Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
11/07/2017
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des supérieurs hiérarchiques, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des collègues, Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge)
Avis
Blâme avec inscription au dossier
Mots-clés
Délicatesse
rumeur
Dignité
Blâme avec inscription au dossier
Fonction
Substitut du procureur de la République
Résumé
Les explications du magistrat lors de l’audience disciplinaire, comme l’examen des pièces de la procédure illustrent une difficulté de positionnement persistante de l'intéressée entre sa vie privée et ses activités professionnelles, ainsi qu’une incompréhension manifeste de ses obligations en qualité de magistrat. Il convient donc de prononcer à son encontre la sanction de blâme prévue au 1° de l’article 45 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée.

CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

Formation compétente pour la discipline

des magistrats du parquet

 

 

Avis motivé

sur les poursuites engagées contre Madame X,

substitut du procureur de la République

près le tribunal de grande instance de xxxxx

 

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet,

Sous la présidence de Monsieur Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation, président de la formation,

En présence de :

 

Monsieur Jean Danet,

Madame Soraya Amrani Mekki,

Monsieur Georges-Eric Touchard,

Madame Dominique Pouyaud,

Madame Evelyne Serverin,

Madame Paule Aboudaram,

Monsieur Yves Robineau,

Monsieur Didier Boccon-Gibod,

Monsieur Jean-Marie Huet,

Monsieur Vincent Lesclous,

Monsieur Raphaël Grandfils,

Monsieur Richard Samas-Santafé,

Madame Virginie Valton,

 

Membres du Conseil,

Assistés de Madame Lisa Gamgani, secrétaire général adjoint du Conseil supérieur de la magistrature ;

La direction des services judiciaires étant représentée par Monsieur Ludovic André, sous-directeur des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires du ministère de la justice, assisté de Madame Virginie Tilmont, adjointe au chef du bureau du statut et de la déontologie du ministère de la justice ; 

Madame X, substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, étant assistée de Maître A, avocate au barreau de xxxxx et de Madame B, vice-présidente au tribunal de grande instance de xxxxx ;

 

Vu l’article 65 de la Constitution ;

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 66 ;

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

Vu la dépêche du garde des Sceaux du 8 juillet 2016 et les pièces annexées, saisissant le Conseil supérieur de la magistrature pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l’encontre de Madame X ;

Vu la décision du 22 juillet 2016 désignant Madame Dominique Pouyaud, membre du Conseil, en qualité de rapporteur ;

Vu la décision de prorogation en date du 1er mars 2017 ;

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Madame X, préalablement mis à sa disposition ainsi qu’à celle de ses conseils ;

Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure, que Madame X et ses conseils ont pu consulter ;

Vu le rapport du 22 mars 2017 déposé par Madame Pouyaud, dont Madame X a reçu copie ;

Vu la convocation adressée à Madame X le 2 mai 2017 et sa notification du 11 mai 2017 ;

                                                                                           

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Les débats se sont déroulés en audience publique, dans les locaux de la Cour de cassation, 5 quai de l’Horloge à Paris (1er), le 20 juin 2017.

À l’ouverture de la séance, le président de la formation a rappelé les termes de l’article 65 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : «L’audience de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature est publique. Toutefois, si la protection de l'ordre public ou de la vie privée l'exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l'accès de la salle d'audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l'audience, au besoin d'office, par la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature ».

Madame X, comparante, n’a formulé aucune demande en ce sens.

A l’ouverture des débats, Maître A a soutenu les moyens soulevés dans le mémoire déposé au cours de la procédure disciplinaire le 13 juin 2017. Après avoir entendu Madame B et Monsieur André en leurs observations, Madame X ayant eu la parole en dernier, le Conseil en a délibéré et décidé de joindre ces demandes au fond.

A la reprise des débats, Madame Pouyaud, rapporteur, a procédé à la lecture de son rapport.

Puis, Madame X a été interrogée sur les faits objet de la saisine et a fourni ses explications.

Monsieur André a présenté ses observations et a demandé le prononcé d’un avis tendant à la révocation de Madame X.

Maître A a été entendue en sa plaidoirie.

Madame B a été entendue en ses observations.

Madame X a eu la parole en dernier.

L'affaire a été mise en délibéré au 11 juillet 2017.

 

*

Sur la procédure

 

Sur la demande tendant à voir constater les violations des droits de la défense à l’occasion de la procédure conduite par l’inspecteur général des services judiciaires

Le Conseil exerce une appréciation in concreto du respect des droits de la défense par l’inspection générale des services judiciaires (IGSJ) lors des différents actes effectués au cours de l’enquête administrative.

L’examen des pièces de la procédure permet de constater que les conditions de convocation de Madame X en vue de son audition par les inspecteurs ne lui font pas grief. Tant le délai de prévenance de quinze jours, que les conditions de mise à disposition de l’ensemble des pièces de la procédure, durant huit jours, ont permis à celle-ci de préparer utilement son audition. L’absence de délivrance d’une copie de la procédure avant l’audition ne constitue pas, dans ce contexte, une atteinte à ses droits.

Le deuxième argument tiré de sa particulière vulnérabilité à la date de son audition ne saurait prospérer. La production de certificats médicaux datés du 24 février 2017 et du 1er mars 2017 évoquant des troubles anxio-dépressifs ne justifie pas que soient écartées des débats des auditions menées les 18 et 19 juin 2015, dès lors que Madame X exerçait son activité professionnelle normalement à cette époque et qu’à aucun moment, elle n’a fait état d’un quelconque état de faiblesse. Un examen précis des temps de pause proposés ou organisés par les inspecteurs illustre au contraire une attention constante à la qualité de l’audition.

Enfin, il est fait état, au soutien de sa requête, du refus opposé à la demande d’assistance par un représentant syndical. Le procès-verbal relatif à cette audition par l’IGSJ porte toutefois mention de l’acquiescement de Madame X à la tenue de son audition sans assistance, l’intéressée ayant indiqué « (souhaiter) être entendue et s’expliquer, n’ayant pas besoin de quelqu’un et se sentant apte à répondre à toutes les questions ».

Cette dernière mention, l’absence d’observations dans le délai imparti de huit jours à l’issue de celle-ci et le caractère pré-disciplinaire de cette enquête administrative ne permettent pas de constater une atteinte non réparable aux droits de la défense.

Sur la demande relevant la violation du principe de la contradiction

Madame X a formulé diverses demandes d’audition et de confrontation adressées tant au rapporteur qu’à la formation disciplinaire elle-même, concernant des personnes déjà entendues au cours de la procédure, à l’exception de son époux.

Aucun texte particulier ni aucune règle générale n’impose au Conseil supérieur de la magistrature de faire droit à des demandes d'actes ou de motiver un éventuel refus. La non réalisation de ces auditions, dont la demande n’a pas été réitérée lors de l’audience disciplinaire, ne saurait donc constituer une atteinte aux droits de Madame X.

Quant au versement à la procédure du rapport de Monsieur C en date du 16 août 2016, postérieurement à la saisine du garde des Sceaux, Madame X a pu en prendre connaissance avant son audition par le rapporteur, faire valoir ses observations à cette occasion, ainsi que par des écrits ultérieurs.

Le Conseil supérieur de la magistrature pouvant connaître de l’ensemble du comportement du magistrat concerné sans être tenu de limiter son examen aux seuls faits qui ont été initialement portés à sa connaissance, il n’ y a pas lieu d’écarter cette pièce de la procédure.

Aucune atteinte au principe de la contradiction ne peut donc être relevée.

 

 

*

La saisine du garde des Sceaux du 8 juillet 2016 reproche à Madame X :

 

  • D’avoir mis en cause de manière déplacée le procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx et d’être intervenue de façon inappropriée auprès d’un officier de police judiciaire chargé d’une procédure la concernant ;
  • D’avoir répandu une rumeur mettant en cause le procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx et une de ses collègues substitut, et d’avoir entretenu des relations sur un mode inapproprié avec son supérieur hiérarchique direct, en l’espèce le procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx ;
  • D’avoir réagi de manière inadaptée, indélicate voire déloyale aux mises en garde dont elle a bénéficié.

            Le garde des Sceaux a ultérieurement transmis au Conseil deux documents faisant état de nouveaux faits.

Le premier est le rapport de Monsieur C, procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, en date du 16 août 2016 et transmis le 21 octobre 2016, mentionnant un incident au cours de la permanence téléphonique des 13 et 14 juillet 2015.

La seconde transmission, en date du 24 mai 2017, est une dépêche de Madame  D, procureure générale près la cour d’appel de xxxxx décrivant un appel téléphonique de Madame X, le 24 mars 2017, à un service d’enquêtes extérieur à son ressort en charge d’une procédure la concernant à titre personnel.

Sur le premier grief

Sur la mise en cause du procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx

Les éléments versés aux débats établissent que Madame X a, à plusieurs reprises, porté une appréciation personnelle péjorative sur le comportement professionnel de Monsieur  E, procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, pour sa direction d’enquêtes la concernant sur des faits survenus avant son entrée dans la magistrature.

Ces observations comportent toutes une allusion à des « intérêts locaux » susceptibles de placer le procureur de la République dans une forme de « conflit » et expliquant son « inertie ».

Madame X a fait état de ces appréciations dans des écrits destinés à des interlocuteurs du procureur de la République de xxxxx, qu’il s’agisse d’une demande de protection statutaire adressée à la direction des services judiciaires en octobre 2013, d’une lettre adressée au procureur général de xxxxx en mars 2015 ou d’un courriel envoyé à un enquêteur placé sous l’autorité dudit procureur en octobre 2014.

L’argument tiré de l’exercice de ses droits en qualité de citoyenne pour se plaindre de procédures la concernant, avancé par Madame X, ne saurait justifier un tel comportement et est en totale contradiction avec sa demande de mise en œuvre de la protection statutaire, réservée aux magistrats subissant des menaces ou attaques dans l’exercice de leurs fonctions.

Cette attitude, qui tend à dénigrer les décisions d’un magistrat en suggérant que la conduite par celui-ci de procédures pénales serait dictée par des motivations personnelles incompatibles avec l’exercice de ses fonctions de procureur, constitue un manquement au devoir de délicatesse à l’égard de Monsieur  E, d’autant plus caractérisé qu’il a été réitéré pendant plus de deux ans auprès de différents interlocuteurs professionnels de ce dernier.

Sur les appels téléphoniques adressés à des enquêteurs

Il ressort des pièces versées aux débats que Madame X a contacté en novembre 2014, un officier de police judiciaire, Monsieur F, lieutenant à la section de recherches de xxxxx, afin de recueillir des informations sur une enquête la concernant personnellement en qualité de plaignante. A l’issue de cet appel, le lieutenant F a dressé un procès-verbal indiquant que « la teneur de leur conversation pourrait s’apparenter à une forme de pression ». Un second appel de Madame X est intervenu, le 24 mars 2017, auprès de la brigade de recherches, afin de convenir d’un rendez-vous avec le commandant de la section de recherches et le lieutenant F. L’objet de ce rendez-vous était de voir ledit procès-verbal « modifié ou annulé ».

Madame X a contesté toute volonté d’intervention dans une affaire la concernant personnellement, alléguant avoir sollicité des explications « en qualité de citoyenne » et avoir précisé à chaque fois que sa démarche était faite à titre personnel.

Les procès-verbaux dressés à l’issue de ces conversations téléphoniques traduisent pourtant l’ambigüité entretenue par cette dernière sur son positionnement institutionnel à l’égard des gendarmes destinataires de ces appels.

En prenant attache avec un service d’enquêtes afin de solliciter des informations sur le déroulement d’une procédure l’intéressant à titre personnel ou dans l’objectif de voir modifier ou annuler un procès-verbal lui portant préjudice et ce, après avoir fait état de sa qualité de substitut du procureur de la République, Madame X a manifesté une confusion entre ses droits attachés à sa qualité de citoyenne et ses devoirs de magistrat. Elle a ainsi manqué aux devoirs de son état ainsi qu’à son devoir de délicatesse à l’égard des enquêteurs.

Sur sa gestion de la permanence téléphonique des 13 et 14 juillet 2015

Le troisième aspect de ce grief concerne l’attitude de Madame X à l’occasion de la permanence téléphonique des 13 et 14 juillet 2015.

Dans un rapport complémentaire, en date du 16 août 2016, Monsieur C a fait part d’incidents susceptibles de mettre en cause son autorité auprès des services de police, en reprochant à Madame X d’avoir justifié une décision par des instructions de clémence.

S’agissant de la décision prise par Madame X à l’occasion de sa permanence téléphonique avec un enquêteur du commissariat de xxxxx, le Conseil considère qu’il s’agit d’un acte de la fonction dont il n’a à apprécier ni le bien-fondé, ni la motivation. En outre, aucun élément n’établit de manière certaine que Madame X a mis en cause son supérieur hiérarchique à l’occasion de ces échanges.

Cet élément ne saurait donc prospérer.

            Sur le deuxième grief

Sur la rumeur

Le Conseil donne acte à la direction des services judiciaires de l’abandon d’une partie de ce deuxième grief relative à la propagation d’une rumeur mettant en cause le procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx et une de ses collègues substitut et constate, en effet, que ce grief n’est pas caractérisé au regard des pièces de la procédure.

Sur les relations avec son supérieur hiérarchique

Il est reproché à Madame X de s’être adressée à son supérieur hiérarchique par de nombreux messages électroniques et SMS sur un mode émotionnel et affectif.

L’examen des pièces ne permet pas de relever une fréquence anormale de cette communication par SMS. Si le contenu de quelques messages isolés peut prêter à confusion quant à leur interprétation, ils ne sauraient en eux-mêmes suffire à caractériser un manquement aux devoirs de délicatesse et de dignité.

            Ce deuxième grief doit donc être écarté.

            Sur le troisième grief

Le fait pour Madame X de s’affranchir de la voie hiérarchique en s’adressant directement au procureur général près la cour d’appel de xxxxx, et ce malgré plusieurs mises en garde effectuées à ce sujet par ses supérieurs hiérarchiques, est contraire aux usages.

Le recours à cette pratique doit cependant être examiné en tenant compte de la relation très conflictuelle avec son supérieur hiérarchique direct alors que l’objet même des courriers ainsi transmis était de répondre aux rapports du procureur de la République la mettant personnellement en cause.

Ce dernier grief n’apparaît donc pas caractérisé.

            Sur la sanction

Madame X a tenté de justifier son comportement par un désir d’intégration et de reconnaissance auprès des magistrats du parquet du tribunal de grande instance de  xxxxx et par la réticence de certains collègues à son endroit qu’elle attribue à son mode de recrutement. Ce contexte délicat se serait dégradé après la diffusion d’une rumeur mettant en cause le procureur de la République près le tribunal de grande instance de  xxxxx et une de ses collègues substitut, ces derniers la considérant comme responsable de cette situation.

Dans ce climat, les démarches effectuées auprès de la gendarmerie pour s’enquérir de l’avancement d’enquêtes la concernant à titre personnel, auraient ainsi été, selon elle, instrumentalisées au soutien de cette procédure disciplinaire.

Ces explications lors de l’audience disciplinaire, comme l’examen des pièces de la procédure illustrent une difficulté de positionnement persistante de la part de Madame X entre sa vie privée et ses activités professionnelles, ainsi qu’une incompréhension manifeste de ses obligations en qualité de magistrat. Il convient donc de prononcer à son encontre la sanction de blâme prévue au 1° de l’article 45 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée.

 

PAR CES MOTIFS,

 

Après en avoir délibéré à huis clos, hors la présence de Madame Dominique Pouyaud, rapporteur désigné,

Emet l’avis de prononcer à l’encontre de Madame X la sanction de blâme prévue au 1° de l’article 45 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22  décembre 1958 modifiée  ;

Dit que le présent avis sera transmis au garde des Sceaux et notifié à Madame X par les soins du secrétaire soussigné.

 

Fait et délibéré à Paris, le 11 juillet 2017.