Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet
La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet ;
Vu l’article 65 de la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée ;
Vu la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie ;
Vu le code de procédure pénale, et, notamment ses articles 34, 39 et 281 ;
Vu la dépêche, en date du 18 juillet 2006, de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, et ses pièces annexées, à M. le procureur général près la Cour de cassation, président de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, saisissant cette formation pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l’encontre de M. X ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X, mis préalablement à sa disposition ;
L’affaire a été mise en délibéré à l’issue des débats qui se sont déroulés publiquement dans les locaux de la Cour de cassation les 19, 20, 21 et 22 mai 2008 et au cours desquels :
- M. X a comparu, assisté de Me …, avocat au barreau de … et de Mme …, vice-procureur de la République près le tribunal de grande instance de … ;
- À l’ouverture des débats, M. X a déposé des pièces nouvelles, mises à la disposition des membres du Conseil et du directeur des services judiciaires ;
- MM. Jean-Claude Bécane et Jean-Michel Bruntz, rapporteurs, ont procédé à la lecture de leur rapport ;
- M. X a été interrogé sur les faits dont le Conseil était saisi et a fourni ses explications ;
- MM. …, avocat au barreau de …, …, bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de …, …, président du tribunal de grande instance de …, Mme …, présidente du tribunal de grande instance de …, M. …, procureur de la République près le tribunal de grande instance de …, M. …, vice-procureur placé auprès du procureur général près la cour d’appel de …, M. … conseiller à la cour … et M. …, procureur général près la cour d’appel de …, ont déposé en qualité de témoins ;
- M. Léonard Bernard de la Gatinais, directeur des services judiciaires, assisté de Mme Béatrice Vautherin, magistrat à cette direction, a été entendu et a présenté ses demandes ;
- Me … et Mme … ont été entendus en la défense de M. X qui a eu la parole en dernier, le principe de la contradiction et l’exercice des droits de la défense ayant été assurés ;
- Sur la procédure
À l’ouverture de la séance, M. X a demandé qu’il lui soit donné acte de la parution d’un article dans le journal « … », le 17 mai 2008, comportant des indications sur les sanctions que la chancellerie demanderait à son encontre ;
Après avoir entendu M. Léonard Bernard de la Gatinais, directeur des services judiciaires, puis M. X, le Conseil a donné acte à ce dernier de sa requête ;
- Sur les griefs faits à M. X
Par arrêt du 1er juillet 2003, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de …, dans le cadre de l’affaire …, mettait en accusation et renvoyait devant la cour d’assises du … 17 personnes des chefs, notamment, de viols et agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans, en réunion ;
Le 2 juillet 2004, la cour d’assises du … acquittait 7 accusés ; le 1er décembre 2005, la cour d’assises de … acquittait les 6 condamnés qui avaient relevé appel du premier verdict ;
Les faits dénoncés dans la présente poursuite disciplinaire ont trait au rôle du parquet, tout d’abord dans le traitement des signalements à l’origine de l’affaire, puis dans le suivi de l’information et la préparation des débats devant la cour d’assises du … et, enfin, dans les relations entretenues avec le parquet général au cours de la procédure ;
A - Le traitement du signalement initial de l’affaire
Cinq griefs sont formulés de ce chef : un délai excessif de traitement du signalement, un défaut de précision des réquisitions d’enquête, une insuffisante coordination avec le juge des enfants, une absence de recherche de précédent et une absence de directives écrites concernant la manière de traiter les affaires de mineurs victimes ;
1 - Le délai de traitement du signalement initial
Le rapport initial de la direction de l’enfance et de la famille – antenne de … –, daté du 5 décembre, est parvenu au parquet le 6 décembre 2000 ;
Dans ce rapport de transmission d’une note, elle-même datée du 30 novembre 2000, évoquant de possibles agressions sexuelles commises par les époux … sur trois de leurs enfants mineurs, le président du conseil général indiquait qu’une enquête judiciaire lui paraissait nécessaire et ajoutait qu’il demandait, le même jour, au juge des enfants, la suppression du droit d’hébergement reconnu aux parents ;
Quatre notes complémentaires, en date du 8 décembre pour trois d’entre elles, et du 11 décembre pour la dernière, ont été transmises au parquet le 15 décembre et reçues le 18 décembre ; aucune de ces notes n’évoquait la mise en cause de tiers ;
Des notes ultérieures de l’unité territoriale d’action sanitaire et sociale de … (UTASS), des 21 et 22 décembre 2000, mentionnaient, cette fois, des agressions sexuelles commises par des tiers, en présence des parents et contre rémunération ; elles ont été transmises, le 3 janvier, et reçues au parquet le 4 janvier 2001 ;
Le soit-transmis aux fins d’enquête, adressé au commissariat de …, signé du substitut placé, Mme …, est daté du 4 janvier 2001 ;
L’insuffisance des effectifs du parquet de …, passés de cinq en 2001 à huit en 2003, l’absence d’encadrement intermédiaire, la charge de travail importante de chacun de ses magistrats tenant à la complexité des contentieux, la surcharge des tâches de la brigade de police spécialisée dans le traitement des affaires de mineurs, éléments dont M. X n’avait pas la maîtrise, imposaient la détermination de priorités dans le traitement des procédures ; dans un tel contexte, l’option prise par le procureur de la République de privilégier le traitement des signalements pour lesquels il apparaissait que la protection des mineurs n’était pas encore assurée, ne souffre pas de critique ; les enfants supposés victimes d’atteintes sexuelles étant placés en famille d’accueil et le juge des enfants étant parallèlement saisi d’une demande de suspension du droit d’hébergement des parents, le délai de traitement du signalement initial, soit 29 jours, ne révèle pas une attention insuffisante du procureur de la République, d’autant que le dernier signalement évoquant de possibles agressions sexuelles sur les mineurs par des tiers, en présence des parents et contre rémunération, a été traité le jour même de sa réception au parquet ;
2 - Le défaut de précision des réquisitions d’enquête
Le soit-transmis du 4 janvier 2001 fait état d’agressions sexuelles commises sur …, … et …, dont les dates de naissance sont mentionnées, sans que soient précisées les investigations particulières à effectuer, ni les délais d’exécution ;
Toutefois, selon M. …, brigadier-chef au commissariat de …, qui a commencé l’enquête en l’absence du capitaine …, Mme …, substitut du procureur de la République, chargé des affaires de mineurs, l’a contacté téléphoniquement pour lui indiquer que le dossier était complexe, en raison de la nature des faits et du nombre possible d’auteurs, ce qui atteste de la réalité d’une concertation entre le parquet et le service enquêteur ;
Ce service, informé du contexte familial décrit dans les signalements joints aux réquisitions d’enquête, était, en raison de sa spécialisation dans le traitement des agressions sexuelles contre les mineurs, capable de conduire par lui-même ces investigations, sans qu’il soit utile de préciser les diligences à effectuer ;
Au demeurant, ce type d’enquête s’inscrivait dans un cadre en partie contractualisé, puisque le procureur de la République avait signé, le 23 juillet 1996, avec le conseil général du … et la direction départementale de la protection judiciaire de la jeunesse, une charte relative aux modalités d’audition d’un mineur présumé victime de maltraitance, permettant l’utilisation de moyens vidéographiques ;
Par ailleurs, la célérité avec laquelle l’enquête préliminaire a été menée n’est pas contestable.
Compte tenu de ces éléments, l’absence de précision des directives n’est pas révélatrice d’un défaut d’attention ou d’une négligence dans le traitement de la procédure et ne revêt pas un caractère fautif ;
3 - L’insuffisante coordination avec le juge des enfants
Il est reproché à M. X de n’avoir pas, au moment de l’examen de la procédure, pris l’attache du juge chargé du dossier d’assistance éducative des enfants …, alors, pourtant, que les services sociaux avaient demandé la suppression du droit d’hébergement des parents, ce dont le parquet était informé ;
L’inspection générale des services judiciaires a relevé que cette circonstance avait pu nuire à l’efficacité de l’enquête préliminaire, dans la mesure où « pendant le délai de près de deux mois séparant la date à laquelle ils [avaient] eu connaissance de l’ordonnance du juge des enfants et celle de leur placement en garde à vue, […], les époux …, […], [avaient] eu la possibilité de faire disparaître des éléments matériels à charge et de se concerter avec les éventuels co-auteurs » ;
Toutefois, M. …, juge des enfants, a indiqué aux rapporteurs que, si ses relations avec le parquet n’étaient pas codifiées par écrit, il avait cependant des contacts directs, soit avec le substitut des mineurs, soit avec le substitut de permanence en cas d’urgence, ce qu’a confirmé Mme …, substitut des mineurs ;
Il a expliqué, de manière pertinente, l’absence d’échanges particuliers avec le parquet au sujet des signalements des 5, 8 et 11 décembre 2000, par la circonstance que l’affaire ne les nécessitait pas, dans la mesure où les enfants étaient placés et où les signalements avaient également été adressés au parquet ;
Le risque de déperdition des preuves et de concertation avec des co-auteurs, invoqué par l’inspection générale des services judiciaires, ne peut être imputé à une absence de coordination entre le parquet et le juge des enfants ; en effet, ce risque concerne les faits (agressions sexuelles sur les mineurs par des tiers, en présence des parents et contre rémunération) objets du signalement reçu le 4 janvier 2001 ; or, à cette date, le juge des enfants avait déjà suspendu le droit d’hébergement des parents …, par ordonnance du 21 décembre 2000, notifiée le 28 décembre 2000 ; ayant ainsi pris connaissance des suspicions d’abus sexuels motivant cette décision, ils avaient eu la possibilité de faire disparaître, le cas échéant, des preuves matérielles, avant même que le signalement du 4 janvier 2001 ne parvienne au parquet ;
Au demeurant, la perquisition, effectuée le 20 février 2001, au domicile des époux ..., a permis la saisie de très nombreuses cassettes vidéo pornographiques, dont l’une montrant des relations sexuelles entre eux à proximité d’un très jeune enfant, ainsi que de multiples objets et instruments à connotation sexuelle ;
Ce grief n’est donc pas fondé ;
4 - L'absence de recherche de précédent
Dans une note du 8 décembre 2000, l’UTASS mentionnait que … avait confié, qu’entendu par les services de police au sujet d’une agression sexuelle dont s’était antérieurement plaint …, il avait, à la demande de sa mère, menti afin de disculper son père ;
Il est reproché à M. X le fait que cette précédente procédure, ultérieurement versée au dossier de l’information, n’avait pas alors été recherchée ;
Si la recherche des précédents est courante dans ce type de contentieux, l’information essentielle pour la bonne compréhension du contexte familial était détaillée dans la note même de l’UTASS qui relatait, d’une part, les circonstances dans lesquelles … avait témoigné dans une affaire d’agression sexuelle dont son frère … aurait été victime et, d’autre part, les propos de l’enfant : « Tu te rappelles quand j’étais à la police pour raconter ce qu’il s’était passé avec …. J’avais du mal à dire “le monsieur”, j’étais bloqué parce que “le monsieur” c’était mon père ! Maman nous a obligés à inventer une histoire pour qu’on comprend pas que c’était Papa » ;
Il est ainsi établi que l’absence de recherche de ce précédent n’était pas de nature à dissimuler un élément susceptible de fragiliser la poursuite ;
La détermination, par le procureur de la République, des diligences à accomplir au cours de l’enquête préliminaire relève de ses pouvoirs propres et ne saurait revêtir les caractères d’une faute disciplinaire, dès lors qu’elle ne révèle pas, de sa part, un manque de rigueur d’une particulière gravité ou une volonté de nuire aux droits des parties ;
5 - L’absence de directives écrites concernant la manière de traiter les affaires de mineurs
Tout en admettant que ce grief doit être apprécié au regard de la taille du parquet de …, « supposée permettre des relations informelles qui étaient incontestablement facilitées par la disponibilité du procureur de la République », le garde des sceaux soutient qu’il « trouve son fondement dans le renouvellement constant des effectifs du parquet, et dans le manque d’expérience des substituts chargés ponctuellement d’affaires de cette nature » ;
Toutefois, aucune circulaire du garde des sceaux, ni aucune instruction du procureur général à … n’imposaient, à l’échelon national pour le premier nommé ou dans le ressort de la cour pour le second, la formalisation par écrit de directives concernant la manière de traiter les affaires de mineurs ; il est, en outre, établi que M. X consacrait une partie notable de ses activités à parfaire la formation des substituts nouvellement nommés et avait pris l’initiative, avant toute obligation légale, d’établir avec le conseil général du … et la direction départementale de la protection judiciaire de la jeunesse, une charte, signée le 23 juillet 1996, relative aux modalités d’audition d’un mineur présumé victime de maltraitance permettant l’utilisation de moyens vidéographiques ;
Le grief ne revêt pas le caractère d’une faute disciplinaire ;
B - Le suivi de l’information et la préparation des débats devant la cour d’assises
Trois reproches sont articulés : une intervention aux seuls « points de passage obligés prévus par le code de procédure pénale », l’absence de citation, comme témoin, devant la cour d’assises, d’un enquêteur du commissariat de … ou du SRPJ de …, le fait d’avoir décliné la proposition émise par le procureur général de désigner deux magistrats pour occuper le siège du ministère public à la cour d’assises de … ;
1 - Une intervention aux seuls « points de passage obligés prévus par le code de procédure pénale »
Le garde des sceaux reproche à M. X de n’être intervenu, postérieurement au réquisitoire introductif du 22 février 2001, qu’aux « points de passage obligés » que sont la délivrance des réquisitoires supplétifs, le suivi du contentieux de la détention et la rédaction du réquisitoire définitif ;
D’une part, il résulte des débats et du rapport de l’inspection générale des services judiciaires que des échanges existaient entre le juge d’instruction et le procureur de la République, qui témoignent du suivi effectif de l’information par ce dernier ;
D’autre part, M. X s’est conformé, tout au long de l’information, aux prescriptions du code de procédure pénale et n’a pas reçu d’instructions du parquet général auxquelles il se serait dérobé ;
Ce grief n’est, par conséquent, pas fondé ;
2 - L’absence de citation, comme témoin, devant la cour d’assises, d’un enquêteur du commissariat de … ou du SRPJ de …
Il est reproché à M. X de n’avoir, contrairement à la pratique usuelle des parquets, fait citer devant la cour d’assises de … aucun enquêteur du commissariat de … ou du SRPJ de … ;
L’établissement, par le ministère public, de la liste des personnes qu’il entend faire citer comme témoins relève du pouvoir discrétionnaire qui lui est reconnu par l’article 281 du code de procédure pénale ; l’exercice d’un tel pouvoir, dès lors qu’il n’a pas été détourné par M. X pour faire obstacle aux droits des accusés ou nuire à la manifestation de la vérité, n’est pas susceptible de constituer une faute disciplinaire ;
3 - Le fait d’avoir décliné la proposition émise par le procureur général de désigner deux magistrats pour occuper le siège du ministère public à la cour d’assises de …
Le garde des sceaux fait grief à M. X d’avoir décliné cette proposition, alors qu’une présence renforcée du parquet aurait permis d’affronter plus efficacement les difficultés progressivement rencontrées au cours des débats ;
En application des articles 34 et 39 du code de procédure pénale, dès lors que le siège du ministère public n’était pas occupé par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de …, la désignation du ou des magistrats chargés de représenter le ministère public auprès de la cour d’assises du … incombait au seul procureur général ; l’inspection générale des services judiciaires a conclu que la densité et la durée prévisible des débats auraient dû raisonnablement conduire le procureur général à accorder une plus grande attention à la question du choix du ou des magistrats du parquet appelés à soutenir l’accusation, soit en désignant un autre membre du parquet, ne serait-ce que pour pallier tout événement imprévu pouvant affecter le déroulement de l’audience, soit en optant pour un magistrat ayant déjà eu l’expérience d’un procès « hors norme » ;
Si M. X, consulté par le procureur général de …, sur l’opportunité de lui adjoindre un autre magistrat pour soutenir l’accusation, a estimé qu’il pouvait assumer seul cette responsabilité, il n’a ni empiété sur les attributions du procureur général, auquel il appartenait de prendre la décision, ni refusé de se soumettre à cette décision quelle qu’elle soit ; dès lors, la seule opinion émise par M. X ne caractérise pas un comportement déloyal ou indigne susceptible de revêtir une qualification disciplinaire ;
C - Les relations entretenues avec le parquet général
Sont reprochés à M. X la présentation de l’affaire sous un jour que le contenu de la procédure ne venait pas corroborer, le non-établissement de rapports administratifs sur une période de plus de huit mois, persistant ainsi dans une présentation de l’affaire ne tenant pas compte d’évolutions significatives justifiant son réexamen ;
1 - La présentation de l’affaire sous un jour que le contenu de la procédure ne venait pas corroborer : période du 26 juin 2001 au 16 janvier 2002
Il est fait grief à M. X d’avoir adressé des rapports administratifs et des rapports d’appel rendant compte de l’affaire en des termes non étayés par les éléments du dossier d’information et d’avoir présenté, à tort, l’affaire comme celle d’un réseau de pédophiles à l’origine d’un trafic de cassettes pornographiques aux dimensions internationales, ce qui a altéré l’information reçue par le parquet général et transmise à la chancellerie ;
1.1 - Sur la conformité des rapports administratifs et des rapports d’appel aux pièces de la procédure
1.1.1 - Les rapports administratifs
Le garde des sceaux reproche à M. X d’avoir, dans cinq rapports administratifs, livré une présentation de certains aspects de l’affaire … ne correspondant pas aux éléments objectifs figurant au dossier ;
Dans un rapport du 26 juin 2001, M. X a écrit qu’il était « avéré que les adultes tiraient également profit de l’exploitation sexuelle des enfants à l’occasion de la réalisation de documents pornographiques destinés à être commercialisés, une officine … de vente de cassettes pornographiques ayant, de toute évidence, servi d’intermédiaire dans ce négoce qui paraissait également mobiliser des structures équivalentes en … », réseau pouvant impliquer « des personnes influentes au sein de la ville de … » alors, selon le garde des sceaux, qu’« à ce stade de l’information, ces affirmations ne reposaient que sur des déclarations – celles de Mme … en date du 28 mai 2001, et celles de … et … rapportées par les notes de la DEF – lesquelles n’avaient été suivies d’aucune vérification » ;
Dans un rapport du 7 septembre 2001, M. X a précisé que les derniers développements laissent à penser que de nombreux abus sexuels avaient été perpétrés dans la finalité de les enregistrer sur des supports vidéo qui avaient été, par la suite, négociés sur le marché international dans des conditions fructueuses par l’intermédiaire d’une officine … », alors, selon le garde des sceaux, que l’existence d’un réseau international résultait essentiellement de l’interrogatoire, le 27 août 2001, de Mme … dont les dires n’étaient que partiellement corroborés par la déposition de son fils … devant les services de police » ;
Il est encore fait grief à M. X, d’avoir, dans un rapport du 14 novembre 2001, présenté MM. … père et fils comme « des exploitants d’une entreprise établie en … réalisant des cassettes vidéo » et d’avoir indiqué, dans un rapport du 16 novembre 2001, qu’ils « ont vu leur responsabilité retenue pour des faits qualifiés de réalisation d’images pornographiques intéressant des mineurs en relation avec l’exploitation de leur activité vidéo en … » ;
Enfin, il est reproché à M. X d’avoir, dans un rapport du 21 décembre 2001, présenté M. … fils comme « l’un des acteurs essentiels du réseau » animant « au côté de son père la structure à l’origine de l’enregistrement et de la diffusion des images pornographiques des mineurs » alors, selon le garde de sceaux, que les vérifications entreprises par les autorités judiciaires s’étaient révélées infructueuses dès l’automne 2001 et n’étaient donc pas venues confirmer les affirmations de Mme … et de deux de ses enfants quant à l’implication des consorts … dans l’organisation d’un réseau » ;
L’analyse objective et rigoureuse des pièces de la procédure ne permet pas de conforter les mentions de ces rapports, et notamment ne valide pas les indications selon lesquelles … père et … fils auraient été les exploitants d’une entreprise établie en … réalisant des cassettes vidéo » ;
1.1.2 - Les rapports d’appel
Il est reproché à M. X d’avoir repris, en partie, les termes des rapports administratifs dans des rapports d’appel ; sur seize de ces rapports couvrant la période jusqu’au 26 janvier 2002, quatre reprennent des formulations critiquées par le garde des sceaux et figurant dans les rapports administratifs ;
Dans trois rapports des 26 juin 2001, 17 juillet 2001 et 20 août 2001, figure la mention selon laquelle « il était avéré que les adultes tiraient profit de l’exploitation sexuelle des enfants lors de la réalisation de documents pornographiques destinés à être commercialisés, une officine … de vente de cassettes pornographiques ayant, de toute évidence, servi d’intermédiaire dans ce négoce qui paraissait également mobiliser des structures équivalentes en … » ; dans un quatrième rapport, en date du 31 décembre 2001, se trouve l’indication, erronée, selon laquelle « … » serait « un des acteurs essentiels du réseau » ;
Il apparaît ainsi que les rapports d’appel ont, eux aussi, rendu compte inexactement des faits de la cause ;
1.2 - Sur la responsabilité de M. X
M. X a indiqué avoir rédigé ces rapports, tant administratifs que d’appel, dont il était alors convaincu du bien-fondé, à partir des éléments de la procédure et de la connaissance qu’il avait de l’affaire ;
La présentation péremptoire, parcellaire et réitérée de faits ne rendant pas compte du contenu réel du dossier ne constitue pas un manquement au devoir de loyauté, dès lors qu’il n’est pas établi que M. X aurait sciemment tenté de travestir la vérité en présentant comme vrais des faits non corroborés par les éléments de la procédure ; elle traduit, en revanche, un défaut de rigueur de sa part ;
Par sa gravité et la répétition de ses manifestations, un tel manquement excède les limites de ce que permettrait de justifier la lourdeur des tâches pesant sur le parquet de … et caractérise une faute professionnelle ;
Selon l’alinéa 2 de l’article 43 de l’ordonnance statutaire du 22 décembre 1958, « cette faute [disciplinaire] s’apprécie pour un membre du parquet […], compte tenu des obligations qui découlent de sa subordination hiérarchique » ;
Si le principe hiérarchique, inscrit à l’article 5 de l’ordonnance précitée, sur lequel est fondée l’organisation statutaire du ministère public et auquel tout magistrat du parquet est soumis, confère à l’autorité supérieure le pouvoir de donner des instructions, il est également, pour cette dernière, source d’obligations, dont celles de vérifier et valider les informations reçues et transmises ;
Or, l’envoi des rapports administratifs au parquet général de … n’a entraîné, de la part de celui-ci, aucune demande de renseignement complémentaire, alors même que les rapports, en dates des 26 juin, 7 septembre et 21 décembre 2001, étaient accompagnés de pièces de procédure n’en corroborant pas les mentions et qu’une copie intégrale du dossier, en permanence actualisée, était à sa disposition ;
À aucun moment de la procédure, le parquet général et la direction des affaires criminelles et des grâces, informés du contenu du dossier, n’ont appelé l’attention du procureur de la République sur le décalage existant entre le contenu de ses rapports et les pièces qui y étaient jointes, ni usé de leur pouvoir d’instruction ; ce constat n’exonère cependant pas M. X de sa responsabilité ;
2 - Le non établissement de rapport administratif sur une période de plus de huit mois : du 16 janvier au 10 octobre 2002
Le garde des sceaux reproche à M. X de n’avoir pas établi de rapport administratif, entre le 16 janvier et le 10 octobre 2002, en dépit des évolutions notables de la procédure, s’agissant d’une part des revirements constatés dans les déclarations de … concernant le fait d’homicide d’une fillette, d’autre part de la disjonction de cet aspect du dossier et, enfin, de la réception du rapport de synthèse du 4 mars 2002, établi par la police, qui exprimait des doutes sur la fiabilité des déclarations de … ; ces éléments, selon le garde des sceaux, « étaient de nature à modifier la perception du dossier d’instruction et l’analyse initiale du procureur de la République » ;
M. X a indiqué avoir entretenu des relations très régulières au sujet de cette procédure, tant avec le procureur général près la cour d’appel de …, qu’avec les magistrats de son parquet général ;
Lors de son entretien avec l’inspection générale des services judiciaires, le procureur général a souligné l’existence de relations régulières entre le parquet de … et le parquet de la cour d’appel permettant l’échange d’informations sur le dossier ; il a précisé, tant devant les rapporteurs qu’au cours des débats, que, de manière générale, M. X téléphonait régulièrement et qu’il n’avait pas besoin d’aller chercher l’information ;
S’agissant d’abord du revirement de M. …, intervenu lors de son interrogatoire du 19 février 2002, M. X a précisé, sans être démenti, en avoir rendu compte oralement au procureur général ;
Au surplus, il a mentionné ce changement d’attitude dans plusieurs rapports d’appel, en dates des 4, 18, 25 avril, 28, 29 mai, 10 juin, 2 juillet et 4 septembre 2002 ; il n’a, toutefois, fait référence expressément à la disparition de la fillette et aux rétractations de … sur ce point que dans deux rapports en dates des 19 juillet et 17 septembre 2002 ;
L’ordonnance de disjonction des faits de meurtre commis sur une fillette, rendue le 19 avril 2002, a fait l’objet d’un recours de la part de … et … ; deux rapports d’appel ont été établis à cette occasion, le 28 mai 2002, portant ainsi à la connaissance du parquet général l’option procédurale prise par M. X qui a déclaré, sans être démenti, en avoir oralement avisé le procureur général ;
Enfin, le rapport de synthèse du 4 mars 2002 de la police …, transmis en exécution de la commission rogatoire internationale du 7 septembre 2001 qui exprimait précisément des doutes sur la fiabilité des déclarations de Mme … et de ses enfants, a été adressé, le 29 mars 2002, par le parquet général de … au secrétariat du tribunal de grande instance de …, qui l’a reçu le 3 avril 2002 ; il est ainsi établi que le parquet général a eu connaissance de ce rapport ;
Eu égard à l’importance de la procédure et à sa gravité, il aurait été souhaitable que, durant cette période, M. X établît des rapports administratifs destinés à la mettre en perspective ;
Toutefois, cette carence ne peut être considérée comme fautive, dès lors que l’information du parquet général a résulté, en partie, des rapports d’appel et de comptes rendus téléphoniques et que le procureur général avait également le devoir d’assurer le suivi de la procédure et de solliciter des éléments complémentaires, alors même qu’il était informé par d’autres voies des évolutions de celle-ci ; par ailleurs, des articles parus dans la presse nationale à partir de février 2002 mettaient en cause la conduite de l’information judiciaire et relataient, notamment, les rétractations de M. … quant au meurtre de la fillette ;
Or, ne figure à la procédure qu’une seule demande écrite de renseignements du parquet général, en date du 21 mai 2002 ;
Le grief selon lequel le procureur de la République n’aurait pas informé le parquet général des évolutions notables du dossier manque donc en fait ;
Pour l’ensemble des raisons ci-dessus exposées, les éléments contenus dans les griefs formulés par le garde des sceaux, ministre de la justice, à rencontre de M. X, ne peuvent être considérés comme des fautes disciplinaires, à l’exception de ceux tirés du défaut de fiabilité de l’information transmise au parquet général ;
La présentation péremptoire, parcellaire et réitérée de faits ne rendant pas compte du contenu réel du dossier traduit, en effet, en dépit de l’absence de réaction de la hiérarchie du ministère public, un manquement au devoir de rigueur qu’impose l’état de magistrat et, tout particulièrement, celui de chef de parquet ;
La loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie dispose dans son article 11 que « Sont amnistiés les faits commis avant le 17 mai 2002 en tant qu’ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles » et précise, dans son quatrième alinéa, que « sont exceptés du bénéfice de l’amnistie prévue par le présent article les faits constituant des manquements à l’honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs » ;
Les faits, constitutifs d’une faute disciplinaire, relevés à l’encontre de M. X, commis antérieurement au 17 mai 2002, ne constituent pas un manquement à la probité ou aux bonnes mœurs ; en l’absence d’une volonté délibérée du procureur de la République d’induire en erreur le procureur général, ils ne sont pas non plus contraires à l’honneur et, de ce fait, sont amnistiés ;
Par ces motifs,
Donne acte à M. X de la parution d’un article de presse le 17 mai 2008 renfermant des indications sur les sanctions que la chancellerie demanderait à son encontre ;
Dit que les faits reprochés à M. X, à l’exception de ceux tirés du défaut de fiabilité de l’information transmise au parquet général, ne constituent pas des fautes disciplinaires ;
Constate que les faits constitutifs d’une faute disciplinaire sont amnistiés ;
Émet, en conséquence, l’avis qu’il n’y a lieu à sanction disciplinaire ;
Dit que le présent avis sera transmis à Mme le garde des sceaux et notifié à M. X par les soins du secrétaire soussigné.