Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
21/07/2022
Qualification(s) disciplinaire(s)
Atteinte à l'image et à l'autorité de la justice, Manquement à l'obligation de diligence, au devoir de rigueur et au sens des responsabilités, Manquement au devoir de loyauté et de délicatesse
Décision
interdiction d'être nommé ou désigné dans des fonctions de juge unique pendant cinq ans
Mots-clés
Juge des enfants
Avertissement
retards chroniques
gestion de cabinet
pratiques professionnelles
formation continue
manquement aux devoirs de diligence
de rigueur professionnelle
de loyauté
de délicatesse
d’impartialité
atteinte portée au crédit de l’institution judiciaire
Fonction
vice-président chargé des fonctions de juge des enfants
Résumé
par l’accumulation et la persistance de retards dans la rédaction de ses décisions et l’audiencement des dossiers pénaux, ce magistrat a manqué à son devoir de diligence. Il a également manqué, d’une part, à son devoir de rigueur professionnelle en intervenant dans le dossier d’un collègue, en congé, sans consulter préalablement les éléments objectifs du dossier, d’autre part, à ses devoirs de loyauté et de délicatesse en n’avisant pas de son intervention ce dernier à son retour. En se soustrayant à son obligation de formation continue malgré les conseils reçus, il a, par ailleurs, manqué à ses devoirs de compétence et de rigueur professionnelle. En revanche, il n’appartient pas à la juridiction disciplinaire d’apprécier les choix d’un juge des enfants dans le traitement des procédures qui lui sont confiées, ses appréciations sur le fond des dossiers manifestés au cours des audiences ne pouvant être contestées que par les voies procédurales ; aucun manquement disciplinaire ne saurait, dès lors, être retenu à ce titre.

CONSEIL

SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

 

Conseil de discipline des magistrats

du siège

 

 

 

DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE

 

 

 

Dans la procédure mettant en cause :

 

Monsieur X

Précédemment vice-président chargé des fonctions de juge des enfants au tribunal judiciaire de XX et actuellement vice-président au tribunal judiciaire de XXX

 

Le Conseil supérieur de la magistrature,

Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,

 

Sous la présidence de M. Didier Guérin, président de chambre honoraire en activité à la Cour de cassation, président suppléant de la formation,

 

 

En présence de :

 

Mme Sandrine Clavel

M. Yves Saint-Geours

M. Georges Bergougnous 

Mme Natalie Fricero 

M. Jean-Christophe Galloux

M. Franck Natali

M. Olivier Schrameck

M. Régis Vanhasbrouck

M. Benoit Giraud

Mme Virginie Duval

M. Benoist Hurel

Membres du Conseil, siégeant,

 

 

Assistés de Mme Hélène Bussière, secrétaire générale adjointe du Conseil supérieur de la magistrature et de Mme Aurélie Vaudry, greffière ;

 

Vu l’article 65 de la Constitution ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;

 

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

 

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

 

Vu l’acte de saisine du garde des sceaux, ministre de la justice du 30 avril 2021, reçu au Conseil le 6 mai 2021, ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;

 

Vu l’ordonnance du 20 mai 2021 désignant M. Cédric Cabut en tant que rapporteur ;

 

Vu l’ordonnance du 8 juin 2022 désignant Mme Duval en qualité de rapporteur en remplacement de M. Cabut, décédé le 13 mai 2022 ;

 

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X mis préalablement à sa disposition ;

 

Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;

 

Vu la convocation à l’audience du 14 juin 2022 envoyé par LRAR à Mme la première présidente de la cour d’appel de XXXX, dont M. X a eu notification par la voie hiérarchique le 20 juin 2022 ;

 

Après avoir entendu :

 

- le rapport de Mme Duval ;

 

- les observations de Mme Soizic Guillaume, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, assistée par Mme Joanna Garreau, adjointe au chef du bureau du statut et de la déontologie de cette même direction, qui a demandé le prononcé de la sanction disciplinaire de mise à la retraite d’office en application de l’article 45 6° de l’ordonnance statutaire, à l’encontre de M. X ;

- les explications et moyens de défense de M. X qui a eu la parole en dernier ;

A rendu la présente

DÉCISION

 

L'acte de saisine du garde des sceaux, ministre de la justice relève cinq griefs disciplinaires portant sur des manquements imputés à M. X :

  • Un manquement aux devoirs de diligence en accumulant les retards dans les rédactions de ses décisions, tant civiles que pénales, sans évolution notable de ses méthodes de travail malgré les rappels et les mises en garde de sa hiérarchie, en audiençant avec retard ses dossiers et ce alors même que son cabinet était normalement chargé par rapport aux autres cabinets de juges des enfants du ressort ;
  • Un manquement au devoir de compétence et de rigueur professionnelle en donnant la priorité à ses impressions personnelles au détriment des éléments objectifs des dossiers, en se fiant à l’impression de bonne foi donnée par la mère d’un enfant sans prendre la peine de consulter le dossier, en ne suivant pas les actions de formation relatives à sa fonction de juge des enfants qui lui ont été recommandées ;
  • Un manquement aux devoirs d’attention à autrui et de délicatesse ainsi qu’au devoir d’impartialité en instaurant à plusieurs reprises une proximité à l’égard de certains parents ou d’une personne tiers digne de confiance dans des situations mettant à mal sa relation avec les travailleurs sociaux ou les mineurs, en adressant des écrits ou en tenant des propos mettant très directement en cause l’action et les décisions de services sociaux de l’aide sociale à l’enfance, en tenant des propos en cours d’audience laissant paraître un positionnement en faveur des parents, en incitant une jeune mineure qui s’était déclarée victime d’agressions sexuelles de la part de son père à évoquer les faits alors qu’elle ne le souhaitait pas et en lui suggérant, à elle comme à son père, d’échanger par SMS pour se manifester ainsi leur affection, en soumettant enfin à un enfant  adopté qu’il recevait pour la première fois des documents lui révélant des informations sur les circonstances de son adoption et sur sa mère biologique ;
  • Un manquement à ses devoirs de loyauté et de délicatesse, en intervenant dans un dossier suivi par une collègue en congés sans l’en informer à son retour, en avisant le parent d’un mineur d’une enquête pénale en cours le concernant mais sans en aviser ses collègues du parquet des mineurs en charge de cette même enquête ;
  • Une atteinte portée au crédit, à l’autorité et à l’image de l’institution judiciaire par l’ensemble de ces insuffisances professionnelles et comportements.

Selon les dispositions du premier alinéa de l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée : « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».

L’avertissement ne figurant pas à la liste des sanctions disciplinaires de l’article 45 de l’ordonnance précitée, les faits qui ont donné lieu à une telle mesure demeurent passibles de sanctions disciplinaires.

Sur les faits à l’origine des poursuites disciplinaires

Installé, le 4 janvier 2016, en qualité de vice-président chargé des fonctions de juge des enfants au tribunal de grande instance de XX, M. X rencontrait des difficultés dans la gestion de son cabinet et ses pratiques professionnelles.

Le 28 mai 2019, le premier président de la cour d’appel de XXXXX lui délivrait un avertissement pour, d’une part, manquement aux devoirs de l’état de magistrat, notamment l’obligation de diligence et d’efficacité, compte tenu de retards dans le traitement de procédures civiles et pénales ayant contraint le président du tribunal judiciaire de XX à procéder à cinq états des lieux de son cabinet au cours des deux dernières années, et pour d’autre part, manquement au devoir de loyauté à l’égard d’une collègue à la suite de son intervention dans l’un de ses dossiers, en son absence, demandant aux services sociaux et à la gendarmerie de suspendre l’exécution, par recours à la force publique, de la décision de placement d’un mineur qu’elle avait prise, sans consulter le dossier ni la prévenir à son retour de cet événement.

Postérieurement à cet avertissement, les difficultés persistaient. Dans un rapport adressé à la direction des services judiciaires le 24 juillet 2020, le premier président de la cour d’appel de XXXXX faisait notamment état des retards de M. X dans le prononcé et la formalisation de ses décisions, de la tenue problématique des audiences d’assistance éducative, des propos ou écrits exprimant sa défiance envers les services éducatifs, des positions contraires à celles adoptées par l’ensemble de ses collègues en matière de choix éducatifs. Il ajoutait que les pratiques professionnelles de M. X heurtaient ses partenaires institutionnels et le marginalisaient au sein du tribunal pour enfants.

Par lettre du 20 août 2020, la directrice du cabinet du garde des sceaux, ministre de la justice, saisissait l’inspection générale de la justice d’une enquête administrative relative à M. X, laquelle déposait son rapport le 19 février 2021.

Nommé par décret du 5 août 2021, M. X était installé le 1er septembre 2021 en qualité de vice-président au tribunal judiciaire de XXX.

Sur le manquement au devoir de diligence

En premier lieu, le rapport d’enquête administrative de l’inspection générale de la justice établit des retards récurrents dans la gestion des dossiers d’assistance éducative de M. X qui ont justifié un contrôle permanent par le président du tribunal judiciaire de XX dès le mois de septembre 2016.

Les différents états des lieux réalisés entre le 7 décembre 2016 et le 6 août 2020 révèlent qu’en matière d’assistance éducative, M. X accusait un retard de rédaction jusqu’à trois à quatre mois. Ainsi, 24 jugements prononcés mais non rédigés étaient dénombrés en septembre 2016, 19 en avril 2017, 30 en juillet 2017, 28 en octobre 2017, 14 en avril 2018, 41 en avril 2019 et 34 en août 2020.

M. X a toujours admis les retards dans la gestion de son cabinet - même s’il nuance les chiffres de l’état des lieux – qu’il explique par l’importance de sa charge de travail. Il est conscient qu’il aurait dû réduire la durée ou le nombre de ses audiences en allongeant par exemple la durée de validité des mesures éducatives pour être à jour, ce qu’il ne s’est jamais résigné à faire pour demeurer fidèle à sa conception de la fonction de juge des enfants. Au moment de l’enquête administrative, il accusait un retard compris entre 20 et 40 jugements.

 

En dépit du stock d’affaires trouvé à son arrivée lié à la vacance du cabinet pendant quatre mois et du fait que ce dernier comprenait le nombre le plus élevé de dossiers d’assistance éducative en compensation de la décharge de certaines activités dont il bénéficiait à la différence de ses collègues entre lesquels étaient répartis les missions de coordination du service, les dossiers d’application des peines et  le traitement des dossiers de mineurs non accompagnés, la charge de travail globale de M. X correspondait à celle de ses collègues, ce d’autant que des opérations de rééquilibrage entre les cabinets étaient régulièrement effectuées. De surcroit, cette charge était équivalente à celle des autres cabinets du ressort de la cour d’appel de XXXXX et correspondait aux recommandations de la Chancellerie.

En second lieu, le rapport d’enquête administrative de l’inspection générale de la justice objective des insuffisances chroniques dans le traitement des procédures pénales, ce que M. X ne conteste pas au demeurant, reconnaissant prioriser l’assistance éducative.

Il est ainsi noté qu’en 2018, M. X a été saisi de 70 affaires nouvelles pour 13 affaires terminées et 81 jugements en attente de convocation en cabinet ou devant le tribunal pour enfants. En 2019, la situation se dégradait puisqu’il était saisi de 135 affaires nouvelles pour 24 affaires terminées et 133 jugements en attente de convocation en cabinet ou devant le tribunal pour enfants. Au premier semestre 2020, 51 affaires nouvelles étaient enregistrées pour 25 affaires terminées et 133 jugements en attente de convocation en cabinet ou devant le tribunal pour enfants.

S’il est exact que le tribunal pour enfants de XX était sous tension en matière pénale en raison d’un déficit structurel d’effectifs de greffe et que le cabinet de M. X souffrait également de retard en cette matière à son arrivée, il n’en demeure pas moins que son investissement s’est avéré insuffisant pour écouler le stock conformément à ce qui pouvait être raisonnablement attendu d’un juge des enfants expérimenté comme il l’était.

 

Par l’accumulation et la persistance de retards, d’une part, dans la rédaction de ses décisions tant civiles que pénales, d’autre part, dans l’audiencement de ses dossiers pénaux, sans remise en cause ni évolution de ses méthodes de travail en dépit d’avertissements et alors que la charge de travail de son cabinet n’excédait pas les normes locale et nationale, M. X a manqué au devoir de diligence.

 

Les retards constatés dans la notification des décisions civiles de M. X ne sauraient, en revanche, être retenus à son encontre, la notification des décisions n’étant pas du ressort du magistrat.

 

Sur le manquement aux devoirs de compétence, de rigueur professionnelle, de loyauté et de délicatesse

 

Sur la remise en cause d’une décision d’exécution forcée d’un placement en l’absence du magistrat titulaire du dossier

 

Selon le rapport d’enquête administrative de l’inspection générale de la justice, l’exécution forcée d’un placement ordonné par une collègue de M. X en raison de l’attitude fuyante de la mère de l’enfant devait intervenir pendant les congés d’automne 2018, en l’absence de la juge des enfants titulaire du dossier.

 

M. X a reçu cette mère, qui s’est présentée à deux reprises au tribunal, en dehors de toute audience et sans même prendre connaissance du dossier avant d’adresser un courrier au service de l’aide sociale à l’enfance mentionnant que « l’urgence était moindre » et que la mère semblait de « bonne foi », courrier qu’il n’a pas versé au dossier en dépit de la demande de la greffière du cabinet en question. Il a en outre pris l’attache d’un capitaine de police dans le but de tempérer l’action des forces de l’ordre.

 

M. X explique avoir remarqué, à plusieurs reprises, la présence de cette mère au tribunal. Alors qu’il était de permanence, il a fini par la recevoir et celle-ci lui a indiqué qu’elle souhaitait, plutôt que le placement forcé envisagé, confier elle-même son enfant au service de l’aide sociale à l’enfance. Elle lui est apparue « sincère » et de « bonne foi ». Il insiste sur le fait que le danger n’était alors pas perceptible dès lors qu’un droit de visite et d’hébergement avait été maintenu, au profit de la mère, pendant les fins de semaine et que le service de l’aide sociale à l’enfance, dont il avait préalablement pris l’attache, ne lui avait pas fait part de l’existence d’un tel danger. Il précise que, par son intervention, il a différé l’exécution forcée sans l’annuler ni même ordonner la mainlevée du placement. Il souligne sa volonté d’« éviter à l’enfant le traumatisme d’un arrachement brutal par la police alors qu’une solution amiable semblait pouvoir se dessiner ». Tant devant le rapporteur qu’à l’audience, M. X a admis qu’il aurait dû consulter le dossier et qu’il aurait dû faire connaître à sa collègue, à son retour de congés, son intervention dans le dossier qu’elle suivait, celle-ci l’ayant appris par les services de police, le parquet et les services sociaux. M. X ne l’a pas avisée par manque de « courage », précisant qu’il entretenait avec elle de mauvaises relations.

 

S’il ne saurait, par principe, être reproché à un juge des enfants d’intervenir dans un dossier suivi par sa collègue, en congés, alors qu’il était de permanence, il n’en demeure pas moins que M. X n’a, en l’occurrence, pas jugé utile de consulter préalablement les éléments objectifs du dossier. En ce sens, il a manqué à son devoir de rigueur professionnelle.

 

M. X a, en outre, manqué à ses devoirs de loyauté et de délicatesse en n’informant pas sa collègue, à son retour, de son intervention dans son dossier et en refusant de verser au dossier le courrier qu’il avait adressé au service de l’aide sociale à l’enfance, en dépit de la demande de la greffière du cabinet en question.

 

Sur la formation continue

 

M. X a rencontré des difficultés d’organisation et de gestion nécessitant un soutien hiérarchique constant dès ses premiers mois de fonction de juge des enfants au tribunal de grande instance, devenu plus tard le tribunal judiciaire, de XX. Pour y remédier, il a été invité, notamment au cours de ses entretiens d’évaluation, à suivre des formations relatives à sa fonction. Il n’a pas donné suite à ces recommandations, estimant que sa charge de travail ne lui laissait pas le temps nécessaire.

 

En se soustrayant ainsi à son obligation de formation continue malgré les conseils reçus, M. X a manqué à ses devoirs de compétence et de rigueur professionnelle.

 

Sur la révélation d’une enquête pénale en cours à un parent sans concertation avec le parquet

 

Dans sa saisine, le garde des sceaux, ministre de la justice fait état d’un courrier du service de l’aide sociale à l’enfance du 7 avril 2020 adressé à une vice-procureur de la République près le tribunal judiciaire de XX à laquelle était annexé un courrier du 18 mars 2020 aux termes duquel M. X aurait porté à la connaissance du père d’un mineur l’existence d’une enquête pénale en cours.

 

Force est toutefois de constater que ce courrier évoque les faits qui ont donné lieu à l’enquête pénale et non l’existence de celle-ci en tant que telle. En effet, M. X y invite le père du mineur à veiller à ce que celui-ci ne dorme pas avec son frère, ce dernier étant « susceptible d’être perturbé par ce qu’il déclare avoir subi de la part de son oncle ». M. X précise : « on sait, d’expérience, que d’agressée, une victime peut devenir agresseur. » 

 

Il résulte d’ailleurs du rapport d’enquête administrative de l’inspection générale de la justice que c’est le service de l’aide sociale à l’enfance qui s’est interrogé sur le respect du secret de l’enquête pénale par M. X, lequel explique avoir agi ainsi pour protéger le mineur.

 

Par son courrier certes inhabituel, M. X n’avait d’autre intention que de mettre en garde le père du mineur. Dès lors, aucun manquement disciplinaire ne saurait être retenu à ce titre.

 

Sur le manquement aux devoirs d’attention à autrui, de délicatesse et d’impartialité

 

Les griefs retenus à ce titre se rapportent au positionnement professionnel de M. X.

 

Le rapport d’enquête administrative de l’inspection générale de la justice souligne que dès décembre 2016, les services sociaux ont avisé le président du tribunal de grande instance de XX de la défiance témoignée par M. X à leur égard. Ils lui ont fait part de leurs doutes quant à sa conception de l’intérêt de l’enfant, principalement centrée sur le maintien de celui-ci dans sa famille. Cette situation occasionnant de la souffrance au travail, des travailleurs sociaux ont été autorisés à ne plus participer systématiquement aux audiences de M. X, à partir de septembre 2017.

 

Ce rapport tend ensuite à établir que M. X pouvait privilégier son ressenti d’audience sur des constatations médicales dans des situations de violence, qu’il avait tendance à mésestimer les avis des experts en cas de maltraitance et qu’il faisait preuve d’un parti pris systématiquement favorable aux parents indépendamment des éléments objectifs des dossiers. L’attention qu’il portait aux violences sexuelles était en outre jugée insuffisante.

 

Ce rapport pointe enfin les difficultés de M. X à adopter la bonne distance, notamment à l’égard de tiers digne de confiance ou de familles, et à gérer les incidents d’audience. Le contenu de plusieurs courriers adressés aux familles est également qualifié d’inadapté. Il en est de même de propos tenus à une jeune fille victime d’agression sexuelle et de révélations faites de manière inopinée à un mineur sur les circonstances de son adoption.

 

Les griefs ainsi relevés, au demeurant contestés par M. X, reviennent à porter une appréciation sur celle que M. X a faite de la situation de danger des enfants, puis sur l'application qu'il faisait de l’article 375 du code civil. Or il n’appartient pas à la juridiction disciplinaire d’apprécier les choix d’un juge des enfants dans le traitement des procédures qui lui sont confiées et les appréciations sur le fond des dossiers qu’il peut manifester au cours des audiences, les services sociaux ne pouvant les contester que par les voies procédurales. En effet, en vertu du principe fondamental qui garantit l’indépendance des magistrats du siège, leurs décisions juridictionnelles ne peuvent être critiquées, dans les motifs et dans le dispositif qu’elles comportent, que par le seul exercice des voies de recours prévues par la loi.

 

La proximité dénoncée entre M. X et certains tiers, parents ou justiciables, n’est dès lors pas révélatrice d’un manque d’impartialité de sa part mais s’inscrit dans sa conduite de ses dossiers. Les propos rapportés sont, par ailleurs, insuffisants à caractériser un parti pris systématique en faveur des parents.

 

Par conséquent, ce manquement sera écarté.

 

Sur l’atteinte portée au crédit, à l’autorité et à l’image de l’institution judiciaire

 

Les retards récurrents de M. X dans la formalisation de ses décisions dans une matière aussi sensible que l’assistance éducative et dans le traitement des procédures pénales et plus généralement son insuffisance professionnelle dans la fonction de juge des enfants, caractérisent une atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer et par là-même, une atteinte tant à l’autorité qu’à l’image de l’institution.

 

Sur la sanction

 

Les évaluations professionnelles de M. X révèlent des difficultés d’organisation anciennes dans les fonctions spécialisées (à l’exception de celles de juge de l’application des peines) en dépit de son dévouement, de sa bonne volonté et de son sérieux.

 

Ces difficultés sont particulièrement aigües dans la fonction de juge des enfants qu’il avait déjà antérieurement exercée de manière problématique, ce qui ne peut que faire regretter sa nomination dans les fonctions de vice-président chargé des fonctions de juge des enfants au tribunal de XX. Lesdites difficultés ont été à l’origine des manquements relevés à son encontre.

 

En revanche, le dossier administratif de M. X comprend des évaluations élogieuses sur la période où il occupait des postes non spécialisés, ce que corrobore le dernier rapport sur sa manière de servir du 29 juin 2022. Aucun retard de délibérés n’est désormais déploré et M. X a su s’intégrer au sein d’un collectif de travail.

 

Aussi, il convient de prononcer à l’encontre de M. X la sanction disciplinaire d’interdiction d'être nommé ou désigné dans des fonctions de juge unique pendant cinq ans en application de l’article 45 3° bis de l’ordonnance du 22 décembre 1958, modifiée, portant loi organique relative au statut des magistrats.

 

 

PAR CES MOTIFS,

 

 

Le Conseil,

Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de Mme Duval, rapporteur ;

Statuant en audience publique, le 6 juillet 2022 pour les débats et le 21 juillet 2022, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

PRONONCE à l’encontre de M. X la sanction disciplinaire d’interdiction d'être nommé ou désigné dans des fonctions de juge unique pendant cinq ans.

La présente décision sera notifiée à M. X par la voie hiérarchique.

Une copie sera adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

 

 

 

La secrétaire générale adjointe

 

 

Hélène Bussière

Le président

 

 

Didier Guérin