les relations avec les autres magistrats ainsi qu'à ses devoirs de chef de juridiction.

 

Selon les dispositions du premier alinéa de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, dans sa version en vigueur au moment des faits reprochés : « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».

 

Sur les faits à l’origine des poursuites disciplinaires

 

M. X a été nommé procureur de la République près le tribunal judiciaire de XXX par décret du 10 octobre 2020.

 

Par courriel du 14 juillet 2023, le procureur général près la cour d’appel de XXXXXXXX alertait la direction des services judiciaires ainsi que la direction des affaires criminelles et des grâces, expliquant que, la veille, il avait reçu Mme D, adjointe administrative au tribunal judiciaire de XXX, en charge du secrétariat du procureur de la République, laquelle avait fait état de faits de « harcèlement sexuel » commis à son égard par ce dernier.

 

Le chef de cour joignait à ses courriels le compte-rendu d’audition de Mme D ainsi que des échanges par courriels et SMS entre elle et M. X en date des 5, 6 et 12 juillet 2023.

 

Par courriel du 19 juillet 2023, le chef de cour transmettait au directeur des services judiciaires le compte rendu de l’audition de M. X et proposait de procéder aux auditions des personnels du tribunal judiciaire de XXX, ce qui lui était effectivement demandé par courriel du 21 juillet 2023, en sus de la transmission d’un rapport sur la manière de servir du magistrat.

 

Par courriel du 13 septembre 2023, le procureur général transmettait au directeur des services judiciaires les comptes rendus de huit auditions et leur synthèse, indiquant que les déclarations recueillies soulignaient « unanimement le comportement anormal de M. X, souvent à connotation sexuelle, outre [d]es carences professionnelles ». Il estimait utile l’accomplissement de vérifications complémentaires par les services de l’Inspection générale de la justice.

 

L’Inspection générale de la justice, saisie le 13 novembre 2023 aux fins d’enquête administrative par le garde des sceaux, rendait son rapport le 7 mai 2024 aux termes duquel elle concluait à l’existence d’un certain nombre de manquements.

 

A titre liminaire, il sera précisé que dans un parquet du groupe 4 tel que le parquet de XXX qui compte 3 magistrats, le procureur de la République exerce à la fois les fonctions d’un chef de juridiction au sens strict et celles partagées au quotidien entre membres du parquet.

 

Le comportement de M. X est mis en cause sous deux aspects. Une première série de manquements concerne son attitude à l’égard, d’une part, de sa secrétaire et, d’autre part, de plusieurs femmes, fonctionnaires de la juridiction. Une seconde série de manquements porte sur les modalités d’exercice de son activité professionnelle.

 

Sur le manquement aux devoirs de dignité, de délicatesse, à l'honneur et aux devoirs de son état de chef de juridiction à l’égard de Mme D

 

Il ressort des déclarations constantes de Mme D, corroborées par les témoignages de nombreux personnels de la juridiction, qu’il s’agisse de témoins directs ou de personnes auxquelles cette dernière s’était confiée depuis plusieurs mois, que M. X a, depuis le début de l’année 2022, de façon de plus en plus fréquente et appuyée, multiplié tant les gestes déplacés que les propos inadaptés à l’encontre de sa secrétaire particulière, adjointe administrative, tels une attitude tactile se traduisant par des caresses sur la main, le bras, derrière l’oreille ou par un contact joue contre joue, des regards insistants vers son décolleté, une remarque obscène alors qu’elle mangeait un plat contenant du gingembre, des paroles comme « vous divorcez quand ? », des appels téléphoniques lui demandant de tout quitter pour le rejoindre dans sa piscine ou de venir passer ses vacances dans sa maison proposant des chambres d’hôtes.

 

Ce comportement inapproprié franchissait un nouveau seuil de gravité lors de la journée du 12 juillet 2023. Tel qu’il ressort également des déclarations circonstanciées et constantes de Mme D, confirmées par celles des agents du tribunal ainsi que les échanges de SMS et courriers électroniques entre eux, M. X lui avait récemment proposé, avec beaucoup d’insistance, une invitation à dîner, qu’elle avait déclinée. Ils étaient finalement convenus de déjeuner ce 12 juillet avec la présidente du tribunal et sa secrétaire, laquelle avait reçu les confidences de Mme D et savait que cette dernière ne voulait pas se retrouver seule avec M. X.

Au cours du déjeuner, M. X lui demandait de s’asseoir à côté de lui, portait un toast en son honneur, lui chuchotait qu’ils auraient été mieux en tête-à-tête, puis, en sortant du restaurant, la prenait par le bras, la forçait à marcher rapidement et à prendre un autre trajet pour rejoindre le tribunal, lui enlaçait les doigts d’une main, lui attrapait la taille alors qu’elle tentait de se dégager de son étreinte.

Dans l’après-midi, il revenait vers elle, lui touchait le nez avec l’index puis le bras, sous prétexte de la complimenter sur ses bijoux, puis, un peu plus tard, la tirait brusquement par le bras pour la rapprocher de lui et lui embrassait les joues de manière appuyée. Elle recevait ensuite un SMS de M. X lui proposant d’aller boire un verre le soir même et durant la soirée, ce dernier lui envoyait un nouveau message pour prendre des nouvelles de sa sœur, également fonctionnaire au tribunal et qui était souffrante, lui écrivant « gros bisous de ma part ».

 

M. X n’a eu de cesse, tant lors de son audition devant le procureur général, les services de l’Inspection ou la rapporteure du Conseil, de minimiser son attitude voire de contester toute relation ambigüe ainsi que certains agissements, notamment les gestes relevant d’une relation d’intimité ainsi que des propos déplacés. Soutenant avoir fait le choix « d’un management horizontal » et avoir souhaité « réinstaurer un dialogue social » décrit comme absent à son arrivée, il a cependant reconnu à l’audience une « relation de proximité inadaptée ». Tout en affirmant ne pas se souvenir du détail des faits, il indique ne pas contester les déclarations de Mme D ni la façon dont elle a exprimé sa souffrance.

 

Si les éléments du dossier permettent effectivement de confirmer qu’à son arrivée, la juridiction souffrait de tensions au greffe et d’effectifs insuffisants, tant de fonctionnaires que de magistrats, au regard d’une activité soutenue, il n’en demeure pas moins que M. X, procureur de la République, qui décrit le besoin de liens privilégiés et bienveillants avec sa secrétaire dans un contexte difficile d’isolement institutionnel et géographique, a en réalité largement franchi les limites d’une relation saine et adaptée, au surplus dans le cadre d’un rapport hiérarchique direct.

 

Ce comportement dépasse amplement la « maladresse » d’une attitude décrite par M.X comme étant habituellement « tactile » et laudative tant avec les hommes que les femmes, et n’a pas causé un simple « inconfort » tel que plaidé par le conseil de M. X mais a au contraire conduit à une dégradation nette de l’état de Mme D, décrite comme « vulnérable », « inquiète », « apeurée » ou « tétanisée ».

 

Un tel comportement n’est pas à la hauteur des exigences, des prérogatives et des responsabilités incombant à un chef de juridiction et est de nature à constituer un manquement aux devoirs de dignité, de délicatesse, à l'honneur et aux devoirs de son état de chef de juridiction, peu importe qu’il ne procède pas, comme le soutient M. X, d’une intention malveillante de sa part.

 

Par ailleurs, nonobstant le fait que M. X n’aurait bénéficié ni d’une formation ad hoc  en vue d’exercer les fonctions de procureur de la République, ni d’un passage de relais au moment de son arrivée dans la juridiction, tel qu’il l’allègue, et, s’il n’est pas contestable, ainsi que cela ressort des éléments médicaux produits, que M. X a rencontré - et rencontre toujours - des difficultés médicales, notamment psychologiques, depuis plusieurs années, ces éléments ne peuvent justifier l’ensemble des manquements reprochés ni occulter sa responsabilité.

 

 

Sur le manquement aux devoirs de dignité, de délicatesse, à l'honneur et aux devoirs de son état de chef de juridiction à l’égard de Mmes F, G, E et sur l’atteinte au crédit et à l’image de l'institution judiciaire

 

S’agissant de Mme F, adjointe administrative, M. X reconnaît avoir eu une conversation téléphonique avec le commissaire de police de XXX, futur supérieur hiérarchique de cette dernière, avant son affectation à compter de septembre 2022, afin de « vanter ses qualités professionnelles », sans se souvenir d’avoir également dit si elle était « jolie » ou « top ».

 

Il ressort cependant des mêmes nombreux éléments concordants du dossier que M. X a tenu lors de cet appel téléphonique, passé en la présence de Mme F, des propos la concernant de nature sexiste et l’ayant mise mal à l’aise.

 

S’agissant de Mme G, greffière, il ressort des déclarations de cette dernière, corroborées par plusieurs témoignages dont celui très circonstancié du juge des enfants avec lequel elle travaille, présent au moment des faits, que lors d'un déjeuner professionnel au restaurant, en juin 2022, M. X a fait une plaisanterie à connotation sexuelle sur les effets que procurerait le vin, le soir, à cette dernière qu’il connaissait au demeurant très peu, et dont bénéficierait son mari, de nature à l’humilier et à l’embarrasser.

 

S’agissant de Mme E, adjointe administrative, alors même que M. X se retranche une nouvelle fois derrière son attitude habituellement tactile et laudative, il est établi que ce dernier a touché, à plusieurs reprises, son chemisier en fixant avec insistance sa poitrine et l’a attrapée par la taille en lui disant qu'elle était la meilleure des greffières devant des officiers de police judiciaire.

 

Ce comportement et ces propos à connotation sexiste ou sexuelle commis de façon répétée par un chef de juridiction, dans l’exercice de ses fonctions, à l’égard de personnes placées sous son autorité, même indirecte, sur une longue période, ont été la cause de gêne, de malaise et de souffrance au sein de la communauté judiciaire du tribunal de XXX. Ils sont de nature à porter atteinte à la dignité de la personne humaine, à la délicatesse, à l’honneur et à l’égalité entre les femmes et les hommes.

 

Le Conseil constate que les attitudes et propos de M. X démontrent son incapacité à adopter les comportements et à respecter les limites qui s’imposent dans les relations professionnelles avec ses subordonnés ou les personnels de greffe. Ils traduisent un manquement aux devoirs de son état de chef de juridiction.

 

L’ensemble des manquements décrits ci-dessus, commis pour certains d’entre eux devant plusieurs personnels du tribunal ou des partenaires extérieurs, est non seulement de nature à altérer l’autorité et la crédibilité de M. X mais aussi de porter atteinte à l’image de l’institution judiciaire, fortement incarnée par la personne du procureur de la République.

 

 

Sur le manquement au devoir de délicatesse et à la loyauté dans les relations avec les autres magistrats ainsi qu'à ses devoirs de chef de juridiction

 

Les griefs tenant au déséquilibre des charges de travail respectives des trois magistrats du parquet, au temps limité de la présence de M. X au sein du tribunal ou au fait de n’avoir pas spontanément décelé la souffrance au travail subie par ses deux substituts, ne sont pas objectivés de sorte qu’aucun manquement disciplinaire ne peut être relevé à son encontre.

 

Les griefs tenant de ces chefs seront, en conséquence, écartés.

 

Sur la sanction

 

L’ampleur, la gravité, le caractère répété des manquements établis ainsi que le maintien d’un positionnement ambigu de M. X à l’égard des faits reprochés rendent nécessaire le prononcé d’une sanction.

 

Doivent cependant être pris en compte la situation personnelle de M. X, son investissement incontestable dans le développement des politiques partenariales ainsi que ses états de service très satisfaisants jusqu’à son arrivée à la tête du parquet de XXX.

 

Dès lors, le Conseil estime qu’il y a lieu de prononcer à l’encontre de M. X la sanction d’abaissement d’un échelon, en application du 4°de l’article 45 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, précitée. 

 

 

PAR CES MOTIFS,

 

La formation de discipline des magistrats du parquet du Conseil supérieur de la magistrature,

Après en avoir délibéré à huis clos, hors la présence de Mme Dominique Lottin, rapporteure désignée,

Siégeant en audience publique, le 18 mars 2025 pour les débats et statuant le 29 avril 2025 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Rejette les exceptions de nullité présentées par M. X ainsi que la demande avant-dire droit d’expertise médicale ;

Emet l’avis de prononcer à l’encontre de M. X la sanction d’abaissement d’un échelon ;

Dit que le présent avis sera adressé, pour son information, à M. X par la voie hiérarchique, à ses conseil et défenseurs et qu’il sera transmis à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

Dit que le présent avis n’est susceptible d’aucun recours.

 

La secrétaire générale adjointe

 

Marie Dubuisson

Le Président

 

Rémy Heitz