Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
14/10/2020
Qualification(s) disciplinaire(s)
Atteinte à l'indépendance d'un magistrat, Manquement à l'obligation de diligence, au devoir de rigueur et au sens des responsabilités, Manquement au devoir de délicatesse, Manquement au devoir de loyauté à l'égard des supérieurs hiérarchiques
Décision
Abaissement d’échelon assorti du déplacement d’office
Mots-clés
Rigueur professionnelle
sens des responsabilités
conscience professionnelle
Diligence
Juge des libertés et de la détention
liberté individuelle
devoir de vigilance
défaillance informatique
contrainte personnelle
Indépendance
Délicatesse
Loyauté
Supérieur hiérarchique
Retards
Retards dans les délibérés
Fonction
Président de juridiction
Résumé
Sur le manquement à la rigueur professionnelle, au devoir d’efficacité, de diligence et de compétence, au sens des responsabilités professionnelles et à la conscience professionnelle dans l'exercice de l'activité de juge des libertés et de la détention : Il appartient à tout magistrat, dans l’exercice de ses fonctions de juge des libertés et de la détention, de vérifier plus particulièrement le titre de détention émis et de s’assurer des motifs de l’ordonnance de placement en détention provisoire générée par le greffe, une défaillance informatique n’étant pas de nature à atténuer son devoir de vigilance, qui plus est dans une matière mettant en cause la liberté individuelle des personnes. Il appartient également à tout magistrat, exerçant en qualité de juge des libertés et de la détention, en l’espèce en étant titulaire de ce service depuis plusieurs mois et après un premier incident qui aurait dû le conduire à redoubler de vigilance, de s’assurer que les délais de convocation ont été respectés, ce d’autant plus que l’absence de l’avocat dans un dossier sensible peut révéler une difficulté procédurale. Enfin, eu égard au comportement par lequel un président de tribunal assurant la permanence du juge des libertés et de la détention, quitte la juridiction pour des raisons personnelles à 16 heures 30 en étant avisé de la tenue d’un débat de placement en détention provisoire, le Conseil considère que si ce magistrat a dû faire face à des contraintes personnelles d’organisation, il n’en reste pas moins qu’il était de permanence, qu’il lui appartenait d’anticiper de telles difficultés et de prendre en considération les conséquences de son départ de la juridiction, décidé unilatéralement et sans concertation, sur les autres acteurs de la juridiction et sur le devenir de la procédure. En ces trois circonstances ayant trait à son activité juridictionnelle de juge des libertés et de la détention, le magistrat concerné a manqué aux devoirs de rigueur professionnelle et au devoir de compétence, au sens des responsabilités professionnelles et à la conscience professionnelle qui s’imposent à tout juge, et a fortiori à celui qui occupe la position la plus élevée au sein du tribunal judiciaire au regard des responsabilités qui lui incombent. /// Sur le manquement à la rigueur professionnelle, au devoir d’efficacité, de diligence et de compétence, au sens des responsabilités professionnelles et à la conscience professionnelle dans l’exercice de son activité civile : Le comportement par lequel un magistrat délègue à un autre magistrat la rédaction de jugements pour une audience civile qu’il avait présidée et à laquelle le second n’avait pas participé, caractérise un manquement au devoir élémentaire d’un juge de fonder sa décision sur les éléments contradictoirement débattus devant lui lors d’une procédure orale. Il est constitutif d’un manquement au sens des responsabilités professionnelles s’imposant à tout magistrat et a fortiori à un chef de juridiction. La défaillance dans l’activité civile, caractérisée par des retards dans la rédaction de jugements et le constat d’importants retards de délibérés, inscrite dans la durée et dans des proportions particulièrement significatives, est constitutive d’une faute et caractérise un manquement aux devoirs de rigueur professionnelle et de conscience professionnelle qui s’entendent du devoir d’efficacité et de diligence dans le traitement des procédures confiées. /// sur l'atteinte à l’indépendance et manquement au devoir de délicatesse : Le comportement par lequel le président d’un tribunal intervient, alors qu’il assurait le service de juge des libertés et de la détention, auprès d’un juge d’instruction avec pour objectif de peser sur sa décision et d’en orienter le sens, s’analyse en une atteinte à l’indépendance de ce magistrat qu’il se devait précisément de garantir en sa qualité de chef de juridiction. Par l’attitude véhémente et autoritaire qu’il a manifestée à l’égard de ce magistrat, ce magistrat a en outre commis une faute constitutive d’un manquement au devoir de délicatesse et de respect. // Sur le manquement au devoir de diligence : Tout en prenant en considération les difficultés sérieuses inhérentes à la gestion d’une petite juridiction marquée par un déficit d’attractivité et des problèmes systémiques d’effectifs, le Conseil estime que celles-ci ne sauraient justifier la légèreté du président dans l’organisation du service dont l’enlisement a été provoqué par une vacance de poste. De même, la défaillance du greffe ne saurait atténuer la responsabilité de ce magistrat auquel il revenait de mettre en place les modalités d’organisation d’autant plus efficaces que ce greffe présentait des fragilités. Son incapacité, dans la gestion de la juridiction confiée à sa présidence, à décider des mesures propres à traiter les urgences et prévenir les caducités qui lui sont imputables, mais aussi à utiliser les instruments de contrôle nécessaires à une organisation correcte du service des tutelles, est caractérisée. De telles défaillances sont constitutives d’un manquement au devoir de diligence qui incombe aux chefs de juridiction au titre des responsabilités propres à leur fonction. // Sur le manquement au devoir de loyauté vis-à-vis de son supérieur hiérarchique : Le devoir de loyauté impose au magistrat d’informer son supérieur hiérarchique avec sincérité et de l’alerter sur les difficultés rencontrées avant une dégradation trop importante du service.

 

CONSEIL

SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

 

Conseil de discipline des magistrats

du siège

 

 

 

DÉCISION DU CONSEIL DE DISCIPLINE

 

 

Dans la procédure mettant en cause :

 

M. X

Président du tribunal judiciaire de xxxxx

 

Le Conseil supérieur de la magistrature,

             Statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège,

 

Sous la présidence de Madame Chantal Arens, Première présidente de la Cour de cassation, présidente de la formation,

 

En présence de :

 

Madame Sandrine Clavel,

Monsieur Yves Saint-Geours,

Madame Hélène Pauliat,

Monsieur Georges Bergougnous,

Madame Natalie Fricero,

Monsieur Frank Natali,

Monsieur Olivier Schrameck,

Monsieur Didier Guérin,

Monsieur Régis Vanhasbrouck,

Monsieur Benoît Giraud,

Monsieur Benoist Hurel,

Monsieur Cédric Cabut,

Madame Marie-Antoinette Houyvet,

 

Membres du Conseil, siégeant,

 

Assistés de Madame Sophie Havard, secrétaire générale adjointe du Conseil supérieur de la magistrature ;

 

Vu l’article 65 de la Constitution ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 58 ;

 

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

 

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

 

Vu l’acte de saisine de la garde des Sceaux, ministre de la justice, du 18 février 2020 ainsi que les pièces jointes à cette saisine ;

 

Vu l’ordonnance du 28 février 2020 désignant M. Benoist Hurel, membre du Conseil, en qualité de rapporteur ;

 

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de M. X mis préalablement à sa disposition, ainsi qu’à celle de ses conseils ;

 

             Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure ;

 

             Vu la convocation notifiée à M. X le 10 août 2020 ;

 

Vu la convocation adressée le 31 juillet 2020 à M. A, conseil premier choisi ;

 

Vu la demande de décharge de ses fonctions de président de juridiction formulée par M. X par courrier du 26 août 2020 ;

 

Vu la désignation par M. X de Mme B, conseil premier choisi en remplacement de M. A, empêché, et de Maître C, avocat au barreau de xxxxx, conseils désignés le 27 août 2020 pour l’assister ;

 

Vu la convocation adressée le 10 septembre 2020 à Mme B et Maître C, assistant M. X ;

 

Vu le mémoire produit par Me C, aux intérêts de M. X, du 14 septembre 2020 et ses annexes ;

 

Les débats s’étant déroulés en audience publique, à la Cour de cassation, le mercredi 16 septembre 2020 ;

 

Après avoir entendu :

 

            - le rapport de M. Benoist Hurel ;

- les observations de M. Paul Huber, directeur des services judiciaires, assisté de Mme Catherine Mathieu, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, de Mme Joanna Garreau et Mme Emilie Zuber, magistrates au bureau du statut et de la déontologie de cette même direction, qui a demandé la rétrogradation assortie du déplacement d’office de M. X ;

- les explications et moyens de défense de M. X, de Mme B et de Maître C, M. X ayant eu la parole en dernier ;

 

A rendu la présente

 

 

DÉCISION

 

Président du tribunal judiciaire de xxxxx, M. X est poursuivi devant le Conseil de discipline des magistrats du siège, suivant dépêche du garde des Sceaux, ministre de la justice, du 18 février 2020, pour des faits qui lui sont imputés dans l’exercice de ses fonctions à xxxxx.

Avant toute défense au fond, M. X invoque la nullité des auditions réalisées dans le cadre de l’enquête administrative ainsi que celle des actes subséquents produits au soutien des poursuites.

 

SUR LA PROCEDURE

 

Pour conclure à la nullité des auditions réalisées les 28, 29 et 30 octobre 2019 par l’inspection générale de la justice, ainsi qu’à la nullité des actes subséquents, M. X soutient que ses droits n’ont pas été respectés lors de l’enquête administrative aux motifs qu’il n’a pas pu disposer d’un délai suffisant pour préparer sa défense, que son défenseur n’a pas eu accès à la procédure ni n’a pu présenter ses observations et formuler des demandes d’actes, en contradiction avec le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense, rappelés notamment par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Pour apprécier le respect des droits de la défense et du contradictoire, le Conseil s’attache non seulement aux droits qui sont accordés au magistrat poursuivi postérieurement à sa saisine mais aussi aux conditions dans lesquelles l’inspection générale de la justice conduit les auditions du magistrat lors de l’enquête administrative et lui permet de préparer sa défense.

Le Conseil relève que, selon procès-verbal du 15 octobre 2019, notifié le 17 octobre 2019, M. X a été convoqué aux fins d’audition par l’inspection générale de la justice dans le cadre de l’enquête administrative le concernant et qu’il a, dans le même temps, accusé réception de la copie intégrale des pièces de la procédure. Selon procès-verbal d’audition du 28 octobre 2019, M. X a consenti au recueil de ses déclarations sans faire d’observation, notamment sur les délais de convocation. Enfin, à l’issue de ses auditions des 28, 29 et 30 octobre 2019, dont copie des procès-verbaux lui a été remise, un délai de huit jours lui a été accordé pour faire valoir ses observations complémentaires et communiquer toutes informations ou précisions.

Puis, dès la saisine du Conseil supérieur de la magistrature, l’intégralité des pièces de la procédure ont été communiquées à l’intéressé. S’il peut apparaître de bonne pratique de permettre à un magistrat d’être effectivement assisté lorsqu’il est entendu au cours d’une enquête administrative préalable à une procédure disciplinaire, le Conseil relève que M. X a pu, tant durant l’enquête diligentée par le rapporteur qu’à l’audience du Conseil, bénéficier d’une assistance et présenter toutes observations qu’il estimait utiles. Ce n’est d’ailleurs que lors de son audition devant le rapporteur, le 30 juin 2020, que M. X a invoqué un manque de temps pour préparer sa défense sans toutefois remettre en question les déclarations précédemment faites devant l’inspection générale de la justice.

Il ne saurait, dans ces conditions, être soutenu qu’il n’a pas bénéficié d’un délai suffisant pour préparer sa défense et prendre connaissance des divers documents recueillis par la mission d’inspection.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu, en tout état de cause, atteinte aux droits de la défense en raison des conditions de déroulement de l’enquête administrative de l’inspection générale de la justice. La demande présentée à ce titre par M. X sera rejetée.

 

SUR LE FOND

 

L’acte de saisine du garde des Sceaux relève plusieurs griefs disciplinaires portant sur des manquements imputés à M. X.

             Il lui est ainsi reproché :

 

  • un manquement à ses devoirs de rigueur professionnelle et de conscience professionnelle, lesquels s’entendent du devoir de compétence, d’efficacité et de diligences dans le traitement des procédures confiées, en n’étant pas en mesure d’assurer sa permanence en raison de contraintes personnelles et familiales non anticipées ni organisées, en rendant avec un retard important par rapport à la date de délibéré initiale de nombreuses décisions civiles, de liquidation-partages et certains incidents de mise en état, en signant un mandat de dépôt en qualité de juge des libertés et de la détention ne visant pas le bon cadre procédural d’incarcération et en ayant tenu un débat de prolongation de détention provisoire hors la présence de l’avocat non régulièrement convoqué en connaissance de cause ;
  • un manquement à son devoir de loyauté dans l’administration de la justice et plus généralement aux devoirs de son état en adoptant un comportement ne permettant pas le fonctionnement harmonieux de la dyarchie entre le procureur de la République et le président de la juridiction ; 
  • un manquement à son devoir de délicatesse en adoptant un ton inapproprié envers la directrice de greffe, à plusieurs reprises, dans le cadre de désaccords liés à la répartition des effectifs et en lui envoyant un courriel intitulé convocation à un entretien de recadrage ;
  • un manquement au devoir de délicatesse à l’égard d’un collègue et une atteinte à l’indépendance de ce magistrat, en intervenant auprès d’un juge d’instruction avec pour objectif de peser sur sa décision et d’en orienter le sens ;
  • un manquement à son devoir de loyauté vis-à-vis de son supérieur hiérarchique en n’informant pas le premier président de la situation dégradée du tribunal d’instance de xxxxx et en ne se montrant pas en mesure d’organiser le service permettant la gestion des urgences ;
  • un manquement à ses devoirs d’intégrité, de probité et de délicatesse et une atteinte à la dignité de sa fonction et ce faisant à l’image de l’institution judiciaire, pour avoir tenté de se soustraire à un contrôle routier en usant de sa carte professionnelle, pour avoir fait état de sa qualité de magistrat et pour avoir, alors qu’il était contraint de s’arrêter, tenu des propos injurieux envers les fonctionnaires des douanes qui découvraient des cartouches de fusil de chasse dans son coffre sans que l’intéressé puisse fournir son permis de chasse.

 

Le rapporteur, dans son rapport à la formation disciplinaire du Conseil du 30 juillet 2020, relève en outre trois griefs disciplinaires portant sur des manquements susvisés imputés à M. X, en l’espèce la communication d’une information erronée au premier président sur le placement sous contrôle judiciaire d’une personne déférée qui avait en réalité été remise en liberté, le fait d’imposer à une magistrate la rédaction de jugements pour une audience de procédure orale à laquelle elle n’avait pas participé et, de manière conjuguée, le fait d’adopter des horaires de travail variables, d’accuser des retards aux audiences et d’imposer des remplacements fréquents à ses collègues.

Selon les dispositions du premier alinéa de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée : « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».

 

Les faits à l’origine des poursuites disciplinaires

 

M. X a été installé en qualité de président du tribunal judiciaire de xxxxx le 2 mai 2017. Dès la première année d’exercice de ses fonctions de président, divers incidents se sont produits au sein de la juridiction xxxxx à l’occasion de son activité juridictionnelle. Trois incidents ponctuels et successifs se sont notamment déroulés alors que M. X exerçait les fonctions de juge des libertés et de la détention de permanence. Le premier a concerné une erreur dans un mandat de dépôt du 1er octobre 2017, le deuxième une prolongation de détention irrégulière le 8 décembre 2017, le troisième le départ de la juridiction de M. X pour convenances personnelles malgré sa saisine par le juge d’instruction aux fins de placement en détention provisoire d’un mis en examen. En outre, au titre de son activité civile, d’importants retards de délibérés ont été constatés tout au long de l’exercice professionnel de M. X.

Par ailleurs, des critiques se sont fait jour au sein de la juridiction sur l’engagement professionnel de M. X dans l’exercice de ses fonctions de chef de juridiction, sur son management, ainsi que sur sa capacité d’organisation et d’administration de la juridiction, en particulier le tribunal d’instance de xxxxx qui connaissait une situation très dégradée. Dans ce contexte, les relations avec l’ancienne procureure de la République en poste se sont rapidement dégradées au point qu’il n’existait plus de dialogue dyarchique. De très fortes tensions sont ensuite survenues dans les relations entre M. X et la directrice des services de greffe judiciaire.

La conduite de M. X à l’extérieur de la juridiction, dans sa vie personnelle, a aussi fait l’objet d’un signalement à la suite d’un contrôle douanier du 2 novembre 2018.

 

Sur le manquement à la rigueur professionnelle, au devoir d’efficacité, de diligence et de compétence, au sens des responsabilités professionnelles et à la conscience professionnelle

 

Dans l’exercice des fonctions de juge des libertés et de la détention

 

Plusieurs incidents successifs se sont déroulés alors que M. X exerçait les fonctions de juge des libertés et de la détention de permanence.

Ainsi, le 1er octobre 2017, dans l’exercice de ses attributions de juge des libertés et de la détention, M. X a signé un mandat de dépôt provisoire de trois jours, utilisant une trame servant à incarcérer un individu le temps qu’il comparaisse devant un juge d’instruction d’un pôle criminel, alors qu’il était saisi par le magistrat de permanence à l’instruction aux fins de placer un prévenu sous mandat de dépôt correctionnel d’une durée de quatre mois. Suite à la requête en rectification d’erreur matérielle formée par le parquet et acceptée par M. X, la chambre de l’instruction, sur appel formé par l’avocat, a confirmé le mandat de dépôt par arrêt du 17 octobre 2017, de sorte que le prévenu n’a pas été remis en liberté. 

Cet incident n’est pas contesté par M. X. Il a expliqué qu’il avait pu y avoir une erreur matérielle due à une défaillance informatique dans la trame générée par le greffier via le logiciel métier Cassiopée et ce, alors même qu’il avait pris le soin de relire le mandat de dépôt, démentant à cet égard certains témoignages recueillis faisant état d’une pratique habituelle chez M. X de signature sans relecture des actes préparés par le greffe. M. X a précisé qu’il faisait confiance au greffier en charge de préparer l’ordonnance et qu’en tout état de cause, dans cette procédure, la rectification ultérieure du mandat de dépôt avait permis d’éviter une remise en liberté.

Pour autant, il ressort des éléments de la procédure que le jour de cette permanence, M. X s’est déplacé au tribunal pour ce seul dossier et était assisté d’un greffier de permanence qui n’était pas habituellement affecté au service du juge des libertés et de la détention.

Le Conseil estime qu’il lui appartenait de vérifier plus particulièrement le titre de détention émis et de s’assurer, par une relecture attentive, avant sa signature, des motifs de l’ordonnance de placement en détention provisoire générée par le greffe, une défaillance informatique n’étant pas de nature à atténuer son devoir de vigilance, qui plus est dans une matière mettant en cause la liberté individuelle des personnes.

Par ailleurs, le 8 décembre 2017, à l’occasion d’une permanence du juge des libertés et de la détention qu’il assurait, M. X a prolongé de manière irrégulière une détention provisoire. Il résulte des éléments de la procédure qu’une personne mise en examen, dont le mandat de dépôt devait être renouvelé avant le 26 décembre 2017, a été convoquée le 4 décembre 2017 pour une audience de prolongation programmée le 8 décembre 2017. L’avocat du prévenu ne s’est pas présenté à cette audience tenue par M. X, lequel a néanmoins décidé de prolonger le mandat de dépôt. Suite à l’appel interjeté par l’avocat, la chambre de l’instruction, par arrêt du 29 décembre 2017, a constaté la nullité de l’ordonnance rendue par M. X, en raison du délai insuffisant entre la convocation et l’audience du juge des libertés et de la détention, et a remis en liberté le mis en examen.

M. X a admis qu’il n’avait pas vérifié la régularité du délai de convocation, faisant confiance au greffe. En contradiction avec le témoignage de la greffière du juge des libertés et de la détention, il conteste en revanche avoir été avisé au préalable par le greffe de cette difficulté procédurale.

Le Conseil considère qu’il lui appartenait, en sa qualité de juge des libertés et de la détention, au demeurant titulaire de ce service depuis plusieurs mois et après un premier incident qui aurait dû le conduire à redoubler de vigilance, de s’assurer que les délais de convocation avaient été respectés, ce d’autant plus que l’absence de l’avocat dans ce dossier sensible pouvait révéler une difficulté procédurale.

Enfin, un troisième incident grave est survenu le 17 avril 2018 alors qu’il assurait la permanence du juge des libertés et de la détention. Avisé de la tenue d’un débat de placement en détention provisoire, M. X a quitté la juridiction pour des raisons personnelles à 16 heures 30 en faisant état auprès de plusieurs interlocuteurs d’un retour au tribunal aux alentours, tantôt de 21 heures, tantôt de 22 heures.

Il ressort des éléments de la procédure que M. X a été informé de sa saisine potentielle le matin du 17 avril et qu’il a vainement tenté de se faire remplacer par un collègue, se heurtant à la difficulté de trouver une solution alternative en période de vacation. A l’issue de l’interrogatoire de première comparution, vers 16 heures, Mme D, juge d’instruction, a rendu une ordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention afin que le prévenu, mis en examen des chefs d’homicide involontaire par conducteur d’un véhicule à moteur avec deux circonstances aggravantes, soit placé en détention provisoire. En l’absence de M. X, la procureure de la République, Mme E, a requis à 18h50 la remise en liberté de l’intéressé en raison de la durée de son maintien sous escorte non justifié par des nécessités juridictionnelles.

Cet incident grave n’est pas contesté par M. X qui, s’il admet un certain défaut d’anticipation de sa part pour concilier ses contraintes personnelles avec ses devoirs professionnels, considère néanmoins que c’est la procureure de la République qui a décidé de la remise en liberté alors que la légalité du délai de rétention de la personne déférée n’était pas compromise. Il soutient ainsi n’avoir pas eu d’autre choix que de quitter la juridiction en sachant qu’il reviendrait dans la soirée pour prendre cet acte.

Si M. X a dû faire face à des contraintes personnelles d’organisation, il n’en reste pas moins qu’il était de permanence et qu’il lui appartenait d’anticiper de telles difficultés. En outre, M. X n’a pas pris en considération les conséquences de son départ de la juridiction, décidé unilatéralement et sans concertation, sur les autres acteurs de la juridiction et sur le devenir de la procédure. Il en est résulté un dysfonctionnement grave au sein de la juridiction.

Ainsi, en ces trois circonstances ayant trait à son activité juridictionnelle de juge des libertés et de la détention, M. X a manqué aux devoirs de rigueur professionnelle et au devoir de compétence, au sens des responsabilités professionnelles et à la conscience professionnelle qui s’imposent à tout juge, et a fortiori à celui qui occupe la position la plus élevée au sein du tribunal judiciaire au regard des responsabilités qui lui incombent.

 

Dans l’exercice de son activité civile

 

Il est également reproché à M. X, aux termes de l’acte de saisine et du rapport, divers éléments susceptibles de caractériser un manquement au devoir de rigueur professionnelle, à la conscience professionnelle, au sens des responsabilités et au devoir d’efficacité et de diligence dans l’exercice de son activité de juge civil, en particulier la délégation dans la rédaction de décisions civiles ainsi que des retards de délibérés.

En premier lieu, il est constant et non contesté que M. X a délégué à une juge, Mme F, au moment de son arrivée en premier poste dans la juridiction de xxxxx, en septembre 2017, la rédaction de jugements pour une audience civile qu’il avait présidée et à laquelle elle n’avait pas participé. M. X a justifié sa démarche comme une demande de service en raison d’une surcharge de travail lui incombant.

De telles explications, qui tendent à minimiser la portée de cet événement, témoignent d’une perte de repères déontologiques chez M. X, lequel a manqué au devoir élémentaire d’un juge de fonder sa décision sur les éléments contradictoirement débattus devant lui lors d’une procédure orale. Cette demande du président du tribunal, adressée qui plus est à une magistrate inexpérimentée, est constitutive d’un manquement au sens des responsabilités professionnelles s’imposant à tout magistrat et a fortiori à un chef de juridiction.

En deuxième lieu, sur les retards dans la rédaction des jugements civils, il est constant que, tout au long de l’exercice professionnel de M. X à xxxxx, d’importants retards de délibérés ont été constatés.

Interrogé sur ce point, M. X n’a pas contesté ces retards mais les a justifiés par sa surcharge de travail dès la fin de l’année 2017 et ses nombreuses absences liées à ses formations.

Pour autant, il ressort de l’enquête administrative diligentée par l’inspection générale de la justice que M. X a prorogé 29 décisions civiles entre le second semestre 2017 et la fin de l’année 2018, soit 25% des décisions rendues, 36 décisions en matière de liquidation-partage entre le second semestre 2017 et octobre 2019 soit plus de 80% des décisions, et 12 incidents de la mise en état. De nombreuses décisions prorogées ont été rendues à plus de six mois. Malgré la mise en évidence de la difficulté par le premier président de la cour d’appel en janvier 2019, il est avéré que M. X a continué à avoir un nombre important de dossiers en délibéré depuis plus de deux mois, 15 au cours du premier semestre 2019, 7 au cours du second.

Cette défaillance dans l’activité civile, qui s’est inscrite dans la durée et dans des proportions particulièrement significatives, est d’autant plus dommageable qu’elle a eu des répercussions sur le service public de la justice à xxxxx, au détriment des justiciables concernés, trop souvent confrontés à des retards dans le prononcé des jugements. Elle est constitutive d’une faute au sens de l’article 43 de l’ordonnance statutaire du 22 décembre 1958 et caractérise un manquement à ses devoirs de rigueur professionnelle et de conscience professionnelle qui s’entendent du devoir d’efficacité et de diligence dans le traitement des procédures confiées.

 

Dans l’exercice de ses fonctions de chef de juridiction

 

Enfin, il est reproché à M. X divers éléments susceptibles de caractériser un engagement professionnel insuffisant et un manquement au sens des responsabilités professionnelles et à la conscience professionnelle dans l’exercice de ses fonctions de chef de juridiction, en particulier la conjonction entre des horaires variables, des demandes fréquentes de remplacement imposées à ses collègues et des retards réguliers aux audiences.

Sur ce point, M. X a fait état d’une évolution dans ses horaires de travail et de la prise en compte des remarques qui lui avaient été faites par le premier président de la cour d’appel dans un souci de plus grande disponibilité et d’exemplarité. Il a par ailleurs justifié les remplacements par ses activités de soutien et les charges liées à son activité juridictionnelle, affirmant qu’il assumait une charge de travail très élevée mais que ses absences étaient toujours justifiées. Enfin, il a contesté les témoignages recueillis faisant état de ses fréquents retards.

A cet égard, le Conseil relève que si certaines pièces versées aux débats mettent en exergue des retards aux audiences et des horaires variables, les attestations recueillies ne sont toutefois pas suffisamment convergentes et étayées, de sorte qu’il n’est pas démontré que l’attitude de M. X ait pu entraîner une perturbation dans le bon fonctionnement de la juridiction. De même, s’il résulte des éléments de la procédure que les remplacements de M. X ont été extrêmement nombreux en 2018, puisqu’ils ont représenté près d’un tiers de son service civil équivalent à une décharge d’environ un quart de l’ensemble de son service juridictionnel, le Conseil relève néanmoins qu’une évolution favorable a été constatée en 2019 et que la continuité du service a toujours pu être assurée.

Le grief tenant de ce chef sera, en conséquence, écarté.

 

Sur l’atteinte à l’indépendance d’un magistrat et le manquement au devoir de délicatesse

 

Il ressort de l’enquête diligentée par les services de l’inspection générale de la justice que, le 17 avril 2018, M. X s’est rendu, alors qu’il assurait le service de juge des libertés et de la détention, dans le bureau de la juge d’instruction, Mme D, laquelle était affectée en premier poste à xxxxx depuis moins d’un an, pour évoquer sa potentielle saisine aux fins d’un placement en détention provisoire et l’éventualité qu’elle décide plutôt un placement sous contrôle judiciaire. Il est établi qu'une vive discussion s'est ensuite déroulée entre M. X et la juge d'instruction qui en a fait part au président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel dans un courriel rédigé immédiatement après l'échange.

M. X a admis avoir entrepris une démarche auprès de la juge d’instruction Mme D, pour évoquer la possibilité qu’elle intervertisse la présentation du déféré avec un interrogatoire qu’elle avait planifié à 14 heures. Il réfute lui avoir donné un ordre et avoir fait valoir sa qualité de président du tribunal mais a admis s’être emporté lors de cette discussion. Il considère qu’il a simplement demandé un service et évoqué la possibilité d’un placement sous contrôle judiciaire de la personne déférée. Il réfute ainsi toute atteinte à l’indépendance de la juge d’instruction.

Il résulte toutefois des pièces du dossier et des débats à l’audience, en particulier des déclarations circonstanciées de Mme D, confortées par les témoignages concordants recueillis, que M. X est intervenu auprès de cette magistrate avec pour objectif de peser sur sa décision et d’en orienter le sens, que ce comportement s’analyse en une atteinte à l’indépendance de ce magistrat qu’il se devait précisément de garantir en sa qualité de chef de juridiction.

Par l’attitude véhémente et autoritaire qu’il a manifestée à l’égard de ce magistrat, M. X a en outre commis une faute constitutive d’un manquement au devoir de délicatesse et de respect.

 

            Sur les autres manquements au devoir de délicatesse et de respect

 

Le devoir de délicatesse impose au magistrat un comportement respectueux envers autrui et des valeurs d’écoute, son attitude devant, en toutes circonstances, être empreinte de tact et de prévenance, dénuée de toute manifestation d’impatience ou d’animosité.

 

Le devoir de délicatesse et de respect à l’égard d’un magistrat placé sous son autorité hiérarchique

 

Il est encore fait grief à M. X d’avoir reproché à une magistrate placée sous son autorité hiérarchique, Mme D, les propos qu’elle avait tenus lors d’une assemblée générale de la juridiction, le 29 mai 2017. Il est avéré que Mme D a spontanément fait part au cours de cette assemblée générale de ses réserves quant à l’idée de se voir confier la rédaction de jugements civils eu égard à sa charge de travail et la gestion de son cabinet d’instruction. Il ressort des déclarations de cette magistrate que, le lendemain, M. X s’est rendu dans son bureau pour lui reprocher ses propos librement exprimés, en lui rappelant sa qualité de « simple juge ».

Le Conseil relève toutefois que de tels propos, démentis de manière constante par M. X, n’ont pas été confirmés par les investigations diligentées, de sorte que la faute reprochée n’est pas caractérisée.

Il s’ensuit que ce grief sera écarté.

 

Le devoir de délicatesse et de respect à l’égard de la directrice des services de greffe judiciaire

 

Il est encore reproché à M. X un manquement au devoir de délicatesse et de respect à l’égard de la directrice des services de greffe judiciaire, Mme G. Il n’est pas contesté que les relations entre celle-ci et le président étaient difficiles et se sont encore dégradées après l’incident survenu le 17 avril 2018 dans le service du juge des libertés et de la détention, Mme G étant intervenue à cette occasion pour demander à la greffière de ne pas rester au-delà de 19 heures, confortant ainsi la décision de la procureure de la République. Des incidents survenus ensuite à propos de l’affectation de fonctionnaires dans des services ont précédé la convocation de la directrice de greffe à un « entretien de recadrage ».

Ainsi, le 27 juin 2018, ayant appris qu’un fonctionnaire avait été affecté dans un service sans son accord, M. X a convoqué seul par courriel Mme G à ce qu’il a lui-même appelé un « entretien de recadrage » prévu le 29 juin 2018 afin qu’elle s’explique sur des « dysfonctionnements » constatés. Le premier président, informé de cette initiative, a interdit à M. X de procéder à un tel entretien. Par la suite, de nouvelles difficultés relationnelles sont régulièrement survenues entre le président et Mme G à propos de l’affectation des fonctionnaires dans les services.

Au soutien de sa position, M. X a justifié son projet d’« entretien de recadrage » en faisant valoir qu’il s’agissait d’une méthode de management moderne, que cet entretien visait à évaluer les difficultés et rétablir le lien avec la directrice de greffe. Admettant à l’audience une maladresse dans l’emploi du terme de « recadrage », il a toutefois indiqué avoir donné des explications à la directrice de greffe sur les raisons et la teneur de cet entretien qui n’était, selon lui, pas de nature disciplinaire.

Il résulte des débats et des pièces versées au dossier que si Mme G est apparue affectée et humiliée par ce projet d’« entretien de recadrage », cette initiative, dont la maladresse n’est pas contestée ni contestable, s’est inscrite dans un contexte peu propice de relations professionnelles dégradées et ne saurait constituer à elle seule une faute de nature disciplinaire. En outre, l’impossibilité pour M. X de restaurer un fonctionnement serein dans ses relations professionnelles avec la directrice de greffe ne saurait lui être entièrement imputable, d’importantes nuances sur les torts réciproques des protagonistes ayant été apportées dans les témoignages divergents recueillis.

Il s’ensuit que ce grief n’apparaît pas suffisamment établi pour constituer une faute disciplinaire et sera écarté.

 

            Sur le manquement au devoir de diligence

 

A la suite du départ non remplacé, depuis juin 2017, du juge d’instance de xxxxx, la situation du tribunal d’instance, qui comportait une importante activité de tutelles, s’est fortement dégradée, les audiences étant prises tantôt par des magistrats placés, tantôt par des juges de la juridiction de xxxxx. A compter de janvier 2019, pour pallier une nouvelle vacance de poste au greffe, une greffière y a été déléguée alors qu’elle n’avait jamais exercé aux tutelles. Suite au refus des magistrats de xxxxx, M. X s’est attribué la charge du service des tutelles, en traitant les mesures arrivant à échéance. La situation dégradée de ce tribunal a par ailleurs été évoquée lors d’un déplacement du premier président de la cour d’appel au tribunal de xxxxx, le 29 janvier 2019, la situation d’urgence pour le service des tutelles ayant été soulignée. Un premier audit du service des tutelles du tribunal d’instance a été conduit en août 2019 par la directrice des services de greffe judiciaire puis, un second, en septembre 2019 par un magistrat placé. Ces deux audits ont mis en exergue une situation alarmante, notamment le constat d’une grande désorganisation du greffe, l’existence de caducités dans les requêtes et des risques de caducité du fait de l’absence de diligences.

Entendu sur le grief tiré d’une gestion défaillante du tribunal d’instance de xxxxx, dans le contexte connu d’une vacance de poste depuis 2018, M. X a considéré qu’en prenant à sa charge le service des tutelles de xxxxx, il s’était efforcé de limiter l’incidence de cette vacance. Tout en acceptant les conclusions de l’audit réalisé en septembre, notamment les retards et les caducités constatés qui lui sont imputables, il a, d’une part, rejeté la responsabilité de la situation sur le chef de cour en déplorant une absence de moyens alloués pour faire face à cette situation et, d’autre part, mis en avant l’incompétence de la greffière déléguée pour assurer le service des tutelles dont il affirme avoir pris la mesure dès avril 2019.

Pour autant, il ressort des éléments de la procédure que M. X s’est régulièrement déplacé au tribunal d’instance de xxxxx au cours de l’année 2019, qu’il a pu à ces occasions prendre la mesure de la totale désorganisation du service et son état d’enlisement et ce d’autant qu’il admet avoir rapidement discerné les limites professionnelles de la greffière déléguée.

Tout en prenant en considération les difficultés sérieuses inhérentes à la gestion d’une petite juridiction marquée par un déficit d’attractivité et des problèmes systémiques d’effectifs, le Conseil estime que les explications fournies par M. X ne sauraient justifier sa légèreté dans l’organisation du service du tribunal de xxxxx. De même, si la défaillance du greffier n’est pas contestée, elle ne saurait atténuer la responsabilité de M. X auquel il revenait de mettre en place les modalités d’organisation d’autant plus efficaces que le greffe présentait des fragilités.

Ainsi, M. X n’a pas été en mesure de réagir de manière diligente à l’enlisement du service des tutelles, provoqué par une vacance de poste. Son incapacité, dans la gestion de la juridiction confiée à sa présidence, à décider des mesures propres à traiter les urgences et prévenir les caducités qui lui sont imputables, mais aussi à utiliser les instruments de contrôle nécessaires à une organisation correcte du service des tutelles, est caractérisée. De telles défaillances sont constitutives d’un manquement au devoir de diligence qui incombe aux chefs de juridiction au titre des responsabilités propres à leur fonction.

 

             Sur le manquement au devoir de loyauté

 

Il est reproché à M. X, aux termes de la saisine et du rapport, un manquement au devoir de loyauté, d’une part, dans ses relations vis-à-vis de son supérieur hiérarchique, le premier président de la cour d’appel et, d’autre part, dans l’administration de la justice du fait de relations dyarchiques dégradées avec la procureure de la République.

 

Devoir de loyauté vis-à-vis de son supérieur hiérarchique

 

Il est imputé à M. X un manquement à son devoir de loyauté vis-à-vis de son supérieur hiérarchique, d’une part, en raison de la communication d’une information erronée sur la mesure de sûreté prise à l’égard de la personne déférée lors de l’incident du 17 avril 2018, d’autre part, en raison d’une remontée de l’information défaillante quant à la situation du tribunal d’instance de xxxxx.

En premier lieu, à la suite de l’incident survenu le 17 avril 2018 alors que M. X exerçait les attributions de juge des libertés et de la détention et avait quitté la juridiction, il est constant que M. X a contacté dans la soirée le premier président de la cour d’appel de xxxxx et lui a fait part de manière inexacte du placement sous contrôle judiciaire du prévenu, alors que celui-ci avait été remis en liberté. Par courrier du 11 juin 2018, une mise en garde solennelle a été adressée par le premier président à M. X qui a ensuite indiqué avoir pris des mesures d’organisation afin que la continuité des services du juge des libertés et de la détention soit assurée.

M. X étant le seul magistrat qui aurait pu placer sous contrôle judiciaire la personne mise en examen après la saisine du juge d’instruction, il a admis une erreur mais réfuté un mensonge, reconnaissant un manque de rigueur qu’il a justifié par l’information parcellaire qui lui avait été donnée par la procureure de la République.

De telles déclarations sont cependant contredites par le témoignage de la procureure de la République mais aussi par les propres explications de M. X qui fait état d’un message téléphonique reçu de la cheffe de parquet évoquant la remise en liberté du mis en examen.

Le devoir de loyauté impose au magistrat d’informer son supérieur hiérarchique avec sincérité. En communiquant sciemment au premier président de la cour d’appel une information inexacte sur les suites données à une procédure, il ne lui a pas permis d’apprécier pleinement la situation et a ainsi manqué à son devoir de loyauté à son égard.

En second lieu, il est avéré que M. X n’a pas régulièrement tenu informé le premier président de la cour d’appel, malgré la demande expresse de celui-ci, de la situation dégradée du tribunal d’instance de xxxxx au cours du premier semestre 2019, puis en août 2019 après l’établissement d’un état des lieux par la directrice de services de greffe judiciaire. L’information relative à cet état des lieux n’a en effet été communiquée au chef de cour qu’en septembre 2019.

Sur ce point, M. X a expliqué qu’il attendait de pouvoir vérifier l’exactitude de l’état des lieux avant de le transmettre à son chef de cour.

Il ressort des éléments de la procédure que le chef de cour a déploré de manière générale une remontée hiérarchique défaillante de l’information et, concernant la situation du tribunal d’instance de xxxxx en particulier, une légèreté dans le respect du cadre hiérarchique. A cet égard, le Conseil relève que, s’il n’est pas contestable que M. X a dû faire face à une difficulté majeure pour assurer la continuité du service public de la justice sur le ressort du tribunal de xxxxx en raison d’une vacance de poste prolongée, il lui appartenait d’alerter sa hiérarchie sur les difficultés rencontrées avant une dégradation trop importante du service, ce d’autant plus qu’il avait indiqué en mars 2019 au premier président de la cour d’appel assurer l’intégralité du service des tutelles de xxxxx. Il s’ensuit qu’en s’abstenant d’informer le chef de cour de la situation très dégradée du tribunal d’instance de xxxxx, M. X a manqué à son devoir de loyauté vis-à-vis de son supérieur hiérarchique.

 

Devoir de loyauté dans l’administration de la justice et dans ses relations dyarchiques

 

Aux termes de l’enquête diligentée par les services de l’inspection générale de la justice, il est avéré que les relations individuelles entre M. X et la procureure de la République Mme E se sont progressivement dégradées, suscitant un contexte de tensions à la tête de la juridiction jusqu’à l’arrivée d’un nouveau procureur en septembre 2018. Après l’incident survenu le 17 avril 2018 au sein du service du juge des libertés et de la détention, il n’est pas contesté que le dialogue entre le président et la procureure était rompu, les échanges se faisant désormais par courriels ou notes interposées, ou par l’intermédiaire des fonctionnaires. Ce mode de fonctionnement a conduit, de manière significative à deux reprises, à de nouvelles tensions ayant trait à la gestion des personnels, d’une part, le projet d’« entretien de recadrage » de la directrice de greffe à la seule initiative de M. X le 27 juin 2018, d’autre part, l’envoi non concerté par M. X le 11 juillet 2018 d’une note au service administratif régional en vue de demander l’affectation d’effectifs de greffe complémentaires. Cette mésentente entre les deux chefs de juridiction était en outre connue des chefs de cour d’appel et de l’ensemble des magistrats et fonctionnaires de la juridiction de xxxxx.

M. X a admis que les relations avec la procureure de la République s’étaient dégradées après l’incident du 17 avril 2018, mais a réfuté toute difficulté antérieure tout en mettant en exergue la responsabilité de la cheffe de parquet dans la dégradation du fonctionnement de la dyarchie.

Consécutivement au dysfonctionnement survenu le 17 avril 2018 qui lui est imputable, le Conseil relève que M. X n’a pas été en mesure de renouer un dialogue serein et constructif avec la procureure de la République ni de rétablir une concertation dans l’exercice de leur mission de chefs de juridiction, dans le respect des responsabilités dévolues à chacun, privant de facto la juridiction d’un fonctionnement normal de son administration pendant plusieurs mois. Toutefois, le Conseil estime que la responsabilité de cet état de fait ne saurait lui être exclusivement imputée, de sorte que ce grief, insuffisamment étayé, devra être écarté.

 

Sur le manquement aux devoirs d’intégrité, de probité et de délicatesse, l’atteinte à la dignité des fonctions et à l’image de l’institution judiciaire

 

Enfin, aux termes de l’acte de saisine, un dernier grief a trait à la conduite de M. X à l’extérieur de la juridiction. Il lui est reproché un manquement aux devoirs d’intégrité et de probité ainsi qu’au devoir de délicatesse à l’égard des tiers, partenaires de l’autorité judiciaire, ainsi qu’une atteinte à la dignité de sa fonction de président de juridiction et à l’image de l’institution judiciaire.

Ainsi, le 2 novembre 2018, alors qu’il se rendait au tribunal de xxxxx, M. X a fait l’objet d’un contrôle par une brigade mobile des douanes. Les douaniers ont fait état de l’usage par M. X de sa carte professionnelle pour tenter de se soustraire au contrôle, de propos injurieux tenus à leur égard et d’une impossibilité de présenter son permis de chasse lors de la découverte de cartouches de fusil de chasse dans son coffre. Ce contrôle a fait l’objet d’un rapport de fin de service et d’une fiche incident transmise, sur demande, par le directeur régional des douanes au procureur général près la cour d’appel de xxxxx.

M. X a contesté le contenu et la véracité des écrits des services des douanes, réfutant s’être énervé et admettant uniquement le fait qu’il n’avait pas été en mesure de présenter son permis de chasse. Il a estimé avoir été contrôlé pour un motif raciste, en raison de sa plaque d’immatriculation antillaise. Il a admis avoir alors dénoncé des méthodes de « cow-boys » tout en faisant état de sa qualité de magistrat.

Si l’attitude peu amène de M. X à l’égard des agents des douanes apparaît vraisemblable à la lumière de ses propres déclarations, le caractère injurieux des propos qu’il aurait tenus, tout comme l’invocation de sa qualité de magistrat et président de juridiction pour tenter de se soustraire au contrôle, ne sont toutefois pas démontrés au regard des pièces du dossier et des débats à l’audience, de sorte que le grief n’est pas constitutif d’un manquement disciplinaire et sera écarté.

 

SUR LA SANCTION

 

De nombreux manquements sont établis à l’encontre de M. X, dans ses fonctions de juge et de président de tribunal, alors qu’il exerçait ses premières fonctions en qualité de chef de juridiction. Certaines des fautes précédemment relevées ont causé des atteintes aux droits et libertés individuelles ou perturbé le cours de procédures pénales. D’autres ont engendré des conséquences gravement préjudiciables pour les justiciables en raison des défaillances significatives et répétées constatées dans son activité civile. Enfin, M. X a fait un usage inadapté de sa qualité de chef hiérarchique à l’égard d’une juge d’instruction. L’ensemble de ces fautes présente un caractère de gravité justifiant la sanction de l’abaissement d’échelon prévue au 4° de l’article 45 de l’ordonnance statutaire du 22 décembre 1958.

Cette sanction sera assortie du déplacement d’office.

Le Conseil relève en effet que la nature, la multiplicité et la gravité des fautes disciplinaires retenues contre M. X ne peuvent que porter atteinte à la crédibilité de ce magistrat dans son environnement professionnel et ses attributions actuels.

En outre, même si M. X a formulé une demande de décharge de ses fonctions de président de juridiction par courrier du 26 août 2020, les manquements rendent inenvisageable la poursuite de son exercice professionnel dans le ressort de la cour d’appel de xxxxx et justifient que la sanction de l’abaissement d’échelon soit assortie d’un déplacement d’office qui permettra de reconsidérer, à la lumière de ces manquements, les fonctions qu’en l’état, M. X est susceptible d’exercer.

 

PAR CES MOTIFS,

 

Le Conseil,

Après en avoir délibéré à huis-clos, hors la présence de M. Hurel, rapporteur ;

Statuant en audience publique, le 16 septembre 2020 pour les débats et le 14 octobre 2020, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Rejette l’exception de nullité présentée par M. X ;

Prononce à l’encontre de M. X, pour les faits reconnus comme constitutifs de fautes disciplinaires, la sanction disciplinaire de l’abaissement d’échelon assortie du déplacement d’office, prévue par les articles 45, 2° et 4°, et 46, alinéa 2, de l’ordonnance du 22 décembre 1958, modifiée, portant loi organique relative au statut des magistrats ;

Dit qu’une copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d’appel de xxxxx, aux fins de notification à M. X ;

Dit qu’une copie sera adressée à Monsieur le garde des Sceaux, ministre de la justice.

 

 

La secrétaire générale adjointe

 

 

 

 

Sophie Havard

La présidente

 

 

 

 

Chantal Arens