P103

Date
26/10/2023
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de loyauté et de délicatesse, Manquement au devoir d'impartialité, Manquement au devoir de légalité (obligation de diligence), Manquement au devoir de loyauté à l’égard des supérieurs hiérarchiques, devoir de probité
Avis
Déplacement d’office
Mots-clés
direction d’enquête
connaissance de la victime
motivation parcellaire
consignes confuses
non utilisation des logiciels métiers
abus de fonction
absence de collectivité de travail
absence d’information à la hiérarchie
difficultés médicales
esprit de service
Absence
carences
Loyauté
Impartialité
Probité
délicatesse.
Fonction
Vice-procureur de la République
Résumé
En se saisissant et en dirigeant seul, en totale discrétion, pendant près de quinze mois, une enquête pénale d’une ampleur certaine, en dehors de ses attributions, concernant le père de l’ancienne bâtonnière du barreau sur le ressort duquel il exerce et qu’il connaissait à titre privé, sans procéder à son aucun enregistrement à aucun stade de la procédure sur les logiciels métiers et sans en aviser sa hiérarchie, le magistrat a manqué à ses devoirs de loyauté et d’impartialité. Même s’il n’est nullement établi que le magistrat ait tiré de cette opération un quelconque intéressement financier ou matériel et même si, selon ses dires, les règles de procédure pénale ont été respectées, par son attitude délibérée visant à accorder à l’une des parties un traitement particulier et donc privilégié de sa plainte, le magistrat a abusé de ses fonctions et manqué à son devoir de probité. Par ses carences ayant eu un impact sur la conduite des affaires au sein de la juridiction, en ne s’inscrivant pas dans la collectivité de travail du parquet et en ne se remettant pas en cause malgré les diverses mises en garde, le magistrat a manqué à son obligation de délicatesse. En revanche, le Conseil a considéré que n’étaient pas suffisamment caractérisés les manquements aux devoirs de rigueur, de diligence et de loyauté relatifs à la motivation parcellaire des écrits, à la transmission de consignes confuses et contradictoires à ses collègues après une permanence et sur le fait qu’il ne renseignait pas le logiciel informatique mis en place dans le cadre de la permanence. S’il n’est pas contestable que le magistrat a rencontré - et rencontre toujours - des difficultés médicales sérieuses tant physiques que psychologiques, ces difficultés qu’il n’a commencé à esquisser que tardivement, alors qu’elles étaient présentes depuis plusieurs années, ne peuvent expliquer ni justifier l’ensemble des manquements reprochés ni occulter sa responsabilité mais doivent être prises en compte pour le prononcé de la sanction.

 

 

 

Le Conseil en sa formation compétente à l’égard des magistrats du parquet

 

Avis du 26 octobre 2023

N° de minute : 6/2023

 

AVIS MOTIVE

 

Dans la procédure mettant en cause :

 

M. X

vice-procureur de la République près le tribunal judiciaire de XX

 

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet,

 

Sous la présidence de M. Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation, président de la formation

En présence de :                    

Monsieur Patrick Titiun,      

Madame Diane Roman                    

Monsieur Loïc Cadiet,

Madame Dominique Lottin,

Monsieur Patrick Wachsmann,

Monsieur Christian Vigouroux,

Madame Madeleine Mathieu,

Monsieur Rémi Coutin,

Monsieur Laurent Fekkar,

Madame Véronique Surel,

Madame Céline Parisot,

Monsieur Alexis Bouroz,      

 

Membres du Conseil,

 

Assistés de Marie Dubuisson et Claire Vettier, secrétaires générales adjointes du Conseil supérieur de la magistrature et de Mme Aurélie Vaudry, greffière principale ;

 

Vu l’article 65 de la Constitution ;

 

Vu l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958, modifiée, portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 66 ;

 

 

Vu la loi organique n°94-100 du 5 février 1994, modifiée, sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

 

Vu le décret n°94-199 du 9 mars 1994, modifié, relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

 

Vu la dépêche initiale de M. le garde des Sceaux, ministre de la justice, en date du 28 avril 2022 reçue le 29 avril 2022, ainsi que la dépêche complémentaire du 3 janvier 2023, reçue le 9 janvier 2023, et les pièces annexées, saisissant le Conseil supérieur de la magistrature pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l’encontre de M. X ;

 

Vu les décisions désignant Mme Hélène Pauliat, M. Jean-Luc Forget puis Mme Diane Roman, membres du Conseil, en qualité de rapporteurs ;

 

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, préalablement mis à sa disposition ainsi qu’à celle de ses conseils et défenseurs ;

 

Vu la décision du 11 avril 2023 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature a prorogé le délai de six mois pour statuer ;

 

Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure, dont M. X et son premier conseil ont reçu copie ;

 

Vu le rapport du 18 juillet 2023 déposé par Mme Diane Roman, dont M. X et son premier conseil ont reçu copie ;

 

Vu la convocation adressée à M. X par courrier recommandé le 18 juillet 2023 dont il a reçu la notification par la voie hiérarchique le 24 juillet 2023 ;

 

Vu les convocations adressées à Maître A, avocat au barreau de XX et M. B, vice-procureur de la République au tribunal judiciaire de XXX, secrétaire général adjoint de l'C, le 18 juillet 2023.

 

Après avoir entendu, lors de l’audience publique du 3 octobre 2023 :

 

  • Mme Diane Roman, en une lecture synthétique de son rapport ;

 

  • Mme Soizic Guillaume, sous-directrice des ressources humaines à la direction des services judiciaires, représentant , assistée de Mme de Philippine Roux, magistrate au bureau du statut et de la déontologie à cette direction, qui a sollicité que soit prononcé un abaissement d’échelon assorti d’un déplacement d’office ;

 

  • X, Maître A, avocat au barreau de XX, M. B, vice-procureur de la République au tribunal judiciaire de XXX, secrétaire général adjoint de l'C, M. X ayant eu la parole en dernier ;

 

A rendu le présent

 

 

 

 

AVIS

 

                                                                                           

L’acte de saisine initial du 28 avril 2022 de M. le garde des Sceaux, ministre de la Justice, reçu le 29 avril 2022, complété par une saisine du 3 juillet 2023 reçue le 9 juillet 2023, relève à l’encontre de M. X les manquements suivants :

 

  • D’avoir manqué à son devoir de loyauté, en dirigeant seul une enquête pénale, sans en informer sa hiérarchie, malgré la complexité et la sensibilité de cette enquête et ce alors qu’il n’aurait pas dû en connaître, celle-ci relevant de la compétence d’une autre division du parquet de XX ;

 

  • D’avoir manqué à son devoir d’impartialité, en dirigeant cette enquête alors que son épouse, avocate, a été salariée pendant près de trois ans au sein du cabinet appartenant à la fille de la victime ;

 

  • D’avoir manqué à ses devoirs de rigueur et de diligence, en ne motivant que de manière parcellaire ses écrits, en transmettant des consignes confuses et contradictoires à ses collègues les jours de permanence, en ne renseignant pas le logiciel informatique mis en place dans le cadre de la permanence ;

 

  • D’avoir manqué à son devoir de loyauté, en persistant dans ce comportement malgré les remarques de son supérieur hiérarchique ;

 

  • D’avoir manqué à son devoir de probité et d’avoir abusé de sa fonction, en faisant usage de sa qualité de vice-procureur pour obtenir en faveur d’une de ses relations personnelles, Maître D, un avantage constitué dans le traitement rapide et privilégié de la procédure pénale impliquant son père ;

 

  • D’avoir manqué à son devoir de délicatesse qui s’entend de l’attention à autrui et à son devoir de loyauté dans les relations avec les autres magistrats, en ne s’inscrivant pas dans la collectivité de travail du parquet, notamment en ne se rendant pas aux réunions hebdomadaires du parquet, en étant difficilement joignable lors de sa permanence, en ayant un temps limité au sein du tribunal judiciaire et en ne se remettant pas en cause malgré les diverses mises en garde.

 

Selon les dispositions du premier alinéa de l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée : « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».

 

Sur les faits à l’origine des poursuites disciplinaires

Ayant intégré la magistrature par la voie du concours externe en 1994 et après avoir exercé des fonctions exclusivement au parquet, M. X a été nommé vice-procureur de la République près le tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire) de XX par décret du 17 décembre 2010.

 

Par courrier électronique du 4 juin 2019, auquel est joint le rapport du 31 mai 2019 de la procureure de la République de XX alors en fonction, le procureur général près la cour d’appel de XX a informé le directeur des services judiciaires de ce que M. X avait dirigé seul, pendant plus d’un an, sans en informer sa hiérarchie et en dehors de ses attributions de la division du parquet à laquelle il était affecté, une enquête pénale ouverte des chefs d’escroquerie et de tentative d’escroquerie commises en bande organisée au préjudice de M. E, le père de Me D. Celle-ci, ancienne bâtonnière du barreau de XX, avait employé quelques années auparavant l’épouse du magistrat en qualité d’avocate collaboratrice.

 

Aux termes d’un rapport du 29 juillet 2019 établi à la demande du procureur général sur la façon de servir de M. X, M. F, procureur de la République adjoint assurant l’intérim de la procureure de la République ayant fait valoir ses droits à la retraite, a fait état d’éléments susceptibles de caractériser des manquements ou insuffisances dans son travail.

 

L’Inspection générale de la justice, saisie le 28 avril 2022 aux fins d’enquête administrative par le garde des Sceaux, a rendu son rapport le 4 novembre 2022 aux termes duquel elle a conclu à l’existence d’un certain nombre de manquements.

 

Après plusieurs arrêts de travail, des hospitalisations et un congé longue maladie, M. X a repris à mi-temps thérapeutique le 13 mai 2022 et exerce, depuis le 13 mai 2023, ses fonctions à temps partiel (80%) pour une durée de trois ans. Il est depuis affecté à la division économique et financière du parquet de XX.

 

Le comportement de M. X est mis en cause sous deux angles distincts.

 

 

Sur la direction d’une enquête pénale en dehors de ses attributions

 

Dans sa lettre du 31 mai 2019, la procureure de la République de XX explique qu’à l’occasion d’un appel formé le 7 mai précédent contre une décision rendue le 3 mai 2019 par M. X portant remise à l’agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) d’un véhicule saisi pour aliénation, le parquet de XX a découvert que ce dernier avait suivi une affaire en dehors de ses attributions et sans en avoir avisé sa hiérarchie.

 

Il résulte des pièces du dossier qu’à la suite du dépôt de plainte de M. E, le 14 février 2018, pour des faits d’escroquerie et de tentative d’escroquerie en bande organisée, sa fille, Me D, a contacté M. X de façon informelle, lequel a décidé de prendre en main la direction de l’enquête. De mars 2018 à mai 2019, ce magistrat a été l’unique membre du parquet à traiter cette affaire, laquelle n’a fait l’objet d’aucun enregistrement dans le logiciel Cassiopée. Il a pris l’attache du commissariat de police ayant reçu la plainte avant de rapidement saisir la division économique et financière de la police judiciaire de XX, étant précisé qu’il connaissait tant la directrice d’enquête de ce service que son compagnon, chef de la brigade de recherche et d’intervention (BRI) de XX.

 

A compter du 1er mars 2018, les fonctionnaires de police à qui M. X avait, tel qu’il le reconnaît, « donné pour instructions d’être personnellement informé du suivi de l’affaire », l’ont régulièrement sollicité aux fins de réquisitions diverses et lui ont rendu compte en mentionnant son nom dans les procès-verbaux. En novembre 2018, deux personnes ont été placées en garde à vue puis libérées sur ses instructions et deux véhicules ont été saisis lors des perquisitions.

 

En décembre 2018, M. E a obtenu de l’une des personnes mises en cause la somme de 8000 euros à titre de dédommagement dans le cadre d’un accord transactionnel élaboré entre Me D et l’avocat d’un des mis en cause. Le conseil de l’autre mis en cause a indiqué dans un courrier du 24 mai 2019 adressé à M. F, alors en charge de la division du suivi des informations judiciaires dans laquelle était affecté M. X, que Me D avait porté ce protocole à la connaissance de ce dernier, lequel, selon lui, avait fait part de son intention de procéder au classement sans suite de l’affaire. Sur ces points, M. X a toujours contesté avoir été informé de l’existence de ce protocole et avoir envisagé de classer la procédure.

 

S’agissant du premier des véhicules saisis, M. X a autorisé, le 31 janvier 2019, la police judiciaire à en demander la saisie attribution. S’il a indiqué lors de ses auditions s’être ensuite interrogé sur le sort à réserver à ce véhicule et n’être jamais allé au-delà de l’accord « verbal », il a reconnu lors de l’audience un « mélange des genres ». Faisant état du « classement de l’affaire », la restitution de ce véhicule a été sollicitée par un courrier électronique du 24 avril 2019 du conseil d’un des mis en cause, auquel le magistrat indique ne pas avoir répondu. Sur ce point, le rapport de l’Inspection générale de la justice relève qu’en dehors de ce courriel, aucune demande formelle de restitution ni aucune décision de classement ne figurent dans la procédure. La remise du véhicule aux domaines sera ordonnée le 22 août 2019 par la cheffe de la division de l’action publique spécialisée et complexe.

 

S’agissant du second véhicule saisi, M. X en a ordonné la remise à l’AGRASC par décision du 3 mai 2019. C’est l’appel interjeté le 7 mai contre cette décision par l’avocat du mis en cause, lequel a indiqué avoir été « surpris » par cette saisie en raison du protocole d’accord établi mentionné supra, qui permettra au parquet de XX d’apprendre l’existence de cette procédure.

 

Le 10 mai 2019, M. X a avisé le service enquêteur qu’il s’absentait pour raison de santé et lui a demandé de transmettre la procédure à son chef de division.

 

Compte tenu des développements de l’affaire, le parquet de XX s’est dessaisi le 13 septembre 2019 au profit de la juridiction interrégionale spécialisée de Marseille.

 

            Sur le manquement au devoir de loyauté

Le magistrat, conformément à son serment, exerce ses fonctions avec loyauté et avec le souci de la dignité des personnes.

Le magistrat du parquet met sa hiérarchie en mesure d’exercer ses compétences en l’informant loyalement sur l’existence et l’évolution des procédures.

 

Si lors de leurs auditions respectives M. X et Me D n’ont pas fait état de liens d’amitié entre eux, il est établi et reconnu par le magistrat poursuivi qu’il connaît Me D de longue date, d’une part, pour l’avoir rencontrée lorsqu’il était auditeur de justice en 1994, d’autre part, parce que son épouse a travaillé en qualité de collaboratrice de celle-ci de 1994 à 1996 puis de décembre 2011 à décembre 2015. Mme X a tenu le cabinet de Me D durant son bâtonnat et, depuis fin 2019, assure la formation continue au sein de l’école des avocats Aliénor dont Me D est la présidente du conseil d’administration.

 

Si les modalités et circonstances exactes par lesquelles M. X a eu connaissance de la plainte déposée par le père de Me D demeurent imprécises, le magistrat a indiqué lors de ses différentes auditions en avoir été nécessairement informé par cette dernière, supposant qu’elle lui avait demandé s’il pouvait « jeter un œil sur la procédure », sans pour autant lui demander de traitement de faveur ni de transmission de pièces.

 

Il réitère lors de l’audience avoir décidé « par gentillesse » mais aussi « par bêtise » de s’en occuper. Il reconnaît l’avoir fait « en sachant que cela ne relevait pas de [s]es attributions ». En effet, M. X, qui est intervenu hors du cadre de sa permanence pénale, était à l’époque rattaché à la division du suivi des informations judiciaires du parquet de XX alors que les faits commis relevaient de la compétence de la division de l’action publique spécialisée et complexe.

 

M. X a confirmé l’existence d’une « dérive professionnelle » et a reconnu un « manque de clairvoyance », une « faute professionnelle ». Il a admis qu’il s’agissait d’une « faute de négligence » et a convenu, a posteriori, qu’il existait « un problème de loyauté ». Il a également reconnu que le fait de ne pas avoir procédé à l’enregistrement de cette procédure était une « erreur professionnelle ». Il soutient ne pas avoir perçu « l’utilité » d’une telle démarche, reconnaissant par ailleurs à l’audience qu’il était coutumier de cette absence de diligences.

 

Le comportement de M. X révèle un manque évident de distance et une perte de ses repères déontologiques.

 

S’il réfute l’idée d’une volonté de dissimulation en soulignant que la procédure a été soumise à deux reprises à un juge des libertés et de la détention et qu’elle a été transmise à son supérieur hiérarchique au moment de son départ en arrêt maladie, il n’en demeure pas moins que la direction de cette enquête pénale, qualifiée de « sensible » de par la qualité de la victime initiale et d’une ampleur certaine, pendant près de quinze mois, en dehors de ses attributions, sans procéder à son enregistrement à aucun stade de la procédure et sans en informer sa hiérarchie, constitue un manquement au devoir de loyauté.

 

 

            Sur le manquement au devoir d’impartialité

Tout magistrat est tenu, dans sa démarche et dans son action, au devoir d’impartialité.

En l’espèce, si M. X ne connaissait pas personnellement la victime, M. E, il apparaît que la fille de ce dernier, Me D, que M. X connaît depuis 1994, dont son épouse a été la collaboratrice pendant plusieurs années et avec laquelle elle travaille depuis 2019 au sein de la même école d’avocats, a été très investie dans la procédure et la défense des intérêts de son père, personne âgée et vulnérable.

En se saisissant ainsi d’une affaire en dehors de ses attributions, concernant, même indirectement, l’ancienne bâtonnière du barreau de XX sur le ressort duquel il exerce, laquelle jouissait de par ses anciennes fonctions d’une notoriété locale certaine, qu’il avait connue à titre privé et qui l’a personnellement sollicité, M. X a manqué à son devoir d’impartialité.

 

            Sur le manquement au devoir de probité et sur l’abus de fonction

Il ressort de l’ensemble des circonstances de l’espèce et notamment de ses explications que M. X qui a reconnu qu’il « allai[t] [s]e saisir de l’affaire en [s]a qualité de vice-procureur, qu’[il] lui apportait [s]es connaissances et [s]es prérogatives, en raison de [s]a fonction, [que] c’était une manière de signifier qu’une personne du parquet, en l’occurrence [lui]-même, allait veiller à l’évolution de cette procédure et assurer les diligences », a détourné ses prérogatives de vice-procureur au profit d’une relation qu’il connaissait dans un cadre personnel.

 

En effet, qu’il ait, comme il l’a reconnu, cédé au plaisir ou à la « faiblesse » de rendre service ou à d’autres motifs d’ordre privé, M. X a volontairement pris le parti, en marge du fonctionnement habituel du service, d’exercer seul et dans une discrétion qui se voulait la plus totale, de nombreuses prérogatives du ministère public, dans une procédure ne relevant pas de ses attributions et concernant, même indirectement, une personne de son entourage professionnel qu’il connaissait à titre privé.  

 

Ainsi, même s’il n’est nullement établi que M. X ait tiré de cette opération un quelconque intéressement financier ou matériel et même si, selon ses dires, les règles de procédure pénale ont été respectées, par son attitude délibérée visant à accorder à l’une des parties un traitement particulier et donc privilégié de sa plainte, le magistrat a abusé de ses fonctions et manqué à son devoir de probité.

 

 

Sur les manquements professionnels reprochés

 

            Sur le manquement aux devoirs de rigueur et de diligence et sur le manquement au devoir de loyauté

 

Les reproches formulés à l’encontre du magistrat tenant à une motivation parcellaire de ses écrits, à la transmission de consignes confuses et contradictoires à ses collègues les jours de permanence et au fait qu’il ne renseigne pas le logiciel informatique mis en place dans le cadre de la permanence, ne sont pas suffisamment étayés pour constituer un manquement disciplinaire.

 

Il en est de même du reproche tenant à avoir persisté dans ce comportement malgré les remarques de son supérieur hiérarchique.

 

Les griefs tenant de ces chefs seront, en conséquence, écartés.

 

            Sur le manquement au devoir de délicatesse

 

Dans l’exercice de ses fonctions au sein d’une collectivité de travail organisée, tout magistrat doit constamment veiller à entretenir avec ses collègues et avec les auxiliaires de justice, des relations empreintes de délicatesse.

 

Il ressort des éléments du dossier et notamment de ses déclarations, confirmées à l’audience, que M. X était presque systématiquement absent aux réunions de service hebdomadaires du lundi à 13h15/30, sans en informer sa hiérarchie, soutenant avoir dû rentrer chez lui lors des pauses méridiennes, pour des raisons familiales qu’il assume faire prévaloir.

 

Il est également établi qu’il était difficilement joignable, se montrait peu disponible et impliqué et assurait un temps de présence limité au sein du tribunal judiciaire, ses absences et la gestion souple de son temps de travail contraignant régulièrement ses collègues à devoir le remplacer dans l’urgence.

 

Les carences de M. X, vice-procureur, ont eu un impact sur la conduite des affaires au sein de la juridiction. En ne s’inscrivant pas dans la collectivité de travail du parquet et en ne se remettant pas en cause malgré les diverses mises en garde, notamment de son chef de division et de la procureure de la République alors en fonction, le magistrat a manqué à son obligation de délicatesse, son discours très autocentré à l’audience ayant par ailleurs révélé une certaine indifférence quant aux conséquences de son comportement pour ses collègues ou pour le fonctionnement général de la juridiction.

 

 

 

S’agissant de son état de santé sur lequel M. X est largement revenu lors de l’audience, il n’est pas contestable qu’il a rencontré - et rencontre toujours - des difficultés médicales sérieuses tant physiques que psychologiques, à la fois personnelles et en lien avec un contexte familial sensible et complexe, tel que cela ressort des éléments du dossier, de ses explications et de l’expertise psychiatrique diligentée par la rapporteure. Cependant, ces difficultés qu’il n’a commencé à esquisser qu’en mars 2019, à l’occasion de son entretien d’évaluation avec la procureure de la République de l’époque, alors qu’elles étaient présentes depuis plusieurs années, ne peuvent expliquer ni justifier l’ensemble des manquements reprochés ni occulter sa responsabilité.

 

Sur la sanction

Si l’état de santé défaillant de M. X ne l’exonère pas des manquements déontologiques établis, il doit cependant être pris en compte pour le prononcé de la sanction, de même que sa dernière évaluation, encourageante, établie le 21 juillet 2023 par le procureur général près la cour d’appel de XX, laquelle s’appuie sur l’annexe 2 établie par la procureure de la République près le tribunal judiciaire de XX le 1er février 2023. Toutes deux soulignent les efforts entrepris par le magistrat nonobstant la persistance d’une fragilité certaine.

 

La gravité de ces manquements et les liens inadaptés avec le barreau de XX et les services de police qu’ils ont mis en lumière rendent incompatible la poursuite de l’activité de M. X au sein du tribunal judiciaire de XX dans lequel il exerce depuis près de treize ans.

 

En revanche, le prononcé supplémentaire d’un abaissement d’échelon serait d’une rigueur inadaptée.

 

Dès lors, le Conseil estime qu’il y a lieu de prononcer à l’encontre de M. X la sanction de déplacement d’office, en application du 2° de l’article 45 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, précitée. 

 

 

PAR CES MOTIFS,

 

 

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet, statuant en matière disciplinaire ;

 

Après en avoir délibéré à huis clos, hors la présence de Mme Diane Roman, rapporteure ;

 

Emet l’avis de prononcer à l’encontre de M. X la sanction du déplacement d’office;

 

Dit que le présent avis sera adressé, pour son information, à M. X par la voie hiérarchique, à ses conseils et défenseurs et qu’il sera transmis à M. le garde des Sceaux, ministre de la justice ;

 

Dit que le présent avis n’est susceptible d’aucun recours.

 

 

Fait et délibéré à Paris, le 26 octobre 2023

 

 

La secrétaire générale adjointe                                             Le Président

 

 

 

 

Marie Dubuisson                                                                  M. Rémy Heitz