Decision Disciplinaire

Date
23/09/2021
Qualification(s) disciplinaire(s)
Atteinte à l'image et à l'autorité de la justice, Manquement à l'honneur et la dignité, Manquement à l'honneur, à la délicatesse et à la dignité du magistrat, Manquement à l'obligation de diligence, au devoir de rigueur et au sens des responsabilités
Avis
Mise à la retraite d’office
Décision Garde des sceaux
Mise à la retraite d’office
Mots-clés
insuffisance professionnelle
ivresse
propos racistes ou injurieux
Comportement inadapté
propos vulgaires et grossiers
principe du contradictoire
Prescription
saisine de l’Inspection
réseau social public
qualité de magistrat
Etat de santé
Fonction
Substitute générale
Résumé
Le Conseil a écarté la prescription de l’action disciplinaire en indiquant que M. le garde des Sceaux, ministre de la Justice a eu connaissance des faits à l’encontre de Mme X à compter du rapport de Mme la procureure générale près la cour d’appel du 26 septembre 2017 soit moins de trois ans avant la saisine du Conseil par le garde des Sceaux le 24 septembre 2020. Le Conseil a rappelé par ailleurs qu’aucune disposition textuelle n’interdisait au garde des Sceaux, ministre de la Justice de saisir le Conseil avant la réception du rapport de l’Inspection générale de la Justice. S’agissant du respect du contradictoire par l’Inspection générale de la Justice, le Conseil a considéré qu’il l’avait été au regard de l’assistance de Mme X tout au long de la procédure par un conseil. Il est reproché à cette magistrate, d’une part, des insuffisances professionnelles à compter de son installation en 2014 et, d’autre part, d’avoir posté plusieurs messages à caractère injurieux et raciste sur le réseau social yyyyy. Le Conseil a ainsi considéré, au regard de la multiplicité des témoignages concordants, que les griefs de se trouver à plusieurs reprises dans l’enceinte de la cour d’appel en état d’ivresse manifeste, de se présenter à plusieurs audiences dans un état second, en s’endormant et en tenant des propos incohérents, et de tenir des propos agressifs envers les avocats et les parties à l’audience étaient constitués à l’encontre de cette magistrate. Elle a ainsi manqué à ses devoirs de délicatesse, de dignité, de diligence et de manière générale aux devoirs de son état. Les éléments de la procédure sont en revanche insuffisamment étayés pour caractériser une faute disciplinaire pour avoir eu un comportement inadapté à l’encontre d’un greffier. En revanche, il ressort des investigations que d’une manière générale et sur plusieurs années, malgré des changements de service et un allègement de ses missions, Mme X a dû solliciter ses collègues de manière urgente pour la remplacer à plusieurs audiences, n’a pas traité les dossiers qui lui étaient confiés et préparait de manière incomplète ses audiences. De telles insuffisances professionnelles caractérisent une atteinte aux devoirs de délicatesse, de dignité, de diligence, de rigueur et de manière générale aux devoirs de l’état de magistrat. Le Conseil a, par ailleurs, retenu des manquements graves à ses devoirs de délicatesse, de dignité, de diligence et de manière générale aux devoirs de l’état de magistrat, par la publication sur un réseau social de messages grossiers, insultants, outranciers ou totalement inadaptés. De plus, la publication sur un réseau public en usant de sa qualité professionnelle et l’écho médiatique dans un journal ont porté atteinte à l’image et au crédit de l’institution judiciaire. Enfin, le Conseil a regretté que la prise en charge médicale de cette magistrate n’ait pas été efficace tant du fait du garde des Sceaux que de l’intéressée elle-même. Il a néanmoins pris acte de son évolution favorable sans pour autant permettre une reprise de son activité professionnelle considérant que Mme X était toujours dans le déni de son état psychologique et médical.

CONSEIL SUPÉRIEUR

DE LA MAGISTRATURE

 

Formation compétente à l’égard

 des magistrats du parquet

 

 

 

AVIS MOTIVÉ

 

sur les poursuites disciplinaires engagées contre Mme X,

 

Substitute générale près la cour d’appel de xxxx

 

 

 

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet, statuant en matière disciplinaire, réunie le 14 septembre 2021 sous la présidence de :

 

M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, président de la formation,

En présence de :

 

Mme Sandrine Clavel,

M. Yves Saint-Geours,

Mme Hélène Pauliat,

M. Georges Bergougnous,

Mme Natalie Fricero,

M. Frank Natali,

M. Olivier Schrameck,

M. Jean-Paul Sudre,

Mme Jeanne-Marie Vermeulin,

M. David Charmatz,

M. Jean-François Mayet,

Mme Isabelle Pouey,

Mme Marie-Antoinette Houyvet,

M. Cédric Cabut,

 

 

Membres du Conseil,

 

Assistés de Mme Sophie Rey, secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature, et de M. Jean-Baptiste Crabières, secrétaire général adjoint,

 

Vu l’article 65 de la Constitution ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

 

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

 

Vu la dépêche du garde des Sceaux, ministre de la justice, du 24 septembre 2020, reçue le 25 septembre 2020, saisissant le Conseil supérieur de la magistrature pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l’encontre de Mme X;

 

Vu l’ordonnance du 28 septembre 2020 désignant M. Charmatz, membre du Conseil, en qualité de rapporteur ;

 

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Mme X, préalablement mis à sa disposition ainsi qu’à celle de son conseil ;

 

Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure, que Mme X et son conseil ont pu consulter ;

 

Vu le rapport déposé par M. Charmatz le 20 juillet 2021, dont Mme X a reçu copie le 26 août 2021 ;

 

Vu la convocation adressée à Mme X le 23 juillet 2021 qu’elle a réceptionnée le 26 août 2021 ;

 

Vu les conclusions déposées par Maître A ;

 

Après avoir entendu, lors de l’audience publique du 14 septembre 2021 :

 

M. Charmatz, en son rapport ;

 

Mme Guillaume, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, assistée de Mme Garreau, adjointe au chef du bureau du statut et de la déontologie de cette direction ;

Mme X, assistée de Maître A, avocat à la Cour ;

A rendu, le 23 septembre 2021, le présent

 

 

 

 

AVIS

 

Sur la procédure

 

Le conseil de Mme X soulève la prescription d’une partie des faits reprochés à l’intéressée. Il reproche également au garde des Sceaux un « préjugement » qu’il juge objectivé par la saisine du CSM avant même que l’Inspection générale de la justice, saisie d’une enquête administrative, ait remis son rapport.

 

Selon les dispositions de l’article 47 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifié par la loi organique n°2016-1090 du 8 août 2016, le garde des Sceaux, ministre de la justice, et les chefs de cour ne peuvent saisir le Conseil supérieur de la magistrature de faits motivant des poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de trois ans à compter du jour où ils ont eu connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur de ces faits.

 

Il résulte des pièces versées au dossier que le garde des Sceaux, ministre de la justice a eu pour la première fois connaissance de la situation professionnelle et personnelle de Mme X par un rapport de la procureure générale près la cour d’appel de xxxx en date du 26 septembre 2017, soit moins de trois ans avant la saisine du Conseil par le garde des Sceaux du 24 septembre 2020.

 

Dans ces conditions, le conseil de Mme X n’est pas fondé à soutenir que l’action disciplinaire est prescrite.

 

En outre, il résulte de l’article 63 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 qu’aucune disposition textuelle n’interdit la saisine du Conseil supérieur de la magistrature alors même que l’Inspection générale de la justice, saisie d’une enquête administrative, n’a pas encore achevé son rapport. 

 

 

Sur le fond

 

L’acte de saisine du garde des Sceaux relève à l’encontre de Mme X les griefs disciplinaires suivants :

 

  • En tenant des propos injurieux et en adoptant un comportement inadapté à l’égard d’un fonctionnaire de greffe ; en se trouvant à plusieurs reprises dans l’enceinte de la cour d’appel en état d’ivresse manifeste ; en se présentant à plusieurs audiences dans un état second, en s’endormant et en tenant des propos incohérents ; en obligeant ses collègues à la remplacer en urgence à plusieurs audiences, en ne traitant pas les dossiers confiés et en préparant de manière incomplète ses audiences ; en tenant des propos agressifs envers les avocats et les parties à l’audience Mme X a manqué à ses devoirs de délicatesse, de dignité, de diligence et de manière générale aux devoirs de son état.

 

  • En publiant de multiples messages à caractères racistes ou injurieux sur le réseau yyyyy entre le 3 et le 8 août 2020, des manquements d’une singulière gravité à la dignité, à l’honneur, à la délicatesse et plus largement aux devoirs de son état sont également caractérisés à l’encontre de cette magistrate.

 

  • Ces manquements portent en outre atteinte à l’image et au crédit de l’institution judiciaire, le premier de ces messages ayant été repris par le journal Z dans son édition du 5 août 2020.

 

 

Aux termes de l’article 43 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire. »

 

 

Sur les faits 

 

En l’espèce, il est reproché à Mme X, d’une part, des insuffisances professionnelles à compter de son installation en qualité de substitute générale près la cour d’appel de xxxx le 1er septembre 2014 et, d’autre part, d’avoir posté plusieurs messages à caractère injurieux et raciste sur le réseau social yyyyy au mois d’août 2020.

 

Sur les insuffisances professionnelles

 

Il résulte des pièces du dossier que, dans deux rapports en date du 26 septembre 2017 et 2 octobre 2019 à l’attention du directeur des services judiciaires, la procureure générale près la cour d’appel de xxxx fait état de la situation particulièrement préoccupante de l’intéressée dont le comportement professionnel entrave le bon fonctionnement des services du parquet général.

 

Sur les propos injurieux et l’adoption d’un comportement inadapté à l’égard d’un fonctionnaire de greffe 

 

Il est ainsi reproché à Mme X de s’être présentée le 7 septembre 2015 au greffe de la chambre de l’instruction dans un état second, manifestement alcoolisée, et, apercevant M. B, greffier, de lui avoir dit de quitter les lieux sous peine de « lui mettre la main au panier », de s’être approchée de lui en lui posant une main sur les fesses tout en tenant des propos vulgaires et grossiers. La procureure générale précise dans son rapport, qu’informée des faits, elle a convoqué Mme X pour un rappel à l’ordre.

 

Mme X conteste vigoureusement les faits, arguant de l’absence d’imprégnation alcoolique et niant avoir tenu des propos grossiers à l’encontre du greffier.

 

Compte tenu de l’absence dans le dossier du courriel de M. B relatant les faits, de l’absence du compte-rendu de l’entretien de M. B avec sa hiérarchie, ainsi que de tout témoignage extérieur concordant sur ces faits, le Conseil considère que ce grief est insuffisamment étayé et doit, dès lors, être écarté.

 

Sur le fait de se trouver à plusieurs reprises dans l’enceinte de la cour d’appel en état d’ivresse manifeste, de se présenter à plusieurs audiences dans un état second, en s’endormant et en tenant des propos incohérents, et de tenir des propos agressifs envers les avocats et les parties à l’audience

 

En l’espèce, il résulte des auditions de trois présidentes des chambres des appels correctionnels à la cour d’appel de xxx mais également de la présidente des tutelles que, courant 2017 et 2018, il est arrivé à l’intéressée de s’endormir à l’audience, de perdre le contrôle d’elle-même et de prendre la parole de façon intempestive. Mme X pouvait également se montrer agressive, coupant notamment la parole aux avocats.

 

Mme C, présidente de la chambre correctionnelle 2-9 et son assesseur Mme D, ont ainsi relaté que lors d’une audience correctionnelle au printemps 2017 au cours de laquelle un avocat, prévenu d’aide à l’entrée et au séjour irrégulier d’étrangers, était cité, Mme X s’était énervée et avait quitté l’audience brutalement. La présidente de chambre avait alors été dans l’obligation de suspendre l’audience afin de convaincre Mme X de retourner dans la salle d’audience, ce qu’elle avait in fine accepté de faire.

 

La même présidente de chambre a également déclaré, témoignage confirmé par les magistrats assesseurs, que Mme X s’était endormie durant une audience correctionnelle, le greffier et l’avocat ayant dû secouer l’intéressée pour la réveiller. Il était également précisé qu’un autre endormissement, vraisemblablement à l’audience du 12 mai 2017, avait conduit les magistrats à faire intervenir les pompiers, l’intéressée ayant un malaise et semblant être sous l’effet de médicaments.

 

Il est également évoqué par deux membres du parquet général, M. E et M. F, qu’alertés par des avocats du comportement étrange de Mme X lors d’une audience correctionnelle le 13 septembre 2017, ils avaient constaté qu’elle avait la tête rejetée en arrière, bouche ouverte, puis qu’elle s’était levée subitement pour prendre ses réquisitions.

 

De plus, Mme G, présidente de la chambre des tutelles, et la greffière ont évoqué l’endormissement de Mme X lors de l’audience du 11 décembre 2018, tête renversée en arrière. Un assesseur avait dû lui donner un coup de coude pour la réveiller, l’intéressée se montrant alors très agressive à son égard et envers l’avocat présent. Il résulte également des mêmes témoignages que Mme X coupait régulièrement la parole à la présidente ou aux avocats et pouvait prendre des réquisitions sans rapport avec l’affaire ou prenait à partie les avocats.

 

Enfin le 25 septembre 2019, il ressort des témoignages concordants du bibliothécaire et de M. E que Mme X a eu un malaise dans la salle de la bibliothèque justifiant l’intervention des pompiers et que ces derniers avaient évoqué la probable absorption d’alcool et de médicaments. L’intéressée avait alors refusé d’être conduite à l’hôpital.

 

Il résulte du rapport de l’Inspection générale de la justice que plusieurs membres du parquet général font également état de l’alcoolisation de Mme X, en évoquant sa volubilité et des odeurs d’alcool.

 

Mme X conteste en partie les faits, faisant état de relations dégradées avec certains magistrats au sein de la cour d’appel. Elle a d’ailleurs dénoncé au directeur des services judiciaires, par courrier du 13 janvier 2020, des faits de harcèlement moral et de discrimination à raison de l’état de santé. Il est fait également état par son conseil du manque d’objectivité et de la partialité de l’Inspection générale de la justice dans son rapport. Mme X reconnait toutefois les endormissements à l’audience arguant de la difficulté de gérer ses insomnies. Elle nie par contre avec véhémence, notamment à l’audience disciplinaire, toute addiction à l’alcool, précisant cependant être suivie par un addictologue mais « pour des raisons psychologiques ». Elle a néanmoins reconnu, lors de son audition devant le conseiller rapporteur, « un alcoolisme mondain » en rapport avec ses insomnies et son mal-être au travail. Elle précise d’ailleurs « mais je n’ai jamais connu de manque. Lorsque je tremble, c’est aussi l’angoisse ».

 

Sur l’argument de la défense relatif à la partialité du rapport de l’Inspection générale des services, le Conseil estime que le principe du contradictoire a été respecté par l’Inspection, que Mme X a bénéficié de l’assistance d’un avocat tout au long de la procédure et qu’elle n’a pas, par la suite, usé de la possibilité de solliciter des auditions complémentaires auprès du conseiller rapporteur.

 

Le Conseil considère en conséquence, au regard de la multiplicité des témoignages concordants, que les griefs de se trouver à plusieurs reprises dans l’enceinte de la cour d’appel en état d’ivresse manifeste, de se présenter à plusieurs audiences dans un état second, en s’endormant et en tenant des propos incohérents, et de tenir des propos agressifs envers les avocats et les parties à l’audience sont constitués à l’encontre de Mme X

 

 

Sur le fait d’obliger ses collègues à la remplacer en urgence à plusieurs audiences, et de ne pas traiter les dossiers confiés en préparant de manière incomplète ses audiences

 

Il est ainsi reproché à Mme X de n’avoir pas traité le dossier du H, qui lui avait été confié dès sa première affectation à la division de la chambre de l’instruction, ni traité les trois requêtes en nullité afférentes.

 

Si Mme X ne conteste nullement avoir eu des difficultés à traiter ce dossier, il n’en demeure pas moins que la magistrate venait de passer cinq ans en détachement à R en qualité de zzzzz et ne disposait donc, ni d’une connaissance précise de ce contentieux, ni de l’expérience nécessaire pour un dossier d’une telle ampleur. Elle précise d’ailleurs avoir demandé, deux semaines après son arrivée à la chambre de l’instruction, une affectation dans une chambre commerciale ou civile.

 

Dans ces conditions, le Conseil considère que ce grief est insuffisamment caractérisé et doit, dès lors, être écarté.

 

En revanche, il résulte des différents rapports versés au dossier qu’affectée successivement dans différents services, elle n’a pas été capable de traiter correctement les dossiers attribués.

 

Ainsi, affectée en octobre 2017 au département des affaires civiles, elle ne parvenait pas à traiter les QPC qui lui avaient été confiées, son chef de service M. Q indiquant qu’elle avait rédigé deux QPC sur huit et qu’il avait été dans l’obligation de les corriger.  D’ailleurs, si Mme X, lors de son audition devant les services de l’IGJ, soutenait avoir traité davantage de QPC, elle reconnaissait que plusieurs avaient été tapées par ses soins sous la dictée du chef de service.

 

Les mêmes difficultés apparaissaient après son affectation au traitement des demandes d’honorabilité des officiers publics et ministériels. En effet, deux tableaux de suivi démontrent qu’entre le 21 juin et le 23 juillet 2019, elle n’a traité que 52% des requêtes puis 21% entre le 5 et le 29 septembre.

 

Il résulte également des témoignages concordants des présidentes des chambres des appels correctionnels et des assesseurs qu’elle accusait de fréquents retards à l’audience, de 5 à 20 minutes, et qu’il avait été nécessaire de la remplacer en urgence à plusieurs reprises. M. E déclarait que ces remplacements impromptus et, pour la plupart, non justifiés, intervenaient environ une fois par mois et qu’il avait dû pour sa part la remplacer à quatre reprises. M. I, avocat général, indiquait qu’il avait pris l’habitude de la contacter la veille de l’audience afin de s’assurer de sa présence le lendemain.

 

Affectée par la suite à la chambre des tutelles puis aux audiences d’hospitalisations sous contrainte, services civils dans lesquels elle avait demandé à être affectée, les retards et absences aux audiences devenaient de plus en plus fréquents, les arrêts maladie ne recouvrant que partiellement ses défections.

 

Par conséquent, le Conseil considère, au regard de la multiplicité des témoignages concordants, que les griefs d’obliger ses collègues à la remplacer en urgence à plusieurs audiences, et de ne pas traiter les dossiers confiés en préparant de manière incomplète ses audiences sont constitués à l’encontre de Mme X.

 

Si sa hiérarchie a pu commettre certaines erreurs en termes de gestion des ressources humaines, en lui confiant par exemple le dossier H à son arrivée ou en tardant à prendre la mesure de ses difficultés, Mme X a toutefois pu changer de service à plusieurs reprises, à sa demande le plus souvent, avec un allègement croissant de sa charge de travail. Ainsi, en dépit de ces changements d’affectation au sein du parquet général, les retards et absences injustifiées, comportements inadaptés, carences dans le traitement des dossiers ou impréparations des audiences se sont étendus sur une période de plus de cinq ans, à une fréquence qui s’est accélérée au fil des années et ont durablement affecté le fonctionnement des différents services. Ces insuffisances professionnelles constituent des manquements disciplinaires qui portent atteinte aux devoirs de délicatesse, de dignité, de diligence, de rigueur et de manière générale aux devoirs de l’état de magistrat.

 

 

Sur les faits reprochés relevant de la vie privée

 

Il résulte des pièces du dossier et des débats à l’audience que le 4 août 2020, Mme X publiait sur le réseau social yyyy un message grossier à caractère discriminatoire « C rst qui lui Qu il retourne a Alger pour donner drs lecons » à l’encontre de M. J qui suggérait que les retraités participent à l’effort de guerre sanitaire.

 

Elle adressait, le 7 août, sur le même réseau, plusieurs messages insultants et vulgaires à un internaute qui s’étonnait de la connotation raciste de ses écrits, en écrivant entre autres « vous êtes qui pour me donner des leçons de pseudo-morale » puis « je t’encule ». Elle poursuivait les jours suivants en tenant des propos outranciers et totalement inadaptés sur plusieurs sujets dont les violences faites aux femmes en publiant « elles n’ont qu’à se battre », ou à l’encontre de personnalités publiques « son cerveau est dans son slip et doit pas dyre plus gros qu radis » ou encore en dénigrant les magistrats.  

 

Lors de chaque message, sa qualité professionnelle de magistrat était accessible à l’ensemble des internautes.  

 

Ces faits ont motivé l’ouverture à l’encontre de Mme X d’une enquête préliminaire pour infraction à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et un rappel à la loi.

 

Madame X ne conteste pas être l’auteur de ces messages et met en avant son immense fatigue suite à une hospitalisation quelques jours avant.  Elle précise ainsi à l’audience disciplinaire qu’elle « était à bout de nerfs, épuisée » et qu’elle s’est « comportée de manière stupide ». En revanche, elle réfute de façon véhémente toute intention raciste dans ses propos.

 

Les propos tenus ont eu un retentissement extérieur important du fait de leur publication sur un réseau social professionnel, dont Mme X ne pouvait ignorer le caractère public, auquel s’est ajouté l’écho médiatique d’un article du Z le 5 août 2020 intitulé « X la profession ».

 

Ces faits, par leur caractère outrancier et injurieux, constituent des manquements graves à ses devoirs de délicatesse, de dignité, de diligence et de manière générale aux devoirs de l’état de magistrat. De plus, leur publication sur un réseau public en usant de sa qualité professionnelle et l’écho médiatique dans un journal portent atteinte à l’image et au crédit de l’institution judiciaire.

 

 

Sur la problématique médicale de Mme X

 

En l’espèce, les comportements inadaptés de Mme X dans l’espace professionnel et dans la vie privée, qui ont connu une aggravation au fil des années, sont en partie liés à une dégradation de son état de santé physique et psychique qui est d’ailleurs décrite par la plupart des personnes auditionnées dans le cadre de l’enquête administrative. Preuve en est le nombre de jours d’arrêt-maladie : 5 en 2015, 61 en 2016, 51 en 2017, 124 en 2018, 195 en 2019 et 81 au 8 septembre 2020. Madame X a également été hospitalisée à plusieurs reprises : fin août début septembre 2018 à L, puis à l’hôpital M mi-septembre ; en octobre 2019, au centre hospitalier N ; en novembre 2019, à l’hôpital O ; en juillet 2020 au centre hospitalier de P. Elle fait également état devant le psychiatre K de deux tentatives de suicide en 2017 et 2019 consistant en une prise de médicaments et d’alcool.

 

Au regard des inquiétudes suscitées par son état et son incapacité croissante à assumer ses fonctions de magistrat, la procureure générale près la cour d’appel de xxxx a saisi la garde des Sceaux le 26 septembre 2017 d’une demande de saisine du comité médical ministériel et a réitéré cette demande le 25 septembre 2018. A l’issue des séances des 12 mars et 8 octobre 2018, le comité médical ministériel a considéré que le critère de l’urgence ne pouvait s’appliquer en l’espèce, Mme X étant en arrêt-maladie, et que la situation de l’intéressée ne relevait donc pas d’un congé d’office.

 

Le 15 février 2019, Mme X déposait une demande de saisine du comité médical pour l’octroi d’un congé de longue durée puis transmettait au comité médical au mois de mai 2019 des certificats médicaux attestant que son état de santé permettait une reprise de son activité professionnelle. Le 29 mai 2019, le comité médical la déclarait apte à reprendre ses fonctions à temps complet à compter du 1er septembre 2019.

 

Si le Conseil peut déplorer que la garde des Sceaux n’ait pas saisi le comité médical national qui dispose d’une compétence plus large pour prononcer un congé de longue maladie, force est de constater que Mme X a mis en échec les procédures mises en œuvre par l’administration pour la placer dans une position administrative en adéquation avec son besoin de soins. Ainsi, toutes les initiatives de l’administration pour instaurer un suivi avec le médecin de prévention ont échoué, la magistrate n’honorant pas des convocations. De la même façon, son suivi témoigne d’un nomadisme médical, la majorité des prescriptions médicales et des arrêts maladies versés au dossier n’étant pas à l’initiative de son médecin traitant mais rédigés par d’autres médecins généralistes ou par SOS Médecins. Plus encore, alors qu’elle avait été hospitalisée à P fin juillet 2020, elle a pris la décision de partir alors même que le risque vital lui avait été exposé.

 

Mme X reconnaît devant l’expert psychiatre qu’elle souffre d’une grave dépression depuis sept années, mais elle reste dans le déni de sa problématique alcoolique. L’expert psychiatre souligne ainsi « elle est dans le déni total de ses troubles. L’hypothèse la plus vraisemblable est celle (…) d’une addiction chronique à l’alcool (démence alcoolique). Vont dans ce sens les chutes, les troubles de l’équilibre et un suivi en addictologie ».

 

Si la récente prise en charge de sa dépression et la décision de la placer en congé de longue maladie du 25 septembre 2021 au 24 mars 2022, par arrêté du garde des Sceaux, suite à l’avis favorable du comité médical ministériel saisi à l’initiative de Mme X, constituent une évolution favorable, ses propos à l’audience disciplinaire sur sa capacité à reprendre son activité professionnelle témoignent une nouvelle fois de la force de son déni.

 

 

Sur la sanction

 

S’il est établi que Mme X a eu un excellent parcours professionnel antérieurement à son affectation à la cour d’appel de xxxx, elle a, depuis septembre 2014, commis des manquements disciplinaires répétés et d’une gravité certaine, que ce soit dans le cadre de son activité en multipliant les insuffisances professionnelles ou, plus récemment, en publiant sur un réseau public professionnel des messages inadmissibles pour un magistrat en exercice.

 

L’imprévisibilité de ses comportements, la perte des repères déontologiques, les propos souvent décousus et contradictoires sont autant d’éléments démontrant l’incapacité de l’intéressée à poursuivre son office de magistrat. L’expert psychiatre conclut d’ailleurs son expertise par les termes suivants : « elle n’est pas actuellement en état d’exercer une activité professionnelle, ni sa profession de magistrat, ni une activité professionnelle quelconque ».

 

Sans méconnaître la très profonde dépression que Mme X traverse depuis de nombreuses années et qui a probablement joué un rôle décisif dans la perte des repères déontologiques, le Conseil considère que son refus de reconnaître sa problématique alcoolique et de s’engager dans une prise en charge médicale globale génère des manquements professionnels particulièrement graves, incompatibles avec la poursuite de son activité de magistrat.

 

Dès lors, le Conseil estime qu’il y a lieu de prononcer à l’encontre de Mme X la sanction de mise à la retraite d’office prévue au 6° de l’article 45 de l’ordonnance statutaire du 22 décembre 1958.

 

 

 

PAR CES MOTIFS,

 

 

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet, statuant en matière disciplinaire,

 

Après en avoir délibéré à huis clos, hors la présence du rapporteur,

 

Émet l’avis de prononcer à l’encontre de Mme X, la sanction de mise à la retraite d’office ;

 

DIT que le présent avis sera transmis au garde des Sceaux, ministre de la justice, et notifié à Mme X par les soins de la secrétaire générale soussignée.

 

 

Fait à Paris, le 23 septembre 2021

 

 

 

La secrétaire générale,

 

 

 

 

 

 

 

Sophie Rey

 

Le président,

 

 

 

 

 

 

 

François Molins